Fiche du document numéro 27926

Num
27926
Date
Lundi 15 mars 2021
Amj
Taille
38120
Titre
« La Traversée » de Patrick de Saint-Exupéry : en finir avec le double génocide au Rwanda
Sous titre
Critique. Enquête et formidable récit de voyage de Kigali à Kinshasa, La Traversée est d’abord une déconstruction solide de la théorie du double génocide qui prévaut dans certains milieux. Au génocide perpétré contre les Tutsi par les Hutu extrémistes en 1994 au Rwanda, n’a pas répondu celui des Hutu par les Tutsi en Rd-Congo (ex-Zaïre), deux ans plus tard.
Lieu cité
RDC
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
La Traversée

Patrick de Saint-Exupéry

Les Arènes Reporters, 318 p., 22 €

C’est un reportage au long cours de Kigali à Kinshasa, une enquête de terrain, un voyage à hauteur d’homme à travers l’immense forêt congolaise, entrepris par le journaliste Patrick de Saint-Exupéry. Un récit où il raconte, simplement, avec retenue, profondeur et humour, son périple sur les traces d’une théorie, celle du double génocide. À l’extermination des Tutsi par les extrémistes Hutu en 1994 au Rwanda (plus de 800 000 morts), se serait ajoutée l’extermination des Hutu par les Tutsi.

Une éradication en miroir dans les zones contrôlées par le FPR (le mouvement armé de Tutsi exilés qui chasse le régime génocidaire hutu le 4 juillet 1994). Et qui se serait poursuivie en RD-Congo (l’ancien Zaïre) lorsque le FPR est intervenu pour démanteler les camps de déplacés et renverser le maréchal Mobutu, entre 1996 et 1997. Les soldats tutsi du nouveau régime rwandais auraient exterminé 200 000 Hutu dans la forêt zaïroise.

Une accusation qui circule dès 1994 dans les camps de déplacés hutu au Zaïre (notamment parmi les prêtres et séminaristes catholiques, montre l’auteur), souvent reprise ou sous-entendue par l’exécutif et les militaires français en poste à Paris dans les années 1990, et par le président François Mitterrand.

Un génocide au Rwanda, mais lequel ?



Patrick de Saint-Exupéry rapporte l’échange qu’il avait eu en novembre 1994 avec le président socialiste à ce sujet : « Oui, il venait de se produire au Rwanda un « génocide », concéda-t-il. Mais lequel : « Celui des Hutu contre les Tutsi ? Ou celui des Tutsi contre les Hutu ? […] Le génocide s’est-il arrêté après la victoire des Tutsi ? Je m’interroge… »

Patrick de Saint-Exupéry s’est rendu sur les lieux où se serait déroulé ce deuxième génocide. Il interroge les témoins qui vivent encore sur place : Qu’avez-vous vu ? Qui a tué qui ? Où ? Comment ? Le journaliste confronte les lieux et les textes, les souvenirs des uns et les affirmations des autres. Et très vite, c’est une tout autre histoire qui se raconte, dans ce long périple à moto. On le suit dans les lieux de « l’extermination », et dans un train, et sur une barge sur le fleuve Congo, dans les petits hôtels, dans les échoppes où l’on peut boire une bière.

Les haineux ont pris en otage les réfugiés



À l’occasion de multiples rencontres, sont exhumés le souvenir et les actes de ceux qui se sont fait oublier dans le discours du deuxième génocide : les tueurs hutu, les soldats et les miliciens du régime génocidaire en déroute, les responsables, petits et grands, de l’extermination qui veulent leur revanche, qui n’en n’ont pas fini avec leur haine. Cette haine, ils l’ont portée avec eux au Congo. Les haineux ont pris en otage les autres réfugiés. Ils les ont encadrés, ils s’en sont servis comme bouclier humain contre le FPR, ils les ont obligés à fuir avec eux dans l’immense forêt.

« Deux cent mille fuyards rayés de la carte, donc « morts » ? Oui, clame la diaspora des extrémistes hutu, qui fait battre le tambour du « deuxième génocide » dans ses foyers au Kenya, du Centrafrique, du Cameroun, de France, de Belgique, du Canada… Nous l’annoncions, nous le savions, nous avions raison, nous sommes des victimes, les vraies, les seules, depuis le début. Et leurs soutiens répercutent le message, et les théories abondent. L’imagination s’enflamme ; se libère de tous ses freins. Deux cent mille « disparus » tués ? Une vengeance sanguinaire des Tutsi ? Un contre-génocide ? Une extermination au cœur des ténèbres ? En réalité, les morts supposés marchent. Un avion envoyé survoler la forêt les repère. Ils sont debout. »

Quand la dépouille du président Habyarimana parle



L’auteur n’écrit pas qu’il n’y a pas eu de tués parmi les réfugiés. Bien entendu, de nombreux civils l’ont été, comme dans toutes les guerres. Mais ceux qui en parlent comme d’un génocide se trompent, démontre-t-il, comme le rapport Mapping, l’enquête conduite par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme en 2010 : « Il racontait une guerre avec le vocabulaire de l’extermination. Waterloo décrit avec les mots d’Auschwitz. »

Et comme fil conducteur et métaphore de cette histoire folle et sanglante, celle de la dépouille du président Habyarimana : transportée comme une relique par ses proches au Zaïre, puis dans une morgue de Kinshasa, envoyée ensuite par Mobutu dans sa propriété de Gbadolite, rapatriée en avion à Kinshasa par l’autocrate zaïrois juste avant sa chute, le cadavre présidentiel est finalement incinéré en 1997 au bord du fleuve Congo. À la toute fin de La Traversée, Patrick de Saint-Exupéry retrouve l’emplacement de la crémation pour une ultime et ahurissante découverte. « J’étais atterré », écrit-il. Une nouvelle fois, la terre parlait pour les morts.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024