Fiche du document numéro 27664

Num
27664
Date
Mardi 20 juin 2017
Amj
Taille
111382
Titre
Le Génocide contre les Tutsis est un génocide
Sous titre
Ni plus ni moins que le Génocide contre les Juifs. En effet, les deux correspondent à la définition du crime des crimes contre l’Humanité
Nom cité
Résumé
The genocide against the Tutsi is a genocide. Neither the genocide against the Jews.
Type
Tribune
Langue
FR
Citation
1994, l’année même du Génocide contre les Tutsis : « Dans ces pays-là, un génocide, ce n’est pas important ». Une déclaration du même et aussi digne de figurer dans l’anthologie du révisionnisme du Génocide contre les Tutsis : « Que peut faire la France quand des chefs africains décident de régler leurs problèmes à la machette ?! ». Le Président de la République française dont les Interahamwe rwandais étaient fiers d’avoir comme « ami » a la primeur de ce type de révisionnisme. Mais pas l’exclusivité, hélas ! Ça, tout le monde le sait.

Mais il est des lieux et des moments où des déclarations du même acabit ou presque sont pour le moins incongrues.

C’était dans le cadre de la vingtième Commémoration du Génocide contre les Tutsis du Rwanda au Mémorial de la Shoah. Un survivant d’Auschwitz termine son témoignage par un questionnement pour le moins inattendu : « Peut-on vraiment parler de génocide quand les victimes ont été exécutées à la machette et au gourdin ?! ». Silence gêné dans la salle des conférences, où règne une atmosphère feutrée propice au Souvenir et au Recueillement.

Plus récemment, au même Mémorial de la Shoah, dans le cadre de la vingt-troisième Commémoration du génocide contre les Tutsis. Une dame âgée demande à une rescapée rwandaise qui vient de témoigner si l’on peut véritablement parler de génocide alors que les tueurs étaient des voisins ou des amis, voire des membres de la famille de la victime ! Il fallait réagir face à ce qui peut constituer un cas de révisionnisme plus ou moins inconscient. Réagir en rappelant ce qui, pourtant, semblait relever de l’évidence : dans ces pays-là, un génocide, c’est aussi important. Le Génocide contre les Tutsis est un génocide. Ni plus ni moins que le Génocide contre les Juifs. En effet, les deux correspondent à la définition du crime des crimes contre l’Humanité. Avec les principaux paramètres : un racisme d’État, une idéologie et un plan d’extermination d’un groupe uniquement pour ce qu’il est. Peu importe donc les modalités d’exécution : les fours crématoires, les chambres gaz et le Zyklon ou les fosses communes et les machettes ou les massues.

Nonobstant l’excellence de la thèse d’Hélène Dumas, publiée en 2014 sous le titre Le génocide au village, il faut bannir à jamais l’usage d’expressions qu’on lui doit. À commencer par celle de « génocide de proximité » abusivement employée pour parler du Génocide contre les Tutsis du Rwanda : il s’agit d’un raccourci plus que malheureux. C’est presque un oxymoron : une antithèse. Il en est de même pour celle de « génocide au village ». Et pas seulement parce que le Rwanda est un des très rares pays d’Afrique et d’ailleurs dans lesquels il n’y a(vait) pas de village. C’est l’exécution qui a été de proximité. Proximité géographique, sociale, voire familiale, entre les victimes et leurs bourreaux. Le crime des crimes, lui, a été conçu et planifié en haut lieu et au sommet de l’État.

Les similitudes entre les deux génocides vont du déroulement en (huit) étapes (de la classification au déni) aux procédés rhétoriques. Pour ne reprendre que deux exemples illustratifs : l’appellation de cancrelats (inyenzi) contre celle de « parasites », l’euphémisme « travail » (gukora) du Hutu Power qui n’a rien à envier au « nettoyage » des Nazis. Toute cette terminologie avait pour fonction ou de déshumaniser les membres du groupe à exterminer ou d’obscurcir la réalité du meurtre de masse et émousser la sensibilité des participants. On ne peut donc parler de « l’unicité de la Shoah » que pour bien (ré)affirmer que le génocide n’est pas un crime comme les autres et par rapport aux autres crimes de masse. Les crimes de guerre ou les crimes du stalinisme, par exemple.

Une explication à cette cécité même chez certains rescapés de la Shoah ? L’incapacité ou le refus inconscient de s’identifier à des victimes de « là-bas » ? C’est la réponse qu’avance l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau, auteur d’un ouvrage publié en janvier 2017 et intitulé Une initiation – Rwanda (1994-2016). Dans ce livre, il raconte sa prise de conscience du Génocide contre les Tutsis. Conscience qu’il reconnaît comme trop tardive pour lui, qui est un historien émérite des violences de masse : « Le racisme qu’on dénonce et combat chez les autres, nous ne nous préoccupons pas de sa présence inconsciente en nous. Je considère que si je n’ai pas voulu voir en face, à l’époque, la réalité du génocide des Tutsi rwandais, alors que j’ai été horrifié, un an plus tard, par le massacre de Srebrenica, c’est que je ne me suis pas identifié à ces victimes-là » (interview au Monde des livres du 22 février 2017).

Il faudrait sans doute ajouter, à la décharge des deux personnes citées ci-dessus, une circonstance atténuante : leur âge avancé.

André Twahirwa est un africaniste franco-rwandais

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