Fiche du document numéro 27307

Num
27307
Date
2012
Amj
Taille
241043
Titre
Pas d’entente en vue de commettre le génocide des Tutsi ?
Soustitre
Le jugement en 1re instance du procès Militaires I, rendu par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) à Arusha le 18 décembre 2008, quoique condamnant trois des inculpés pour génocide, a fait crier victoire à leurs défenseurs en les relaxant de la charge d’entente en vue de commettre un génocide. S’il n’y avait pas d’entente en vue de commettre un génocide, il n’y avait pas, selon eux, de planification, donc pas de génocide du tout.
Nom cité
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Mot-clé
Résumé
In its judgment at first instance in the Military I trial, the ICTR considers in particular that all the preparations for genocide "could clearly fall within the framework of a plan to commit genocide", but that "they could equally well enter into as part of a fight to defend political or military power in Rwanda." It persisted throughout the trial in distinguishing war from genocide, while the 1990 RPF attack was the result of the genocidal process that began in 1959, which forced many Tutsi into exile, and that in 1994, it was is the genocide that starts the war and not the other way around.
Type
Note
Langue
FR
Citation
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Ce procès de quatre officiers supérieurs rwandais éclabousse la France puisqu’ils étaient très proches
des militaires français. Ainsi le colonel Bagosora confie au juge Bruguière à propos du lieutenant-colonel
Maurin « nous avions la coopération très serrée au point que, eux, ils pouvaient entrer n’importe où,
n’importe quand, quand ils voulaient. Nous étions des... disons des camarades ». Bagosora a suivi les
cours de l’École de guerre à Paris, Nsengiyumva des sessions à l’Institut des hautes études de défense
nationale, Ntabakuze avait pour conseiller le commandant Grégoire de Saint Quentin.
Tout le plaidoyer pour disculper la France d’avoir trempé dans le génocide, a été de dire qu’elle a
formé les Forces armées rwandaises (FAR) mais que celles-ci n’ont pas participé au génocide, qui a été
perpétré par des miliciens et des paysans armés de machettes et non d’armes fournies par la France. La
condamnation pour génocide de Bagosora, Nsengiyumva et de Ntabakuze vient donc mettre par terre
toute cette argumentation. En 2011, c’est le chef d’état-major Augustin Bizimungu, soutenu aussi par la
France, qui est condamné pour génocide par le TPIR.
Les limitations imposées au TPIR
La France a fait restreindre par le Conseil de sécurité de l’ONU la compétence temporelle du TPIR,
alors que celle du Tribunal pour la Yougoslavie (TPIY) ne l’est pas. Son représentant Jean-Bernard
Mérimée déclare lors du vote de la résolution 955 : « Le tribunal sera compétent pour les infractions
commises entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994. Le choix de cette période de temps permet de
prendre en compte d’éventuels actes de planification et de préparation du génocide qui a eu lieu à partir
du 6 avril de cette année. » Comme Paris était informé dès la fin 1990 de l’intention des chefs d’étatmajor
des FAR et de la gendarmerie d’éliminer les Tutsi et, malgré cela, a soutenu militairement le
régime, fermant les yeux sur les massacres, il fallait empêcher le TPIR de fouiller dans cette période de
préparation du génocide.
Une telle restriction temporelle rend difficile de prouver l’entente en vue de commettre un génocide.
En effet, selon la jurisprudence du tribunal, aucune condamnation ne peut être prononcée sur la base de
faits antérieurs à janvier 1994. Le Procureur a beau expliquer que l’entente est un crime continu dans le
temps, les juges exigent qu’il prouve l’existence de ce complot en 1994. Même l’existence d’une entente
avant le 7 avril ne suffit pas. Il faut la démontrer pendant le génocide.
Auteur de « La France au coeur du génocide des Tutsi », Izuba / L’Esprit Frappeur, 2010.
1. Gratien Kabiligi a été acquitté. Le colonel Bagosora a été condamné pour génocide, sa peine a été réduite à 35 ans
d’emprisonnement en appel. La condamnation pour génocide du colonel Nsengiyumva a été retirée en appel et sa peine a
été ramenée à 15 ans d’emprisonnement. Le jugement en appel du commandant Aloys Ntabakuze sera connu le 8 mai 2012.
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Partialité de la Chambre
Les accusés ont prétendu que les milices et l’autodéfense populaire visaient à défendre le pays contre
le Front patriotique rwandais (FPR) et non à tuer les Tutsi. En dépit de l’évidence que ces groupes
utilisaient des armes blanches donc n’étaient pas conçus pour affronter le FPR, la Chambre estime que
cela ne constitue pas une preuve d’entente en vue de commettre le génocide.
Elle estime que tous ces préparatifs « pouvaient clairement entrer dans le cadre d’un plan visant à
commettre le génocide », mais qu’« ils pouvaient tout aussi bien entrer dans le cadre d’un combat visant à
défendre le pouvoir politique ou militaire au Rwanda. » Ce faisant, elle ignore l’implication de ces groupes
dans des massacres que le rapport de M. Waly Biacre Diagne d’août 1993 reconnaît comme des actes à
caractère génocidaire.
Elle persistera tout au long du procès à distinguer la guerre du génocide, alors que l’attaque du FPR
de 1990 résulte du processus génocidaire commencé en 1959, qui a forcé nombre de Tutsi à l’exil, et qu’en
1994, c’est le génocide qui déclenche la guerre et non l’inverse.
Le Tutsi défini comme l’ennemi
Une lettre du chef d’état-major diffusée dans l’armée rwandaise, le 21 septembre 1992, définit le
Tutsi comme l’ennemi. Le rapporteur spécial de la Commission des Droits de l’homme de l’ONU, René
Degni-Ségui, y a vu l’expression de l’intention génocidaire, puisqu’elle commence ainsi :
L’ennemi principal est le Tutsi de l’intérieur ou de l’extérieur, extrémiste et nostalgique du
pouvoir, qui N’a JAMAIS reconnu et NE reconnaît PAS encore les réalités de la Révolution
Sociale de 1959 et qui veut reconquérir le pouvoir au RWANDA par tous les moyens, y compris
les armes.
Les persécutions contre les Tutsi ayant commencé lors de cette « Révolution Sociale de 1959 », aucun
Tutsi ne pouvait l’accepter. Même s’il ne fait rien contre ou n’utilise que des moyens non-violents –
compris dans « tous les moyens » –, le Tutsi reste l’ennemi. Selon la Chambre, l’ennemi est uniquement
le Tutsi qui prend les armes, les Tutsi ne sont pas tous des extrémistes qui veulent reconquérir le pouvoir.
Certes, déclarer que le Tutsi est l’ennemi ne signifie pas qu’on va le tuer. Mais au Rwanda, l’armée
a coutume de ne pas faire de prisonniers. Et depuis 1990, les miliciens tuent ceux qui ont une carte
d’identité marquée Tutsi, aux barrages routiers ou lors de pogroms.
Ce texte provient d’une commission de dix officiers, formée en décembre 1991 et présidée par Bagosora.
Deux autres accusés, Nsengiyumva et Ntabakuze en étaient. La Chambre argue du fait que deux des dix
n’ont pas participé au génocide pour affirmer que ce texte n’exprime pas une entente en vue de commettre
un génocide. Elle dit que les accusés ne sont pour rien dans la diffusion de ce texte. C’est faux, car la
lettre du chef d’état-major porte un entête du G2, le bureau du renseignement militaire, dirigé alors par
Nsengiyumva.
Bagosora condamné pour génocide
Bagosora est condamné pour génocide en tant qu’ayant autorité sur les militaires qui ont perpétré
les massacres de Tutsi à Kigali du 6 au 9 avril, en coopération avec des miliciens, aux barrières, dans
les églises et autres lieux. Les para-commandos de Ntabakuze ont été dans les premiers à massacrer. La
responsabilité de Bagosora est reconnue dans les massacres de Gisenyi, où Nsengiyumva est commandant
militaire. Mais l’entente entre Bagosora et les deux autres accusés n’est pas constatée !
Il est convaincu de crime contre l’humanité pour les assassinats de personnalités politiques, dont le
Premier ministre le 7 avril. Son rôle clé dans la formation du Gouvernement intérimaire est reconnu, mais
la Chambre n’est pas convaincue de sa contribution dans le choix des ministres ou dans l’orientation de
sa politique. Donc, là encore, pas d’entente.
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Quatre condamnations pour entente
Le crime d’entente (conspiracy en anglais) en vue de commettre un génocide peut être réprimé même
si l’infraction principale, le génocide, n’a pas été réalisée. Cette clause a été introduite dans la Convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 (article III b) dans le but de prévenir le
génocide.
Une condamnation pour génocide mais pas pour entente ne signifie pas l’absence de planification. En
effet, le génocide se dit d’un crime commis dans l’intention de « de détruire, en tout ou en partie, un
groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». Or l’intention implique un plan concerté à
l’avance.
Du reste, quatre condamnations pour entente en vue de commettre un génocide ont été prononcées
par le TPIR contre le Premier ministre Jean Kambanda, le ministre de l’Information, Eliezer Niyitegeka,
et tout récemment la ministre de la Famille, Pauline Nyiramasuhuko et le ministre du Commerce et de
l’Industrie, Justin Mugenzi. Il faut noter que ce dernier est condamné pour entente en vue de commettre
le génocide mais pas pour génocide.
Un génocide non planifié ?
Cette absence de condamnation de Bagosora pour entente comble d’aise le sociologue français André
Guichaoua, qui, expert au TPIR, impute l’événement déclencheur du génocide, l’attentat contre l’avion
du président Habyarimana, à Paul Kagame et au FPR, ceux-là même qui ont eu le culot de mettre en
déroute l’armée d’un régime ami de la France. Pour cela, le faux témoin Abdul Ruzibiza a été inventé par
les services français. Ce transfuge du FPR, membre du « network commando » qui aurait abattu l’avion,
est le pivot de l’accusation du juge Bruguière contre Kagame. Il a aussi témoigné au procès Bagosora et a
écrit un livre avec Guichaoua. Il s’est ensuite rétracté et a reconnu, en juin 2010 devant le juge Trévidic,
qu’il n’était pas sur les lieux le jour de l’attentat, faisant ainsi imploser l’enquête Bruguière.
Dans son livre « De la guerre au génocide », Guichaoua estime évident, sans fournir d’autre preuve,
que le FPR a abattu l’avion. Il bâtit toute son explication des causes du génocide sur le FPR qui a « pris
le risque de voir se commettre des massacres de grande ampleur ». Il juge « très difficile de démontrer
[...] la réalité d’un “complot” génocidaire planifié ancien. » Il va jusqu’à avancer que « le massacre de
masse allait de soi et il n’était pas nécessaire de mettre en oeuvre une planification élaborée, pour peu
que l’administration locale soit épurée et contrainte de se mobiliser ». Cette épuration a été ordonnée
par Bagosora et par le gouvernement qu’il a formé le 8 avril, de concert avec Jean-Michel Marlaud,
l’ambassadeur de France. Mais Guichaoua prétend que « cette faction extrémiste parvint à imposer une
stratégie génocidaire » six jours après l’attentat du 6 avril. Miracle, c’est précisément le 12 avril que
Marlaud ferme boutique et s’enfuit à Paris. Ainsi voilà réparée la gaffe de notre état-major qui, écrivant
le 8 avril dans l’ordre d’opération Amaryllis que la garde présidentielle éliminait les Tutsi de Kigali,
avouait-là que le génocide des Tutsi était déjà commencé, en présence des Français.
La France, qui a soutenu les tueurs avant et tout au long de leur forfait, puis protégé leur fuite au Zaïre,
est-elle vraiment pour rien dans le déclenchement de ce génocide et dans l’entente pour le commettre ?

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024