Fiche du document numéro 27809

Num
27809
Date
Samedi 20 février 2021
Amj
Taille
55010
Sur titre
Enquête
Titre
Guerre de tranchée sur l’accès aux archives
Sous titre
Des chercheurs demandent la levée des restrictions à l’accès des documents concernant les épisodes les plus controversés de la France et datant de plus de cinquante ans. Aucune de leurs initiatives n’a abouti à ce jour. Enquête sur les raisons d’un blocage.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Ce jour-là, Maurice Vaïsse se présente au Service historique de la défense (SHD), basé au château de Vincennes, près de Paris, muni d’un sésame, qui, pense-t-il, lui permettra d’accéder à des documents d’archives « classifiés ».

Le professeur émérite de Sciences Po, éditeur des Documents diplomatiques français, tient une lettre de mission signée par le ministre des affaires étrangères. Il est chargé, par les Nations unies, d’enquêter sur une éventuelle implication des services français dans la mort du secrétaire général de l’ONU, Dag Hammarskjöld, dans un mystérieux accident d’avion en actuelle Zambie, en 1961. Dans cette aile de la forteresse, où sont conservés plus de 120 kilomètres linéaires de documents produits depuis le XVIIe siècle par les administrations militaires, il espère trouver le « smoking gun », la preuve irréfutable.


Quelle n’est pas sa surprise, lorsque le chef du service historique lui annonce que sa lettre de mission ne lui donne pas accès à tous les documents classifiés secret-défense qu’il souhaite consulter ! La loi de juillet 2008, inscrite dans le code du patrimoine, permet pourtant la libre consultation des archives dès lors que celles-ci concernent des faits vieux de plus de cinquante ans. Le service historique est loin d’ignorer cette loi libérale, mais il a reçu la consigne du ministère des armées de faire respecter scrupuleusement une circulaire de 2011 : l’instruction générale interministérielle 1 300 ou « IGI 1 300 », doux acronyme forgé dans le maquis bureaucratique.

Occupation, guerres d’Indochine et d’Algérie



Cette instruction se fonde sur l’article 413-9 du code pénal : depuis 1994, l’ensemble des documents intéressant la défense nationale ayant « fait l’objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès » sont protégés par le secret de la défense nationale. Maurice Vaïsse découvre avec stupéfaction, qu’en vertu de cette IGI, il doit soumettre à une procédure administrative dite de « déclassification » les archives antérieures à cinquante ans, portant un tampon « secret », qu’il souhaite consulter.

La situation est d’autant plus incompréhensible qu’il demande à voir des documents qu’il a déjà consultés, il y a quelques années, et dont certains ont même été publiés.


Le chercheur quitte le château de Vincennes bredouille, mais n’a pas dit son dernier mot. Il rapporte l’incident à la direction des Nations unies et à la direction des archives du ministère des affaires étrangères, lesquels débloquent la situation : début avril 2019, Maurice Vaïsse est habilité au secret-défense.

« Finalement, j’ai consulté plusieurs centaines de notes, de télégrammes et dépêches dans ces fonds d’archives. Malgré tout, j’ai bien conscience de n’avoir peut-être pas tout vu, et je sais que les archives ne disent pas tout et peuvent même désinformer », raconte-t-il.

« Situation intenable »



Après la remise de son rapport en juillet 2019 – dans lequel il rapporte qu’il n’a pas trouvé dans les archives de preuve que la France a joué un rôle dans la mort de Dag Hammarskjöld –, Maurice Vaïsse alerte la profession sur sa mésaventure.

Bientôt, son témoignage rencontre un écho. D’autres chercheurs apprennent que cette instruction peut bloquer pendant des mois, voire des années, des documents concernant les épisodes les plus controversés du passé récent de la France, qu’il s’agisse de l’Occupation, de la guerre d’Indochine ou de la guerre d’Algérie. Au château de Vincennes, le ton monte et, lorsque des chercheurs s’emportent, le chef de service leur rétorque qu’il ne fait que respecter la loi.


Le malaise est tout aussi grand dans d’autres centres d’archives. Les archivistes s’efforcent d’expliquer les nouvelles règles aux chercheurs. La situation tourne parfois au ridicule lorsqu’une procédure de déclassification concerne des documents ne présentant plus aucun danger pour les intérêts vitaux de la nation. Suivant rigoureusement l’IGI 1 300, un agent des Archives nationales s’est ainsi retrouvé à engager une telle procédure pour des notes de police concernant des déplacements du maréchal Pétain en 1941 et 1942, au seul prétexte de la présence sur ces documents du mot tabou « secret ».

« La situation est intenable en pratique : les archivistes se retrouvent avec une masse de documents, contraints de solliciter et relancer des autorités, qui auraient dû les déclassifier, avant de les transférer aux Archives nationales. Or, cette surcharge de travail ne relève pas de leur mission », insiste Céline Guyon, présidente de l’Association des archivistes français.

C’est également l’avis de l’ancienne directrice des Archives nationales de 2007 à 2011, Isabelle Neuschwander, qui se dit « choquée de voir des archivistes confrontés à des injonctions contradictoires entre application de la loi de 2008 et IGI 1 300, qui aboutissent à une régression en termes d’accès aux archives publiques ».

Le SGDSN, le produit d’une longue histoire



Consternés par les conséquences de cette instruction, des chercheurs se mobilisent pour obtenir son abrogation. C’est le début d’une bataille qui dure depuis un an.

Deux tribunes publiées dans Le Monde, le 13 février 2020, la première signée par douze historiens étrangers, la seconde par des chercheurs français, dénoncent « une restriction sans précédent de l’accès aux archives contemporaines de la nation ».

Une question parlementaire est adressée au premier ministre, deux autres à la ministre des armées, dont celle soumise par le député (Les Républicains) de la Haute-Marne François Cornut-Gentille, le 18 février 2020. La réponse de Florence Parly, publiée le 9 juin, permet de remonter la chaîne de commandement : c’est le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), organisme dépendant de Matignon, qui a rappelé, début 2020, au ministère des armées la nécessité que le Service historique de la défense observe strictement les exigences de l’instruction de 2011.


Pour comprendre les raisons qui ont poussé ce secrétariat à demander cette application tatillonne, il convient de s’intéresser à son rôle. Méconnu, mais très puissant, le SGDSN est le produit d’une longue histoire. Créé en 1906, il a vu passer dans ses rangs des hommes d’Etat brillants, dont Charles de Gaulle. Sous la Ve République, cet organe est un rouage essentiel du pouvoir exécutif : si le président de la République est le chef des armées, le premier ministre s’appuie sur ce secrétariat général pour exercer ses responsabilités en matière de défense et de sécurité nationale.

Sur les 972 agents que compte ce secrétariat, 600 travaillent à l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), chargée de protéger l’Etat contre les cyber attaques ; les autres agents s’occupent de différentes missions, allant de la prévention et de la gestion des crises (attaques terroristes, épidémies…) à la protection du secret de la défense nationale. A ce titre, ils proposent, diffusent, font appliquer et contrôler les mesures permettant de restreindre l’accès aux informations les plus sensibles.

« Le secret de la défense nationale peut couvrir des informations de différentes natures : militaire, diplomatique, économique… Pour le niveau secret-défense, les administrations qui classifient le plus sont le ministère des armées et le ministère chargé de l’énergie », détaille Bertrand Warusfel, professeur de droit public à Paris-VIII, spécialiste du droit de la sécurité et de la défense nationale.

Secret de la défense nationale



Depuis 1952, ce secrétariat a rédigé sept IGI sur la protection du secret de la défense nationale, soit environ une tous les dix ans.

« Le SGDSN change régulièrement les règles du jeu, parce que le contexte évolue. L’une des très grandes évolutions de ces vingt-cinq dernières années, c’est le numérique. Jusque dans les années 1980, on classifiait un document secret-défense avec un tampon rouge, puis on rangeait le papier dans une armoire ou un coffre. Aujourd’hui, un grand nombre de documents classifiés ont été numérisés sur des ordinateurs autonomes ou connectés à des réseaux internes – en aucun cas à Internet », indique Bertrand Warusfel.


L’IGI 1 300 est tout d’abord appliquée aux Archives nationales, ce qui ne suscite pas de réaction particulière de la part des historiens. « Entre 2011 et 2015, les chercheurs faisaient des demandes de dérogations ponctuelles pour consulter des documents classifiés. Il fallait alors un mois pour obtenir la déclassification du document par les ministères concernés, ce qui n’est pas un délai extraordinaire », considère Françoise Banat-Berger, directrice du service interministériel des Archives de France.

Les choses se compliquent lorsque le président François Hollande permet la libre consultation des archives de la seconde guerre mondiale, en mai 2015. L’ouverture, qui porte sur 700 mètres linéaires de documents, est rendue possible par une dérogation générale, notamment aux Archives nationales. Mais les archivistes se rendent compte que les fonds contiennent de nombreux documents classifiés. Comment, dès lors, appliquer l’IGI 1 300 ?

« Cela a causé des difficultés. Nous avons toutefois eu la possibilité de déclassifier par ensemble et par carton – et non par papier –, ce qui nous a permis d’avancer un peu plus vite grâce à un engagement fort des ministères les plus concernés », précise Jean-Charles Bédague, sous-directeur du pilotage des archives au ministère de la culture.

Protéger les intérêts vitaux de la nation



Sur le terrain, des agents du secrétariat estiment alors que l’IGI 1 300 doit être réformée pour mieux faire face à ces déclassifications massives. En poste à la tête du SGDSN depuis 2014, Louis Gautier annonce une réforme de l’instruction dans un rapport sur le secret de la défense nationale en France en janvier 2018.

« La classification ne pourra dépasser cinquante ans, sauf dispositions particulières prévues par le code du patrimoine et destinées notamment à lutter contre la prolifération des armes nucléaire, radiologique, biologique, chimique », précise-t-il. En d’autres termes, il s’agit de revenir à l’esprit de la loi d’ouverture de 2008.


C’est pourtant le contraire qui va se produire. Nommée deux mois plus tard, en mars 2018, sa successeure, Claire Landais, fait partie des membres de la haute administration qui ont le sens de l’Etat chevillé au corps. Précédemment directrice du service juridique de la défense, cette conseillère d’Etat va droit au but lors de son audition devant la Commission de la défense nationale et des forces armées, le 30 mai 2018. Sa priorité sera de mieux protéger les intérêts vitaux de la nation, sous pression depuis les attentats de 2015. A ce stade, rien ne laisse cependant entrevoir qu’elle va resserrer les vis de l’IGI 1 300.

Au contraire, Claire Landais indique son intention de prolonger les pistes retenues par son prédécesseur pour réformer l’instruction. Parmi celles-ci, la mise en œuvre du passage de trois niveaux de classification (confidentiel-défense, secret-défense et très secret-défense) à deux (secret-défense et très secret-défense). Selon elle, l’objectif est double. Il s’agit, d’une part, de faciliter les échanges d’informations classifiées avec les partenaires de la France, notamment les pays anglo-saxons ; d’autre part, de rendre plus vertueux l’usage de la classification.


Pour les chercheurs, ce chantier bureaucratique est un barrage supplémentaire : les délais de communication vont s’allonger. Alors que la rédaction de l’IGI n’est pas terminée, le SGDSN lance, courant 2020, cette opération de reclassification au service historique de la défense, lequel est autorisé à recruter trente personnes pour abattre cette belle besogne.

Interruption de nombreux travaux de recherche



La gêne occasionnée entraîne l’interruption de nombreux travaux de recherche. « C’est le cas pour la plupart de mes étudiants en doctorat ou en master. Sans compter les recherches qu’on ne s’autorise plus à lancer. J’ai dû reporter un projet d’enquête reposant sur des documents secret-défense, parce que je sais que, soumise à l’arbitraire, je ne pourrais l’envisager dans des conditions sereines », atteste Raphaëlle Branche, professeure d’histoire contemporaine à l’université Paris-Nanterre.

Pour l’historienne, l’application de l’instruction est d’autant plus troublante qu’elle entre en contradiction avec la volonté présidentielle d’ouvrir les archives de la guerre d’Algérie, un chantier mémoriel qu’elle a suivi de près. Le 18 septembre 2018, Emmanuel Macron a non seulement reconnu que la disparition du mathématicien Maurice Audin, en 1957 à Alger, était le fait de l’armée française, mais il a également promis d’ouvrir l’accès à une centaine de dossiers d’archives sur les disparus de la guerre d’Algérie. Or, deux ans après, l’accès aux dossiers « secrets » se fait au compte-gouttes.

Faut-il voir dans l’IGI de 2011, la volonté de l’« État profond » de contrôler l’accès à des archives susceptibles de mettre au jour la responsabilité d’anciens militaires ?

Ce blocage fait tiquer certains historiens. Faut-il voir dans l’IGI de 2011, la volonté de l’« Etat profond » de contrôler l’accès à des archives susceptibles de mettre au jour la responsabilité d’anciens militaires ?

Gilles Manceron, spécialiste de la guerre d’Algérie, le suspecte fortement. « Depuis les révélations, il y a vingt ans, sur la pratique de la torture pendant la guerre d’Algérie, une partie de l’armée est hostile au travail de vérité historique sur cette période. La lettre du général Bruno Dary adressée au président de la République, le 24 septembre 2018, protestant contre l’ouverture des archives sur les disparus en est la dernière manifestation », avance l’historien. Si cette lettre montre qu’une partie de la Grande Muette renâcle à ce que ses pratiques illégales, voire criminelles, pendant la guerre d’Algérie, soient étalées sur la place publique, rien ne permet toutefois d’étayer qu’elle fasse obstruction à la volonté de transparence présidentielle.


La question d’un possible blocage aux armées ne s’est, en tout cas, pas posée, dans le cas de l’ouverture des archives relatives au Rwanda, autre engagement du président de la République. Sur ce sujet si proche et si controversé, le président de la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi (1994), Vincent Duclert, assure que son équipe, mise en place en avril 2019, a pu, jusqu’ici, accéder à l’ensemble des archives publiques portant sur le sujet, dont bon nombre de documents classifiés. « L’annonce, le 2 janvier, par l’ancien premier ministre Edouard Balladur de l’ouverture de ses archives préfigure cette étape d’ouverture sans précédent », souligne l’historien.

Appel « Ouvrez les archives ! »



A l’été 2020, les chercheurs se mettent en ordre de bataille. Trois associations réunies au sein d’un collectif – l’Association Josette et Maurice Audin, l’Association des archivistes de France et l’association des contemporéanistes de France – demandent au président et au premier ministre de supprimer l’IGI 1300.

Mais ni leur appel intitulé « Ouvrez les archives ! », lancé à Edouard Philippe, le 21 juin ; ni leur recours déposé, le 23 septembre, devant le Conseil d’Etat, pour obtenir l’abrogation de l’instruction ; ni leur pétition signée par plus de 18 000 personnes, relayée par une tribune dans Le Monde, le 2 octobre ; ni le message transmis par l’historien Jean-Noël Jeanneney à Emmanuel Macron, lors des cérémonies du 11-Novembre n’ont abouti.


Resté droit dans ses bottes, l’exécutif a laissé, au contraire, Stéphane Bouillon, le nouveau patron du SGDSN depuis le 16 juillet 2020, finaliser la nouvelle IGI 1 300, rédigée en grande partie sous Claire Landais. Lorsque l’instruction est publiée le 13 novembre, les chercheurs qui ont mené bataille s’étranglent. La nouvelle instruction durcit les dispositions de 2011, en rendant obligatoire une procédure de déclassification pour les documents classifiés depuis… 1934.

« Le délai de libre communicabilité, porté par la loi de 2008 à cinquante ans, est déjà un compromis très large qu’il ne faut pas altérer »
Bertrand Warusfel, professeur de droit public à Paris-VIII

Un paragraphe de ce texte renseigne sur les motivations du SGDSN : « Sous-employée, [la classification] facilite l’accès des services de renseignements étrangers, des groupements hostiles ou des individus cherchant à déstabiliser l’Etat ou la société, à des informations et supports dont la divulgation est de nuire aux intérêts fondamentaux de la Nation. » Il s’agit donc d’éviter le risque que soient découverts dans des documents « secrets » des pièces confidentielles, comme des plans de bâtiments officiels et sensibles. Lesquels, dans un contexte d’attentats, pourraient servir de cibles.

Combien de documents aussi sensibles sont conservés dans les cartons des centres d’archives ? On l’ignore. Au fil des décennies, les agents des services de l’Etat ont tamponné « secret-défense » des milliers de documents, qui ont souvent été mélangés dans des cartons à d’autres documents non classifiés. Ces cartons ont ensuite été versés dans des centres d’archives, sans qu’aucun inventaire n’ait été fait. Or, si certains documents classifiés, il y a plus de cinquante ans, peuvent garder parfois un caractère sensible, en particulier lorsque la sécurité d’une personne identifiable peut être en jeu, ce n’est pas le cas de la vaste majorité de papiers tamponnés « secret-défense ». « Les experts, même militaires, considèrent que la grande majorité des secrets s’épuise au bout de dix ou quinze ans. Le délai de libre communicabilité, porté par la loi de 2008 à cinquante ans à compter de la dernière information protégée, est déjà un compromis très large qu’il ne faut pas altérer », plaide Bertrand Warusfel.

Second recours devant le Conseil d’Etat



Alors que la nouvelle IGI doit entrer en vigueur le 1er juillet 2021, le collectif réunissant les trois associations a posé, le 15 janvier 2021, un second recours devant le Conseil d’Etat, réclamant son annulation. Pour les requérants, l’instruction de 2020, comme celle de 2011, est entachée d’un vice juridique rédhibitoire « puisque le premier ministre ne peut violer la hiérarchie des normes juridiques en faisant prévaloir une instruction sur une loi qui a déjà organisé la conciliation entre le droit des archives et la protection du secret ».


Interrogé par Le Monde, le service de communication du premier ministre assure qu’« aucun durcissement des règles de communicabilité n’a eu lieu ». Selon lui, le SGDSN a, au contraire, concilié plusieurs normes de niveau constitutionnel. D’une part, la protection des intérêts fondamentaux de la nation garantie par le code pénal. D’autre part, l’accès aux archives publiques, tiré du droit de la société à demander compte à tout agent public de son administration. « Le gouvernement a toujours considéré que le code du patrimoine n’évinçait pas les dispositions du code pénal. C’est pourquoi l’IGI 1 300 publiée en 2011 et révisée en 2020 indique que la communicabilité des archives après cinquante ans ne concerne que les documents expressément déclassifiés et donc formellement démarqués comme tels. Dans le souci d’une meilleure utilisation du secret de la défense nationale, la nouvelle IGI 1 300 instaure par ailleurs un mécanisme de déclassification automatique à une date identifiée dès la classification, ce qui constitue une solution équilibrée pour l’avenir », explique-t-il.

Culture du secret contre quête de la vérité historique, protection des intérêts de la nation contre volonté de transparence, logique bureaucratique contre esprit scientifique… Les mondes de la recherche et de l’administration se regardent aujourd’hui en chiens de faïence.

« Cette incompréhension mutuelle ne se résume pas à une guerre franco-française. Il existe une pathologie gouvernementale, un culte du secret, qu’on observe également aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Ce mouvement général est à mettre en correspondance avec la situation géopolitique, marquée par les menées hostiles de certains Etats. Des périodes d’opacité succèdent à des périodes d’ouverture », analyse Maurice Vaïsse.

Indicateur de la vivacité démocratique, reconnu comme un droit constitutionnel, le libre accès aux archives publiques doit-il faire les frais des impératifs de la sécurité nationale ? Transparence et liberté doivent-elles être sacrifiées sur l’autel du « mieux classifier pour mieux protéger » cher au SGDSN ? La décision du Conseil d’Etat devrait permettre d’éclairer ces questions d’un jour nouveau et mettre fin à cette guerre de tranchées.

Antoine Flandrin

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024