Fiche du document numéro 27830

Num
27830
Date
Samedi 27 février 2021
Amj
Taille
209646
Sur titre
Une semaine d'actualité
Titre
Transcription partielle de l'interview d'Hubert Védrine
Sous titre
Hubert Védrine : « moi, je me borne à dire dans une dépêche – simple dépêche, même pas une note [ricanement] secrète. Une dépêche dit : “On va arrêter les génocidaires”. D’abord, qui c’est les génocidaires ? C’est pas évident, au vu de dizaines de milliers de gens qui essaient de trouver un refuge sûr. Et moi je me borne à dire au Président : “Ce n’est pas ce qui a été décidé”. Point ».
Nom cité
Source
RFI
Fonds d'archives
Type
Transcription d'une émission de radio
Langue
FR
Citation
Lien :
https://www.rfi.fr/fr/podcasts/une-semaine-d-actualit%C3%A9/20210226-hubert-v%C3%A9drine-dictionnaire-amoureux-de-la-g%C3%A9opolitique

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HUBERT VEDRINE AU MICRO DE RFI.

NB. – Les principaux bégaiements ainsi que les acquiescements de complaisance du journaliste ont été supprimés.

[Début de la transcription à 31’ 00’’]

Pierre-Edouard Deldique : Alors à propos du rayonnement de la France, dont Jean François Revel disait, il me semble, il y a… – le regretté Jean François Revel –, qu’il s’étonnait, quand on parle de rayonnement, que le monde n’ait pas de coup de soleil, à cause de ce rayonnement. Je voudrais que l’on parle de la France et de l’Afrique maintenant, Hubert Védrine. Et que l’on parle du Rwanda. Vous avez une entrée « Rwanda » dans votre Dictionnaire amoureux de géopolitique et vous commencez cette entrée avec les phrases suivantes : « Il s’agit de la controverse la plus virulente sur la politique française contemporaine ». Il y a quelques jours, le site Mediapart a publié un document qui prouverait l’ordre de la France de laisser s’enfuir les génocidaires. Alors le document en question est un télégramme confidentiel-diplomatie, et émis le 15 juillet 1994 par le cabinet du ministère des Affaires étrangères de l’époque, donc, Alain Juppé, et adressé à l’ambassadeur Yannick Gérard, alors représentant du quai d’Orsay auprès des militaires français envoyés au Rwanda dans le cadre de l’opération Turquoise. L’ambassadeur Gérard avait réclamé le jour même des « instructions claires » – hein, c’est entre guillemets – du gouvernement pour lui et pour l’armée française. Et dans le télégramme du 15 juillet, publié donc par le site Mediapart, rédigé à 18 h 22 exactement et adressé à Yannick Gérard « seul » – toujours entre guillemets –, le cabinet du ministre Juppé lui donne l’ordre de transmettre aux autorités génocidaires « notre souhait qu’elles quittent – toujours entre guillemets – la zone contrôlée par les forces armées françaises ». Le document porte la signature de Bernard Emié, l’actuel directeur de la DGSE. Il était à l’époque conseiller d’Alain Juppé. Encore la controverse ? Comment comprendre ce document ? Est-ce que la France a aidé les génocidaires à quitter le Rwanda après le…

[32’ 38’’]

Hubert Védrine : Non, mais…, bien sûr que non. Tout est faux dans cette présentation. Les… Chaque élément tiré du contexte, interprété à tort… C’est pas la première fois, puisque ça…, ça recommence à peu près tous les ans. Il y a rigoureusement rien de nouveau dans cette accusation. En gros, ça remonte à l’acte d’accusation que le gouvernement rwandais actuel avait fait élaborer en réponse aux accusations du juge Bruguière et au même…, au mandat d’arrêt qu’il avait émis pour fabriquer une présentation selon laquelle c’est de la faute de la France. Mais je vais pas entrer dans le détail parce qu’on n’a pas le temps. Vous vous êtes noyé déjà dans les détails alors que personne ne peut recouper quoi que ce soit. Je dirais simplement que j’ai mis une entrée « Rwanda » parce que, moi je parle de tout à fait autre chose, j’en ai 250, hein, j’en ai quand même mis une. Et j’ai eu l’honnêteté de dire que, d’un côté, il y a des gens qui prétendent que la France a coopéré avec un régime qui préparait un génocide. Moi je suis en désaccord à 100 % avec eux [sur] cette thèse naturellement. Et d’autres qui pensent que, comme moi – mais également Alain Juppé et des tas d’autres – que, au contraire, la France est le seul pays au monde qui a compris, dès l’attaque du FPR en 90, que ça allait déclencher une guerre civile atroce et qu’il fallait donc à la fois essayer de la contenir militairement, tout en tordant le bras des protagonistes politiquement. Et la France avait cru aboutir d’ailleurs à l’été 93, par les accords d’Arusha, qui étaient un compromis politique que la France avait pu imposer grâce à sa présence militaire. Donc, non seulement elle ne soutenait pas un régime, etc., mais elle a obligé ce régime à accepter dans les accords que 40 % de l’armée du nouveau Rwanda soit tutsi. Donc c’est pas comme ça qu’on soutient un régime. Mais, écoutez, j’ai mis les deux entrées parce que c’est plus honnête de dire qu’il y a deux thèses. Je pense d’ailleurs que les médias français auraient intérêt à organiser des débats dans lesquels il y aurait les deux thèses et pas uniquement la thèse de l’accusation qu’on entend depuis des années. Il y a des gens comme Judi Rever, la Canadienne, ou Onana, le Camerounais, ou Reyntjens, le Belge. Et des tas d’autres… On en est à 15 ou 20 livres, hein, maintenant, qui ne contestent jamais le génocide ! Il n’y a aucun négationniste, jamais ! Simplement, ils expliquent le processus qui a abouti à cet horrible génocide autrement que ce que l’on entend en général.

[34’ 45’’]

Pierre-Edouard Deldique : Mais comment expliquer Hubert Véd…

[34’ 46’’]

Hubert Védrine : Donc, le minimum de travail des médias, à mon avis, c’est de mettre en présence les différentes thèses. Ce qui d’ailleurs a lieu un peu partout maintenant, sauf en France. Mais c’est pas mon sujet, le dictionnaire n’est pas là-dessus. Si je dois m’expliquer là-dessus un jour et faire un peu de pédagogie, je serai plus long que dans une simple entrée sur 250, vous voyez ? Mais j’ai mis les deux thèses, quand même.

[35’ 07’’]

Pierre-Edouard Deldique : Ouais… Parce que cette note est quand même assez troublante, si je peux me permettre d’insister parce que...

[35’ 10’’]

Hubert Védrine : Non, mais, on n’est pas… Non, non ! Arrêter ! On n’est pas dans un interrogatoire !

[35’ 13’’]

Pierre-Edouard Deldique : Ah non, non. Mais je vous interroge… en tant que journaliste...

[35’ 15’’]

Hubert Védrine : Bon, alors. Vous allez pas sortir une note parmi des milliers de notes, qui ne dit rien de plus que ce qui a été dit 36 fois, et qui montre que le gouvernement de l’époque doit mettre en œuvre le mandat de la résolution du Conseil de sécurité !

[35’ 30’’]

Pierre-Edouard Deldique : Prise en juin… 94.

[35’ 32’’]

Hubert Védrine : Malheureusement très tard. Parce que la France s’était retirée après Arusha. Il n’y a plus de présence française, militaire. Il y a une trentaine de conseillers. Et c’est après l’attentat contre l’avion le 6 avril, si je ne me trompe pas, que la France – dont Mitterrand, Balladur, Juppé, Léotard – s’est dit : « On ne peut pas ne rien faire. Il faut essayer de revenir pour des raisons humanitaires ». Mais c’était bloqué au Conseil de sécurité…, par les Etats-Unis, pour différentes raisons. Et il n’y a eu le mandat que fin juin. Donc si la France, pour des raisons extravagantes, avait voulu soutenir, non pas le régime – parce que le régime à l’époque, c’est des Hutu qui se résignaient aux accords d’Arusha. Donc si la France avait voulu soutenir – on ne sait pas pourquoi – des génocidaires, elle aurait envoyé des forces tout de suite, début avril ! Elle n’aurait pas attendu fin juin pour faire une opération humanitaire. Et d’ailleurs avec quelques forces africaines. Et dans le mandat des Nations unies, il est clairement dit que c’est une opération humanitaire – humanitaire, même pas d’interposition. Et, de même que dans les autres opérations du même type des Nations unies, il n’y a jamais de mandat pour arrêter qui que ce soit ! Ça, ça existe quand on arrive à monter des tribunaux internationaux comme ça a été le cas sur le Rwanda après, le tribunal d’Arusha justement, vous voyez ? Donc les documents qui sont montés en épingle, et avec…, en leur donnant un sens qui est complètement faux, cela consiste à dire, eh bien, le gouvernement a constaté que… il n’avait pas ce mandat dans le cadre de la résolution du Conseil de sécurité. Et moi, je me borne à dire dans une dépêche – simple dépêche, même pas une note [ricanement] secrète. Une dépêche dit : « On va arrêter les génocidaires ». Et moi je dis auprès… D’abord, qui c’est les génocidaires ? C’est pas évident, au vu de…, de dizaines de milliers de gens qui essaient de trouver un refuge sûr. Et moi je me borne à dire au Président : « Ce n’est pas ce qui a été décidé ». Point.

[37’ 17’’]

Pierre-Edouard Deldique : Parce que les génocidaires étaient aux mains des militaires français qui attendaient aussi des instructions ?

[37’ 21’’]

Hubert Védrine : Non ! Il y avait des dizaines de milliers de gens qui étaient dans la zone humanitaire sûre, grâce aux militaires français et africains ! C’est une opération de l’ONU ! Il faut cesser de parler de l’affaire Turquoise, comme si c’était une opération française ! Et là aussi on pourrait peut-être enfin donner la parole aux chefs militaires français de l’époque ! Et pas uniquement à des procureurs. C’est normal qu’il y ait des procureurs – enfin, c’est normal…, c’est la vie, démocratique on va dire – mais c’est normal aussi qu’il y ait des autres explications. Donc c’est un petit exemple. Mais il y a des dizaines et des dizaines comme ça de…, de pseudo-révélations qui n’en sont pas, d’interprétations qui sont biaisées mais…, ça mérite franchement…, si RFI veut dégager une heure sur le sujet, hein, moi je veux bien participer avec d’autres. Mais mon livre n’est pas là-dessus !

[38’ 05’’]

Pierre-Edouard Deldique : Non, non, non ! On a bien compris depuis le début de l’émission que c’est pas…, qu’il ne s’agit pas d’un dictionnaire sur le Rwanda [sourire] mais…

[38’ 10’’]

Hubert Védrine : J’ai mis une entrée parce que c’est plus correct qu’il y ait une entrée. Et j’ai mis les deux thèses, franchement.

[38’ 14’’]

Pierre-Edouard Deldique : Ouais, ouais. Mais on espère que la…

[38’ 16’’]

Hubert Védrine : Y compris celle que je conteste.

[38’ 17’’]

Pierre-Edouard Deldique : J’espère que les historiens pourront un jour faire véritablement leur travail à partir d’archives mises…

[38’ 24’’]

Hubert Védrine : Archives de qui ?

[38’ 25’’]

Pierre-Edouard Deldique : Archives de l’Elysée, archives…, quelles que soient les archives ! Pour essayer de…, en tant qu’historiens, de faire leur travail. Ce qu’ils ont commencé à faire, d’ailleurs, depuis des années.

[38’ 33’’]

Hubert Védrine : La France est le seul pays qui a déjà énormément ouvert ses archives avec la mission Quilès. Et j’espère que vous pensez aux autres pays, aussi, dans votre question ?

[38’ 41’’]

Pierre-Edouard Deldique : A tous les pays qui peuvent contribuer à donner un peu d’éclairage sur...

[38’ 44’’]

Hubert Védrine : D’accord. Donc, archives du Rwanda ? Archives d’Israël ? Archives de l’Ouganda, s’il y en a ? Archives de Grande-Bretagne ? Archives des Etats-Unis ? Archives du Tribunal d’Arusha ? Archives des Opérations de maintien de la paix ? C’est exactement ce que Quilès – j’avais applaudi d’ailleurs à l’époque – avait suggéré au secrétaire général des Nations unies, de mettre en place une commission internationale. Parce qu’il y avait plusieurs commissions dans différents pays. Et il n’y avait pas de raison que le débat ne se concentre que sur les archives militaires françaises alors que la politique française avait un volet militaire et un volet politico-diplomatique qui a permis d’obtenir les accords d’Arusha. D’ailleurs la France était fière à l’époque, hein, à l’été 93, d’avoir arrêté l’engrenage du génocide. Donc, ça aurait un sens aujourd’hui que tous les signes de bonne volonté que la France a donné sur le plan des ouvertures d’archives soient complétés par un mouvement international, par rapport aux autres pays protagonistes.

[Fin de la transcription à 39’ 40’’]

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