Fiche du document numéro 27557

Num
27557
Date
Vendredi 6 mars 1998
Amj
Taille
33299
Titre
Putschiste de consensus
Soustitre
Pierre Buyoya, 48 ans, président tutsi non élu du Burundi, à majorité hutue, est reçu aujourd'hui à l'Elysée par Jacques Chirac.
Tres
 
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Commentaire
The author talks about "genocides" from Rwanda!
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Peu de Burundais lucides se réjouissent de la mainmise de Pierre Buyoya sur leur Etat. Mais aucun ne souhaite son retrait. Ce paradoxe donne au président putschiste du Burundi un rôle particulier sur la scène des Grands Lacs, dans ces pays bouleversés par les massacres et les exodes dantesques. Dans le salon du Palais, assis en face de son portrait officiel auquel son visage très expressif ressemble peu, il dit, faux modeste : « Je suis seulement celui qui a fait ses preuves dans ce genre de situation. »

A sa naissance, sur une parcelle de 80 acres de haricots, Pierre Buyoya, fils de parents illettrés, ne pouvait pas être certain de devenir un jour président de la République. Rien ne le destinait à accéder au pouvoir en 1987, à 38 ans, porté par un coup d'Etat de l'armée.

Pierre Buyoya est tutsi, de la région de Burari, ville située à deux cents kilomètres au sud de Bujumbura. Traditionnellement, l'état-major vient y recruter le gratin de ses officiers pour tenir le pays d'une main de fer. Pierre Buyoya a grandi dans la commune de Rutovu, deux cents habitants, d'où sont issus les trois présidents tutsis depuis l'indépendance. S'il nie cette sorte de prédestination géographique, il admet sa motivation de gamin déterminé à ne pas se contenter de surveiller les poulets et les zébus dans les fossés.

Tout le monde l'atteste : l'enfant Pierre Buyoya montra une avidité pour l'étude. « Il n'a jamais rencontré de problèmes pour les examens et les diplômes », dit Sophie, son épouse. Lui raconte qu'il vola un chevreau pour payer sa scolarité au grand dam de son père, bénéficia de la compréhension d'éducateurs canadiens, puis fut admis à l'Ecole des cadets de Bruxelles. « Pour moi, l'armée était l'unique échelle sociale. »

De retour de Belgique, il prend une épouse. Sophie est tutsie, originaire d'une famille de négociants. Elle est belle et étudie à la faculté d'anglais : « Nous nous sommes rencontrés à La Poste. La première fois, il ne m'a fait aucun effet. J'avais entendu dire qu'il me suivait déjà depuis deux ans. Sa bonne nature m'a séduite. » Ils se fréquentent dans les familles, et s'envolent vers l'Europe.

Officier du clan de Bururi, membre de la lignée des Hima, diplômé de l'Ecole royale, Pierre Buyoya est assuré d'une brillante carrière. « Il s'est obstiné. Il voulait toujours devenir le plus fort », explique Sophie, qui raconte les années de froidure à Hambourg (Ecole de guerre) et à Paris (Saint-Cyr). Son mari écrit là-bas son mémoire sur la naissance du FLN dans les maquis algériens. A son retour, l'armée tutsie exerce une dictature sur la population hutue, très majoritaire, exclue des écoles et des administrations. Pierre Buyoya prend un commandement à Gitega. En 1987, le sérail désigne cet homme de 38 ans pour ranimer un régime usé.

Gros bosseur, Pierre Buyoya a une capacité de lecture hors du commun. « Livres d'histoire, de politique, d'économie. Quand il n'a pas le temps, il lit en dormant », s'amuse Sophie. Piètre danseur, il ne dédaigne pas les mondanités, entretient les rumeurs sur ses « seconds bureaux » : marque des grands chefs africains. Son épouse le dit « réservé et d'une irréductible bonne nature ». L'un de ses adversaires, hutu, le décrit « froid, d'une implacable ambition, capable de machinations ».

Il a le gabarit d'un athlète, ni longiligne comme les uns, ni trapu comme les autres. Un universitaire du café Bukera, rendez-vous convivial tutsi, dit en riant : « Il est tutsi d'origine, mais a un visage passe-partout. Les mots ethniques sont tabous dans ce pays, mais les yeux ne voient que ça. » Son épouse ajoute : « Sa force ? II fonce sans jamais s'emporter. » Lui précise : « La violence des pressions que subissent les hommes politiques est énorme partout. Dans la région, cette violence est physique, c'est tout. »

Ses ennemis ne l'accusent ni de corruption, ni de goûts fastueux, habituels dans l'univers politique africain. Il possède une splendide villa fleurie sur la colline résidentielle de Kiriri, mais qui ne rivalise pas avec celle du directeur du Haut-Commissariat aux réfugiés ; et sa mère continue de vivre dans une modeste maison au milieu d'une kyrielle de mômes dépenaillés. Lui a abandonné l'uniforme et les boubous de chefs africains pour des costumes Prince de Galles peu de saison. Il parle un français parfait, connaît l'allemand et les langues africaines de la région, mais réfléchit à chacune de ses phrases.

Séduit par le discours de Mitterrand à La Baule poussant à la démocratisation de l'Afrique, il organise, en juin 1993, les premières élections libres, dans un pays où 15% de Tutsis dirigent 85% de Hutus. Il est battu par le réflexe ethnique naturel des électeurs. Quatre mois plus tard son vainqueur, hutu, Melchior Ndadaye est assassiné par des extrémistes tutsis au cours d'un putsch manqué qui déclenche une guerre civile au Burundi avec des ondes de choc catastrophiques au Rwanda frontalier. Le rôle de Buyoya dans cet assassinat est obscur. Ses partisans affirment qu'il ne peut être complice d'un coup d'Etat aussi raté. Ses détracteurs prétendent que l'homme fort de l'armée tutsie ne pouvait ignorer ce que les sous-officiers chuchotaient. Argument pour les premiers : l'homme ne revient pas immédiatement au pouvoir et consacre sa retraite à sa passion pour les conférences internationales et le football (il jouait dans une équipe militaire à la veille du putsch et les matchs du Mondial français sont inscrits sur son agenda). Argument pour les seconds : des personnalités soupçonnées de cet assassinat travaillent à la présidence.

Six ans passent, qui voient le meurtre du successeur de Ndadaye, les génocides du Rwanda, les émeutes dans les rues de Bujumbura, des massacres récurrents. Le 25 juillet 1996, dans une atmosphère de peur entretenue, Pierre Buyoya, à la tête d'officiers tutsis, renverse le régime de Sylvestre Ntibantunganya, légitime président hutu, sans un coup de fusil, en une demi-heure. Sophie se souvient : « Ce jour-là, j'ai pleuré. Je lui ai dit, pourquoi aller chercher des mauvais coups dans le chaos ?» Dès son installation au Palais, qui surplombe sa maison, il frappe à droite pour mettre un frein aux brutalités de l'armée tutsie contre les Hutus, à gauche il isole la rébellion hutue au prix d'une impitoyable politique de camps de déplacement. Il ouvre des négociations secrètes avec les extrémistes hutus, mais enterre les procès des responsables tutsis des massacres de 1993.

Malgré sa fluidité, ce second coup d'Etat se ponctue par l'étrange embargo décrété par huit chefs de gouvernement de la région, dont les principes démocratiques ne sont pas des plus avérés. Il hausse les épaules : « Ils pensaient que nous allions nous effondrer en quelques mois. » Les Burundais souffrent des sanctions, mais pas Pierre Buyoya. Lui se vexe de son image ternie à l'étranger. Il a compris qu'il ne serait jamais le premier président tutsi élu par un peuple hutu. Mais il espère être le fusible qui empêche une nouvelle tuerie dans la région.

Pierre Buyoya en 7 dates



24 novembre 1949. Naissance à Rutovu.

19 août 1978. Mariage avec Sophie.

23 mars 1987. Renverse le dictateur tutsi Bagaza.

21 octobre 1993. Assassinat de Melchior Ndadaye et début d'une guerre civile qui fait 200 000 morts.

25 juillet 1996. Coup d'Etat de l'armée tutsie qui remplace le président hutu Sylvestre par Pierre Buyoya.

31 juillet 1996. Embargo décrété par huit pays de la région.

6 mars 1998. Il est reçu à l'Elysée.

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