Fiche du document numéro 27769

Num
27769
Date
Lundi 15 février 2021
Amj
Taille
116878
Surtitre
Rwanda
Titre
Rwanda/France/RDC: comment la France a exfiltré les chefs génocidaire vers le Zaïre
Soustitre
Le chercheur français François Graner, qui a obtenu – après une longue bataille judiciaire – du Conseil d’Etat l’autorisation de consulter les archives de l’Elysée concernant le Rwanda à l’époque du génocide, a trouvé un document confirmant le rôle de l’Etat français dans l’exfiltration des chefs du génocide vers le Zaïre, devenu République démocratique du Congo (RDC), qui en paie toujours les conséquences aujourd’hui.
Nom cité
Nom cité
Nom cité
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Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Longtemps, l’armée française et les thuriféraires de François Mitterrand ont fait des pieds et des mains pour garder les secrets de cette époque sous une chape de plomb et laisser les Français ignorer ce qui avait été fait en leur nom. Ici, il s’agit du rôle de la « Zone Turquoise », une « zone humanitaire sûre » que la France avait proposé à l’Onu d’établir à l’ouest du Rwanda et qui englobait largement la province de Cyangugu où s’était retiré le gouvernement du génocide.

Celui-ci fuyait la défaite militaire de ses troupes, qui avaient pourtant un appui français, face à la rébellion du Front patriotique rwandais (FPR, aujourd’hui au pouvoir). Parce que les militaires français de cette « Opération Turquoise » avaient emporté du matériel de guerre et pratiquement rien pour venir en aide à des populations victimes de massacres – but officiel de l’opération – cette Zone Turquoise a été rapidement vue comme moins humanitaire que tactique, pour permettre la fuite des génocidaires vers le Zaïre voisin.

Les preuves? Les voici



En juin 2018, encore, le général Jean-Claude Lafourcade, ancien commandant de l’Opération Turquoise, réagissant dans le journal « La Croix », à de nouvelles révélations d’anciens officiers français sur ce qui s’était passé, n’hésitait pas à accuser celles-ci d'« inepties  » affirmant que les accusateurs « ne s’appuient que » sur leurs propres dires, « non sur des documents, des ordres, des preuves matérielles ».

Le preuves matérielles, François Graner les a trouvées. Selon nos confrères de Médiapart et de l’AFP, auxquels il a révélé le fruit de ses recherches, les archives de Bruno Delaye, conseiller du président François Mitterrand pour les Affaires africaines de 1992 à 1995, contiennent un document qui prouve que Paris a préféré faire exfiltrer les chefs du génocide de la Zone Turquoise plutôt que de les arrêter comme il lui était demandé sur la scène internationale.

L’ambassadeur propose de les arrêter



C’est un télégramme « confidentiel diplomatie » émanant du cabinet du ministre des Affaires étrangères de l’époque, Alain Juppé, et daté du 15 juillet 1994. Il répond à une demande de l’ambassadeur Yannick Gérard, qui représente le ministère auprès des militaires de l’Opération Turquoise, et réclame des « instructions claires » pour arrêter les autorités du pouvoir génocidaire réfugiées dans la Zone Turquoise, autorités qui « portent une lourde responsabilité dans le génocide », souligne l’ambassadeur. Ce dernier propose « de les arrêter ou de les mettre immédiatement en résidence surveillée, en attendant que les instances judiciaires internationales compétentes se prononcent sur leur cas ».

Mais ce n’est pas ce que choisit Paris. Dans son télégramme du 15 juillet – signé par Bernard Emié – adressé à « Yannick Gérard seul », le cabinet Juppé lui ordonne de transmettre aux autorités génocidaires « notre souhait qu’elles quittent la Zone » Turquoise. Mais l’ambassadeur doit s’acquitter de cette mission avec discrétion: on lui conseille de le faire « en ne vous exposant pas directement » mais en passant par des intermédiaires.

Le même jour, citant « une source autorisée à Paris », l’agence britannique Reuters assurait: « Paris est prêt à arrêter les membres du gouvernement » génocidaire rwandais « s’ils tombent aux mains des soldats français » de l’Opération Turquoise. Selon Mediapart, Hubert Védrine, alors secrétaire général de l’Elysée, annotera cette dépêche à la main: « Lecture du Président (NDLR: Mitterrand): ce n’est pas ce qui a été dit chez le Premier ministre », qui était alors Edouard Balladur.

Exfiltrés par la Légion étrangère



Finalement, c’est la Légion étrangère qui exfiltrera les chefs du génocide vers le Zaïre, sous les ordres du lieutenant-colonel Jacques Hogard, le 17 juillet, soit deux jours après le télégramme du cabinet Juppé. Un document déclassifié de l’état-major de l’armée française indique: « L’option clairement avouée étant de replier également les restes des FAR (NDLR: Forces armées rwandaises, l’armée du gouvernement génocidaire) avec leur armement au Zaïre, afin de poursuivre la résistance depuis ce pays ».

C’est effectivement ce qui s’est fait. L’armée et les miliciens génocidaires rwandais se sont regroupés (ils deviendront les FDLR, ce groupe armé qui sème aujourd’hui encore la terreur au Kivu congolais), ont organisé des camps de réfugiés au Kivu d’où ils partaient pour attaquer le Rwanda. Ces camps seront dispersés par la force, en 1996, par l’armée du FPR, vainqueur à Kigali. Les armements, la culture de la mort, les viols systématiques, les groupes armés rivaux – autant de fléaux qui ensanglantent aujourd’hui l’est du Congo, héritage direct de l’Opération Turquoise.

Aujourd’hui Alain Juppé est membre du Conseil constitutionnel français et Bernard Emié, auteur du télégramme retrouvé par François Graner, est actuellement directeur de la DGSE, le service secret extérieur de la France.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024