Fiche du document numéro 27474

Num
27474
Date
Jeudi 7 avril 2011
Amj
Auteur
Taille
78970
Titre
« Ibuka »
Mot-clé
Type
Langue
FR
Citation
Hutu ? Tutsi ?

Je ne voudrais être ni l’un ni l’autre, tout simplement Rwandais

Notre folie a jeté l’opprobre sur notre culture

Notre nom est à jamais souillé, entaché de sang

Je nous en veux d’avoir tué l’homme

D’avoir substitué Dieu à l’anéantissement

D’être allé si loin dans les ténèbres

D’avoir atteint le paroxysme du mal absolu

Les opinions publiques se lassent des drames dont les médias les assaillent

Et le « Plus jamais ça ! » recommence à chaque fois

Je suis mort le 24 avril 1915 en Arménie

Je suis mort le 1er janvier 1942 en Pologne

Je suis mort le 7 avril 1994 au Rwanda

Je suis l’idée de l’homme

Et mon revers est le génocide

Le génocide, la bête immonde

Mais au fond, qu’y a-t-il de plus humain qu’un génocide ?

Jamais les vautours ne décideront de rayer les aigles de la surface de la planète

Il n’y a que l’homme pour avoir l’intelligence de cette folie

Les journalistes, eux, sont enclins à insister sur l’irrationalité d’un génocide : « Comment peut-on tuer des femmes, des enfants, des fœtus ? »

Et puis les détails des massacres s’étalent dans les colonnes de la presse

Empêchant de penser clairement la logique de acteurs, de comprendre le massacre, de saisir sa rationalité délirante

Et puis, vous vous dites : « Ce sont des massacres interethniques, des haines tribales ancestrales, les Africains ont l’habitude ! Ils ne sont pas comme nous ! Nous, civilisés. Nous, humanistes. Nous, modernes et organisés »

Mais, au fond, qui y a-t-il de plus moderne et d’organisé qu’un génocide ?

Le génocide, c’est l’industrialisation du crime, la taylorisation de l’assassinat

Les tueurs ne disent plus : « Je tue ». Ils disent : « Je travaille. La mort est mon métier »

Car sans organisation, comment faites-vous pour tuer un million de Tutsi en 100 jours ?

Car sans organisation, comment faites-vous pour tuer six millions de Juifs en quatre ans ?

Ici, je suis un manager et je vous parle d’efficacité, de productivité, de rentabilité

Auschwitz, Murambi, ce sont des usines où l’on fabriquait la mort…

Alors, le génocide ?

Le génocide ?

Le génocide, c’est quoi ?

C’est Hitler qui dit vouloir en finir avec la « question juive »

Le génocide ?

Le génocide, c’est quoi ?

C’est le colonel Bagosora qui déclare : « Je rentre à Kigali pour préparer l’apocalypse »

Alors vous, les enfants de l’espace à la quiétude inquiète

Vous, les fils et les filles du confort à l’accumulation matérielle insatisfaite

Vous me demanderez : « Pourquoi ? »

Je vous répèterai qu’on n’explique pas Auschwitz

Alors, vous me demanderez : « Mais comment ? »

Et je vous dirai d'enlever pendant un siècle jusqu’aux racines même de la culture d’un peuple et vous planterez d’un même élan, dans chaque tête, les germes du mal

Puis il vous faudra parvenir au déni de l’humanité de l’autre

Le Juif est un virus, une vermine. Le Tutsi, un cancrelat

Ceci, vous y parviendrez par la souffrance, l’éducation et l’impunité

La souffrance cherche une cause, l’éducation la désigne, l’impunité encourage et libère

Quand un peuple en est là, ce qu’il peut entreprendre dans l’ordre du crime est sans limite

Un génocide, ce n’est pas une explosion subite de haine

Un génocide, c’est tout ce qu’il y a de plus froid et d’implacable

Alors, vous qui m’avez écouté, vous qui n’êtes ni Hutu, ni Tutsi. Pas plus que moi

Puisque vous êtes avant tout des femmes, des hommes

Restez vigilants

Si l’autre en face vous conteste votre humanité

Montrez-la lui, en faisant peser sur sa vie tout votre poids d’homme

Exigez tout simplement de l’autre votre droit d’être humain !

Ibuka, Ibuka, Ibuka

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