Fiche du document numéro 27657

Num
27657
Date
Samedi 16 janvier 2021
Amj
Auteur
Taille
141231
Surtitre
Rwanda
Titre
La lutte pour l'ouverture des archives sur le Rwanda entre dans une phase décisive
Soustitre
En juin 2020, après cinq années de procédures, le Conseil d’Etat a autorisé un chercheur, François Graner, à consulter les documents déposés par François Mitterrand, aux Archives nationales.
Nom cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
 Au printemps 1994, le génocide commis contre les Tutsi au Rwanda a fait près de 800 000 morts. Pour avoir formé militairement le régime hutu et l’avoir soutenu politiquement, le rôle de la France demeure un sujet de contentieux brûlant depuis vingt-six ans. Il se noue autour d’une question : les acteurs politiques et militaires français peuvent-ils être accusés de complicité dans ce génocide ? Au fil du temps, les dispositifs de justification et de déni de ces responsables se sont craquelés, tandis que le travail historiographique avançait, inexorablement. En juin 2020, après cinq années de procédures, le Conseil d’Etat a autorisé un chercheur, François Graner, à consulter les documents déposés par le président alors en fonctions, François Mitterrand, aux Archives nationales. Sa demande a été acceptée en vue de la publication d’un ouvrage sur la politique de l’ex-chef de l’Etat en Afrique centrale. Les cartons étaient en principe couverts par un protocole ne permettant leur ouverture au public que soixante ans après la fin de son second septennat. « La protection des secrets de l’Etat doit être mise en balance avec l’intérêt d’informer le public sur ces événements historiques », a estimé la plus haute juridiction administrative, annulant deux précédentes décisions du ministère de la culture. Dans les cartons, dont une partie du contenu avait déjà fuité, se trouvent des télégrammes diplomatiques, des notes destinées au président, des synthèses sur la situation au Rwanda, des annotations manuscrites de conseillers à l’Elysée, des résumés de propos tenus en conseil de défense restreint… Ces archives révèlent aussi des idées personnelles du président, du premier ministre et de hauts fonctionnaires. Il ne s’agit pas là de sources exhaustives, loin de là, mais de documents présentant un intérêt public évident, plus de vingt-six ans après le génocide. Au cours de l’été 2020 et sous certaines conditions – il est, par exemple, impossible d’emporter des documents ou de les photographier –, François Graner a pu s’y plonger, avant de transmettre au Monde une première synthèse.

Feuilleton


Le sort des archives de l’Elysée sur le Rwanda constitue en soi un feuilleton. Il raconte l’opiniâtreté de quelques chercheurs et la résistance systématique des gardiens du temple mitterrandien, refusant d’exposer au grand jour tous les aspects de la politique de la France au Rwanda : son entêtement à soutenir le régime militaire hutu et la protection accordée à ses dirigeants, ses ambiguïtés autant que ses mensonges à compter de 1990 jusqu’au massacre de près de 800 000 Tutsi, entre avril et juillet 1994. « Je suis perplexe à la fois sur la question des archives sur le Rwanda, et sur celle de la protection générale des archives présidentielles et ministérielles, souligne Hubert Védrine, secrétaire général de l’Elysée entre 1991 et 1995. Sur le premier point, je rappelle que la France est le pays qui a le plus ouvert ses archives. Arrêtons cette focalisation. Il faudrait une commission internationale pour que cela soit aussi fait aux Etats-Unis, en Belgique ou en Israël. Sur le second point, la décision du Conseil d’Etat pose problème. Il existe un enjeu sur le plan des données personnelles et de la sécurité nationale. » Physicien et directeur de recherches au CNRS, François Graner est également membre de l’association Survie, très critique de la politique étrangère de la France en Afrique. Il a consacré deux ouvrages au rôle joué par la France au Rwanda : Le Sabre et la machette, officiers français et génocide tutsi (Tribord, 2014) puis L’Etat français et le génocide des Tutsis au Rwanda (Agone, 2020) qu’il a écrit avec Raphaël Doridant. Dans le cadre de son travail, François Graner s’est lancé dans une délicate bataille judiciaire, riche de dizaines d’étapes, pour obtenir la communication des archives de l’Elysée sur cette époque. En 2015, François Hollande avait accepté d’en déclassifier une partie. Un geste en trompe-l’œil. De nombreux documents avaient déjà fuité. Quant aux autres, ils dépendaient toujours du bon vouloir d’une seule personne, Dominique Bertinotti, mandataire exclusive du fonds Mitterrand, qui pouvait accorder les dérogations ou les refuser sans justification. Selon la durée légale de protection, il était impossible d’ouvrir les cartons avant 2055. En justice, François Graner est parvenu à la lever grâce à un contexte politique favorable. En avril 2019, deux jours avant les commémorations du 25e anniversaire du génocide, Emmanuel Macron avait en effet annoncé une démarche inédite : la constitution d’une commission, composée de huit chercheurs et historiens, présidée par Vincent Duclert, chercheur au Centre d’études sociologiques et politiques Raymond-Aron (EHESS-CNRS) et enseignant à Sciences Po. Sa mission est « d’analyser le rôle et l’engagement de la France durant cette période », selon l’Elysée. Celle-ci a accès à l’ensemble des fonds d’archives disponibles, relevant de toutes les administrations concernées à l’époque – y compris donc celles de François Mitterrand, mort il y a vingt-cinq ans, dont la mémoire sera célébrée lors de plusieurs cérémonies commémoratives en 2021. Mais la composition de la commission a fait polémique : dès son lancement, en raison de la mise à l’écart de deux éminents spécialistes du Rwanda, Stéphane Audoin-Rouzeau et Hélène Dumas, puis avec le départ controversé de l’historienne Julie d’Andurain, auteure d’écrits très favorables aux actions de l’armée française, notamment lors de l’opération « Turquoise ».

Geste fort


C’est toutefois un geste fort qu’a consenti le président français. Au nom de la transparence, M. Macron affiche sa volonté de dépasser enfin le lourd contentieux qui a empoisonné les relations diplomatiques entre la France et le Rwanda et a eu un impact terrible sur la réputation de l’ancienne puissance coloniale en Afrique. Malgré un calendrier de déplacements bouleversé par l’épidémie de Covid-19, le chef de l’Etat espère toujours se rendre à Kigali en 2021. La création de cette commission, dont le mandat « ne vaut ni excuses, ni glorification de notre rôle passé », selon l’un de ses conseillers, doit déboucher sur la remise d’un rapport le 2 avril. La date est confirmée au Monde par Vincent Duclert. La façon dont Emmanuel Macron s’emparera du rapport, les mots qu’il choisira pour en commenter les conclusions, pourraient lui permettre de laisser une empreinte majeure dans sa politique mémorielle. « Le rapport sera aussitôt rendu public et ses sources intégralement accessibles, précise l’historien. Bien évidemment le texte n’aura pas été relu préventivement par l’Elysée et jamais une demande de cette nature n’a été faite à la commission, qui est pleinement indépendante : c’est la manière de travailler des chercheuses et chercheurs qui la composent. Quant au second objectif qui lui a été confié, favoriser par son travail une large ouverture des archives sur le Rwanda et le génocide des Tutsi, il est en bonne voie. » Premier ministre au moment du génocide dans le cadre de la cohabitation, Edouard Balladur a pris les devants. Le 4 janvier, il a annoncé son intention d’ouvrir ses archives personnelles au public sur cette période. Il espère ainsi contribuer à la réhabilitation de l’opération « Turquoise », qui avait été lancée à la mi-juin 1994. Selon lui, elle était destinée à des fins humanitaires et à prévenir « la poursuite des violences ». Pour ses pourfendeurs, s’appuyant sur des témoignages d’anciens soldats et des documents d’archives, cette opération visait à assurer un ultime soutien au régime hutu, qui venait de perpétrer le crime des crimes.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024