Fiche du document numéro 27534

Num
27534
Date
Jeudi 17 décembre 1998
Amj
Taille
103318
Sur titre
 
Titre
L'opération « Amaryllis »
Sous titre
 
Tres
 
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Lieu cité
Cote
 
Résumé
Investigation into the French "Amaryllis" evacuation operation.
Source
Extrait de
 
Commentaire
 
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
LE 7 avril 1994 [au lendemain de l'attentat], par télégramme diplomatique, le ministère des affaires étrangères demande à l'ambassadeur Jean-Michel Marlaud d'apprécier l'opportunité d'une évacuation de la communauté française, compte tenu de la dégradation brutale de la situation à Kigali.
Pour le cas où une telle hypothèse devait se trouver confirmée, les forces françaises « interviendraient en appui des forces belges » avec lesquelles elles se coordonneraient. Les assistants militaires techniques seraient sollicités pour assurer la sécurité de la résidence et celle de l'ambassade et il est précisé que la famille proche du président Juvénal Habyarimana pourrait y trouver refuge.
En quelques heures, les événements vont s'accélérer. Il apparaît désormais clairement qu'à l'impuissance de la Minuar (Mission des Nations unies d'assistance au Rwanda), dont 10 « casques bleus » du contingent belge ont été assassinés, s'ajoute l'incapacité du chef d'état-major de la gendarmerie (le général Ndindiliymana) et du nouveau chef d'état-major des armées (le colonel Gatsinyi) de rétablir l'ordre en dépit de leurs déclarations d'intention.
Le 8 avril, les adjudants- chefs Maïer et Didot, responsables des transmissions, ainsi que l'épouse de ce dernier, sont assassinés. L'information concernant le couple Didot est donnée par un compte rendu radio du directeur de l'Hôtel Méridien, Eric Lefèvre, qui fait état d'un assassinat par des éléments du FPR. (...)
L'assassinat des adjudants-chefs Maïer et Didot et de l'épouse de ce dernier porte à 6 le nombre des Français victimes des événements survenus au Rwanda depuis deux jours.
Le ministère des affaires étrangères répond le 8 avril à 22 heures : « Devant les risques que présente la situation au Rwanda, des dispositions sont prises pour procéder à l'évacuation de nos ressortissants. »
L'opération « Amaryllis » vient d'être déclenchée par la France de façon unilatérale. Cette intervention, strictement limitée dans le temps [elle se déroulera du 8 au 14 avril a vocation d'assurer la protection et l'évacuation des ressortissants français ou étrangers. Près de 1 500 personnes seront évacuées.
Ce ne sera pas, en revanche, une intervention venant en soutien des forces belges. Mais la France intercédera en leur faveur auprès des FAR pour que ces forces puissent se poser à l'aéroport de Kigali. (...)
La spécificité de l'opération d'évacuation « Amaryllis » tient dans la demande d'évacuation « en avant-première » d'une soixantaine de personnes, si les circonstances le permettent.
C'est ainsi que 43 Français et 12 personnes de la parenté du président Juvénal Habyarimana, parmi lesquelles son épouse et ses trois enfants, partiront le 9 avril par le premier avion qui décollera à 17 heures de l'aéroport de Kigali . (...) « Amaryllis » a permis de procéder en moins d'une semaine à l'évacuation de près de 1 500 personnes : c'est dire qu'elle s'est déroulée à un rythme soutenu. (...)
Les accusations de livraisons d'armes
DANS une interview accordée en août 1995 à la BBC, le colonel Marchal [officier belge, commandant le secteur de Kigali dans le cadre de la Minuar, a déclaré que la France avait procédé à des livraisons d'armes aux Forces armées rwandaises pendant le déroulement de l'opération « Amaryllis ». Interrogé sur cette déclaration par les rapporteurs, le ministère belge a fait parvenir à la Mission une réponse écrite indiquant : « Le colonel Marchal confirme qu'un des observateurs des Nations unies sous ses ordres à l'aéroport de Kigali, un officier sénégalais, lui a rapporté oralement, dans le courant de la nuit du 8 au 9 avril, que des caisses de munitions de mortiers avaient été débarquées d'un des trois avions militaires français ayant atterri cette nuit-là à Kigali et qu'elles avaient été chargées sur des véhicules de l'armée rwandaise. »
En réponse à cette correspondance, le colonel Henri Poncet a fait part de ses commentaires écrits : « Les unités sous mes ordres n'étaient pas équipées de mortiers et n'ont donc pas déchargé de munitions. » J'ai effectivement procédé à la "réquisition" de quelques véhicules militaires rwandais le 9 avril au matin afin d'acheminer un détachement à l'ambassade de France. » A ma connaissance, seul un officier uruguayen, observateur militaire, était présent sur l'aéroport mais il m'a été impossible de le localiser et de le rencontrer. Un capitaine sénégalais s'est par contre présenté à mon PC le 11 ou le 12 avril. »
La non-interposition face aux massacres
Ala critique d'une opération de soutien militaire déguisée en opération humanitaire s'ajoute celle, diamétralement opposée, d'une opération trop exclusivement humanitaire qui aurait dû être une opération militaire d'interposition. Ce regret a notamment été exprimé devant la Mission par Alison des Forges [universitaire américaine, qui a considéré qu'il aurait été possible d'arrêter le génocide dès son commencement car les génocidaires étaient en nombre limité dans une structure très centralisée.
Elle a rappelé que le général Christian Quesnot avait, lui aussi, estimé devant la Mission que la réunion des forces d'évacuation et des forces de la Minuar aurait permis d'arrêter les tueries. Elle a cependant reconnu que « le général Roméo Dallaire n'était pas enthousiaste à l'idée d'une force conjointe avec les forces d'évacuation, estimant que, logistiquement, elle serait difficile à mettre en oeuvre ». Mme des Forges a aussi précisé qu'avec mille huit cents hommes supplémentaires, le général Roméo Dallaire pensait pouvoir agir avec la Minuar.
Il faut toutefois se souvenir que le FPR était présent dans Kigali au moment du déclenchement des massacres, avec un bataillon de six cents à sept cents hommes, soit
largement autant que la totalité des forces d'« Amaryllis ». La première réaction des représentants du FPR, le 7 avril, fut d'aller demander au général Roméo Dallaire de quelles instructions il disposait pour intervenir, puis de constater que cette carence des Nations unies l'autorisait à engager l'action militaire pour sauver les Tutsis des massacres en donnant à ses troupes basées à Mulindi l'ordre de faire mouvement.
Pour autant, en application des accords d'Arusha [signés le 4 août 1993 entre les autorités rwandaises et le FPR, le bataillon du FPR basé à Kigali ne s'est pas non plus interposé entre le 6 et le 10 avril pour neutraliser les auteurs des massacres. Les militaires français ont, quant à eux, exécuté les missions d'évacuation des ressortissants français et étrangers qui leur avaient été assignées, respectant strictement les ordres d'opérations reçus, comme l'indique le compte rendu de l'opération « Amaryllis » établi par le colonel Henri Poncet lorsqu'il dresse le bilan des rapports entretenus avec la presse : « Les médias ont été très présents dès le deuxième jour de l'opération. Le Comops a facilité leur travail en leur faisant deux points de presse quotidiens et en les aidant dans leurs déplacements, mais avec un souci permanent de ne pas leur montrer des soldats français limitant l'accès aux centres de regroupement aux seuls étrangers sur le territoire du Rwanda (directive OO8/DEF/EMA du 10 avril) ou n'intervenant pas pour faire cesser des massacres dont ils étaient les témoins proches. »
Les personnes évacuées
LE bilan des évacuations établi au 14 avril 1994 par l'EMA/COIA fait état de l'évacuation aérienne par la France de 1 238 personnes dont 454 Français et 784 étrangers parmi lesquels 612 Africains dont 394 Rwandais. Parallèlement, 115 Français ont été exfiltrés par la route vers le Zaïre et le Burundi. A titre de comparaison, la Belgique a évacué 1 226 personnes dont 1 026 Belges, l'Italie et le Canada respectivement une centaine de personnes.
L'accusation d'évacuation sélective
LA France a été accusée d'avoir, d'une part, procédé à l'évacuation exclusive des dignitaires du régime hutu sans s'être préoccupée du sort des représentants de l'opposition hutus modérés ou tutsis, d'autre part, d'avoir appliqué un traitement différent aux personnels français de l'ambassade et aux personnels rwandais.
La France a effectivement évacué par le premier avion la veuve du président Juvénal Habyarimana ainsi que deux de ses filles, un de ses fils, deux de ses petits-enfants et quelques membres proches de son entourage limité, conformément aux ordres, à une dizaine de personnes. Les membres du « deuxième cercle » de la famille Habyarimana figuraient bien sur la liste des passagers à évacuer au cours des rotations ultérieures mais ces personnes, comme il a été indiqué, sont parties par la route à Gisenyi.
S'agissant des personnels de l'ambassade, il est faux de prétendre qu'il y aurait eu un refus de les évacuer, comme le montre le télégramme du 11 avril venant de Paris : « Le département vous confirme qu'il convient d'offrir aux ressortissants rwandais faisant
partie du personnel de l'ambassade (recrutés locaux), pouvant être joints, la possibilité de quitter Kigali avec les forces françaises. »
Il est en revanche exact que les membres français du personnel de l'ambassade ont pu être plus facilement contactés que les personnels rwandais qui se sont trouvés, eux, dans l'obligation de se faire connaître, ce qui les plaçait dans une situation inégalitaire par rapport aux ressortissants français. Seul, semble-t-il, Pierre Nsanzimana, employé tutsi à l'ambassade de France et cité par l'ambassadeur Jean-Michel Marlaud, a pu être évacué avec sa famille.
En annexe d'un ouvrage collectif, Les Crises politiques au Burundi et au Rwanda, André Guichaoua a publié une liste de 178 personnalités évacuées par l'ambassade de France. Cette liste lui aurait été communiquée par les autorités burundaises et accréditerait l'idée que l'ambassade de France a refusé d'abriter de nombreuses personnalités et n'a recueilli que les dignitaires du régime. M. Marlaud s'est inscrit en faux contre cette thèse et a souligné que se réunissaient à l'ambassade de France non seulement des personnes liées au régime ou des membres du gouvernement intérimaire mais aussi des opposants qui se sentaient en danger et qu'ainsi Pascal Ndengejeiro, ancien ministre d'opposition MDR (Mouvement démocratique républicain), et Alphonse Nkubito, procureur général, réfugiés à l'ambassade, avaient demandé l'asile politique, comme le précise le télégramme n 350.
Gérard Prunier a relevé qu'à sa connaissance un seul opposant politique avait pu se réfugier à l'ambassade française, « en raison d'une amitié personnelle avec un membre » de celle-ci, Joseph N'Garambé, cadre du Parti social-démocrate (PSD), dont tous les leaders avaient été assassinés. Cette présence est confirmée par le télégramme n 342.
Il est exact, en revanche, de dire que la très large majorité des personnalités réfugiées à l'ambassade étaient des représentants et des dignitaires du régime Habyarimana. Il n'est pas acceptable pour autant de prétendre que la France, par principe, aurait évacué les génocidaires et notamment Georges Riuggiu, qui répond actuellement de ses actes devant le tribunal d'Arusha. Animateur de la radio extrémiste Radio-Mille Collines, M. Riuggiu « ne figure sur aucune des listes des personnes à rapatrier envoyées par l'ambassade de France à Kigali, non plus que sur aucune liste de personnes transportées, détenue par le Quai d'Orsay ». C'est ce que confirment les services du ministère des affaires étrangères qui ont entrepris des vérifications sur cette demande précise de la Mission.
L'évacuation des enfants d'Agathe Uwilingiyimana, premier ministre
ENTENDU par le rapporteur Bernard Cazeneuve, M. Le Moal, à l'époque adjoint du directeur du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et chargé de la mise en place des moyens d'accompagnement de l'accord de paix à partir de septembre 1993, a indiqué que, le 7 avril, avec trois voitures de l'ONU, il était lui-même allé chercher les enfants du premier ministre, Agathe Uwilingiyimana, et qu'il les avait conduits à l'Hôtel des Mille Collines, où il avait demandé au directeur de les abriter. Le dimanche 10 avril, alors que l'ambassadeur de France Jean- Michel Marlaud venait de lui signifier qu'il n'était pas possible, sans risquer de provoquer de très graves incidents, compte tenu du climat de
haine qui régnait, de faire évacuer les « enfants d'Agathe », il était retourné à l'Hôtel des Mille Collines, où il avait appris que les enfants venaient d'être récupérés par André Guichaoua et un ressortissant américain.
André Guichaoua a raconté que, devant le refus d'évacuer les cinq enfants du premier ministre assassiné (ils avaient été sauvés par des employés de l'ONU et s'étaient réfugiés à l'Hôtel des Mille Collines), il avait détourné l'attention des soldats français pour les faire monter dans l'avion. Les responsables militaires ont nié toute possibilité d'embarquement sans leur consentement express et ont indiqué qu'ils n'avaient jamais refusé d'embarquer ces enfants. Il est vrai que la très grande méticulosité de l'opération d'évacuation paraît incompatible avec le fait que des enfants soient embarqués en cachette. Amenés à l'aéroport, les « enfants d'Agathe » ont bien été évacués en toute connaissance de cause par les forces françaises, l'ambassadeur Jean-Michel Marlaud ayant finalement obtenu ou donné l'accord pour les faire partir.
Les « enfants d'Agathe » ont été évacués à Bujumbura, d'où ils ont pris un vol Air France le lundi 11 avril, ce qui fera dire à l'ambassadeur : « S'agissant de l'évacuation des enfants d'Agathe Uwilingiyimana, je suis surpris que l'on puisse parler d'un retard. Ils ont été évacués le lundi suivant l'attentat, en même temps, par exemple, que mon épouse, celle de l'attaché de défense ou du directeur de l'école, avant les personnes qui s'étaient réfugiées à l'ambassade et qui n'ont été évacuées qu'au moment de la fermeture de cette dernière. »
En revanche, Michel Cuingnet, chef de la mission civile de coopération, fait part d'un sentiment différent. Il n'aurait pas eu connaissance du retard de leur évacuation, mais aurait été profondément choqué par ce retard, par rapport à l'empressement mis à évacuer les proches d'Habyarimana, comme M. Nahimana, responsable de Radio-Mille Collines.
André Guichaoua a également affirmé devant la Mission qu'aucune mesure n'avait été prévue pour accueillir les enfants du premier ministre à Paris et qu'ils avaient pu quitter la France pour la Suisse grâce au consul de Suisse à Paris.
Le sort des personnels du centre culturel
JEAN-MARC ROCHEREAU DE LA SABLIÈRE a affirmé que « l'ambassadeur aurait évacué le personnel local absent de l'ambassade, si celui-ci avait pu être joint » puisqu'un télégramme en ce sens lui avait été adressé. Jean-Michel Marlaud a indiqué par écrit qu'il n'a été « personnellement avisé à aucun moment de la présence d'employés et qu'il n'y a donc pas eu décision d'intervenir ou non, la question n'ayant pas été posée ».
Tout en rappelant qu'il ignorait comment furent prises les décisions concernant les personnels locaux de la chancellerie diplomatique et du centre culturel français de Kigali, Michel Cuingnet a souligné le refus d'évacuation des employés du centre culturel. Employé au centre culturel français, Vénuste Kayimahe, Rwandais d'origine tutsie, a livré son témoignage aux deux rapporteurs qui l'ont rencontré à Kigali. Il a déclaré que Michel Cuingnet lui avait dit qu'il n'avait pas de pouvoirs, alors qu'il avait remarqué que celui -ci avait été pourtant envoyé par l'ambassadeur à Mulindi pour y rencontrer le FPR. Il a,
d'autre part, indiqué, le 6 avril au matin, que la directrice du centre culturel où il était employé et logé depuis un mois l'avait prié de se trouver pour lui et sa famille un logement à l'extérieur. N'ayant rien trouvé, il est resté au centre culturel le soir de l'attentat et les jours suivants, jusqu'au 10 avril où il a reçu un appel de Michel Cuingnet l'informant de l'envoi de « solides gaillards ». En réalité, les renforts militaires ne sont intervenus qu'avec l'ordre de rapatrier les ressortissants français et ont laissé M. Kayimahe sur place. Michel Cuingnet aurait alors dit : « Nous ne sommes pas chargés de sauver les Rwandais. »
Il semble donc qu'en l'espèce il y ait bien eu deux poids et deux mesures et que le traitement accordé à l'entourage de la famille Habyarimana ait été beaucoup plus favorable que celui réservé aux employés tutsis dans les postes de la représentation française : ambassade, centre culturel, mission de coopération.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024