Fiche du document numéro 27298

Num
27298
Date
Mardi 2 avril 2013
Amj
Taille
2901112
Titre
Le colonel Jacques Rosier et le génocide des Tutsi
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Lieu cité
Résumé
Colonel Rosier cooperated with the perpetrators of the genocide and ordered his subordinates to do the same. He organized the extermination of the last Tutsi survivors of Bisesero, passing them off as advanced RPF elements wanting to cut the government area in two. With his subordinates Colonel Didier Tauzin and Commander Marin Gillier, he helped bring from Cyangugu as reinforcements to Bisesero, Yusuf Munyakazi and his militiamen. Everywhere else, he allowed the genocide to continue on the pretext of preventing RPF infiltration. He camouflaged this support with disinformation operations in the media, equating the Tutsi with the rebels and the militiamen with citizens defending their homeland. He also organized rescues of clerics to cover up other shameful acts. The French soldiers themselves witnessed the killing of the Tutsi by the Interahamwe. They dropped Tutsi from helicopters. Colonel Rosier put a stop to the RPF offensive in the southwest by defending the perpetrators of the genocide. He didn't disarm the killers, he didn't stop them. He hid their crimes and showed his contempt for their victims by setting up a military base on the mass graves of Murambi (Gikongoro) school where blood was still oozing.
Type
Note
Langue
FR
Citation
Jacques Rosier est officier des troupes de marine. 1 Comme Didier Tauzin,
il a participé à l’opération Barracuda, qui a destitué l’empereur Bokassa en
septembre 1979. 2 Ce sont donc des experts en politique africaine ! Chef de corps
du 1er RPIMA de 1990 à 1992, le colonel Rosier, forme un groupement de
commandos de recherche et d’action dans la profondeur (CRAP) qui intervient
en Irak en 1991. 3 Trois membres de ces commandos du 13e RDP se font d’ailleurs
« cravater ». 4
En 1993, il est fait officier de la Légion d’Honneur. Il est « blessé et cité ». 5
En 1994, il est chef « opérations » de l’état-major du COS à Taverny.
Le 14 novembre 1996, il est nommé général de brigade, 6 général de division
le 21 décembre 2000. 7
Le 1er juillet 1997, il est nommé commandant du groupement spécial autonome.
8 Ce groupement spécial autonome (GSA) est constitué des forces spéciales
de l’armée de terre, dont le 1er RPIMa.
Le 1er juillet 1999, il est nommé adjoint au général commandant l’état-major
de force no 1. 9
1 Commandant de l’opération Noroît
Chef de corps du 1er RPIMa, il participe du 11 au 16 juin 1992, en tant que
« technicien », à une mission d’évaluation dirigée par le colonel Delort assisté
1. Certains journalistes écrivent Rozier.
2. J.-C. Lafourcade [8, p. 69] ; D. Tauzin, [16, pp. 51, 109].
3. http://www.rpima1.terre.defense.gouv.fr/decouverte/historique/quiose/index.
html
4. Le capitaine Fernandès, les sous-officiers Clément et Authon du 13e RDP de Dieuze en
mission de reconnaissance à la frontière saoudo-irakienne ont été capturés à bord d’un engin
tout terrain par une patrouille irakienne « qu’ils n’avaient pas identifiée » le 29 octobre 1990
puis relâchés par Saddam Hussein. Cf. Trois soldats capturés par les Irakiens, L’Est Républicain,
3 novembre 1990 ; Marcel Gay, Les trois dragons lorrains espionnaient en territoire
irakien, L’Est Républicain, 5 novembre 1990.
5. JORF, no 154 du 6 juillet 1993, page 9546, NOR : DEFM9301662D
6. JORF no 269 du 19 novembre 1996 page 16871.
7. J.O. Numéro 300 du 28 Décembre 2000.
8. JORF no 152 du 2 juillet 1997 page 10055.
9. JORF no 125 du 2 juin 1999, page 8138, NOR : DEFM9900012D
1
1 COMMANDANT DE L’OPÉRATION NOROÎT 2
du colonel Galinié, ancien attaché militaire. Cette mission conclut à l’insuffisance
de la puissance de feu de l’armée rwandaise pour stopper les offensives de
l’APR, l’armée du Front patriotique du Rwanda (FPR), au manque de réserves
pour contre attaquer et d’un encadrement à la hauteur de la situation. Le colonel
Rosier est nommé peu après commandant des opérations au Rwanda. 10 Il
commande l’opération Noroît, y compris le DAMI, de juin à novembre 1992. 11
« Arrivé sur place au Rwanda ma priorité no 1 est de monter
dans les plus brefs délais une batterie de 105 cédée par la France
et servie par les FAR. Pour ce faire je dispose des cadres d’une
batterie du 35e RAP à effectif de 25 hommes qui, en moins de deux
semaines, réalisent la formation théorique à l’école de pièce au camp
de Kanombe.
Le 8 juillet, doublée par les cadres français, la batterie rwandaise
effectue son premier tir dans le secteur de Byumba. Nous n’en
sommes alors qu’au stade de l’école à feu. Mais le niveau progresse
rapidement car tous les jours la batterie est engagée dans l’un des
trois secteurs opérationnels. Il en sera ainsi jusqu’au cessez-le-feu
du 1er août, date à laquelle les servants rwandais sont totalement
autonomes. Dans des délais encore plus brefs, nous contribuerons à
la mise sur pied de la 2e batterie (122 D30 fournie par l’Égypte)
[...] » 12
Dans ces propos de Rosier, il est clair que les Français prennent part au combat
en réglant les pièces d’artillerie. Le rapport Mucyo note que cela correspond
à la création d’un DAMI artillerie. 13 Ce rapport reproduit les propos que tient
James Kabarebe à David Servenay. 14 Ils correspondent exactement avec ce que
dit Rosier à Lugan. Les Français étaient sur la ligne de front et commandaient
les FAR. Malgré ces bombardements l’attaque d’infanterie des FAR a été repoussée
par l’APR et a essuyé de lourdes pertes. La participation aux combats
des conseillers français du bataillon « artillerie de campagne » (AC) est aussi
confirmée par le colonel Murenzi et le général Rwarakabije. 15 Rappelons que
la France justifiait toujours la présence de ses soldats par la protection de ses
ressortissants.
1.1 L’appui total aux FAR malgré leur doctrine militaire
génocidaire publiquement énoncée et mise en pratique
C’est à cette époque que le texte définissant l’ennemi est diffusé dans l’armée
rwandaise. 16 Non seulement il est probable que le colonel Rosier a eu
10. B. Lugan [9, pp. 101–102] ; P. Péan [12, p. 110].
11. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Rapport, p. 146].
12. B. Lugan [9, p. 102].
13. Rapport Mucyo, [3, p. 48].
14. G. Périès, D. Servenay [13, pp. 204-205].
15. Rapport Mucyo, ibidem.
16. République rwandaise, Ministère de la Défense nationale, Armée rwandaise, État-major,
G2, 21 septembre 1992, no 1437/G2.2.4. Objet : Diffusion d’information. Destinataires : Liste
2 PRÉSENCE D’ÉLÉMENTS DES COS AU RWANDA PENDANT LE GÉNOCIDE3
connaissance de cette définition, mais son attitude ultérieure montre qu’il l’a
faite sienne : « L’ennemi principal est le Tutsi de l’intérieur ou de l’extérieur,
extrémiste et nostalgique du pouvoir, qui N’a JAMAIS reconnu et NE reconnaît
PAS encore les réalités de la Révolution Sociale de 1959 et qui veut reconquérir
le pouvoir au RWANDA par tous les moyens, y compris les armes. » Le partisan
de l’ennemi principal est « toute personne qui apporte tout concours à l’ennemi
principal »
1.2 Les Accords de paix d’Arusha : un marché de dupes
Le général Rosier confie à Bernard Lugan que les Accords d’Arusha étaient
un marché de dupes débouchant fatalement sur le chaos :
« La formule assistance militaire + multipartisme + Arusha a
généralisé le cancer car la maladie requérait un traitement par paliers
successifs : 1/ redressement militaire, 2/ ouverture politique, 3/
négociations avec le FPR. L’ouverture politique sans redressement
militaire préalable, c’était, à coup sûr, la déstabilisation de l’État.
L’État déstabilisé, c’était, hélas, le marché de dupes d’Arusha débouchant
fatalement sur le chaos. » 17
Nous remarquons sur ce point une identité de vue de Rosier avec le colonel
Tauzin, son successeur à la tête du 1er RPIMa, et avec le général Quesnot. Sachant
que Rosier et Tauzin sont experts en coups d’État africains, il est permis
de se poser des questions sur leur rôle lors du coup d’État des 6-8 avril 1994 à
Kigali, dont l’objectif a été d’empêcher de manière définitive la mise en application
de ces accords de paix qui permettaient au FPR, donc à leurs yeux aux
Tutsi, d’accéder au gouvernement et fusionnaient les deux armées.
2 Présence d’éléments des COS au Rwanda pendant
le génocide
En tant que « Commandant Opérations » au Commandement des opérations
spéciales (COS), 18 le colonel Rosier est responsable des éléments COS
restés au Rwanda pendant le génocide ou venus en précurseurs avant l’opération
Turquoise. Ce n’est pas sans raison que Corine Lesnes l’appelle « l’homme
des missions spéciales du 1er RPIMA ». 19
A, Comdt Sect OPS (Tous), Info : EM Gd N. Signé Déogratias Nsabimana, colonel BEM,
Chef EM FAR, SECRET. TPIR, K1020494 à K1020507. http://www.francegenocidetutsi.
org/NsabimanaDefinitionEnnemi21septembre1992.pdf
17. Entretien avec le général Rosier. Cf. B. Lugan [9, p. 278].
18. B. Lugan [9, p. 214].
19. Corine Lesnes, A la rencontre des victimes dans le « triangle de Kibuyé
», Le Monde, 2 juillet 1994, p. 3. http://www.francegenocidetutsi.org/
RencontreVictimesTriangleKibuye2juillet1994.pdf
2 PRÉSENCE D’ÉLÉMENTS DES COS AU RWANDA PENDANT LE GÉNOCIDE4
Cette présence des COS pendant le génocide est à distinguer de la présence
d’officiers et de sous-officiers français dans le cadre de la coopération qui, au
dire du général Quesnot, n’a pas été interrompue.
La présence de membres du COS durant le génocide est certaine. C’est une
pratique habituelle de l’armée française en situation de guerre ou de préparation
à la guerre, qui est menée au titre du renseignement. On se reportera à l’exemple
donné plus haut d’envoi de CRAP du 13e RDP en Irak avant que la guerre
n’éclate. Rosier en serait un des responsables.
Ces agents de renseignement ont vu des horreurs au Rwanda et ont pu renseigner
leur hiérarchie à Paris. Assister à des horreurs sans rien faire, alors qu’on
a des moyens de réagir, c’est les approuver.
2.1 Des Français au pont de la Nyabarongo entre Kigali
et Gitarama
Les informations sur la présence de Français au Rwanda pendant le génocide
sont peu fiables et difficiles à recouper. Un témoin qui paraît assez sérieux est
Tharcisse Nsengiyumva, ancien chauffeur de Bagosora, membre du bataillon
léger antiaérien. Il est handicapé suite à un accident. Il a vu l’attentat contre
l’avion du Président Habyarimana depuis l’hôpital de Kanombe. Son témoignage
a été retenu par la commission Mutsinzi et par les experts des juges Poux et
Trévidic. Transporté en autocar de Kanombe à Butare le 24 avril 1994, il voit
deux militaires français sur le pont de la Nyabarongo en sortant de Kigali vers
Gitarama. Ce pont est sur l’unique route goudronnée qui mène au Burundi par
Butare et au Zaïre par Cyangugu. C’est un point stratégique. Cécile Grenier
l’interroge :
Q : Est-ce que les soldats français eux aussi ont tenu des barrières
?
R : Oui. Lorsque nous les militaires handicapés nous avons fui le
24/04/1994, nous avons trouvé les Français sur une barrière au pont
de Nyaruteja, en direction de Gitarama.
Q : Vous êtes donc passés par le Bugesera ?
R : Non. C’est le pont de la Nyabarongo. C’est comme ça qu’il
s’appelle.
Q : Vous les y avez vus ?
R : Tout à fait. Ils s’y trouvaient.
Q : Avec qui étaient-ils ?
R : Ils étaient avec des soldats ex-FAR et des Interahamwe. De
telle sorte qu’ils demandaient aux passagers des cartes d’identité et
les Tutsi étaient mis d’un côté, les Hutu de l’autre.
Q : Ça tu l’as vu toi-même ?
R : Cela je l’ai vu de mes propres yeux. Car nous nous y sommes
arrêtés. Nous y avons passé environ une vingtaine de minutes.
Q : Les Tutsi qu’ils séparaient des Hutu, que faisaient-ils d’eux ?
R : Ils les tuaient !
2 PRÉSENCE D’ÉLÉMENTS DES COS AU RWANDA PENDANT LE GÉNOCIDE5
Q : C’est-à-dire que vous avez vu des cadavres ?
R : Ils les emmenaient plus loin à l’écart et c’est là qu’ils les
tuaient. Les corps, ils les jetaient dans la Nyabarongo, nous avons
vu ça.
Q : C’est les Français eux-mêmes qui demandaient la carte d’identité?
R
: Une personne venait et passait devant les militaires en tenant
bien en évidence sa carte d’identité. Les Français alors eux aussi
consultaient cette carte d’identité et vérifiaient la mention ethnique
« Tutsi, Hutu » et ils les séparaient. Pour l’exécution, cela était fait
par les Interahamwe.
Q : Ces Français relevaient de quel corps d’armée ?
R : Les corps d’armée, je ne les connais pas, toutefois je me
souviens de la tenue qu’ils portaient. Ils avaient des bérets verts et
leurs chemises étaient d’un vert foncé, avec de poches par devant et
un cordon élastique sur le bas, (qui faisait le tour de la taille), ainsi
que des pantalons également vert foncés ordinaires.
Q : Tu ne sais pas si c’était des paras ou d’autres ?
R : Non. Les paras eux ils avaient des bérets rouges. Ceux-là
n’étaient pas des paras. [...]
Q : Revenons un peu en arrière sur la période de ta fuite de Kigali,
quand tu as traversé le pont de la Nyabarongo. Un peu plus de détails
sur cette barrière de la Nyabarongo : Comment les soldats français
s’y conduisaient-ils, à quoi servaient-ils, comment collaboraient-ils
avec les Interahamwe et les soldats rwandais qui s’y trouvaient ?
R : Personne, pas une seule personne ne pouvait passer de l’autre
côté du pont sans avoir montré ses pièces d’identité. Ce en quoi
ils les aidaient, c’était de garder cette barrière et ce pont, et ils
arrêtaient les gens, les identifiaient et ils séparaient ceux qui avaient
une identité marquée hutu de ceux qui l’avaient marquée tutsi. En
cela ils imitaient ce que les autres qui se trouvaient avec eux faisaient,
ils disaient aux uns de se ranger de tel côté et aux autres de se ranger
de tel autre. L’instant d’après, leurs collègues disaient aux Tutsi
de les suivre : « Venez, leur disaient-ils, nous allons vous montrer
quelque chose », et un petit moment plus tard, tu voyais leurs corps
rouler dans les eaux de la Nyabarongo.
Q : C’est-à-dire tu as vu tuer les gens à cet endroit ?
R : Oui. Nous étions assis dans notre bus, ils les ont emmenés
et quelques minutes après nous avons vu leurs corps dans la Nyabarongo.
Q : Ils les tuaient avec quelles armes ? Des machettes ? Des massues
? Ou autres choses ?
R : Ils avaient des massues qu’ils appelaient Nta mpongano y’umwanzi
(pas de pitié pour l’ennemi). C’était des massues en bois dont
le bout était hérissé de clous, je ne sais pas s’ils donnaient les coups
2 PRÉSENCE D’ÉLÉMENTS DES COS AU RWANDA PENDANT LE GÉNOCIDE6
sur la tête ou sur la nuque, mais c’était avec ça et avec des épées
qu’ils les tuaient.
Q : Donc, hormis les Français, il y avait aussi d’autres personnes
pour garder cette barrière ?
R : Il y avait des militaires rwandais, deux, et quatre Interahamwe.
Q : C’est-à-dire que les Français se trouvaient avec des militaires
rwandais et des Interahamwe ?
R : Oui.
Q : Peux-tu nous en parler plus en détails ?
R : A cette barrière, il y avait deux soldats français, deux soldats
rwandais et quatre Interahamwe. [...]
Q : Est-ce durant le jour ou durant la nuit que vous avez franchi
le pont de la Nyabarongo ?
R : C’était dans l’après-midi, entre 15 h 30 et 16 h 00.
Q : C’est-à-dire qu’il faisait encore jour ?
R : C’était encore vraiment le jour, on y voyait parfaitement. 20
2.2 Des membres des COS envoyés en précurseurs
Il y a plusieurs preuves que des éléments des COS ont été envoyés en précurseurs.
La chaîne de télévision France 2 révèle le 23 juin que des COS sont au
Rwanda depuis une semaine, soit depuis le 16 juin :
Selon nos informations, depuis une semaine des hommes du COS,
le commandement des opérations spéciales, sont à pied d’oeuvre dans
cette zone pour baliser le terrain, étudiant les points stratégiques. 21
Le lieutenant-colonel Jacques Hogard qui, à son arrivée le 29 juin à Goma,
rencontre le général Lafourcade, laisse entendre que des éléments COS rayonnent
au Rwanda depuis le 15 juin environ :
Le général Lafourcade [le 29 juin] me demande de rejoindre personnellement
et dès que possible, le colonel Rosier, commandant le
fameux groupement du COS qui rayonne au Rwanda depuis une
quinzaine de jours [...] 22
Thierry Prungnaud, adjudant-chef du GIGN, l’un des militaires qui ont déclenché
l’opération de secours aux survivants tutsi à Bisesero le 30 juin, déclare
être arrivé « le 19 juin à Goma ». Mais interrogé par Laure de Vulpian, il
convient que pendant « au moins quinze jours » il a cru que les Hutu étaient
victimes des Tutsi. 23 Cela signifie qu’il était déjà au Rwanda vers le 15 juin et
cela concorde avec ce qu’écrit Hogard.
20. Interview de Tharcisse Nsengiyumva par Cécile Grenier, 8-9 janvier 2003, Remera (Kigali).
Ce témoin a vu l’attentat contre l’avion d’Habyarimana depuis le camp de Kanombe et
a été interrogé par la commission Mutsinzi.
21. Dorothée Olliéric, France 2, 23 juin 1994, 20 h.
22. J. Hogard [7, p. 37].
23. Interview de Thierry Prungnaud par Laure de Vulpian, France Culture, 22 avril 2005,
journaux de 8 heures, 13 heures et 18 heures.
3 L’ÉLYSÉE VOULAIT ALLER SUR KIGALI 7
Selon Éric Micheletti, les COS sont à pied d’oeuvre à Goma le 20 juin. Ils
sont à Bukavu le 20 ou le 21. Une incursion au Rwanda a lieu avant le 23 juin :
Tous les commandos [du COS] et leurs équipements vont embarquer
dans la foulée à bord d’un Airbus, de Hercules, du Transall
et aussi d’un Antonov AN-124 et d’Illuyshin IL-76 à destination de
Bangui, en République centrafricaine. Le 20 juin, avec des éléments
du 1er RPIMa prépositionnés en République centrafricaine, le premier
Transall se pose sur l’aéroport de Goma.
La vingtaine de commandos va aussitôt sécuriser la piste zaïroise
avant que n’arrivent d’autres Transall ayant embarqué les autres
commandos de la marine et de l’armée de l’air, dont une partie ira
reconnaître l’aéroport de Bukavu. Le lendemain les premiers véhicules
français, avec à leur bord des commandos du COS, franchissent
la frontière entre le Zaïre et le Rwanda et stoppent à Cyangugu. Au
cours de cette journée, les Transall et Hercules ont commencé leur
noria entre la République centrafricaine et le Zaïre pour apporter les
véhicules légers, P-4 et VLRA, et l’armement d’appui.
Le 23 juin, à 15 h 30 précises, 46 commandos du COS franchissent
cette fois officiellement la frontière en direction de Cyangugu : l’opération
Turquoise commence [...] 24
2.3 L’extraction des militaires français présents durant le
génocide
Une des premières tâches de l’opération Turquoise a été de récupérer des
militaires français présents durant le génocide, que ce soit des CRAP, des COS,
des coopérants militaires ou des mercenaires. C’est Rosier lui-même qui l’affirme
dans son rapport : « Etant encore seul sur zone, le détachement effectuait
également quelques missions d’extractions dans la région de Gisenyi. » 25
3 L’Élysée voulait aller sur Kigali
En mai 1994, Rosier a été chargé d’étudier une arrivée du COS sur Kigali :
« Avant de partir, dans la phase préparatoire, courant mai, on
m’avait demandé d’étudier la faisabilité de la mise en place d’un
détachement du COS à Kigali. Dans l’entourage de Mitterrand, on
voulait aller sur Kigali. Bien en amont, en mai, j’ai donc fait une
étude... En hélico, cela aurait été une aventure terrible, très risquée
en termes militaires. Or, Balladur l’a dit devant la mission d’information,
il ne voulait pas prendre de risque, il ne voulait même pas
24. Éric Micheletti [11, p. 18].
25. Rapport du colonel Rosier, chef du détachement COS, NMR 001/TURQUOISE/DET
COS, Goma le 27/07/1994, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Tome II, Annexes,
p. 397]. http://www.francegenocidetutsi.org/RosierRapport27juillet1994.pdf
4 ROSIER COMMANDE LE GROUPEMENT COS DE TURQUOISE 8
entrer sur le territoire rwandais. L’arrivée sur Kigali a donc été étudiée,
mais pas exécutée. » 26
L’allusion à « l’entourage de Mitterrand » désigne principalement son conseiller
militaire, le général Quesnot.
4 Rosier commande le groupement COS de Turquoise
Lors de l’opération Turquoise, Jacques Rosier commande le groupement
COS, première unité arrivée au Rwanda. Pendant six jours, du 20 au 26 juin
inclus, le COS dépend directement de l’état-major des armées (EMA). 27 Plus
précisément, il rend compte au général Lafourcade le 25 juin qui vient d’arriver
le matin même à Goma. Ce dernier écrit que les unités spéciales de Rosier
« passent maintenant sous mon commandement » et nous sommes le 25 aprèsmidi.
28
De plus, Rosier est, au début, commandant du secteur sud du dispositif
Turquoise. Il installe d’abord son PC sur l’aéroport de Kavumu près de Bukavu.
À quelle date arrive-t-il ? Selon le rapport de Rosier, le 20 juin, une « équipe de
reconnaissance à bord du C160 du COS se posait à Goma ». 29 Des journalistes
rapportent par ailleurs que le 20 juin, une vingtaine d’officiers français arrivent
à Goma. 30
Le colonel Rosier dispose d’un état-major COS, le DLMO (Détachement de
liaison et de mise en oeuvre) composé de 10 hommes de l’EM du COS et de
20 autres du 1er RPIMa. Le lieutenant-colonel Marcel Gegou est collaborateur
immédiat de Rosier. 31 Il commandait le secteur opérationnel de Byumba lors de
l’opération Chimère en 1993. 32Le colonel Leduc s’occupe du site de Bukavu. 33
Le COS Turquoise est formé de 3 groupes 34 :
Groupe 1 : Un détachement de 58 hommes du 1er RPIMa commandé par
le colonel Didier Tauzin, alias Thibaut.
Le groupe 1 s’établit d’abord au camp de Nyarushishi puis s’avance jusque
Butare, se replie et organise un barrage à l’est de Gikongoro.
26. G. Périès, D. Servenay, Entretien avec J. Rosier, 27 février 2006 et 22 juillet 2006 [13,
p. 319].
27. B. Lugan [9, p. 214, 266].
28. J.-C. Lafourcade [8, p. 68].
29. Rapport du colonel Rosier, chef du détachement COS, NMR 001/TURQUOISE/DET
COS, Goma le 27/07/1994, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Tome II, Annexes,
p. 398]. http://www.francegenocidetutsi.org/RosierRapport27juillet1994.pdf
30. Jean Hélène, Un Zaïre providentiel et inquiet, Le Monde, 23 juin 1994, p. 3 ; Monique
Mas [10, p. 425].
31. B. Lugan [9, p. 252].
32. Rapport Mucyo, [3, p. 177] ; D. Tauzin [16, p. 72].
33. P. Péan [12, p. 476].
34. Rapport du colonel Rosier, chef du détachement COS, NMR 001/TURQUOISE/DET
COS, Goma le 27/07/1994. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Tome II,
Annexes, p. 396]. http://www.francegenocidetutsi.org/RosierRapport27juillet1994.pdf
4 ROSIER COMMANDE LE GROUPEMENT COS DE TURQUOISE 9
Groupe 2 : Un détachement de 43 hommes de l’escadron d’intervention des
commandos de l’air (EICA), CPA 10, basé à Nîmes, commandé par le lieutenantcolonel
Jean-Rémy Duval, alias Diego.
Groupe 3 : Un détachement formé de 44 hommes en deux escouades du
commando de marine Trepel de Lorient commandé par le capitaine de frégate
Marin Gillier.
En plus :
- Huit gendarmes du GSIGN sont répartis entre les groupes 2 et 3.
- Une dizaine de spécialistes des opérations en « zone hostile » du 13e Régiment
de dragons parachutistes sera rattachée au commando de marine Trepel à
Gishyita. 35 Le capitaine Olivier Dunant en fait partie. 36
La mission de Rosier est clairement de faire barrage au FPR aux côtés des
auteurs du génocide, sous couvert d’une mission humanitaire. Il est aussi chargé
de récupérer les coopérants et les hommes qui étaient restés au Rwanda « en
sonnettes » pendant le génocide.
4.1 L’arrivée du COS
Un élément précurseur arrive le 20 juin à Goma :
Le 20 juin une équipe de reconnaissance à bord du C160 du
COS se posait à GOMA pour prendre contact avec les FAZ, vérifier
l’état de la piste et se rendre compte des implications de la situation
militaire au RAWNDA [RWANDA] sur la sécurité des vols. Au cours
de la même mission une reconnaissance à vue de la plateforme de
Bukavu était effectuée. 37
Le gros du détachement est arrivé le 22 juin au matin et, l’après-midi, un
élément a été aérotransporté à Bukavu. 38
4.2 Une réunion secrète le 22 à Bukavu
Un milicien, Ahmed Bizimana, interrogé en prison à Cyangugu par Georges
Kapler, affirme qu’une réunion a eu lieu entre des autorités rwandaises et des
Français, le 22 à l’hôtel Résidence de Bukavu :
En juin 1994, les Français sont arrivés dans notre pays. Ils entraient
par le Congo. Ils logeaient à l’hôtel Résidence, c’est là que
je les ai vus pour la première fois, à l’occasion d’une réunion avec le
préfet et le commandant de la région, pour préparer leur entrée dans
le pays par cette ville. Cet hôtel est du côté congolais, à Bukavu.
35. Dominique Garraud, Des soldats d’élite au service de l’humanitaire au Rwanda, Libération,
2 juillet 1994, p. 17.
36. B. Lugan [9, p. 270]. Lugan parle du capitaine Dinant du 13e RDP. Nous pensons qu’il
s’agit du capitaine Olivier Dunant.
37. Rapport du colonel Rosier, ibidem , p. 398. http://www.francegenocidetutsi.org/
RosierRapport27juillet1994.pdf
38. Ibidem.
4 ROSIER COMMANDE LE GROUPEMENT COS DE TURQUOISE 10
Plus précisément, à l’hôtel Résidence, j’y suis allé avec Yusufu
Munyakazi. Dans une jeep de la marque Suzuki. Nous avons laissé
la voiture et avons emprunté un minibus en compagnie du préfet et
du commandant militaire ainsi que le député Félicien Barigira. Ils
ont eu une réunion restreinte à l’hôtel.
Nous sommes rentrés le soir avec deux Français qui nous ont
accompagnés jusqu’au pont marquant la frontière. Il avait été décidé
qu’ils entreraient le lendemain. 39
Vu la personnalité du témoin, ces affirmations doivent être examinées avec
circonspection. Qu’il y ait eu une réunion discrète le soir du 22 juin avec des
autorités rwandaises n’a rien d’invraisemblable. Il y a bien un hôtel Résidence
à Bukavu. Auraient participé à la réunion, le préfet Bagambiki et le lieutenant
Imanishimwe. Cela n’a rien d’étonnant puisqu’ils seront là ensemble le lendemain
pour l’accueil officiel. Le député Félicien Barigira est député du MRND, membre
du comité préfectoral du MRND à Cyangugu. Bien que les deux premiers soient
des officiels, qui ont donc organisé le génocide, beaucoup plus problématique est
la présence de John Yusuf Munyakazi qui est un tueur, chef de milice. Il a pu être
présenté comme un responsable de l’auto-défense civile. Les Français, Rosier en
l’occurrence, pourront dire qu’ils ne le connaissaient pas à ce moment-là.
Que ce chef milicien, dont Ahmed Bizimana serait le chauffeur, vienne à
cette réunion alors qu’il est en train d’organiser pour le lendemain le massacre
des Tutsi du camp de Nyarushishi, que les Français sont censés protéger est
une contradiction de taille. On peut s’appuyer sur elle pour mettre en doute ce
témoignage ou pour démontrer l’ambiguïté de la mission des Français. Ils pourraient
dire qu’ils ignoraient les intentions de Yusuf. Quant au préfet Bagambiki,
le colonel Hogard émettra de sérieuses réserves sur sa virginité.
4.3 L’approvisionnement en armes des FAR et milices
Le même témoin Ahmed Bizimana affirme que les Français sont rentrés au
Rwanda dans la nuit du 22 au 23 juin et ont ravitaillé les miliciens en armes :
Il avait été décidé qu’ils [les militaires français] entreraient le
lendemain. Mais ils n’ont pas attendu le lendemain, ils sont rentrés
dans la nuit, vers 8 heures du soir, masqués avec des tricots ninja sur
le visage ! C’est des espèces de tricots noirs qui couvrent le visage
avec des trous pour les yeux et la bouche. C’est bien de couleur noire.
(Réponse à une question)
Oui, ils sont entrés la nuit par le pont avec leurs jeeps et leur
matériel. Ils disaient qu’il n’y avait plus de matériel de travail, ils
nous ont approvisionnés en fusils, munitions, grenades et tout le
reste. 40
39. Georges Kapler, enregistrement vidéo, mars 2004. Cf. L’horreur qui nous prend au visage
[4, p. 87].
40. Georges Kapler, enregistrement vidéo, L’horreur qui nous prend au visage [4, pp. 87–88].
4 ROSIER COMMANDE LE GROUPEMENT COS DE TURQUOISE 11
Nous pensons que les propos de ce tueur sont crédibles. En effet, nous notons
que l’usage de cagoules est courant dans les COS, de même que de se peindre
le visage. 41 De plus Jean Hélène signale que des commandos français se sont
infiltrés au Rwanda dans la nuit du 22 au 23 juin. Le 23 au soir depuis Bukavu,
il rapporte sur RFI : « La nuit dernière, quelques commandos de reconnaissance
se sont infiltrés au Rwanda pour baliser le terrain. » 42 Ce recoupement nous
prouve que ce milicien ne fabule pas.
D’autres cas de livraisons d’armes sont signalés. Jean Ndihokubwayo change
de l’argent à la frontière Rusizi I, près du pont qui sépare Cyangugu et Bukavu
au Zaïre. Cet Interahamwe déclare :
Les militaires français sont entrés au Rwanda en 1994, traversant
la frontière RUSIZI I de Cyangugu en provenance du Zaïre. Ces
militaires sont entrés en deux étapes différentes. La première fois,
un groupe de trois militaires français est venu jusqu’à la frontière du
Rwanda (Rusizi I). Ils ont discuté avec le chargé d’immigration à qui
ils ont dit qu’ils venaient pour la zone turquoise mais qu’ils allaient
traverser le même jour. La seconde fois, un groupe de militaires
français est entré le lendemain matin. Ils ont rencontré le Colonel
SIMBA et le Député KAYONDE. Après leur discussion, les militaires
français nous ont expliqué qu’ils venaient pour sauver les HUTU qui
risquaient d’être exterminés par les TUTSI.
Ils nous ont alors demandé d’appeler les militaires de cette zone.
J’en ai appelé six et nous sommes tous partis avec SIMBA et ce
groupe de Français. Nous nous sommes rendus dans une maison qui
appartenait à SIMBA, légèrement en retrait par rapport au reste
de la ville. Cette maison était entourée d’une brousse épaisse. Les
militaires français ont fait entrer leurs camions dans la cour d’entrée
de la maison. A l’intérieur de la cour, nous nous sommes placés en
file perpendiculairement au camion français. Les militaires français
ont alors commencé à nous distribuer des armes en insistant pour
débroussailler ou brûler les alentours de leur quartier général afin
d’éviter toute infiltration des éléments du FPR ou ses complices. Il
nous ont dit textuellement par le biais de SIMBA : « nous allons
vous remettre des armes et des machettes pour défricher les brousses
et ainsi éviter que les Tutsi ne puissent nous tirer dessus ».
Ils nous ont alors remis trois fusils, des grenades et des machettes.
Les machettes se trouvaient dans des grandes caisses que les Français
ouvraient eux-mêmes de leur voiture pour nous les distribuer.
Nous nous sommes dispersés dans différentes directions autour de la
maison et avons commencé à fouiller les broussailles. Nous y avons
débusqué deux Tutsi que nous avons tués, l’un à la machette, l’autre
41. E. Micheletti [11, pp. 6, 9, 13, 26, 34, 37, 42, 45, 56... ]. Par ailleurs, Canal Plus a projeté
en avril 2004, lors d’une interview de Patrick de Saint-Exupéry, des images de l’opération
Turquoise où des militaires français avaient le visage peint en noir.
42. Reportage de Jean Hélène depuis Bukavu, RFI, Afrique soir, 23 juin 1994. Cf. RFI,
Mission d’étude sur le Rwanda [5, Tome II, p. 291].
4 ROSIER COMMANDE LE GROUPEMENT COS DE TURQUOISE 12
a essayé de courir et l’un de nous, un militaire du nom de Masunzu,
a tiré sur lui. Nous utilisions les armes reçues des Français. Plus loin,
près de la prison, nous en avons débusqués cinq autres qui ont pu
échapper à nos tirs. Nous sommes repartis faire rapport de l’opération
et ils nous ont payé 700 FF. J’ai gardé deux cents et mes
compagnons se sont partagés le reste. Ils nous ont alors demandé de
rester à leur disposition pour les aider. C’est dans ce sens qu’après
concertation avec les Français, SIMBA nous a envoyés chercher du
renfort. J’ai pu amener trois autres jeunes qui ont reçu à leur tour
des armes et des grenades. 43
Le même témoin a été interrogé en 2004. Il détaille la première rencontre
avec les Français qui corrobore ce que dit plus haut Ahmed Bizimana :
J’ai eu mes premiers contacts avec les Français en juin, juillet
1994. La première fois que je les ai vus, il s’agissait de deux Français
à pied qui venaient de Bukavu au niveau du pont, et ont parlé au chef
de l’immigration. Deux autres Français sont descendus d’une colline
au Zaïre et ont rejoint les deux autres dans le bureau de l’immigration.
Le chef de l’immigration a téléphoné au commandant rwandais
de Cyangugu qui est arrivé. Il était 6 heures du soir. Dans leur entretien,
les Français ont dit au commandant qu’ils ne reviendraient pas
tout de suite. Mais à 20 heures, ils sont venus avec 4 Jeeps « Benz »
et 6 camions chargés d’armes (les camions n’étaient pas bien bâchés)
et de gros fusils. Nous étions nombreux et contents de recevoir des
Français qui allaient nous aider à combattre les Inyenzi qui allaient
nous exterminer. 44
Jean Bosco Habimana dit Masudi était membre des FAR. Il a reçu des
Français une formation commando à Bigogwe. Il a formé des Interahamwe avant
et pendant le génocide. Fin juin 1994, il était à Cyangugu et faisait partie des six
militaires apportés par le témoin précédent, Jean Ndihokubwayo, aux militaires
français à la frontière. Il a participé à la fouille des broussailles entourant la
maison de SIMBA dans laquelle le détachement français allait s’installer :
Les militaires français sont arrivés à Cyangugu, ont traversé la
Rusizi disant qu’ils venaient sauver les Hutu. Dès qu’ils sont arrivés,
ils ont dit au groupe d’Interahamwe, qui les a accueillis chaleureusement,
qu’ils craignaient que ce sont les Hutu qui étaient en train
d’être tués, que si il en était ainsi la situation aurait pu être compliquée.
Mais, puisque il s’agit seulement de Tutsi qui étaient tués, il
n’y a aucun problème car ils venaient protéger les Hutu et contrecarrer
l’avancée du FPR vers Cyangugu. Immédiatement, après avoir
traversé la frontière [arrivés dans la maison du colonel Simba], ils
nous ont distribué des grenades, des fusils et des machettes à double
43. Audition du 14/12/2006. Cf. Rapport Mucyo, [3, pp. 181–182].
44. Témoignage recueilli par Annie Faure et Raphaëlle Maison, 28 octobre 2004.
5 LA ZONE HUMANITAIRE N’EST SÛRE QUE POUR LES AUTEURS DU GÉNOCIDE13
tranchant. Nous étions un groupe d’Interahamwe et d’anciens militaires.
Etant moi-même un ancien militaire, j’ai reçu un fusil L4, 45
une grenade M28 et une machette. Ils nous ont ordonné d’aller aux
alentours traquer l’ennemi, c’est-à-dire le Tutsi, qui se serait caché
dans les buissons et de les tuer à la machette. Nous l’avons fait et,
effectivement, nous avons tué des Tutsi qui s’étaient cachés dans les
buissons. En plus, nous n’avions plus peur d’aller fouiller les maisons
des gens étant donné que nous étions armés, chose que nous ne pouvions
pas faire sans ces armes. [...] Elles ont été utilisées pour tuer
des Tutsi à la barrière de Gasandara et tout près de la rivière Rusizi
où les cadavres des personnes tuées étaient jetés dans la rivière.
J’ai moi-même tué deux personnes avec ces fusils au même endroit.
De même, un certain Marcel, avec la machette qu’il avait reçu des
Français, a tué un Tutsi qui s’était caché dans le buisson situé en
bas chez Vuningoma. [...] Les tueries se sont intensifiées et il y avait
beaucoup de cadavres dans la rivière de la Rusizi. Les Français nous
ont dit que nous étions bêtes de laisser ces cadavres flotter à la surface
de l’eau, que cela constituerait un grave problème si des photos
étaient prises, ensuite ils nous ont montré comment faire pour que
ces cadavres ne flottent plus. Ils sont montés dans des bateaux et se
sont dirigés vers les cadavres flottants qu’ils ont éventrés à l’aide de
baïonnettes. 46
Ce témoin a été entendu aussi par Georges Kapler en mars 2004. 47 Il n’aborde
pas cet épisode avec Kapler.
5 La zone humanitaire n’est sûre que pour les
auteurs du génocide
La Résolution 929 du Conseil de sécurité des Nations unies, rédigée par la
France, est très ambiguë puisqu’elle ne parle pas de génocide et spécifie que
l’opération Turquoise, qu’elle autorise, devra être « menée de façon impartiale
et neutre ». 48 Mais elle précise néammoins que c’est une opération « visant à
contribuer, de manière impartiale, à la sécurité et à la protection des personnes
déplacées, des réfugiés et des civils en danger au Rwanda ». L’opération agira
sous chapitre VII, donc aura le droit d’utiliser la force, contrairement à la MINUAR
dirigée par le général Dallaire. De plus, contrairement à ce dernier, le
commandement de l’opération Turquoise pourra décider de l’usage de la force
sans avoir à attendre l’accord de l’Onu à New York.
Lorsque le 6 juillet 1994 le Conseil de sécurité accuse réception de la lettre
de Jean-Bernard Mérimée l’informant de la création de la « Zone humanitaire
45. Les Rwandais confondant les lettres L et R, il faut lire ici fusil R4.
46. Audition du 14/12/2006. Cf. Rapport Mucyo, [3, p. 182].
47. L’horreur qui nous prend au visage [4, p. 163].
48. ONU, S/RES/929 (1994). http://www.francegenocidetutsi.org/94s929fr.pdf
5 LA ZONE HUMANITAIRE N’EST SÛRE QUE POUR LES AUTEURS DU GÉNOCIDE14
sûre», 49 la France devient la seule détentrice de l’autorité dans cette zone.
Comment les chefs des groupements Turquoise vont-ils exercer toutes leurs
prérogatives ? Leur action s’exerce dans le cadre de directives émanant de la
hiérarchie militaire aux ordres du gouvernement français, qui, pour ce que nous
connaissons de ces directives secrètes, lui ordonnent :
- de permettre aux autorités locales de rétablir leur autorité comme le spécifie
l’ordre d’opération Turquoise :
- AFFIRMER AUPRÈS DES AUTORITÉS LOCALES RWANDAISES,
CIVILES ET MILITAIRES NOTRE NEUTRALITÉ ET
NOTRE DÉTERMINATION À FAIRE CESSER LES MASSACRES
SUR L’ENSEMBLE DE LA ZONE CONTRÔLÉE PAR LES FORCES
ARMÉES RWANDAISES EN LES INCITANT À RÉTABLIR LEUR
AUTORITÉ. 50
Étant donné que les autorités locales en place fin juin ont toutes organisé le
génocide, les responsables réticents ou opposés ayant été éliminés, cet ordre enjoint
aux militaires français de collaborer avec les responsables des massacres. La
phrase « affirmer notre détermination à faire cesser les massacres sur l’ensemble
de la zone contrôlée par les Forces armées rwandaises » exprime bien qu’il s’agit
d’un vocabulaire à employer au niveau de la communication officielle. La règle
de comportement sera d’« affirmer notre neutralité » :
ALFA : RÈGLES DE COMPORTEMENT
ADOPTER UNE ATTITUDE DE STRICTE NEUTRALITÉ
VIS-À-VIS DES DIFFÉRENTES FACTIONS EN CONFLIT. INSISTER
SUR L’IDÉE QUE L’ARMÉE FRANÇAISE N’EST PAS
VENUE POUR COMBATTRE LE FPR NI SOUTENIR LES FAR
AFIN QUE LES ACTIONS ENTREPRISES NE SOIENT PAS INTERPRÉTÉES
COMME UNE AIDE AUX TROUPES GOUVERNEMENTALES.
51
Il en découle que les chefs militaires français n’auront pas à démettre ces
autorités de leur fonction, encore moins à les arrêter.
- de ne pas arrêter les présumés coupables d’assassinats ou de massacres, car
cela « ne relève pas du mandat qui nous a été donné ». 52
49. Ministère des Affaires étrangères, Direction des affaires africaines et malgaches, Paris,
7 juillet 1994, A/S : Rwanda. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Tome
II, Annexes, p. 447]. http://www.francegenocidetutsi.org/MinAffEtDAM7juillet1994.pdf#
page=2
50. Ordre d’opérations de Turquoise, 22 juin 1994, Enquête sur la tragédie rwandaise
1990-1994 [14, Tome II, Annexes, p. 387]. http://www.francegenocidetutsi.org/
OrdreOpTurquoise22juin1994.pdf#page=2
51. Ordre d’opérations de Turquoise, 22 juin 1994, Enquête sur la tragédie rwandaise
1990-1994 [14, Tome II, Annexes, p. 387]. http://www.francegenocidetutsi.org/
OrdreOpTurquoise22juin1994.pdf#page=2
52. Note du Quai d’Orsay en date du 7 juillet 1994, Enquête sur la tragédie rwandaise
1990-1994 [14, Tome II, Annexes, p. 447]. http://www.francegenocidetutsi.org/
MinAffEtDAM7juillet1994.pdf#page=2
5 LA ZONE HUMANITAIRE N’EST SÛRE QUE POUR LES AUTEURS DU GÉNOCIDE15
- de ne pas arrêter les membres du gouvernement intérimaire. 53
- de ne pas désarmer dans l’immédiat les FAR et les milices qui s’y trouvent. 54
Cet ordre est précisé explicitement par la note sur le concept de zone humanitaire
protégée du 4 juillet. 55
- d’interdire aux FPR, FAR et « aux milices de chaque partie » de pénétrer
dans la zone. 56 Mais comme les FAR et les milices sont déjà dans la zone, cet
ordre ne sera exécuté qu’à l’encontre du FPR.
Le stratagème de l’opération Turquoise consiste en une opération présentée
comme humanitaire, dans le cadre des Nations Unies, mais qui, en réalité, est
destinée à sauver les organisateurs du génocide et leur éviter la défaite. Il est
exprimé explicitement au paragraphe « IDÉE DE MANOEUVRE » de l’ordre
d’opération Turquoise :
TERTIO : IDÉE DE MANOEUVRE
AFIN DE MARQUER LE CARACTÈRE HUMANITAIRE DE
L’OPÉRATION, ASSURER D’EMBLÉE LA PROTECTION DE
LA ZONE DE RASSEMBLEMENT DES PERSONNES DÉPLACÉES
DE CYANGUGU TOUT EN INITIANT LE DÉPLOIEMENT
DE LA FORCE SUR LES PLATES-FORMES DE GOMA ET DE
KISANGANI.
ULTÉRIEUREMENT ÊTRE PRÊT À CONTRÔLER PROGRESSIVEMENT
L’ÉTENDUE DU PAYS HUTU EN DIRECTION DE
KIGALI ET AU SUD VERS NIANZI ET BUTARE ET INTERVENIR
SUR LES SITES DE REGROUPEMENT POUR PROTÉGER
LES POPULATIONS. 57
La manoeuvre consiste donc à camoufler derrière l’opération de protection
des Tutsi du camp de Nyarushishi à Cyangugu une deuxième opération, offensive
d’une part, puisqu’il s’agit de contrôler le pays jusqu’à Butare, Nianzi [Nyanza ?]
et Kigali, une épuration ethnique d’autre part, puisqu’il s’agit de contrôler le
« pays hutu », débarrassé donc de tout élément tutsi.
L’ensemble des ces directives offre un cadre qui va permettre aux organisateurs
et aux exécutants du massacre des Tutsi de poursuivre leur projet génocidaire
dans une zone présentée comme humanitaire sûre par les Français, sans
53. Rwanda-Paris pret à arreter les membres du gvt, Agence Reuter, Paris, 15 juillet 1994.
Note manuscrite d’Hubert Védrine : « Lecture du Président. Ce n’est pas ce qui a été dit
chez le Premier Ministre. H Védrine ». Le titre « Paris pret à arreter les membres du gvt »
est souligné de sa main et il a coché le paragraphe « S’ils viennent à nous et que nous
en sommes informés, nous les internerons. [...] ». http://www.francegenocidetutsi.org/
Reuter15juillet1994.pdf
54. Note du général Quesnot et de Bruno Delaye à l’attention de Monsieur le Président
de la République, 4 juillet 1994. Objet : Rwanda : Comité restreint du 4 juillet 1994. http:
//www.francegenocidetutsi.org/QuesnotDelaye4juillet1994.pdf
55. Note du ministère de la Défense et du ministère des Affaires étrangères, 4 juillet 1994.
Objet : Rwanda ; concept de zone humanitaire protégée, contenu, évolution. http://www.
francegenocidetutsi.org/MinDefMinAffEt4juillet1994.pdf#page=2
56. Note du ministère de la Défense et du ministère des Affaires étrangères, ibidem.
57. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994, [14, Rapport, p. 306 ; Annexes, p. 387].
Nianzi, en fait Nyanza, est l’ancienne résidence royale à 40 km au nord de Butare sur la route
de Kigali. http://www.francegenocidetutsi.org/OrdreOpTurquoise22juin1994.pdf#page=2
6 COLLABORATION AVEC LES ORGANISATEURS DU GÉNOCIDE 16
craindre d’être pourchassés ou arrêtés par le FPR, qui, lui, met réellement fin
au génocide.
6 Collaboration avec les organisateurs du génocide
Les rencontres du colonel Rosier avec les principales autorités locales ne sont
pas relatées dans la presse. Mais elle sont certaines, car cette prise de contact
avec ces autorités est une instruction figurant dans l’ordre d’opération Turquoise
et les déplacements de Rosier pour « installer » ses troupes sont néammoins
relatés.
6.1 Rosier rencontre les autorités génocidaires de Cyangugu
Le 23 juin, lors de l’arrivée officielle des troupes françaises à Cyangugu,
le colonel Rosier rencontre le préfet Emmanuel Bagambiki et le ministre des
Transports André Ntagerura. Les journalistes n’en font pas relation, mais le fait
est certain. 58
6.2 Rosier rencontre secrètement deux ministres
Il a une rencontre secrète le soir du 24 juin avec deux ministres du Gouvernement
intérimaire rwandais (GIR), Augustin Bizimana, ministre de la Défense
et Jérôme Bicamumpaka, ministre des Affaires étrangères. Cette rencontre démontre
que la prétendue neutralité de l’opération humanitaire Turquoise, cache
une autre opération, en connivence avec le GIR. Dans le compte rendu que Rosier
adresse à son supérieur, le général Le Page, commandant le COS, le ministre
de la Défense rwandais fait d’abord état de ses besoins en munitions :
FM. COL ROSIER TO GAL LE PAGE SAM 25-6/07-45.
À SA DEMANDE J’AI RENCONTRÉ HIER SOIR LE MINDEF
DANS UN ENDROIT DISCRET AU NORD DE CYANGUGU. IL
ÉTAIT ACCOMPAGNÉ DU MINAE. [...] J’AI EU DROIT D’ABORD
À UN EXPOSÉ DE LA SITUATION MILITAIRE. ELLE EST CATASTROPHIQUE
NON PAS EN TERME D’EFFECTIFS MAIS
DE MOYENS, NOTAMMENT DE MUNITIONS (ARTILLERIE).
LE DÉSÉQUILIBRE DES FORCES SE SITUE À CE NIVEAU,
CAR LE FPR EST TOUJOURS RAVITAILLÉ PAR L’OUGANDA,
PAR AILLEURS LE RWANDA NE DISPOSE PLUS DE RESSOURCES
FINANCIÈRES POUR SE FOURNIR, EN RAISON DE
L’EMBARGO. [...]
58. Vincent Hugeux évoque la présence d’un ministre du gouvernement provisoire. André
Ntagerura est originaire de la région et y vient souvent. Cf. Les oubliés de Bisesero, L’Express,
30 juin 1994, p. 42.
6 COLLABORATION AVEC LES ORGANISATEURS DU GÉNOCIDE 17
C’EST ALORS QUE, TOUT EN LOUANT L’ASPECT HUMANITAIRE
INDISPENSABLE DE NOTRE INTERVENTION,
ILS M’ONT DEMANDÉ UNE AIDE D’UNE AUTRE NATURE
(“DISCRÈTE” BIEN SÛR!) = DES MUNITIONS D’ARTILLERIE
- (“VOS CANONS DE 105 SONT TOUJOURS LÀ, MAIS
ILS SONT MUETS FAUTE D’OBUS”). LE BESOIN EXPRIMÉ
CONCERNE ÉVIDEMMENT LE SECTEUR KIGALI EN PREMIER
LIEU. JE LEUR AI RÉPONDU QU’IL ME PARAISSAIT
ILLUSOIRE D’ESPÉRER UNE TELLE AIDE DANS LE CONTEXTE
ACTUEL. ILS ONT EU L’AIR DÉPITÉ PAR MA RÉ-
PONSE ET M’ONT DIT QU’ILS COMPTAIENT AVOIR RECOURS
À DES MERCENAIRES (CAPITAINE BARRIL CONTACTÉ) PAR
AILLEURS, JE LEUR AI DIT QU’IL SERAIT CATASTROPHIQUE
POUR LEUR IMAGE QUE D’AUTRES MASSACRES AIENT LIEU.
[...] 59
Nous notons le refus du colonel Rosier de leur fournir des obus pour les
canons de 105 mm. Même si les militaires français l’avaient voulu, l’aéroport de
Kigali étant aux mains du FPR, il semble très problématique à ce moment-là
d’acheminer ce genre de munitions sur Kigali. Mais il n’y a pas de problème
pour en faire débarquer à Goma et les acheminer au camp de Mukamira vers
Ruhengeri. Le « vos canons » est un rappel que c’est à l’arrivée de Rosier en
1992, en tant que commandant de l’opération Noroît, que ces canons ont été
livrés aux FAR et que celles-ci ont été formées à leur usage directement sur la
ligne de front par le DAMI artillerie.
Le colonel Rosier aborde la question des massacres non pas en les condamnant
mais en disant à ses interlocuteurs « qu’il serait catastrophique pour leur
image que de nouveaux massacres aient lieu ». Nous reconnaissons-là des propos
voisins de ceux que le général Huchon tient au colonel Rwabalinda qui lui rend
visite à Paris en mai. 60 Les massacres ne sont pas condamnés d’un point de
vue moral mais d’un point de vue médiatique. Nous en déduisons que le colonel
Rosier n’exclut pas une aide militaire aux auteurs du génocide.
Les deux ministres font également une analyse de la situation politique où le
GIR jouit du soutien total de la population alors que le FPR ne dispose d’aucun
appui et n’existe que par ses succès militaires :
PUIS, L’ANALYSE EST DEVENUE PLUS POLITIQUE. LA
SOUFFRANCE ET LES CRAINTES SUSCITÉES PAR LES SUCCÈS
MILITAIRES DU FPR ONT PARADOXALEMENT ESTOMPÉ
59. Colonel Rosier au général Le Page, samedi 25 juin 1994, 7 h 45. Cf. Sylvie Coma,
Rwanda : Les bonnes affaires du capitaine Barril au temps du génocide, Charlie Hebdo,
9 septembre 2009. Texte publié également par Benoît Collombat de France Inter le 16
septembre 2009. Voir http://sites.radiofrance.fr/franceinter/ev/fiche.php?ev_id=955.
http://www.francegenocidetutsi.org/RosierLepage25juin1994.pdf .
60. Lettre du lieutenant-colonel Ephrem Rwabalinda au ministre de la Défense, au chef
d’état-major de l’armée rwandaise, Gitarama, le 16 mai 1994. Objet : Rapport de visite fait
auprès de la maison militaire de Coopération à Paris. http://www.francegenocidetutsi.org/
RwabalindaRapport.pdf
6 COLLABORATION AVEC LES ORGANISATEURS DU GÉNOCIDE 18
LES CLIVAGES POLITIQUES. L’ARMÉE ET LE PEUPLE, MALGRÉ
LEURS PAUVRES MOYENS, SONT DÉCIDÉS À SE BATTRE
JUSQU’AU BOUT. SI LA SITUATION MILITAIRE EST GRAVE
LA COHÉSION POLITIQUE EST UNE RÉALITÉ. ALORS QUE
DU CÔTÉ FPR IL N’Y A PLUS DE RÉALITÉ POLITIQUE MAIS
SEULEMENT UNE VOLONTÉ MILITAIRE (LES HOMMES DE
PAILLE SONT TOMBÉS, RESTE KAGAME ET L’OMBRE DE
MUSEVENI DERRIÈRE) DE SORTE QU’IL EST ILLUSOIRE
D’ESPÉRER RAMENER LE FPR À LA TABLE DES NÉGOCIATIONS,
CAR IL EST CONTRAINT À LA VICTOIRE MILITAIRE.
UN COUP D’ARRÊT À SA PROGRESSION ET UNE
RECULADE SYMBOLIQUE ANÉANTIRAIT SA STRATÉGIE. 61
Le message que les deux ministres font passer à Rosier semble clair : le FPR
ayant perdu toute base politique, du fait de l’extermination des Tutsi et des
« hommes de paille », il suffirait de donner un coup d’arrêt à son offensive pour
anéantir sa stratégie de prise du pouvoir.
Nous n’avons pas de preuves de l’authenticité de ce message mais le jugeons
plausible. En effet cette rencontre est décrite dans des termes tout à fait concordants
par Rosier lui-même dans le livre de Gabriel Périès et David Servenay,
quand ils l’interrogent sur la nature des « sonnettes » envoyées au Rwanda
pendant le génocide, troupes régulières ou mercenaires ? :
« [...] le 23 au soir, à Cyangugu, un émissaire vient me voir dans
la maison que j’occupe pour me proposer de voir deux personnalités
du gouvernement intérimaire. J’accepte, pour prendre la température.
Je rencontre ces deux ministres en catimini, le ministre des
Affaires étrangères et le ministre de la Défense. Tout de suite ils me
demandent des munitions. Je réponds : “Vous avez vu ce qui se passe,
on n’en est plus au stade des munitions et des canons.” Le ministre
des Affaires étrangères n’apprécie pas du tout. Il lance : “Si vous
ne le faites pas, on demandera au capitaine Barril.” Du tac au tac
je réponds : “Choisissez vos fournisseurs.” Jérôme Bicamumpaka a
vraiment fait la gueule, l’autre, Augustin Bizimana, avait l’air triste.
Ils n’ont pas lancé de menaces. Alors Barril, oui... compte tenu du
personnage, c’est possible. dans ces eaux-là, on ne peut être sûr de
rien. » 62
6.3 Rosier rencontre le préfet Kayishema
Le 26 juin, le colonel Jacques Rosier, commandant le COS, rencontre vraisemblablement
le préfet Kayishema, lorsqu’il vient à Kibuye pour l’installation
des commandos de l’air. 63 Rosier a certainement été informé, s’il ne l’était pas
61. Ibidem.
62. G. Périès, D. Servenay, Entretien avec J. Rosier, 27 février et 22 juillet 2006 [13, p. 324].
63. Le colonel Jacques Rosier vient à Kibuye, dimanche 26 juin 1994, installer le « lieutenantcolonel
Jean Diego » et ses trente-cinq hommes à Kibuye. Il est accueilli par un sous7
ROSIER NE DÉSARME PAS LES TUEURS 19
déjà, par Kayishema de l’existence de ce « sanctuaire FPR » dans les montagnes
près de Kibuye. Ont-ils conclu un accord qui laisserait quelques jours
aux « troupes » du préfet pour terminer le nettoyage des Tusti restants à Bisesero
? C’est ce que la suite des événements indique. Le lieutenant-colonel Duval
aurait assisté au moins à une partie de l’entretien.
6.4 Rosier rencontre les organisateurs du génocide à Gikongoro
Le colonel Rosier a certainement rencontrés à Gikongoro les organisateurs du
génocide, le préfet Laurent Bucyibaruta, le capitaine Faustin Sebuhura, le colonel
Aloys Simba, Félicien Semakwavu, bourgmestre de la commune Nyamagabe,
où se trouve la préfecture de Gikongoro.
6.5 Les subordonnés de Rosier collaborent avec les organisateurs
du génocide
Le lieutenant-colonel Duval a probablement rencontré Kayishema. On lit en
effet dans le compte rendu de son audition par les députés :
Du 24 au 27 juin, outre la protection de la trentaine de religieuses
de cette communauté, des contacts avaient été pris avec les autorités
locales et le commando avait entrepris la reconnaissance des secteurs
limitrophes de Kibuye. 64
Le capitaine de frégate Marin Gillier rencontre Gérard Terebura, sous-préfet
de Rwesero, et Mathias Mayira, bourgmestre de Kirambo, tous deux organisateurs
de massacres. 65
7 Rosier ne désarme pas les tueurs
Le 26 juin, le colonel Rosier, commandant le détachement du Commandement
des opérations spéciales (COS), explique à Cyangugu pourquoi les Français
ne désarment pas ceux qui accomplissent le génocide. Il veut rester neutre face
à cette guerre. Il déclare : « Les miliciens font la guerre. Par souci de neutralité,
nous n’avons pas à intervenir. Sinon, demain, s’il y a des infiltrations de
rebelles, on nous fera porter le chapeau. » 66
préfet. Cf. François Luizet, Cris et murmures à Kibuye, Le Figaro, 27 juin 1994. http:
//www.francegenocidetutsi.org/LuizetCrisMurmuresKibuye27juin1994.pdf Le journaliste
a été transporté en hélicoptère et est « cornaqué » par le capitaine Roussel.
64. Audition du lieutenant-colonel Jean-Rémy Duval, 17 juin 1998, Enquête sur la
tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Tome III, Auditions, Vol. 2, p. 119]. http://www.
francegenocidetutsi.org/AuditionDuval17juin1998.pdf
65. Reportage de Philippe Boisserie et Éric Maisy, Édition spéciale Rwanda, France 2, 25
juin 1994, 20 h.
66. Stephen Smith, Dialogue difficile avec les massacreurs, Libération, 27 juin 1994, p. 16.
7 ROSIER NE DÉSARME PAS LES TUEURS 20
Donc le colonel Rosier refuse de démanteler les barrières tenues par des
miliciens qui contrôlent les cartes d’identité et tuent tous ceux où c’est marqué
tutsi. Il laisse les FAR et les milices continuer l’élimination des Tutsi restants.
Les subordonnés de Rosier font de même, ils n’arrêtent pas les miliciens
qui tuent des Tutsi devant eux. Au camp de Nyarushishi, le 28 juin, le colonel
Didier Tauzin déclare devant Raymond Bonner du New York Times : « Nous
n’avons pas d’ordres pour désarmer les milices », alors qu’à quelques kilomètres,
des Tutsi ne peuvent rejoindre le camp à cause des miliciens qui les tuent s’ils
empruntent la route. 67 Il le redit dans son livre : « Nous ne sommes restés à
Nyarushishi qu’une semaine du 23 au 30 juin exactement. Cette semaine a été
très occupée. [...] nous avons établi de nombreux contacts, en particulier avec
les autorités locales et les unités des FAR stationnées dans le secteur, pour leur
faire bien comprendre que tous les civils tutsis étaient désormais sous notre protection
et que nous ne tolérions aucun dérapage, [...] Malgré tout, nous étions
si peu nombreux qu’il n’est pas impossible que des interahamwés aient réussi à
assassiner quelques réfugiés, en particulier lorsque ceux-ci sortaient glaner du
bois pour le feu. Il m’a souvent été demandé par la suite si j’aurais pu arrêter
des chefs locaux de milices interahamwé, sorte de “jeunesse de partis” créées
quelques années plus tôt par un tutsi et qui étaient accusées d’avoir été le principal
responsable des massacres des tutsis. Je continue de répondre que nous
n’en avions pas reçu la mission. » 68
Jean-Bosco Habimana, ancien soldat des FAR, déclare que les principaux
responsables des tueries ont accueilli les Français à leur arrivée à Cyangugu :
C’était vers la fin juin. Nous avons donc appris que les Français
arrivaient, les responsables nous l’ont dit en nous enjoignant de leur
préparer un accueil chaleureux. Nous sommes allés à Rusizi, c’est
tout près d’ici. Nous leur avons fait la fête comme il se doit ! Il y avait
tous les dirigeants, Imanishimwe et le préfet Bagambiki. Il y avait
aussi un commerçant très engagé parmi les Interahamwe du nom
de Bandetse Édouard. Ils nous donnaient des signes de satisfaction.
Nous disions merci aux Français, eux qui allaient venir nous sauver
du mal tutsi.
Les Français sont venus et ont discuté à la frontière avec Bagambiki
et Imanishimwe, le lieutenant qui commandait la région.
À la fin, les Français sont allés à Nyarushishi immédiatement, un
endroit où on avait rassemblé les Tutsi, qu’on avait sortis du stade
Kamarampaka. 69
67. We don’t have orders to disarm militias. Cf. Raymond Bonner, Fear Is Still Pervasive
In Rwanda Countryside, New York Times, June 29, 1994.
68. D. Tauzin [16, p. 131].
69. Georges Kapler, enregistrement vidéo à la prison de Cyangugu, CEC, 2004. Cf. L’horreur
qui nous prend au visage [4, p. 163].
8 ROSIER PARTAGE LA HANTISE DES « INFILTRÉS » 21
8 Rosier partage la hantise des « infiltrés »
Les massacres de Tutsi sont menés depuis le début du génocide parce que
ceux-ci répondent à la définition de l’ennemi, « le Tutsi de l’intérieur ou de
l’extérieur, extrémiste et nostalgique du pouvoir, qui N’a JAMAIS reconnu et
NE reconnaît PAS encore les réalités de la Révolution Sociale de 1959 et qui
veut reconquérir le pouvoir au RWANDA par tous les moyens, y compris les
armes. » 70 À l’arrivée des Français, la chasse aux « infiltrés » se poursuit. Le
colonel Rosier partage avec les autorités hutu la même hantise des « infiltrés ».
Le 25 juin, interrogé par Benoît Duquesne à l’aéroport de Bukavu, il estime que
l’infiltration d’éléments du FPR est probable :
Benoît Duquesne : On parle beaucoup d’infiltrations de l’autre
côté du Rwanda par des éléments du FPR. Est-ce que c’est une
chimère, est-ce une peur incontrôlée des Rwandais qui sont de ce
côté-ci, ou est-ce une réalité ?
Colonel Rosier : Eh bien écoutez, à partir des premiers renseignements
qu’on a recueillis sur le terrain, il semblerait que ce soit
une réalité, que je pense possible dans la mesure où, malgré tout,
les troupes du FPR continuent d’attaquer donc logiquement, sur le
plan militaire, il est normal qu’ils fassent des reconnaissances profondes.
Euh, maintenant c’est à nous peut-être de vérifier que cette
peur réelle est une réalité.
Benoît Duquesne : Quand les Rwandais parlent d’infiltrations ici,
en général ce sont des Hutu, ils le disent pour justifier la chasse qu’ils
ont menée éventuellement contre les Tutsi.
Colonel Rosier : Effectivement c’est le risque, c’est à nous de faire
la part des choses. 71
Comment le colonel Rosier entend-il « faire la part des choses » ?
8.1 Quoique démentie la rumeur d’infiltrations du FPR
est propagée par les militaires français
Cette rumeur d’infiltrations du FPR est démentie la veille, 24 juin, lorsque
la colonne Marin Gillier quitte Rwesero sur le chemin de Cyangugu à Kibuye.
Philippe Boisserie de France 2 observe que « le bataillon reprend sa route, soulagé
par un accueil qu’il croyait moins favorable, tranquillisé que la rumeur
d’infiltration de commandos tutsi s’avère fausse. » 72
70. République rwandaise, Ministère de la Défense nationale, Armée rwandaise, État-major,
G2, 21 septembre 1992, no 1437/G2.2.4. Objet : Diffusion d’information. Destinataires : Liste
A, Comdt Sect OPS (Tous), Info : EM Gd N. Signé Déogratias Nsabimana, colonel BEM,
Chef EM FAR, SECRET. TPIR, K1020494 à K1020507. http://www.francegenocidetutsi.
org/NsabimanaDefinitionEnnemi21septembre1992.pdf
71. Édition spéciale Rwanda, France 2, 25 juin 1994, 20 h. C’est nous qui mettons en gras.
72. Reportage de Philippe Boisserie et Éric Maisy, Édition spéciale Rwanda, France 2, 25
juin 1994, 20 h.
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 22
Mais filmant l’arrivée du CPA 10 en hélicoptère à Kibuye, la même équipe
de France 2 affirme que le FPR veut lancer une offensive sur Kibuye :
L’analyse des cartes confirme la proximité du front, environ 60
km. Kibuye est un des objectifs prioritaires du Front patriotique
rwandais. Il souhaite couper en deux la zone gouvernementale. 73
Ce reportage tient plus d’une mise en scène organisée par les militaires français.
9 Le colonel Jacques Rosier a délibérément sacrifié
les survivants de Bisesero en sachant
bien qu’ils étaient en train de se faire massacrer
de façon intensive entre le 27 et le 30
juin 1994
Nous avons fait état ci-dessus de rencontres entre le colonel Rosier et différents
responsables rwandais sans pouvoir donner le contenu de leurs entretiens,
sauf pour cette rencontre de Rosier avec deux ministres dont nous avons un
compte-rendu. En particulier nous ne savons rien de l’entretien entre Rosier et
le préfet de Kibuye, Clément Kayishema. Mais les faits suivants font supposer
qu’ils ont convenu d’un accord par lequel les Français laissaient quelques jours
à Kayishema pour terminer l’éradication des Tutsi à Bisesero. La promesse de
Duval aux Tutsi de Bisesero le 27 juin, « dans deux ou trois jours, nous serons
là », pourrait le laisser penser.
La diffusion de la fausse nouvelle de l’arrivée d’éléments du FPR près de
Gishyita pourrait être interprétée comme la volonté de cacher l’existence de
survivants des massacres à Bisesero, qui ont été découverts par des journalistes.
Mais elle fait suite à la fausse information donnée depuis le 22 juin sur l’offensive
du FPR vers Kibuye. Cette information vient de l’état-major à Paris. Elle est la
copie exacte de ce qu’écrit le préfet Kayishema au gouvernemnt intérimaire. Le
29 juin encore, l’amiral Lanxade, chef d’état-major, parlera de « maquis tutsi »,
désignant certainement là les derniers survivants tutsi de Bisesero. Il y a donc
un plan concerté et pré-établi.
Les adjoints de Rosier, Duval à Kibuye et Gillier à Gishyita, voient militaires
et miliciens partir à la chasse aux Tutsi tous les jours. Ils savent qu’il s’agit de
massacres. Pourtant Gillier continue de collaborer avec le bourgmestre Charles
Sikubwabo. Les miliciens de John Yusuf Munyakazi sont partis de Cyangugu
vers Bisesero au vu et au su des Français. De plus, il y a un faisceau convergent
d’indices qui montrent qu’ils les y ont invités, afin de les détourner des Tutsi du
camp de Nyarushishi que les chefs miliciens s’étaient promis d’exterminer avant
l’arrivée des Français ou le jour même.
73. Reportage de Philippe Boisserie et Éric Maisy, Édition spéciale Rwanda, France 2, 26
juin 1994, 20 h. Philippe Boisserie nous précise que le reportage a été réalisé ce 26 juin.
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 23
Il y a donc pour le moins complicité de génocide de la part des Français et
probablement entente en vue de le commettre.
Pourquoi les responsables français se sont-ils tant fourvoyés ? Tactiquement,
ils n’ont probablement pas voulu braquer contre eux leurs alliés, dont ils espéraient
encore un sursaut militaire. Mais pourquoi encourager ceux-ci à éliminer
des malheureux sans défense plutôt que d’aller combattre les troupes du FPR?
La seule réponse qui tienne est que les responsables français se sont tellement
pénétrés de l’idéologie génocidaire que, pour eux, l’ennemi est le Tutsi, quel qu’il
soit, où qu’il soit. Déjà en octobre 1990, l’amiral Lanxade faisait cette identification
en parlent de « forces tutsies » pour désigner le FPR. 74 Ils partagent donc
avec les auteurs du génocide la hantise des « infiltrés ». Comme les cafards,
les Inyenzi s’infiltrent partout. Hormis les Tutsi qui ont réussi à rejoindre le
camp de Nyarushishi, tout Tutsi « peut s’avérer un combattant du FPR en puissance
», écrit le chroniqueur militaire du Monde. 75 Pour préserver ce qui reste
du « pays hutu » les responsables français font donc éliminer ces « infiltrés »
par la « défense civile ».
Si le 30 juin dans l’après-midi le colonel Rosier se décide à lancer l’opération
de secours des Tutsi encore en vie, c’est parce qu’il y est contraint par des
journalistes. Sam Kiley du Times a découvert les Tutsi traqués à Bisesero le 25
juin et en a averti les militaires français. Le 30 il va à nouveau à leur rencontre,
accompagné de Michel Peyrard de Paris Match. Ils préviennent un groupe de
reconnaissance qui, désobéissant à Marin Gillier, se rend auprès des Tutsi. Le
matin même, une équipe de France 2 avait interrogé les Tutsi. La veille, l’article
de Patrick de Saint-Exupéry sur la découverte de survivants tutsi par des
militaires français était paru dans Le Figaro. 76 La veille, Raymond Bonner du
New York Times a supplié le ministre de la Défense, François Léotard, en visite
à Gishyita, d’envoyer ses hommes à 5 kilomètres de là sauver les derniers Tutsi.
L’ordre donné à Marin Gillier des commandos de marine stationné à Gishyita
ne fut pas d’aller les secourir mais d’aller au-delà, beaucoup plus à l’Est vers
la ligne de front avec le FPR, rendre visite au prêtre français Jean-Baptiste
Mendiondo, qui, s’étant débarrassé de tous ses paroissiens tutsi, ou presque, ne
courrait aucun risque.
Du 24 au 30 juin, les objectifs des Français et des auteurs du génocide dans
la région de Kibuye ont été identiques.
9.1 La prétendue offensive du FPR sur Kibuye
Fin juin, au début de Turquoise, une opération de désinformation est lancée
par Paris pour faire croire à une offensive du FPR sur Kibuye, visant à couper en
74. L’amiral [Lanxade], chef de l’état-major particulier, Note à l’attention de Monsieur le
Président de la République (sous couvert de Monsieur le Secrétaire général), 11 octobre 1990,
Objet : Rwanda - Situation. http://www.francegenocidetutsi.org/Lanxade19901011.pdf
75. Jacques Isnard, M. Léotard va inspecter un dispositif encore léger et fragile, Le Monde,
29 juin 1994, p. 3.
76. Patrick de Saint-Exupéry, Rwanda : Les assassins racontent leurs massacres, Le
Figaro, mercredi 29 juin 1994, p. 3. Nyagurati : de notre envoyé spécial. http://www.
francegenocidetutsi.org/LesAssassinsRacontentLeursMassacres.pdf
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 24
deux la zone gouvernementale. Cette information est fausse car le FPR concentre
alors ses efforts sur Kigali et Butare. Dans cette campagne la France ne fait que
reprendre celle du gouvernement génocidaire qui prétend que les survivants tutsi
à Bisesero sur la crête Zaïre-Nil, qu’il n’a pas réussi à exterminer totalement, sont
des combattants du FPR. Il était vital pour les assassins de faire disparaître les
derniers témoins de leur crime. Malheureusement pour eux, le « nettoyage » n’est
pas terminé le 23 juin. D’où la nécessité de cette campagne de désinformation.
Celle-ci montre qu’il y a une entente entre Paris et le gouvernement rwandais
dont seront victimes les derniers survivants tutsi à Bisesero.
9.1.1 Kayishema : « Bisesero, sanctuaire du FPR »
Les attaques redoublent en juin pour faire disparaître les derniers témoins
des massacres. Dans une lettre du 2 juin 1994 au ministre de l’Intérieur du
GIR, le préfet de Kibuye, Clément Kayishema, prévoyant une attaque du FPR
sur Kibuye, demande des renforts et souligne le caractère stratégique du mont
Karongi :
[...] Les rumeurs me parviennent qu’il y aura une attaque du
FPR sur KIBUYE par une jonction de Nyanza (Nyabisindu) -
Karongi - Ile Idjwi. Actuellement il y a une infiltration FPR parmi
la population en déplacement.
Honneur vous demander un renfort militaire pour aider
la population à surveiller les hautes altitudes de Karongi
et les plantations théicoles de Gisovu. 77 Les fusils et les munitions
pour la protection civile sont urgents pour Kibuye. Rappel que
Karongi possède Station FM et Poste de Transformation Electrogaz
et Usine à Thé Gisovu et aussi coin stratégique militaire.
Sommes entrait [sic] d’organiser des camps de déplacés hors la
ville de Kibuye et des grands centres. 78
Dans une lettre du 12 juin au ministère de la Défense, il demande des armes
pour que la population fasse le ratissage à Bisesero « dans le cadre de la défense
civile » :
Subsidairement à mon télégramme du 9/6/94 adressé au ministre
Mininter et dont copie vous a été réservée,
Pour la sécurité du secteur Bisesero Commune Gishyita, la population
de la région est déterminée à faire le ratissage dans le cadre
de la défense civile.
J’ai l’honneur de vous demander de donner un ordre formel au
Commandant Groupement Kibuye pour assurer l’encadrement de
cette action.
77. Le mont Karongi et le village de Gisovu sont à quelques kilomètres de Bisesero.
78. Dr Kayishema Clément, Préfet de Kibuye au Ministre MININTER Kigali, 2 juin 1994,
No 003/04.09.01, TPIR K0040772 ; Aucun témoin ne doit survivre [6, p. 255]. http://www.
francerwandagenocide.org/documents/SecurityReportKibuyeJune1994.pdf.
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 25
La durée de l’opération est de quatre jours du 15/06/94 au
18/06/94. Pour mener cette opération, il nous faut des munitions :
- grenades à fusils au moins 30
- grandes [grenades] à main au moins 50
- cartouches pour R4
- 4 cassettes pour machine gun.
Très haute considération
Préfet de Préfecture Kibuye
Dr KAYISHEMA Clément 79
La lettre du 18 juin d’Édouard Karemera, ministre de l’Intérieur, demande
au colonel Nsengiyumva, commandant militaire à Gisenyi, un soutien militaire
pour appuyer le ratissage de Bisesero : 80
MINISTERE DE L’INTERIEUR ET Gisenyi, le 18 juin 1994
DU DEVELOPPEMENT COMMUNAL
KIGALI
Monsieur le lieutenant-colonel
Anatole Nsengiyumva
Commandant du secteur
Opérationnel de Gisenyi
GISENYI
Objet: Opération de ratissage à Kibuye
Monsieur le Commandant de secteur,
J’ai l’honneur de vous informer que lors
du conseil des ministres de ce vendredi 17 juin 1994, le Gouvernement
a décidé de demander au Commandement du Secteur opérationnel de
Gisenyi d’appuyer le Groupement de la Gendarmerie à Kibuye pour
mener, avec l’appui de la population, l’opération de ratissage dans
le secteur Bisesero de la commune de Gishyita, qui est devenu un
sanctuaire du FPR.
79. Clément Kayishema, Télégramme au ministre de la Défense, 12 juin 1994. Trouvé à la
préfecture de Kibuye par Alain Ribaux, enquêteur du TPIR, présenté comme pièce à conviction
no 296 dans l’affaire Clément Kayishema - Obed Ruzindana à la séance du 16 février 1998.
http://www.francegenocidetutsi.org/KayishemaToMinisterOfDefence12June1994.pdf Cf.
Ubutabera no 31, 2 mars 1998 ; Jugement de Kayishema au TPIR, V. Conclusions factuelles,
section 428.
80. http://www.francerwandagenocide.org/documents/KaremeraNsengiyumva18juin1994FIDH.
pdf.
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 26
Le gouvernement demande que cette opération soit définitivement
terminée au plus tard le 20 juin 1994.
En l’absence du Ministre de la Défense qui est en mission à
l’étranger, le Ministre de l’Intérieur et du Développement Communal a
été mandaté pour vous communiquer cette décision et en assurer le
suivi.
Le Préfet de la Préfecture de Kibuye ainsi que le commandant de
groupement Kibuye à qui je réserve la copie de la présente, sont priés
de prendre les dispositions qui s’imposent pour faciliter la
réalisation de cette opération dans les délais vous impartis.
Le Ministre de l’Intérieur et
du Développement Communal
Édouard Karamera
Copie pour information
- S.E. Monsieur le Premier Ministre
Kigali
- Monsieur le Ministre de la Défense
Kigali
- Monsieur le Préfet de la
Préfecture de Kibuye
Kibuye
- Monsieur le Commandant de Groupement
Kibuye
9.1.2 Léotard 22 juin : « le FPR fait effort sur Kibuye »
L’annonce d’une offensive du FPR sur Kibuye est reprise le 22 juin par
François Léotard, ministre français de la Défense. Il déclare en Conseil restreint :
« Sur le terrain, le FPR tente de s’emparer complètement de Kigali et fait effort
sur Butare et Kibuye. Nous nous limiterons pour l’instant au premier site près
de la frontière et ensuite nous pourrons envisager des opérations de va-et-vient
pour sauver des populations, des enfants menacés. » 81
9.1.3 Ordre d’opération Turquoise : « LE FPR SEMBLE MAINTENANT
FAIRE EFFORT SUR LES DIRECTIONS KIGALIKIBUYE
»
La même information est donnée aux militaires français dans l’ordre d’opération
Turquoise du 22 juin :
81. Conseil restreint du 22 juin 1994, Secrétariat : Colonel Bentegeat. http://www.
francerwandagenocide.org/documents/ConseilRestreint22juin1994.pdf
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 27
LE FPR SEMBLE MAINTENANT FAIRE EFFORT SUR LES
DIRECTIONS KIGALI-KIBUYE, ET KIGALI-BUTARE, EN VUE
DE COUPER EN DEUX LA PARTIE OUEST DU PAYS ENCORE
SOUS CONTRÔLE GOUVERNEMENTAL, ET D’AUTRE PART,
DE CONTRÔLER L’AXE PRINCIPAL, RELIANT LA CAPITALE
RWANDAISE AU BURUNDI. 82
L’affirmation que le FPR « fait effort sur Kibuye » est fausse. À l’époque, le
FPR mettait la pression sur Kigali et Butare afin de contrôler ces deux villes et
d’en interdire l’accès à l’armée française. L’axe principal menant de Kigali au
Burundi est déjà coupé depuis le 15 mai et l’APR contrôle Gitarama depuis le
3 juin.
L’ordre d’opération no 1 du 25 juin 1994 du général Lafourcade évoque aussi
la poussée du FPR vers Kibuye : « Le FPR dispose d’une force d’environ 25 000
hommes [...] il poursuit son offensive en direction de Butéré [Butare] et pourrait
mener une action sur Kibuyé. » 83 Nous notons le conditionnel de « pourrait ».
Dans une autre version de l’ordre d’opération no 1 du 25 juin 1994 publiée par
Lugan, Lafourcade dit :
La légitimité de notre action [...] suppose de respecter une stricte
neutralité vis-à-vis des parties prenantes au conflit et d’éviter tout
contact armé avec le FPR [...]. Le FPR pourrait tenter de prendre
contact avec nos unités pour rechercher l’affrontement : soit en accentuant
sa poussée vers Kibuye, soit en s’emparant de Butare puis
en progressant vers l’Ouest (Gikongoro). 84
9.1.4 Quesnot 27 juin « La prise de Kibuye par le FPR permettrait
de couper en deux l’Ouest du Rwanda »
Le 27 juin, le général Quesnot écrit à François Mitterrand que « la situation
est très tendue à Kibuye où nos patrouilles ont été renforcées. » 85 Il laisse donc
entendre au président que les soldats du FPR se rapprochent de Kibuye. Sans
doute transmet-il là l’information sur les « combats » dans les hauteurs de Bisesero
que Marin Gillier observe depuis Gishyita, ainsi que le montre le reportage
télévisé d’Isabelle Staes. 86 Ces « combats » sont en réalité des massacres des
derniers Tutsi de la région.
Quesnot préconise à Mitterrand l’occupation permanente du col de N’Gdaba
pour empêcher le FPR d’aller jusque Kibuye. Mais le Premier ministre Balladur
y serait opposé :
82. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Rapport, p. 306 ; Annexes, p. 386].
http://www.francerwandagenocide.org/documents/OrdreOpTurquoise22juin1994.pdf
83. J.-C. Lafourcade [8, Annexe, section 1.2.1].
84. B. Lugan, [9, p. 268].
85. Général Quesnot, Note à l’attention de Monsieur le Président de la République, 27
juin 1994. Objet : Votre entretien avec M. Léotard le 27 juin à 17 heures. Situation. http:
//www.francerwandagenocide.org/documents/Quesnot27juin1994.pdf.
86. Voir section 9.7 page 39.
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 28
La situation est très tendue à Kibuye où nos patrouilles
ont été renforcées. [...]
Pour la suite de notre action, le Premier ministre qui craint toujours
l’enlisement et le contact de nos troupes avec le FPR a donné
comme consigne à l’amiral Lanxade d’interdire toute implantation
de plus de 24 h de nos unités sur le territoire rwandais et de limiter
les patrouilles à la région frontalière. Il s’est notamment opposé
au maintien d’un élément de surveillance et de dissuasion
au Col de N’Gada qui contrôle l’accès de Kibuye en venant
de Gitarama et dont la saisie permettrait de couper en deux
l’ouest du Rwanda.
Commentaire :
Le succès de notre intervention serait remis en cause si des massacres
reprenaient dans des secteurs où notre présence est très fugitive
et surtout en cas de rupture du front qui provoquerait le déferlement
de millions de réfugiés que nous ne pourrions maîtriser.
La seule réponse technique consisterait à contrôler quelques points
clés (et notamment le col de N’Gada) en poursuivant le recensement
et en assurant la protection des camps de réfugiés les plus menacés
en particulier dans la région sud (Gikongoro, Butare) afin de geler
les mouvements de population en attendant l’aide logistique promise
et l’arrivée de la MINUAR.
Ceci nécessite davantage qu’un va-et-vient de quelques hommes
et de quelques femmes à partir de la frontière zaïroise... 87
9.1.5 Quesnot, 28 juin « Le FPR veut couper en deux la zone gouvernementale
»
Le 28 juin, le général Quesnot et Bruno Delaye évoquent dans une note à
François Mitterrand, des infiltrations du FPR qui viseraient à couper en deux
la zone gouvernementale :
Les combats restent soutenus sur l’ensemble de la ligne de front
et le FPR semble vouloir progresser par infiltrations dans
la direction de Kibuye à partir de Gitarama. S’il poursuivait son
effort sur cet axe, il serait en mesure rapidement de couper en deux
par le milieu la zone encore tenue par les forces gouvernementales. 88
Puisque le commandement français dit craindre cette poussée du FPR vers
Kibuye, dont il propage la nouvelle, va-t-il renoncer à la neutralité qu’il affiche et
soutenir ouvertement les FAR? Le général Quesnot propose dans la même note
au président « un engagement supplémentaire de nos forces [...] pour contrôler
87. Ibidem.
88. Note du 28 juin 1994 du général Quesnot et de Bruno Delaye à l’attention de Monsieur
le Président de la République. Objet : Votre entretien avec le Premier ministre et
Conseil restreint du mercredi 29 juin. http://www.francerwandagenocide.org/documents/
QuesnotDelaye28juin1994.pdf
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 29
les points clés » et « dissuader ainsi le FPR d’une attaque massive au-delà de
Kigali ».
La consigne donnée aux militaires français dans la région de Kibuye aurait
été de repérer les éléments avancés du FPR et de laisser l’armée rwandaise et
les milices les attaquer, voire peut-être de les y aider en sous-main et de leur
donner des armes ou d’en faciliter l’acheminement. Mais depuis le 27 aprèsmidi
ils ont la preuve que les « infiltrés » à Bisesero sont des survivants tutsi
qui ont réussi à résister pendant presque 3 mois à ceux qui les massacrent. 89
Comme des éléments de reconnaissance COS ont été envoyés avant l’opération
Turquoise, ils savent depuis longtemps qu’il n’y a pas d’éléments FPR dans les
montagnes de Bisesero. Le 27 au soir, le commandement militaire français fait
le choix délibéré du génocide. Certes, ce choix est bien antérieur, mais d’autres
personnes commencent à en être témoins notamment des journalistes.
9.2 Des journalistes signalent aux Français des Tutsi en
danger à Bisesero
Le 23 juin, début de Turquoise, le ratissage organisé par Clément Kayishema,
le préfet de Kibuye, pour éliminer les derniers Tutsi, n’est pas terminé.
Alison Des Forges rapporte que Sam Kiley, journaliste au Times de Londres,
a repéré les survivants tutsi et les a signalés au capitaine de frégate Marin Gillier
le 26 juin :
Le 26 juin, Sam Kiley informa les soldats français que les Tutsi
étaient attaqués chaque nuit à Bisesero [...] Il leur montra exactement
sur une carte où les Tutsi étaient localisés, à quelques kilomètres de
distance seulement d’un camp français. L’officier commandant, le
capitaine Marin Gillier envoya le jour suivant, une petite patrouille
dans cette direction. D’après les survivants Tutsi, ils parlèrent avec
ces soldats qui promirent de revenir dans trois jours. 90
Marin Gillier, qui commande le commando de marine Trepel, est sous les
ordres du colonel Rosier. Le 24 juin, il est allé de Cyangugu à Kibuye, qu’il n’a
pas atteint. Le 25, il retourne à Cyangugu. Il remonte à Gishyita le 26. 91 La
« petite patrouille » qui va le lendemain à Bisesero est celle du lieutenant-colonel
Duval des commandos de l’air, également sous les ordres du colonel Rosier. 92
Sam Kiley voyageait en compagnie du journaliste photographe Scott Peterson
et de Vincent Hugeux de L’Express. Kiley écrit dans The Times du 27 juin
que les massacres de Tutsi continuent sans relâche et que les maisons continuent
89. Voir section 9.3 page 32.
90. Aucun témoin ne doit survivre [6, p. 788].
91. Marin Gillier, capitaine de frégate, attaché naval à l’ambassade de France en Égypte,
Turquoise : intervention à Bisesero, Le Caire, 30 juin 1998, Enquête sur la tragédie rwandaise
[14, Tome II, Annexes, p. 402]. http://www.francegenocidetutsi.org/Gillier30juin1998.
pdf
92. Voir section 9.3 page 32.
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 30
à brûler dans la commune de Bisesero. 93
Dans L’Express du 30 juin 1994, Vincent Hugeux décrit sa rencontre avec
une bande de tueurs sur le chemin qui monte à Bisesero.
Le sentier forestier, chaos de rocaille grise et de poussière ocre,
grimpe à l’assaut de la colline, vers Bisesero. De la piste qui, le long
du lac Kivu, file plein sud vers Cyangugu, on en devine à peine les
lacets. « Mais il faut y aller, avait glissé dans un souffle un prélat téméraire.
Là-bas, ça continue. Tous les jours. » Lui savait. Lui avait
entendu, à un barrage, une bande d’« Interahamwe » – miliciens
hutu – se vanter de « retourner au boulot ». Le boulot ? Une version
rwandaise de la « corvée de bois ». La traque frénétique des rescapés
tutsi, perdus au coeur d’un « Hutuland » ivre de pureté ethnique.
Dès le premier virage, l’atmosphère s’alourdit. Nulle âme qui vive.
Ici, une case ronde aux murs à demi calcinés, privée de sa toiture.
Une parmi tant d’autres. Plus haut, on peine à dénombrer les maisonnettes
isolées, ainsi décapitées ou léchées par les flammes. Çà et
là, des panaches de fumée suspects tranchent sur le vert moiré des
vallons. Le décor est sinistre, les acteurs inquiétants. D’abord cette
cohorte au repos, militaires et miliciens mêlés. Les uns en treillis, le
fusil d’assaut à la hanche ; les autres armés de machettes, de lances,
de serpes, de piques et de gourdins noueux. L’arsenal des massacreurs.
Puis une colonne de paysans. Un « outil » à la main et, sur
la tête, un butin de tuiles rondes ou de tôles ondulées. N’était leurs
gestes de victoire, n’était le grotesque salut militaire dont ils gratifient
l’étranger, ces terriens ravis de l’aubaine feraient figures de
paisibles bâtisseurs.
Savent-ils au moins que, la veille, une patrouille de « marsouins »
français, en route pour Kibuye, a longé leur royaume ? Là-bas, dans
ce bastion d’un pouvoir hutu aux abois, les bérets verts ont séjourné
six heures. Avant de regagner leur base de Bukavu, en territoire
zaïrois. 94
Le détail « les bérets verts » fait penser que ces marsouins sont ceux du
commando Trepel de fusiliers marins commandés par Marin Gillier, qui sont
passés à Kirambo le 24 juin mais ne seraient pas parvenus jusque Kibuye. Ils
ont donc ont pu parvenir jusqu’à Gishyita, au pied de Bisesero. Cette rencontre
de Hugeux avec les tueurs à Bisesero serait du 25 juin.
Effectivement, en 1998, Vincent Hugeux écrit que le 25 juin, au retour de
Bisesero, il avait rencontré des militaires français accompagnés de journalistes
et les avait informés :
Le 25 juin, deux jours après le déclenchement de l’opération
« Turquoise », l’envoyé spécial de L’Express se rend en compagnie
93. Sam Kiley, UN dithers on Rwanda rescue as Tutsi hail French troops, The Times, 27
juin 1994, p. 11. http://www.francegenocidetutsi.org/KileyTimes27June1994.pdf
94. Vincent Hugeux, Les oubliés de Bisesero, L’Express, 30 juin 1994, p. 42.
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 31
d’un photographe américain et d’un confrère du Times de Londres
dans les collines de Bisesero, où les tueurs hutu traquent les paysans
tutsi. Sur le chemin du retour, le trio croise un groupe de journalistes
emmenés par des officiers français, aussitôt avisés. 95
Cette rencontre avec les militaires français, est-elle du 25 ou du 26 juin ? En
2004 Vincent Hugeux revient avec plus de précisions sur ces évènements :
Le 25 juin 1994, je parcourais en compagnie de deux confrères –
un Anglais et un Américain – les pistes de Bisesero, chaos de rocaille
grise et de poussière ocre. « Il faut y aller, nous avait glissé peu
avant un prêtre croate, établi au Rwanda depuis des lustres. Là-bas,
ça continue. Tous les jours. » Lui avait entendu sur un barrage un
gang d’Interahamwe se vanter de « retourner au travail ». Le travail ?
Une version hutu de la « corvée de bois ». Le lendemain [26 juin],
nous croisons une colonne de militaires français accompagnés d’une
équipée de reporters. Aussitôt, l’envoyé spécial du Times, Sam Kiley,
et moi-même informons, carte à l’appui, le capitaine de frégate Marin
Gillier, chef du détachement, du carnage en cours sur les hauteurs
voisines. Or trois jours s’écouleront entre la première incursion des
commandos de l’air de Nîmes, relatée par Patrick de Saint-Exupéry
dans un reportage saisissant, et le sauvetage des ultimes survivants.
Une source haut placée du ministère de la Défense me confiera plus
tard que la présence de Sam Kiley, soupçonné de collaborer avec les
services de renseignement de Sa Majesté, avait éveillé au sein de la
hiérarchie tricolore la crainte d’un « coup tordu ». 96
À croire cet article, ce serait le 26 juin, quand Gillier retourne à Gishyita,
que les trois journalistes l’informent des massacres en cours à Bisesero. Mais
Vincent Hugeux, après vérification de son carnet de bord, nous fait dire que
c’est le 25 juin qu’il a averti Marin Gillier. Sam Kiley informe aussi le capitaine
Éric Bucquet du RICM qui commande un convoi allant de Goma à Kibuye le 26
juin. Le journaliste Patrick de Saint-Exupéry, qui accompagne ce convoi, relate :
Rencontré au détour d’un virage, un journaliste anglais du Times
explique : « Ils continuent de brûler des maisons et tuer des gens.
J’étais hier à Bigabiro [Bisesero], et j’ai vu brûler deux cents maisons.
Il y avait également des pillages et des exactions. Chaque soir
des gens étaient exécutés. » Le capitaine Becquet [Bucquet] prend
note, il ne peut rien faire tout de suite : « Je rendrai compte ce soir
au commandement à mon retour de mission. » 97
95. Vincent Hugeux, Rwanda : Pourquoi tant de gêne ?, L’Express, 12 février 1998, p. 76.
http://www.francegenocidetutsi.org/HugeuxExpress12fevrier1998.pdf
96. Vincent Hugeux, Dix ans après le génocide, Retour à Bisesero, L’Express, 13 avril 2004.
97. Patrick de Saint-Exupéry, Un accueil sous les vivas, Le Figaro, 27 juin 1994, p. 2. Patrick
de Saint-Exupéry nous précisera que le journaliste du Times est bien Sam Kiley et Bigabiro
est Bisesero mal orthographié.
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 32
Dominique Garraud, journaliste à Libération, qui suit le même convoi, écrit
en confondant Cyangugu et Kibuye : « Au sud, à 20 kilomètres à l’est de Cyangugu,
dans la région où se trouverait un camp de réfugiés hutus comptant plus
de 100 000 personnes, le village de Bigabiro aurait été incendié et ses habitants
massacrés. » 98
Donc le 26 juin, il y a eu 2 rencontres. D’une part, Sam Kiley et Vincent
Hugeux rencontrent Marin Gillier et l’informent de ce qu’ils ont vu la veille
à Bisesero. D’autre part, Kiley rencontre aussi le convoi du capitaine Bucquet
du RICM où se trouvent Saint-Exupéry et deux autres journalistes, Dominique
Garraud et Christophe Boisbouvier. Nous n’avons aucun doute sur l’efficacité
du matériel de transmission de l’armée française. Nous sommes certains que
Gillier a informé son supérieur qui est le colonel Rosier. Le RICM, autant que
nous sachions, ne fait pas partie du COS, donc ne dépend pas de Rosier. Il rend
compte au général Lafourcade, qui est en place à Goma depuis le 25 juin. Et
Lafourcade coiffe Rosier. Il n’est pas impossible que les unités du COS, dotées
« d’INMARSAT avec chiffre » 99 communique directement avec l’état-major à
Paris.
Quoi qu’il en soit, l’armée française est informée par deux voies distinctes,
le capitaine Bucquet du RICM et le capitaine de frégate Marin Gillier du COS.
Donc, s’ils ne le savaient pas déjà avant, les militaires français sont informés
qu’il y a des survivants tutsi à Bisesero et que les massacres s’y poursuivent. En
outre, ces informations sur l’existence de survivants tutsi en danger à Bisesero
peuvent être lues dans la presse à Paris par The Times du 26 et Le Figaro du
27 juin.
9.3 Le 27 juin, les commandos de l’air de Duval rencontrent
des survivants et ne leur portent pas secours
Le 27 juin après-midi, un groupe de reconnaissance des commandos de l’air,
dirigé par le lieutenant-colonel Jean-Rémy Duval, rencontre des survivants tutsi
traqués par les militaires, gendarmes, milices et paysans hutu de l’autodéfense
populaire sur les hauteurs de Bisesero près de Gishyita. Ils les abandonnent en
leur disant qu’ils reviendront dans trois jours, alors que les tueurs observent les
Tutsi rassemblés à l’appel des militaires français et qu’ils se sont fait guider par
un instituteur de Mubuga, Jean-Baptiste Twagiyarezu, en qui un jeune tutsi
survivant reconnaît « le chef des miliciens ». Les militaires français sont accompagnés
par trois journalistes. Patrick de Saint-Exupéry relatera cette rencontre
dans Le Figaro du 29 juin, 100 Dominique Garraud de Libération écrira un article
98. Dominique Garraud, Rwanda : L’armée française avance à pas comptés, Libération, 27
juin 1994, p. 16.
99. Rapport du colonel Rosier, chef du détachement COS, NMR 001/TURQUOISE/DET
COS, Goma le 27/07/1994, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Tome II, Annexes,
p. 398]. http://www.francegenocidetutsi.org/RosierRapport27juillet1994.pdf
100. Patrick de Saint-Exupéry, Rwanda : Les assassins racontent leurs massacres, Le Figaro,
mercredi 29 juin 1994, p. 3. Nyagurati : de notre envoyé spécial. Facsimilé : http://
www.francegenocidetutsi.org/LesAssassinsRacontentLeursMassacres.pdf Transcription :
http://www.francegenocidetutsi.org/PatrickDeSaint-ExuperyFigaro29juin1994.pdf
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 33
également le 29, 101 et Christophe Boisbouvier de RFI fera plusieurs reportages,
dont celui du 28 juin à Afrique midi qui décrit la rencontre des commandos de
l’air avec les Tutsi traqués. 102
Bien que les commandos de l’air aient été accompagnés par 3 journalistes, il
n’y a pas d’écho le 27 au soir de cette reconnaissance ni à la télévision ni à la
radio.
Les témoignages recueillis par African Rights auprès des survivants correspondent
aux faits rapportés ci-dessus par le journaliste Saint-Exupéry à une
différence près, la date. Claver situe l’arrivée des soldats français le 26 juin :
« Les soldats français sont venus nous voir le 26 juin, ou aux alentours de
cette date. [...] Ils nous ont dit qu’ils reviendraient le 30 pour nous protéger. Ils
sont partis. Après leur départ, dans cet intervalle de quatre jours, les attaques
lancées par les miliciens se multiplièrent... » 103
Chassés comme des lapins depuis plus de deux mois, sans gîte, manquant de
tout, il est compréhensible que les survivants aient pu se tromper sur la date.
Un des dirigeants de la résistance qui a survécu, Siméon Karamaga explique
comment cette visite des Français les amena à sortir de leurs cachettes et à
s’exposer à la vue de leurs tueurs :
« Nous sommes sortis de nos cachettes. Eric, qui parlait français, leur a
expliqué qui nous étions. Les Français ont pris des photos. Les miliciens étaient
là aussi avec leurs armes. Ces soldats sont ensuite partis. Ils nous ont dit qu’ils
reviendraient. Après leur départ, les miliciens sont revenus pour nous tuer. Ce
jour-là, ils ont tué beaucoup de personnes, car nous étions nombreux à avoir
quitté notre cachette pour venir voir les soldats français. »
C’est Eric Nzabihimana qui tenta de convaincre les soldats français de la
nature critique de la situation des survivants. Les Français étaient arrivés à
bord de quatre voitures. Eric se cachait près de la route lorsqu’il entendit leurs
véhicules. A cette heure-là, après 17 heures, les tueurs étaient normalement
repartis chez eux, mais il craignait encore de subir d’autres épreuves.
« Quand les voitures sont arrivées près de moi, j’ai vu que ce n’étaient pas
des ex-FAR, mais des blancs. En les voyant, je suis sorti des buissons pour arrêter
ces voitures. Ceux qui se trouvaient dans les deux premières voitures ont
refusé de s’arrêter, alors qu’ils voyaient très bien que j’étais en train d’appeler
au secours. En voyant cela, je suis allé au milieu de la route pour arrêter
deux voitures qui se trouvaient derrière. Je parlais français, mais ils ont refusé
101. Dominique Garraud, Le nettoyage ethnique continue dans les montagnes rwandaises,
Libération, 29 juin 1994, p. 16. http://www.francegenocidetutsi.org/
GarraudBiseseroLiberation29juin1994.pdf
102. Christophe Boisbouvier, RFI, Reportage sur la colonne Duval à Nyagurati, 27 juin,
Afrique soir et 28 juin, Afrique matin. Interview d’un « Tutsi des montagnes » (Eric Nzabihimana,
survivant à Bisesero), 28 juin Afrique midi, récit en direct de la rencontre entre
Duval et les Tutsi à Bisesero, reprise de ce récit et de fragments de l’interview du Tutsi
à Afrique soir et le 29 juin à Afrique matin, reportage sur les commandos de l’air à Kibuye,
Afrique midi, visite de Léotard, Afrique soir, reportage à Kilinda, 30 juin, Afrique soir,
direct depuis Bisesero où les Français s’occupent enfin des Tutsi, 1er juillet, Afrique midi,
reportage depuis Bisesero avec interview du même Tutsi Eric Nzabihimana, Afrique soir.
http://www.francegenocidetutsi.org/BoisbouvierBisesero.pdf
103. African Rights, Résistance au Génocide - Bisesero - avril-juin 1994 [2, p. 63].
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 34
d’écouter ce que je disais car ils étaient avec Twagirayezu, un enseignant qui
leur disait que nous n’étions pas menacés. Il leur disait aussi que l’insécurité
dans la région était causée par nous et il nous accusait d’avoir tué beaucoup
de personnes. Les Hutus qui habitaient la colline de Rubazo, à Bisesero, ont
été obligés de quitter leur maison, car ils pensaient que les Tutsis de Bisesero
pouvaient les tuer. Twagirayezu disait alors aux Français que seuls les Hutus
étaient menacés. »
Eric chercha des moyens de persuader les soldats français.
« Comme je voyais que les Français écoutaient attentivement cet enseignant,
j’ai appelé les Tutsis qui étaient dans les buissons. J’ai même montré les Tutsis
qui avaient reçu des coups de machettes ou des balles. Je leur ai également
montré les cadavres qui étaient là. Les Français m’ont alors écouté. Quant aux
autres Français qui étaient déjà partis, ils sont revenus. Ces soldats nous ont
observés et nous ont demandé de continuer à nous cacher. Ils nous ont dit qu’ils
reviendraient dans trois jours. »
Donc à l’issue de cette rencontre, non seulement les militaires français ont
abandonnés les Tutsi qui étaient traqués mais ils les ont rendus plus vulnérables
en les faisant sortir de leurs cachettes et en les montrant aux tueurs dont un,
Twagiyarezu, était leur guide. Pour un des survivants, Bernard Kayumba, cet
abandon par les Français montre qu’ils étaient complices du génocide :
« Car ils nous avaient vus, ils avaient une base à Kibuye et une autre à
Goma et à Bukavu. S’ils étaient des gens qui voulaient nous secourir, Ils seraient
restés sur place, auprès de nous et auraient demandé plutôt que de ces bases, des
renforts viennent les rejoindre à Bisesero. Mais ce pays-là nous a démontré que
lui aussi était complice dans ce programme d’extermination totale, Afin qu’aucun
d’entre nous ne survive. » 104
9.4 Rosier fait croire à la presse que des combattants FPR
sont à Bisesero
Alors que le groupe Duval, sous ses ordres, vient de rencontrer des survivants
tutsi, traqués à Bisesero, le colonel Rosier laisse entendre aux journalistes, le soir
même, 27 juin, que ces survivants sont des éléments avancés de l’offensive du
FPR visant à couper en deux la zone gouvernementale.
En effet, au 20 h de TF1, Catherine Jentile annonce que 1 000 à 2 000
hommes du FPR ont effectué une percée et sont en train de couper en deux la
zone gouvernementale :
[Patrick Poivre d’Arvor :]
Les soldats français de l’opération Turquoise sont désormais à
une vingtaine de kilomètres du FPR. Ils ont été applaudis dans la
ville de Gikongoro où on les attendait avec impatience.
Déplaçons nous maintenant à Bukavu où nous avons une autre
envoyée spéciale Catherine Jentile. D’après vos informations il y au-
104. Interview de Bernard Kayumba, rescapé de Mubuga et Bisesero, par Cécile Grenier,
Kibungo, 4 février 2003..
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 35
rait eu des affrontements dans cette ville même de Kibuye
où nous étions hier et où nous avons entendu cette religieuse.
[Catherine Jentile :]
Mais alors écoutez ce sont des informations encore à prendre avec
précaution que nous a livrées le colonel Rosier qui est responsable
du dispositif ici dans le Sud, et plus précisément c’est à 15 km de la
ville de Kibuye que s’est déroulé cet accrochage qui a commencé ce
matin à onze heures et demi et s’est terminé en début d’après-midi.
Alors il aurait opposé d’un côté les forces du FPR et de
l’autre les milices hutu, appuyées par l’armée rwandaise. Ce
qui est spectaculaire dans cette affaire c’est donc l’endroit où s’est
déroulé l’affrontement. C’est-à-dire qu’on avait toujours parlé depuis
longtemps d’infiltrations des hommes du FPR, mais si le chiffre dont
on dispose actuellement de 1 000 à 2 000 hommes du FPR présents
dans cette région [sic] et bien évidemment on ne peut plus parler
d’infiltrations mais d’une véritable percée du Front patriotique
rwandais. Alors résultat, il pourrait ainsi couper en deux la zone
gouvernementale d’est en ouest mais également couper en deux le
dispositif français qui, lui, se déploie du nord au sud. Alors qu’est-ce
qui peut se passer maintenant ? Les Français nous ont confirmé ce
soir que leurs ordres étaient toujours les mêmes, c’est-à-dire d’éviter
le contact avec les hommes du FPR mais la distance la plus courte
entre les hommes du FPR et les troupes françaises est de 5 km.
Evidemment dès lors, on ne peut plus exclure aucune hypothèse. 105
Dans la même soirée le téléspectateur apprend aussi sur France 2 que des
infiltrations du FPR sont parvenues près de Kibuye. 106
[ Paul Amar : ]
Au Rwanda, la mission de l’armée française se déroule comme
prévu sans accroc mais la situation reste fragile. Un affrontement
aurait opposé des soldats gouvernementaux à des membres
du Front Patriotique à l’ouest du pays, à quelques kilomètres
à peine des positions françaises.
[ Benoît Duquesne depuis Bukavu : ]
Oui, bien écoutez, ces accrochages ont beaucoup surpris les militaires
français, le colonel Rosier ici qui nous en parlait tout à l’heure.
C’est vrai qu’il y a donc eu des affrontements en fin de matinée et
tout l’après-midi près de la ville de Kibuye, là où se trouve un détachement
français permanent. A environ 5 km des Français les plus
proches du lieu où ont eu lieu ces affrontements entre des gens
du FPR infiltrés et puis ce qu’on appelle la défense civile
ici. 107
105. Spéciale Rwanda, TF1, 27 juin 1994, 20 h. C’est nous qui mettons en gras. http://www.
francegenocidetutsi.org/tf1/1994-06-27-20tf1.mpg
106. France 2, 27 juin, Soir.
107. France 2, 27 juin 1994, Dernière. C’est nous qui mettons en gras.
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 36
Duquesne utilise ici le même terme de « défense civile » que Kayishema
utilisait dans sa lettre du 12 juin au ministre de la Défense pour lui demander
des armes. 108 Il répète ce que dit Rosier. L’identité de vocabulaire signifiet-
elle identité de vue entre Rosier et Kayishema ? Duquesne met des bémols,
l’information sur des éléments du FPR infiltrés n’est peut-être pas sûre. Mais si
elle est sûre, il en rajoute et il s’étend sur la stratégie du FPR qui vise à couper
ce qui reste du Rwanda :
Alors c’est surprenant parce que vous savez qu’on parlait beaucoup
d’infiltrations ici sans savoir trop si c’était une peur irraisonnée
ou si c’est une réalité. Et bien ces accrochages qui ont eu lieu, s’ils
sont confirmés, parce que pour l’instant, les militaires français
n’ont eu qu’une confirmation auditive, si je puis dire, parce
qu’ils étaient suffisamment proches pour entendre les coups de feu
et bien ces accrochages s’ils sont confirmés voudraient dire d’abord
que le FPR est effectivement infiltré, est infiltré très très
loin en territoire du gouvernement rwandais et qu’ensuite ça
confirme aussi la volonté du FPR de couper ce qui reste du
Rwanda sous le contrôle des forces gouvernementales, de
le couper en deux, c’est un petit peu ce qui inquiète les Français
d’autant qu’ils ne sont pas loin et qu’ils ne savent pas trop ce que
pourra être leur attitude au cas où ils auraient à se retrouver face à
face avec des gens du FPR. 109
Paul Amar conclut en insistant sur la gravité de la situation en évoquant la
peur des pauvres Hutu menacés par les méchants FPR infiltrés à Bisesero :
Merci Benoît. Cette information si elle était confirmée ne
peut qu’accentuer la crainte des civils qu’ils soient Hutu ou
Tutsi surtout dans les villages où l’armée française ne peut pas se
rendre. Ils restent à la merci des incursions de soldats ou de miliciens.
Cette peur nos envoyés spéciaux Isabelle Staes et Pascal Pons ont
pu l’observer en sillonnant une région hutu. 110
9.5 28 juin : L’évacuation des religieuses non menacées
Le 28 au matin, le colonel Rosier fait évacuer les religieuses de Sainte-Marie
de Namur de Kibuye chez qui sont logés le lieutenant-colonel Duval et ses
hommes. Elles ne sont plus menacées depuis qu’elles ont prié tous les Tutsi réfugiés
chez elles de partir. Pour Rosier, c’est une opération psychologique pour
marquer encore une fois le caractère humanitaire de l’opération Turquoise. C’est
aussi une manière pour les militaires français d’occuper tout leur couvent et leur
école technique. Est-ce aussi une mesure de rétorsion à l’égard des religieuses
qui auraient fait connaître aux journalistes dont Patrick de Saint-Exupéry l’existence
de survivants à Bisesero ?
108. Voir section 9.1.1 page 24.
109. Ibidem.
110. Ibidem.
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 37
Sur France 2, le matin, à l’occasion de l’évacuation des religieuses de Kibuye,
Benoît Duquesne, par téléphone, revient sur les infiltrations du FPR tout près
de Kibuye :
Une trentaine de religieuses s’y sentent menacées. Il y a trois
jours les Français leur avaient envoyé un premier détachement par
hélicoptère pour les rassurer. Ils devraient cette fois les évacuer sur
Goma au Zaïre. Il faut dire qu’entre temps des accrochages se sont
produits hier entre éléments du FPR et partisans du gouvernement
provisoire, accrochages suffisamment proches de Kibuye pour que
les Français les entendent et surtout des accrochages qui confirment
l’intention du FPR de couper ce qui reste de la zone gouvernementale
en deux parties. D’après les informations recueillies par les militaires,
1 500 hommes du FPR se seraient ainsi infiltrés par les vallées jusqu’à
une dizaine de kilomètres de Kibuye. Des informations qui restent à
confirmer et qui ont beaucoup surpris ici le colonel Rozier. 111
Ainsi Benoît Duquesne laisse entendre au téléspectateur que les éléments
FPR infiltrés à Bisesero, qui ne sont que de malheureux survivants tutsi, menaceraient
la sécurité des religieuses de Kibuye !
Cependant à Paris, le général Germanos affirme que les Tutsi de la région Gisinya
[Gishyita], Karongi, Gisovu, c’est-à-dire Bisesero, ne sont pas des éléments
infiltrés du FPR :
PARIS, 28 juin, Reuter - L’armée française mène des missions
de renseignement dans un triangle situé entre Gisinya, Karongi et
Gisovu, dans le sud-ouest du Rwanda, afin de déterminer l’origine
de coups de feu qui y ont été entendus, a déclaré mardi le général
Raymond Germanos, chef d’état-major adjoint.
“Ces bruits de coup de feu nous ont amenés à conduire une action
de renseignement dans ce triangle. Il y a dans ce triangle des bandes
hutues et tutsies qui circulent et un certain nombre de massacres y
ont été conduits dans le courant du mois d’avril”, a-t-il déclaré au
cours d’un point de presse.
Selon le général, les bandes tutsies qui se trouvent dans ce triangle,
au nord ouest de la forêt de N’Yungwe [Nyungwe], ne seraient
pas des éléments du Front patriotique rwandais (FPR) infiltrés à
l’ouest mais des Tutsis rassemblés là pour se défendre. 112
Ces propos tenus à la presse le 28 juin par le général Germanos nous prouvent
qu’il a pris connaissance du rapport du lieutenant-colonel Duval alias Diego sur
sa rencontre avec les survivants tutsi à Bisesero le 27 juin.
111. France 2, 28 juin 1994, Telematin, 7 h 30.
112. L’armée française enquête sur des coups de feu, Reuters - Les actualités
en français, 28 juin 1994, 15:29 GMT. http://www.francegenocidetutsi.org/
CoupsDeFeuReuters28juin1994.pdf
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 38
9.6 Pendant 3 jours, les Tutsi de Bisesero sont attaqués
Repérés par les tueurs qui ont observé de loin la rencontre des survivants de
Bisesero avec la colonne Duval ou qui ont été informés par le guide Twagirayezu,
les survivants ont été attaqués durant ces trois jours de manière redoublée, ainsi
qu’en témoigne Eric Nzabihimana :
Lors de notre discussion, les tueurs postés de tous côtés sur les
collines nous voyaient car nous étions presque tous sortis de nos
cachettes. Les trois jours suivants, le 28, 29, et 30, les massacres se
sont intensifiés. De nombreux militaires ont participé si bien qu’ils
ont tué beaucoup plus de gens, exterminant presque tous, alors que
les militaires français nous avaient promis qu’ils allaient parler au
préfet pour que nous ne soyons plus attaqués. 113
Le guide Twagirayezu reconnaît qu’il a informé les autorités sur les Tutsi
survivants :
Dès mon retour à Mubuga, le soir même, je suis allé au bar « Abadacogora
» d’un certain Athanase Namuhoranye où se rassemblaient
souvent les miliciens après leurs forfaits. Il y avait différentes personnes
dont l’assistant bourgmestre Kananira, le conseiller de Gishyita
Muhayimana Mika, Ngerageze et différents autres cadres de
la commune Gishyita. Je leur ai rapporté tout le déroulement de
mon voyage à Bisesero, l’estimation du nombre des survivants qu’il
y avait encore et la promesse que leur [sic] faite par les militaires français.
J’ai passé la nuit à Mubuga. Le lendemain, très tôt le matin
vers 5 h 30, j’ai emprunté une moto pour aller chez le bourgmestre
Sikubwabo pour lui donner également le rapport de mon voyage. Je
l’ai averti que les Français avaient promis aux gens de Bisesero de
revenir à leur secours dans trois jours.
[...] Comme j’avais averti les Interahamwe et le Bourgmestre, durant
les deux jours qui ont suivi c’est-à-dire le 28 et le 29/06/1994,
les miliciens Interahamwe ont été très mobilisés pour intensifier leurs
attaques à Bisesero avant le retour des militaires français qui sont
partis porter secours aux survivants le 30/06/1994. Durant ces deux
jours, des attaques de grande envergure ont été perpétrées sur Bisesero.
Venant de Mubuga et de Gishyita, plus précisément de Chez
Mika et de Chez Rutaganira, ces attaques étaient dirigées par le
Bourgmestre Sikubwabo au vu et au su des militaires français qui
étaient sur leur barrière et de ceux qui campaient au siège de la
commune Gishyita. Pendant ces deux jours les tirs d’armes lourdes
de Bisesero se faisaient entendre à Gishyita et il y a eu beaucoup
de morts. Il est fort probable que les Interahamwe avaient reçu un
renfort. 114
113. Rapport Mucyo, [3, p. 85].
114. Rapport Mucyo, [3, Annexes, p. 113].
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 39
9.7 Les Français regardent les tueurs massacrer
Le 28 juin 1994 au soir le reportage d’Isabelle Staes et de Pascal Pons sur
la chaîne France 2 montre le groupe COS de Marin Gillier observer des « combats
» le 27 juin sur les hauteurs de Bisesero depuis Gishyita. Pour Paul Amar
l’information est sûre, ce sont des combats avec le FPR : 115
[Paul Amar] :
Les soldats de l’opération humanitaire Turquoise restent vigilants.
Isabelle Staes et Pascal Pons se sont rendus auprès de positions
françaises qui ont entendu hier l’écho d’affrontements
très proches entre le Front Patriotique Rwandais et les gouvernementaux.
Isabelle Staes confirme :
[Isabelle Staes] :
Des hommes du Front Patriotique Rwandais y sont positionnés.
On parle de mille à deux mille rebelles.
Nous sommes à Gishyita, point névralgique de l’opération Turquoise.
Car c’est ici que les rebelles tutsi seraient les plus avancés en
territoire hutu.
[Pascal Pons] :
« Qu’est-ce qu’on vient d’entendre vous me dites ? »
[Un membre du commando marine en maillot de corps kaki avec
un petit chapeau de brousse] :
« Des bruits d’une arme automatique..., lourde. »
[Pascal Pons] :
« D’après vous, c’est loin d’ici ? »
[ Le soldat du commando marine ] :
« A trois kilomètres d’ici..., à vol d’oiseau trois kilomètres. »
Les accrochages les plus violents ont eu lieu hier soir. Vingt morts
chez les rebelles, trois de l’autre côté.
[Marin Gillier] :
« On a entendu un petit peu de bruit. On a vu de la fumée. »
[Isabelle Staes] :
« Et c’était quel genre d’affrontement d’après vous ? »
[Marin Gillier] :
« Des affrontements, euh, type infanterie. »
[Isabelle Staes] :
« Mais importants ? »
[Marin Gillier] :
« Oh, relativement importants, surtout à l’échelle du pays. »
115. France 2, 28 juin 1994 au soir.
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 40
9.8 Les tueurs demandent des armes à Gillier pour achever
les Tutsi
Selon Bernard Lugan, porte-parole de Rosier, Gillier reçoit, le 28 juin, la
visite du bourgmestre de Gishyita, Charles Sikubwabo, qui lui demande des
armes pour éliminer 300 à 500 Tutsi cachés dans des galeries de mine :
Le 28 juin Gillier resserre son dispositif sur Gishyita. A la jumelle
il observe la ligne de crête où FAR et APR sont réputées en
contact, mais sans obtenir de renseignement concret. Vers midi, il est
toujours dans l’inconnu. C’est alors qu’il reçoit la visite du bourgmestre
de Gishyita qui lui parle d’infiltrations de « terroristes » et
de combats contre l’APR. Gillier qui n’est pas dupe fait son rapport
au colonel Rosier : il l’informe que selon le bourgmestre de Gishyita,
depuis « 10 heures du matin 300 à 500 terroristes seraient réfugiés
dans une galerie de mine d’étain à la sortie est de Bisesero ». Le
bourgmestre sollicite l’aide des militaires français pour éliminer ces
« terroristes » et il demande des grenades car il manque de munitions...
Gillier lui fait, selon les propres termes de son rapport, « une
réponse dilatoire ». Ce même bourgmestre lui parle d’un barrage que
le FPR aurait installé la veille, 27 juin vers 14 heures, dans la partie
nord du secteur de Bisesero. 116
116. B. Lugan [9, pp. 268–269].
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 41
Figure 1 – Position des Français à Gishyita selon la commission Mucyo. Source :
Carte 1/50 000e Rapport Mucyo, Annexes.
42 Lac Kivu
43 Centre Mubuga
44 Périmètre de défense des Français à Gishyita
45 Bureau communal de Gishyita et chez Fundi
46a Barrière des militaires Français sur le chemin montant au bureau communal
46b Barrière des militaires Français
46c Barrière des militaires Français
46d Barrière des militaires Français à côté de l’église presbytérienne de Gatoke
47 Lieu de rassemblement des Interahamwe devant chez Mika pour monter à
Bisesero
48 Barrière des Interahamwe
49 Mugonero - Route Kibuye-Cyangugu
50 Lieu de rencontre de la colonne Duval avec survivants de Bisesero
51 Village Bisesero
52 Bivouac des Français à Bisesero le 30 juin
53 Site mémorial du génocide à Bisesero
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 42
Jean-Baptiste Twagirayezu témoigne aussi d’une rencontre où Sikubwabo
demande de l’aide à Marin Gillier :
Toujours dans la même période, Sikubwabo a tenu une réunion
avec les Français à Gishyita. Il leur a demandé de l’aider à décimer les
Inyenzi qui se trouvaient à Bisesero, parce qu’il disait qu’ils avaient
tué ses hommes dont un sous-lieutenant et ses policiers. Il menaçait
de démissionner de son poste s’ils n’acceptaient pas. Ils ont accepté.
Sikubwabo et les Interahamwe armés se réunissaient chez le conseiller
Mika devant sa maison, dans la cour qui se trouvait juste en haut
de l’endroit où se trouvait la barrière des militaires français, avant
de monter à Bisesero. Il va donc de soi que ces derniers étaient bien
au courant de ce qui se passait. 117
9.9 Gillier interdit à ses subordonnés d’aller à Bisesero
L’adjudant-chef Thierry Prungnaud est placé le 28 juin sous les ordres de
Gillier. En fin de matinée à Gishyita, ils entendent des « combats à la grenade et
au fusil-mitrailleur ». Avec des jumelles, ils voient « des hommes en armes, une
centaine, qui poursuivent des civils. Les civils tombent, sont achevés. » Prungnaud
interpelle Marin-Gillier : « On ne va pas laisser faire ça, il faut y aller ! »
Gillier refuse : « Vous voyez bien que les rebelles massacrent la population. Interdiction
d’aller au contact, on ne peut rien faire. » 118 Gillier consent néammoins
à envoyer une patrouille à pied vers Bisesero le 29 au matin, mais celle-ci, devant
redescendre assez tôt pour la visite du ministre Léotard, ne trouvera rien.
Gillier se fiait aux informations que lui donnaient le bourgmestre Sikubwabo,
comme en témoigne l’instituteur Twagirayezu :
Un jour, de chez Fundi et au siège du bureau de la commune
Gishyita, à l’aide des jumelles ils observaient ce qui se passait à
Bisesero, et ils ont demandé au Bourgmestre Sikubwabo : « Qui sont
ces gens qui sont en train de frapper les autres avec des gourdins,
nous les voyons avec les armes ? ». Il leur a répondu : « Mais ce
sont des Inkotanyi 119 qui tuent des Hutu ». Les militaires français
n’étaient pas dupes car ils avaient une bonne collaboration avec le
bourgmestre. Ils sont restés donc indifférents et ne s’inquiétaient de
rien. 120
Isidore Kayiranga, beau-frère du bourgmestre de Gishyita, Sikubwabo, explique
que les militaires français ont mis trois jours pour monter à Bisesero,
alors que c’est à une heure de marche. Il montre que les Français savaient bien
que c’était des civils Tutsi qui se faisaient massacrer :
117. Rapport Mucyo, [3, Annexes, p. 111].
118. Jean-François Dupaquier, Là-haut, sur la colline de Bisesero, XXI, avril 2010, pp. 36.
http://www.francegenocidetutsi.org/DupaquierXXIavril2010.pdf
119. Inkotanyi, « ceux qui vont jusqu’au bout ». Nom que se sont donnés les soldats du FPR.
120. Rapport Mucyo, [3, Annexes, p. 111].
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 43
A un certain moment, laissant quelques soldats à Gishyita, les
Français sont partis. Nous avons vu leurs véhicules et leurs blindés
se diriger vers Bisesero. 121 Cependant, à partir de Gishyita, Bisesero
est à une heure de marche mais les Français ont fait trois jours le
même trajet. Le premier jour, après avoir fait un trajet d’environ 1,30
km, ils ont passé la nuit à Dukoni où ils ont installé leur campement ;
le deuxième jour, c’était à Kiziba et partout ils avaient des jumelles
qu’ils utilisaient à tout moment tout le long du trajet. Leur montée
vers Bisesero a duré trois jours après quoi ils sont revenus. Le jour
de leur retour, Sikubwabo a fait passer à un certain Uhoraningoga
Emmanuel alias Gifaransa un message de mobilisation générale de la
population par le biais des conseillers pour procéder à de nouvelles
attaques. [...] Durant les jours que les Français ont passé à Gishyita,
les tueries des Tutsi se sont poursuivies alors que leurs hélicoptères
décollaient et atterrissaient à tout moment, survolant Gishyita, Bisesero,
Gisovu et Kibuye. [...] De Gishyita, nous entendions des coups
de feu en provenance de Bisesero. Des femmes enceintes attrapaient
des crampes de ventre, les plus peureux allaient tout le temps aux
toilettes à cause du bruit assourdissant des coups de feux auquel ils
n’étaient pas habitués. [...] Ils [les Français] entendaient très bien ces
coups de feu. La preuve en est que ces coups de feu étaient entendus
à Mpembe, très voisin de l’île Idjwi or, Gishyita se trouve entre Bisesero
et Mpembe donc, il est clair que les Français pouvaient très
bien entendre ces coups de feu étant à Gishyita surtout que des armes
lourdes étaient également utilisées dans ces attaques. [...] Ces coups
de feu ne provenaient pas des combats opposant les FAR au FPR
mais plutôt des attaques des Interahamwe sur les Tutsi. Les Français
le savaient parce que leurs hélicoptères, survolaient les lieux et
personne n’a essayé de leur tirer dessus ; même pas les Inkotanyi. Ils
savaient qu’il n’y avait que des civils. En plus, les Interahamwe qui
montaient à Bisesero portaient des parties d’uniformes et ils savaient
que les soldats de Habyarimana avaient suffisamment d’uniformes
pour ne porter qu’une chemise militaire, sans pantalon ni chaussures
militaires, au combat. [...] Il faut aussi remarquer qu’à partir du moment
où les Français sont allés à Bisesero, les massacres des Tutsi se
sont intensifiés. En effet, les Interahamwe avaient arrêté de mener la
chasse aux Tutsi car ils croyaient que ces derniers avaient tous été
exterminés, ceux-ci ayant fui vers les montagnes de Bisesero. Ils ont
donc dévoilé aux Interahamwe la présence des rescapés Tutsi dans
ces montagnes. L’information n’a pas tardé à circuler si bien que le
lendemain, tous les Interahamwe de la région se sont rassemblés à
Gishyita et ont mené une attaque de grande envergure sur les Tutsi
de Bisesero. [...] Les auteurs de ces tueries provenaient des zones,
je ne dirais pas contrôlées par les Français mais dans lesquelles ces
121. Il s’agit là du 30 juin. Le témoin décrit ensuite ce qui s’est passé avant le 30.
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 44
derniers avaient installé leurs bases. Presque toutes les attaques sur
les Tutsi de Bisesero partaient de Gishyita. Les assaillants passaient
devant le campement des Français et par les barrières tenues par eux.
Ils voyaient les Interahamwe se préparer et ne faisaient rien pour secourir
les victimes dont ils se réclamaient protecteurs. Au contraire,
ils collaboraient étroitement avec les chefs des Interahamwe de la
localité. [...] Je suis contre ce que les gens disent sur les Français. Ils
n’ont sauvé personne en 1994. [...] 122
Nous avons réentendu Isidore Kayiranga le 7 janvier 2009 à Gishyita. Il
tient une buvette au centre de négoce, non loin de l’ancienne buvette de Mika.
Il a confirmé la substance des propos ci-dessus. Sa parenté avec le bourgmestre
lui donnait une certaine immunité. Il a pu cacher des Tutsi chez lui. Il dit
que son beau-frère, le bourgmestre Charles Sikubwabo, est mort et qu’ils l’ont
inhumé. Il considère que la reconnaissance du 27 et les propos tenus par l’officier
français aux Tutsi ont constitué un piège, puisque des attaques ont été organisées
ensuite devant les Français. Il dit que les survivants sont doublement rescapés.
Un hélicoptère survolait les attaques. Si vraiment des éléments du FPR avaient
été là, ils auraient tiré dessus, dit-il.
9.10 Le colonel Rosier aurait dirigé les miliciens de Cyangugu
sur Bisesero
Soucieux d’empêcher les miliciens d’attaquer le camp de Nyarushishi que la
France s’est engagée à protéger, le colonel Rosier les aurait fait acheminer de
Cyangugu vers Bisesero pour éliminer au plus vite les derniers Tutsi survivants.
Plusieurs témoins attestent que John Yusuf Munyakazi est parti de Cyangugu
avec ses miliciens vers Bisesero au vu et au su des Français. L’un, Tharcisse
Nsengiyumva, déjà cité, était replié avec d’autres soldats handicapés à l’hôpital
de Gihundwe à Cyangugu. Il a vu les Français accompagner des gendarmes et
des Interahamwe à la barrière de Gihundwe :
– (...) Peu après, les soldats français sont partis ensemble avec
des gendarmes et des Interahamwe de Bugarama commandés par
Yusuf Musozo [John Yusuf Munyakazi] et ils se sont rendus à Kibuye,
dans ce lieu appelé Bisesero, dont les nombreux habitants menaient
depuis longtemps une résistance pour survivre. Malheureusement ils
n’arrivèrent pas à survivre, car il n’est pas possible de se battre avec
des lances contre des armes à feu et espérer vaincre. Et donc pour
finir, ils les ont tous massacrés. Les Français, c’étaient eux qui les
couvraient.
– C’est-à-dire qu’ils ont accompagné les Interahamwe et les gendarmes,
et que ces deux derniers groupes ont tué les gens alors que
les Français regardaient faire ?
122. Auditions d’Isidore Kayiranga en date du 15/12/2006 à Kigali et en date du 31/07/2007
à Kibuye. Cf. Rapport Mucyo, [3, Rapport, pp. 213-214].
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 45
– Tout à fait. Ce départ s’est fait sous mes yeux, je les ai vu partir
pour Kibuye. Nous nous trouvions à la barrière près de l’hôpital de
Gihundwe quand ils sont partis pour Kibuye, ça n’est pas quelque
chose qui m’a été raconté, j’y étais en personne.
– Les Interahamwe et les gendarmes ont été embarqués dans les
véhicules des Français ou avaient-ils leurs propres moyens de transport
?
– Ils avaient des bus.
– Mais ils sont partis dans le même convoi, se suivant les uns les
autres ?
– Oui.
– Et les Français eux disaient qu’ils allaient faire quoi ?
– Les Français eux, tu vois il y avait trois préfectures qui formaient
la zone Turquoise. Ils devaient contrôler la situation dans
toute la zone, peut-être pour pouvoir en fin de compte établir et donner
des rapports. A supposer qu’ils partaient avec ces gens-là dans
le cadre de se rendre compte de la situation, ce n’est pas cette mission
qui a été accomplie, ils auraient dû aller sauver ceux qui étaient
en danger, car ils avaient des armes et la capacité de le faire. Au
contraire, ils sont partis avec ceux qui allaient les tuer, et ceux-ci les
ont massacrés sans que les Français ne réagissent. 123
Le témoin ne donne pas de date. La barrière près de l’hôpital de Gihundwe
à Kamembe est sur la route qui mène vers Kibuye et Gikongoro.
Une autre femme rescapée de Kamembe témoigne que Yusuf et ses miliciens
sont allés massacrer à Bisesero après le 27 juin :
– Les gens de Bisesero sont morts plus tard, ils résistaient, ils
sont morts en dernier.
– Les derniers sont morts après l’arrivée des Français ?
– Oui. Après l’arrivée des Français. Ce sont ceux-là qui ont été
tué par John Yussuf [Munyakazi]. Ce sont ceux-là que sont allés
exterminer les Interahamwe de John Yussuf.
– Les Français les ont vu prendre le départ pour Bisesero ?
– Je ne pourrais pas affirmer que, lors du départ du convoi, les
Français partaient avec eux car chaque véhicule pouvait avoir son
propre itinéraire, cependant lorsqu’ils sont partis pour Bisesero, les
Français étaient présents.
– Les Français étaient là ?
– Oui. Ils étaient là cette dernière fois, quand les gens de Bisesero
ont été massacrés, après le 27 juin. C’est Yussuf. 124
123. Interview de Tharcisse Nsengiyumva par Cécile Grenier, Remera (Kigali), 8-9 janvier
2003. http://www.francegenocidetutsi.org/TharcisseNsengiyumva.pdf
124. Interview de NN. par Cécile Grenier, Bugarama, 23 janvier 2003. Traduction de Vénuste
Kayimahe. http://www.francegenocidetutsi.org/NN.pdf
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 46
Le procureur du TPIR accusa Siméon Nchamihigo, ancien substitut du procureur
de Cyangugu et chef milicien, d’avoir envoyé des miliciens à Bisesero fin
juin :
37. Between 20 and 25 June 1994 or thereabouts, SIMEON NCHAMIHIGO
ordered or instigated the Interahamwe in his area, including
Jean-Paul, Mvuyekure Vincent, alias Tourné, Nzeyimana,
among others, to go to Kibuye together with Yusufu Munyakazi and
his Interahamwe, and participate in a number of attacks to kill Tutsi
who had sought refuge at Bisesero in Kibuye Prefecture. The Interahamwe
travelled in an ONATRACOM bus to Bisesero and assisted
the Kibuye Interahamwe in killing the Tutsi. Together, they killed
many Tutsi. On the return of the Interahamwe from Kibuye after one
or two days, SIMEON NCHAMIHIGO rewarded them with drinks
and food at the Gihundwe school. 125
Cependant, dans le jugement qui condamne Siméon Nchamihigo à la prison à
vie pour génocide, cette accusation relative à des tueries à Bisesero fin juin n’est
pas retenue par le tribunal parce que le procureur a produit des témoignages
sur l’envoi d’Interahamwe à Bisesero fin avril et non fin juin. 126
En dépit de cette erreur du Procureur, cette accusation reste un indice accusant
Yusuf Munyakazi d’être allé massacrer à Bisesero alors que les Français
étaient présents. 127
Ahmed Bizimana dit être allé à Bisesero avec Yusuf après que les Français
aient rassemblé les Tutsi :
Les Français, un autre endroit où nous sommes retrouvés, c’est
à Kibuye.
Sur la colline de Bisesero, il y avait beaucoup de Tutsi. Il y avait
beaucoup d’attaques depuis le 15 avril. Ils ont été souvent attaqués,
mais ils avaient réussi à se défendre tant bien que mal. Mais quand
les Français sont arrivés, ils ont recommencé leur ruse : ils ont appelé
les Tutsi qui étaient cachés en leur promettant protection. Une fois
que les Tutsi étaient réunis, ils ont immédiatement donné l’ordre et
on a tué tous les survivants.
125. TPIR, ICTR-2001-63, Acte d’accusation de Siméon Nchamihigo, § 37, p. 10. http:
//www.francegenocidetutsi.org/NchamihigoIndictmentRev2.pdf Traduction de l’auteur :
Entre le 20 et le 25 juin ou aux environs, Siméon Nchamihigo a commandé ou incité les
Interahamwe de son secteur, parmi lesquels Jean-Paul, Mvuyekure Vincent, alias Tourné et
Nzeyimana à aller à Kibuye avec Yusufu Munyakazi et ses Interahamwe et de participer aux
nombreuses attaques pour tuer les Tutsi qui avaient trouvé refuge à Bisesero en préfecture
de Kibuye. Les Interahamwe sont allés à Bisesero avec un bus de l’ONATRACOM et ont
aidé les Interahamwe de Kibuye à tuer les Tutsi. Ensemble, ils ont tué beaucoup de Tutsi. A
leur retour de Kibuye un ou deux jours plus tard, Simeon Nchamihigo les a remercié en leur
donnant à boire et à manger à l’école de Gihundwe.
126. TPIR, The Prosecutor v. Siméon Nchamihigo, Case No ICTR-01-63-T, Judgement, 24
September 2008, § 6.8 Bisesero, pp. 67-68.
127. Faut-il encore souligner les erreurs du procureur du TPIR ? Alors que Yusuf est allé
massacrer trois fois dans la région de Bisesero, il n’en fut pas accusé.
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 47
Moi, je suis allé vers Kibuyé dans le cadre des renforts que nous
apportions : des fusils, des grenades et des Interahamwe armés de
gourdins et autres. On est allé jusqu’à Bisesero, là nous avons été accueillis
par Obed Ruzindana et Clément Kayishema, les responsables
de la région venus de Kibuye pour nous accueillir.
Au mois de juin à l’arrivée des Français, il y avait déjà eu l’attaque
du 15 avril et il y a eu la deuxième à leur arrivée parce qu’ils
ont réalisé que les Tutsi étaient encore nombreux, ils n’étaient pas
morts.
Ils n’ont pas voulu qu’on y aille immédiatement. C’est les Français
qui nous ont précédés, ils étaient passés par le Nord vers Kibilira
et sont arrivés par le lac. Ils nous ont envoyé un message comme quoi
les Tutsi étaient fort nombreux dans le coin. C’est les Français qui
assuraient la communication.
Nous avons été appelés car il y avait de nombreux Tutsi. C’est
les Français qui étaient arrivés là en premier qui ont demandé des
renforts. Nous sommes arrivés après les Français, ils avaient fait le
regroupement des gens, et ils ont discuté avec nos responsables. Et
quand ils ont eu fini de discuter, ils sont repartis tranquillement,
laissant le champ libre. Ils étaient là, je me souviens d’un hélicoptère
muni d’une mitrailleuse. Ils ont laissé le champ libre aux tueurs et
sont repartis. L’hélicoptère est parti et c’est Ruzindana qui a donné
l’ordre d’en finir, nous avions tout ce qu’il fallait pour le faire. C’est
Yusufu qui a mis ses gars de Bisesero pour terminer le travail et
voilà. C’était là dans Bisesero.
C’est à Yusufu qu’ils envoyaient les messages. Il est de ma famille,
ma famille proche, c’est mon oncle paternel et mon parrain. Nous
nous rendions par là à l’appel des Français. C’est eux qui avaient les
infos sur les survivants et tout le reste.
Des Tutsi blessés ? J’en doute, il n’y avait que des morts, à moins
que ce ne soit après, la situation était tragique, car c’était au moins
la sixième attaque. Il y avait eu les attaques d’avril puis celles de
juin avec le retour des Français, toutes les communes des alentours
étaient là, nous étions plus de dix mille. Sur la plus haute colline, il
y avait une grosse malle, moi je sais lire et écrire et sur cette grosse
malle c’était écrit « made in France ». Cette malle avait été amenée
immédiatement par hélicoptère. Il y avait dedans des roquettes que
l’on tirait sur les collines et qui brûlaient les gens.
Les Français les ont données aux Interahamwe. Ils tiraient sur
la plus haute colline de Bisesero. Vous pouvez y aller voir, c’est les
Français qui ont amené ça là, oui, les roquettes, c’est les Français
qui les ont amenés là.
Cet hélicoptère tournoyait dans le ciel. 128
128. Interview d’Ahmed Bizimana, chauffeur de Yusuf, par Georges Kapler. Cf. L’horreur
qui nous prend au visage, [4, pp. 89–90].
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 48
Ce témoignage est à prendre avec réserve. Il n’y a pas eu d’attaque importante
le 15 avril à Bisesero. En revanche le témoin omet celle du 13 mai
où Yusuf était présent. On n’est pas obligé de croire à cette histoire de grosse
malle de roquettes marquée « made in France ». Mais le COS disposait d’hélicoptères
équipés de mitrailleuse. Des détails font prendre le témoignage au sérieux
comme les noms cités, Obed Ruzindana et Clément Kayishema. La reconnaissance
de Duval est évoquée comme ayant contribué à faire « le regroupement des
gens ». Puis les Français « ont demandé des renforts. » Enfin, « ils sont repartis
tranquillement, laissant le champ libre ».
Jean Bosco Habimana, caporal FAR et chef Interahamwe, les a vu revenir
en chantant :
Je peux affirmer que franchement, pour que les Tutsi de Bisesero
aient pu être tués au point où ils l’ont été, c’était surtout dû aux
Français. Parce que au moment où les Français racontaient qu’ils allaient
sauver, soi-disant, les Tutsi de Bisesero, ils se sont fait accompagner,
à leur demande, par les Interahamwe d’un certain Yusufu
de Bugarama. Ils y sont donc allés avec ces Interahamwe et Yusufu
et un certain Édouard et d’autres gens de Bugarama. Cela s’est fait
en plein jour, les Interahamwe sont partis dans des bus, entre autres
avec les Français qui les protégeaient.
Ceux qui sont allés à Bisesero, moi je n’y étais pas, sont rentrés
en chantant leurs hauts faits comme quoi ils avaient exterminé les
Tutsi de Bisesero, qu’ils les avaient bien tiré au fusil. Dans ce cas,
on ne peut pas dire que le Français est allé à Bisesero pour sauver
les Tutsi mais plutôt pour les condamner massivement. 129
Thomson Mubiligi, ancien Interahamwe, atteste devant la commission Mucyo
que les Français ont coopéré avec Yusuf Munyakazi, qui est allé en renfort à
Kibuye :
Thomson Mubiligi était un interahamwe et a collaboré avec les
troupes françaises durant le génocide dans Cyangugu. « J’ai vu arriver
les Français à Cyangugu. Certains sont allés à Nyarushishi,
d’autres à l’aéroport et un autre groupe de militaires circulait partout.
Ils collaboraient étroitement avec le préfet de Cyangugu et la
gendarmerie et tenaient souvent des réunions avec des officiers supérieurs
des FAR ainsi que les chefs des Interahamwe. Dans ce cadre,
ils ont étroitement collaboré avec le président de la CDR, Bantari
Ripa, le président des Interahamwe de Cyangugu, Nyandwi Christophe,
ainsi que Yusuf Munyakazi, chef des Interahamwe de Bugarama
qui sont allés donner du renfort à Kibuye. » 130
Vincent Nzabaritegeka, entendu par la commission Mucyo, affirme que les
Français ont fourni des armes qui ont été utilisées par Yusuf pour attaquer les
survivants de Bisesero le 29 juin :
129. L’horreur qui nous prend au visage, [4, pp. 254–255].
130. Rapport Mucyo [3, Rapport, pp. 189–190]. http://www.francegenocidetutsi.org/
RapportMucyo15novembre2007.pdf#page=195
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 49
Vincent Nzabaritegeka était mécanicien au projet Forêt Nyungwe
à Ntendezi dans la préfecture de Cyangugu. Il affirme que des militaires
français ont distribué des armes à des chefs Interahamwe qui
ont ensuite servi à tuer des Tutsi. « Vers le 25 du mois de juin,
c’était un lundi [Le témoin se trompe dans son approximation le
lundi c’était le 27 juin], Samuel Manishimwe, le préfet Bagambiki et
7 Français dans leurs jeeps sont venus et m’ont ordonné d’ouvrir le
portail. Ils étaient avec des gendarmes. Aussitôt, j’ai vu entrer un
camion Benz, hermétiquement fermé appartenant aux Français. Ils
m’ont dit qu’ils cherchaient le directeur du projet, M. Déo Mbanzabigwi,
pour qu’il leur donne une salle libre. Après leur avoir dit que le
directeur était absent, le préfet Bagambiki m’a ordonné de lui donner
les clés, ce que j’ai fait. Il a ouvert une des salles et a donné l’ordre
aux douze gendarmes de décharger les armes qui étaient dans le camion.
Selon ce qu’a dit l’un des gendarmes, c’étaient des fusils M16
et 5 caisses contenant des grenades. Le préfet a dit aux gendarmes
qu’ils devaient rester et garder ces armes. [...] Le lendemain, Yusuf
[Munyakazi], Samuel Manishimwe, le préfet et le directeur sont
revenus et ont tenu une réunion durant laquelle ils ont dit que les
réservistes étaient réengagés dans l’armée et que, par conséquent,
les armes allaient être distribuées aux Interahamwe formés militairement.
Ils ont ainsi distribué des armes et des grenades. Ils donnaient
un fusil et des grenades à chacun. Après quoi ils leur ont dit
d’aller « travailler » en commençant par Bugarama. Déo a dit que
je ne pouvais pas rester sans moyens de défense et ils m’ont donné
un fusil et des grenades. Ils ont également donné des armes et des
grenades à notre ingénieur et à deux autres personnes pour assurer
la sécurité du centre et de ses alentours. [...] Le 28, vers le soir,
Yusuf est revenu nous disant qu’il avait résolu le problème de Gafunzo
[localité de la région de Bugarama, fief de Yusuf Munyakazi],
que le seul grand problème qui restait était Bisesero où des attaques
avaient été menées depuis le 27 et qu’il fallait chercher comment y
aller. Nous avons fait sortir les armes, fusils et grenades qui restaient
au stock et les gendarmes les ont chargés dans le véhicule de
Yusuf. Avant de partir, ce dernier nous a dit que l’attaque sur Bisesero
se ferait le vendredi 29 [Une nouvelle fois le témoin se trompe
de jour, le 29 était un mercredi. Par contre les dates données en
référence à Bisesero dans cet extrait correspondent aux événements
de Bisesero]. Effectivement, ils sont partis attaquer à Bisesero le 29.
[...] Les Français ont distribué, au vu de tous, les fusils qui ont été
utilisés pour exécuter les massacres. J’ai assisté à cette distribution
lorsque j’accompagnais le directeur et l’ingénieur Mutabazi et même
ces deux les ont utilisés publiquement. Par ailleurs, ces fusils ont
servi à tuer des gens à Nyamuhunga. 131
131. Rapport Mucyo [3, Rapport, pp. 184–185]. Les annotations entre crochets sont du
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 50
Nous avons réentendu ce témoin à la prison de Cyangugu, le 13 janvier
2009, puis le 21 octobre 2011. Son vrai nom est Vincent Nzabonitegeka. Il a été
condamné à 25 ans de prison. Le projet “Forêt Nyungwe” était financé par la
coopération française. Le témoin n’est pas fiable sur les dates. Il paraît certain
qu’il a participé fin juin à une attaque à Bisesero. Ils y ont passé deux jours.
Ils ont logé à Mugonero dans la maison à étages du père d’Obed Ruzindana qui
« n’a plus ses deux jambes ». Ce détail est exact. 132 Ils sont allés là-bas avec
170 hommes dans 3 bus plus le véhicule de son patron.
Elie Ngezenubwo, habitant de Gishyita a participé aux massacres. Il décrit
comment la dernière attaque à Bisesero s’est organisée en présence des Français.
Il cite parmi les attaquants les milices de Gisenyi et de Cyangugu :
« Les Français étaient basés à Gishyita lors des massacres de
Bisesero. Ils voyaient cela et demandaient ce qui se passait à Sikubwabo
qui leur disait que la population était entrain de combattre
les Inyenzi. Dans ce cadre, il y a eu une réunion de mobilisation de
la population chez le conseiller Muhimana Mika. L’ex-bourgmestre
avait l’inquiétude qu’avec la présence des Français, les attaques de
Bisesero allaient s’arrêter. Il a donc convoqué tous les conseillers de
secteurs et il leur a demandé de rassembler beaucoup plus de gens
pour mener la dernière attaque de Bisesero. Après cette réunion,
mon grand frère Uhoraningoga Emmanuel alias Gifaransa a reçu
une moto, un sifflet et un tambour pour l’aider à circuler et mobiliser
les gens partout dans la campagne. Dans son appel, il invitait la
population à monter pour aller combattre à Bisesero. Beaucoup de
gens sont venus se rassembler de nouveau chez Muhimana Mika, ils
ont reçu des instructions concernant le camouflage et signes qui pouvaient
les identifier et les différencier avec ceux qu’ils attaquaient.
Ils se mettaient dans les cheveux, soit une allumette soit des feuilles
de bananiers ou d’eucalyptus. Les tueurs provenaient des secteurs
environnants, ceux de Mubuga et Rwamatamu sont venus dans la
camionnette du projet Colas, mais il y avait également des milices
de Gisenyi et de Cyangugu qui ont participé activement dans la
dernière attaque de Bisesero. [...] Les interahamwe, munis de leurs
armes blanches, passaient devant la barrière des Français pour aller
tuer les tutsis de Bisesero. Je voyais les Français survoler Bisesero
au moment des massacres mais ils n’ont jamais arrêté ces tueurs. [...]
» 133
Nous avons réentendu deux fois ce témoin, le 7 janvier 2009 et le 25 octobre
2011. Nous l’interrogeons sur la présence des miliciens de Yusuf. Il affirme qu’ils
sont venus avec 2 bus et une Susuki. Ils ont fait halte à Mugonero.
rapport Mucyo. http://www.francegenocidetutsi.org/RapportMucyo15novembre2007.pdf#
page=196
132. Le père d’Obed Ruzindana, Elie Murakaza, marche effectivement avec des béquilles,
suite à un accident. Cf. African Rights, Résistance au Génocide - Bisesero - avril-juin 1994
[2, pp. 52].
133. Rapport Mucyo, [3, Rapport, p. 214].
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 51
Q : Est-ce que tu peux te souvenir de la provenance des miliciens
qui sont venus attaquer les Tutsi à Bisesero quand les Français
étaient là ?
R : Oui. Certaines attaques venaient... certains sont venus avec
des véhicules, arrivaient de Rwamatamu accompagnés par Ruzindana
Obed, d’autres, c’était nous les paysans qui nous rassemblions
ici, en provenance de toutes les directions. Alors après nous être
rassemblés, nous montions vers Bisesero tandis que les Français eux
campaient là bas chez Fundi où se trouve actuellement le bureau de
secteur. [...]
Q : Est-ce que quand les Français étaient là, il y a des miliciens
qui venaient de loin, c’est-à-dire qui n’étaient pas de Gishyita et de
Gisovu ou de Mubuga ?
R : Ceux qui arrivaient de loin sont ceux qui sont venus de Gisenyi
et ceux qui sont venus de Cyangugu, miliciens de Youssouf qu’il a
emmenés personnellement. Sinon je ne peux pas connaître ceux qui
sont venus de Mubuga ou Rutsiro ou d’ailleurs ; [...]
Alors Youssouf est venu, sont venus aussi les Interahamwe provenant
de Gisenyi, il y en avait aussi qui arrivaient de Birambo,
Rutsiro, de partout ; en fait, il n’y a pas eu un seul coin d’où ils ne
sont pas venus. Il y avait nous les simples paysans, mais aussi d’anciens
militaires. Je les voyais monter là-bas mais nous ne savions pas
ce qu’ils faisaient là-haut. Sauf qu’il y a eu les dernières attaques
et ce sont celles-là qui ont exterminé les derniers Tutsi après le rassemblement
de ceux-ci dans les Bisesero par les Français qui leur
disaient qu’ils venaient les protéger ; et après deux jours les Français
sont partis je ne sais où ailleurs et c’est là qu’il y a eu ces dernières
attaques qui en ont fini avec les Tutsi de Bisesero alors que les Français
venaient de les regrouper là-bas. [...]
Q : A propos des miliciens qui venaient de Bugarama commandés
par Youssouf, est-ce que Youssouf les conduisait, est-ce qu’il les
dirigeait, à combien ils étaient, combien de véhicules les transportaient,
combien de jours sont-ils restés, et où ont-ils couché et ont-ils
mangé, etc.
R : Je ne peux pas me rappeler combien de jours les Interahamwe
y sont restés, mais ils sont venus dans deux bus et une camionnette
Suzuki qui transportait Youssouf, mais les deux bus étaient remplis
d’Interahamwe en provenance de Bugarama. Ils étaient alors établis à
Mugonero et ils y laissaient les bus et montaient à pied en passant par
Muramba et d’autres collines par là-bas pour aller attaquer Bisesero.
Ils arrivaient donc dans ces deux bus ainsi que cette Suzuki qui
transportait leur chef. Alors les paysans, dont nous qui avons fait des
aveux de culpabilité, nous remontions avec eux pour leur apporter
notre renfort et nous les assistions pour encercler ces gens-là qu’on
attaquait ; ceux-là (qui venaient de Bugarama) eux ils savaient se
battre, c’étaient des Interahamwe professionnels.
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 52
Q : Lors des attaques contre les survivants tutsi, est-ce que les
Français ont essayé d’empêcher les miliciens d’attaquer les Tutsi ?
R : Dans les environs ici tout près non, ils n’ont rien empêché ;
et d’ailleurs des Tutsi, il n’en restait plus. Lorsque les Français sont
arrivés ici, ils se sont rendus compte que plus personne n’était tué,
ceux qui étaient tués en ce moment-là étaient ceux qui s’étaient
réfugiés dans les Bisesero. 134
Le témoin situe la dernière grande attaque de Bisesero, la veille du jour où
les survivants ont été sauvés, c’est-à-dire le 29 juin, jour de la visite du ministre
Léotard. Il évoque une deuxième fois le rassemblement des Tutsi par les Français,
ce qui correspond à la reconnaissance de Duval, le 27 juin :
Q : Peux-tu situer la date de la dernière attaque à Bisesero,
est-ce que c’était le jour où les hélicoptères ont porté secours aux
survivants, c’est-à-dire tu sais, le 30 juin ?
R : Je pense que c’était le jour d’après l’attaque, quand ils [les
Français] sont allés ramasser ceux qui avaient survécu ; mais ils [les
Français] avaient commencé par les regrouper comme je l’ai déjà dit
plus haut qu’ils les avaient rassemblés et là ils disaient qu’ils allaient
les protéger, et peu après ils [les Français] se sont esquivés un peu et
ne sont pas restés avec eux, et puis nous on est passé par les côtés
et ces gens ont été massacrés. 135
Nous avons interrogé Isidore Kayiranga, déjà cité plus haut, sur la venue des
miliciens de Cyangugu fin juin :
Q/ Est-ce qu’il y a des miliciens qui sont venus de loin, de Gisenyi,
de Cyangugu pendant que les Français étaient là ?
R/ Oui ils sont venus dans un bus d’un certain...
Q/ Durant la présence des Français ?
R/ Oui, ils sont venus.
Q/ C’était des miliciens, des militaires, des gendarmes... ?
R/ C’était des personnes qui avaient été entraînées à Cyangugu,
amenées par un certain Youssouf. Si c’était des militaires ou non,
je l’ignore ; en tous cas, ils étaient munis d’équipements militaires.
Toutefois ils ne portaient pas d’uniformes militaires.
Q/ Est-ce que tu les as vus ?
R/ Oui.
Q/ Qui les commandait ? Est-ce que c’était Youssuf qui les commandait
?
R/ C’était Youssouf qui les commandait. Il est venu ici à Gishyita
et y a passé deux jours.
Q/ Quand les Français étaient là ?
134. Interview d’Elie Ngezenubwo par Jacques Morel, Gishyita, 25 octobre 2011, interprète
Jean Ruzindaza, traducteur de l’enregistrement sur cassette, Vénuste Kayimahe. http://www.
francegenocidetutsi.org/NgezenubwoElie25octobre2011.pdf
135. Interview d’Elie Ngezenubwo, ibidem.
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 53
R/ Ils étaient bien ici.
Q/ Qu’est-ce qu’il avait comme voiture ?
R/ Ils sont venus par bus de l’ONATRACOM.
Q/ Lui aussi est venu dans le bus ?
Q/ Oui, ils sont venus dans les bus de l’ONATRACOM
Q/ Un bus ou plusieurs ?
R/ Un seul. De l’ONATRACOM
Q/ Et Youssouf, il était dans le bus ou il avait sa voiture ?
R/ Il est venu dans ce bus même.
Q/ C’était un bus de quelle couleur ? C’est vert ?
R/ Vert.
Q/ Quelqu’un nous a dit qu’il était venu dans sa voiture Suzuki.
R/ Ça je ne peux pas l’admettre. Car moi je ne l’ai pas vu, moi
je suis en train de dire les choses que j’ai pu voir.
Q/ S’ils sont venus deux jours, ils ont dormi où ?
R/ Lorsque ces gens sont venus, là dans ce petit centre, les commerçants
avaient déserté les lieux. Moi-même j’y étais commerçant
mais j’avais déjà fui le lieu. C’est donc dans ces maisons là-bas
qu’ils dormaient. Tous les commerçants avaient cessé de travailler
et avaient fui. Ceux qui ne s’étaient pas joints à ces gens-là (aux
tueurs) avaient pour la plupart fui ou avaient été tués, la plupart
étant des tutsi.
Q/ Et le bus de Cyangugu il est venu jusqu’ici à Gishyita ?
R/ Oui il est venu de Cyangugu jusqu’ici à Gishyita. Avec les
Interahmwe qui faisaient des acrobaties à leur manière sur le véhicule
recouvert de feuilles de bananiers.
Q/ Comment a-t-il su qu’ils venaient de Cyangugu ? Est-ce qu’il
connaissait Youssouf et est-ce qu’il connaissait les gens ?
R/ Youssouf lui aussi je le connais. Il est le frère de mon beaupère.
Q/ Je crois d’ailleurs qu’il est originaire de la région ?
R/ Il est originaire d’ici à Ruhanga
Q/ Et il est resté deux jours pendant que les Français étaient là ?
R/ Oui, deux jours qu’ils ont passés là. Ils étaient équipés d’armes
blanches, de grenades, d’un certain nombre de fusils, de couteaux
assez courts avec lesquels ils tuaient ; et ils tuaient très mal les gens,
ils les découpaient, ils faisaient tout pour les attraper vivants et les
torturer à plaisir.
Q/ Ils avaient des armes à répétition, des kalachnikov ils en
avaient ?
R/ Alors, j’ai oublié de lui dire [à Jacques] : il ne faut pas qu’il
s’imagine que ceux qui massacraient n’étaient pas armés ! Même des
machine-gun (mitrailleuses), ils en avaient. Et les Français ne pouvaient
pas dire qu’ils n’entendaient pas d’ici le bruit des fusillades.
Si tu te trouves là-bas dans les Bisesero et tire avec une kalachnikov,
même la personne qui se trouverait à Mpembe tout prêt de l’île
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 54
Idjwi, elle entendra ; car la kalachnikov est très bruyante. J’aime souvent
dire qu’il ne faut pas qu’ils se justifient de cette manière pour
dire qu’ils ignoraient ce qui s’y passait, car les attaquants avaient
même des fusils qui portaient des stream (lance-roquettes ?), et ils
les tiraient aussi et cela fait des explosions plus fortes que celles
des grenades. Ils balançaient aussi des grenades ; donc le bruit des
explosions et des tirs, ils l’entendaient et puis ils voyaient... Les détonations
dépassaient Gishyita et ceux qui se trouvaient à Mpembe
les entendaient. Les bruits dépassaient cette cellule où nous sommes
et où ils se trouvaient et se faisaient entendre plus bas jusqu’à la
frontière du Rwanda et du Congo ! Car Bisesero est à une haute altitude,
et eux se trouvaient plus bas. Les bruits s’entendaient bien
là.
Q/ Est-ce qu’il y avait des armes comme des lance-roquettes ou
des mortiers ? Est-ce qu’il y avait de l’artillerie ?
R/ Les mortiers ont été utilisés avant ; avant la présence des
Français. Mais les (machine-gun (mitrailleuses) elles, ils en avaient,
ils les utilisaient. 136
Straton Sinzabakwira, ex-bourgmestre de Karengera, a évoqué l’envoi de
miliciens de Cyangugu à Bisesero. Nous le réinterrogeons sur cet épisode :
Q. Y a-t-il eu des miliciens, des Interahamwe venant de Cyangugu
qui sont allés à Bisesero ?
R. Oui oui oui il y en a.
Q. Quand les Français étaient là ? Quand les Français étaient là,
pendant l’Opération Turquoise ?
R. Pendant l’Opération Turquoise oui, les Interahamwe de chez
Yusuf Munyakazi. Il est en prison à Arusha. Ils allaient là-bas.
Q. Qui est Munyakazi Yusuf ?
R. C’était le responsable de la milice interahamwe de Bugarama,
la grande milice de Cyangugu, la forte milice parce quelle était armée
et avait des fusils, et avait des grenades, et elle recevait de l’argent
du gouvernement, de la nourriture, des véhicules, c’était la milice
principale de Cyangugu.
Q. Et avez-vous vu ces miliciens ?
R. Oui je les ai vus parce que pour aller à Bisesero, on passait
par la commune Karengera, la grande route, pour... donc quand on
vient de Bugarama on passe par Cyangugu quand même au centre
de la préfecture, et puis on passe par Nyangezi, c’est la commune
Karengera, Nyangezi. Ils passaient dans ma commune.
Q. Quand ?
R. Heu vers le... vers le 25 juin ils faisaient des allers et viens.
Q. Et vous saviez où ils allaient ?
136. Interview d’Isidore Kayiranga par Jacques Morel, Gishyita, 7 janvier 2009. Interprète
DG. Traducteur de la cassette Vénuste Kayimahe.
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 55
R. Oui on savait parce que c’était leur travail et ils allaient pour
donner le coup de main à Bisesero.
R. Ils étaient combien ?
Q. Beaucoup. Souvent ils partaient, il y avait deux bus. Un bus,
parce que bon je ne sais pas si vous connaissez les bus au Rwanda, ça
peut prendre, ça peut transporter environ 60 personnes, mais quand
c’est une milice on ne s’assoit pas sur, sur des chaises appropriées, on
part même debout, on partait même accrochés sur des cordes tout
autour du véhicule. C’était des gestes extraordinaires. Ils étaient
beaucoup, ils partaient avec un groupe, pas moins de 300.
Q. C’étaient quels bus ?
R. Les bus de l’État, les bus de la préfecture. Les bus c’est du
gouvernement, l’office national des transports en commun, c’était
un un service de l’État. C’est le préfet qui donnait ça. Et on leur
donnait des fusils, on leur donnait des munitions, on leur donnait
de l’argent, on leur donnait de la nourriture, on leur donnait des
militaires, ils partaient avec des militaires, c’était un mélange de
milices et de militaires.
Q. Est-ce que les militaires français étaient au courant de ça ?
R. Oui ils étaient au courant et ils les voyaient. Est-ce que les
militaires français ne coopéraient pas avec Imanishimwe, celui-là qui
est en prison à Arusha ? Ils coopéraient, ils se voyaient chaque jour.
Chaque matin il y avait une réunion entre le préfet, le commandant
de la gendarmerie, le commandant de l’armée, le procureur, celui-là
même qui est en prison à Arusha, il se nomme Nchamihigo Siméon,
le procureur et qui encore ? Il y avait une réunion chaque matin avec
le responsable, le chef des militaires français, le chef des militaires
de l’armée de Habyarimana, le commandant de la gendarmerie, le
préfet et le procureur. 137
Le colonel Hogard dit qu’il a mis en place un comité de coordination où il
se réunit tous les jours avec le préfet. 138 Mais Hogard prend ses fonctions le 1er
juillet. Le colonel Tauzin s’est-il coordonné également avec Bagambiki ? C’est
probable. Causant avec Straton de l’exécution de 5 Tutsi à la barrière de Ntendezi
en présence de Français, il nous reparle de l’expédition des Interahamwe de
Cyangugu à Bisesero :
Q. Oui, vous sauriez dire à quelle date c’était à peu près cet
événement ?
R. [Après avoir réfléchi] Le 22 j’étais à Cyangugu, le 25, le 26,
entre le 26 et le 27 parce que le lendemain il y a eu un groupe des
Interahamwe qui est parti à Kibuye, c’est le point de repère que j’ai
dans ma mémoire.
Q. Qu’est-ce qu’ils sont allés faire à Kibuye ?
137. Interview filmé en vidéo de Straton Sinzabakwira par Valérie Marinho de Mourra et
Jacques Morel, prison de Mpanga, 26 octobre 2011.
138. G. Périès, D. Servenay [13, p. 326].
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 56
R. Entre le 26 et le 27 juin ?
Q. Qu’est-ce qu’ils allaient faire à Kibuye les Interahamwe ?
R. Ils allaient pour le renfort des massacres des Tutsi à Bisesero.
Q. Alors attendez, vous avez situé cet événement à la barrière de
Ntendezi le 26 ou le 27 ?
R. Juin.
Q. Juin, et vous dîtes le lendemain, les Interahamwe sont partis
vers Kibuye ?
R. Sont partis vers Kibuye, oui.
Q. Donc le 28 juin ?
R. Oui.
Q. Comment vous vous en souvenez ? Pourquoi vous vous en
souvenez de ça ?
R. Je m’en souviens parce que j’étais présent à Ntendezi. C’était
un site où j’étais moi-même chargé de superviser la barrière de Ntendezi
parce que c’était un point fort. C’est un croisement entre la
préfecture de Gikongoro et la préfecture de Kibuye. Tout le monde
qui venait de Kigali, tout le monde qui venait de Kibuye, de Gisenyi,
devait passer par Ntendezi pour regagner Cyangugu et pour
regagner Bukavu. 139
Donc de cet interview de Straton Sinzabakwira, nous retenons que des Interahamwe
de Yusuf Munyakazi sont allés à Bisesero vers le 28 juin dans deux bus
de l’ONATRACOM. Le commandant français, le colonel Tauzin à l’époque des
faits, avait une réunion quotidienne avec des responsables dont le préfet Bagambiki
et le commandant militaire, le lieutenant Imanishimwe. C’est là qu’aurait
été prise la décision d’envoyer des miliciens à Bisesero. 140
Au final, nous disposons de dix témoignages indépendants :
— Tharcisse Nsengiyumva, soldat des FAR, infirme. Il a vu le départ des
miliciens avec les Français à la sortie de Cyangugu (Cécile Grenier).
— NN, femme rescapée de Cyangugu. Elle a entendu parler de l’envoi des
miliciens de Yusuf par les Français à Bisesero (Cécile Grenier).
— Ahmed Bizimana, Interahamwe de Yusuf, est allé à Bisesero (Georges
Kapler).
— Jean Bosco Habimana, caporal FAR et chef Interahamwe de Cyangugu.
Il a vu les Interahamwe revenir de Bisesero (Georges Kapler).
— Thomson Mubiligi, Interahamwe de Cyangugu. Il dit que Yusuf collaborait
avec les Français et qu’il est allé en renfort à Bisesero (Commission
Mucyo et vérifié par nous).
— Vincent Nzabonitegeka, Interahamwe de Yusuf. Il est allé à Bisesero fin
juin (Commission Mucyo et vérifié par nous).
— Elie Ngezenubwo, paysan de Gishyita. Il a participé aux massacres à
Bisesero en présence des Français notamment le 29 juin. Il a vu fin juin
les miliciens de Yusuf (Commission Mucyo et vérifié par nous).
139. Ibidem.
140. ONATRACOM : Office national de transport en commun.
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 57
— Isidore Kayiranga, commerçant à Gishita. Il a vu les miliciens de Yusuf à
Gishyita quand les Français étaient là (Commission Mucyo et vérifié par
nous).
— Straton Sinzabakwira, ex-bourgmestre de Karengera, dit que Yusuf et ses
miliciens sont allés à Bisesero les 28 et 29 juin et que le commandement
français, qui se réunissait tous les jours avec le préfet Bagambiki, était
bien sûr au courant.
— Trois rescapés de Bisesero témoignent que 9 personnes qu’ils connaissent
ont été tuées par les miliciens de Yusuf, le 29 juin, jour de la visite du
ministre Léotard (notre enquête sur les victimes de Bisesero tuées en
présence des Français).
Ces témoignages attestent tous que les miliciens de John Yusuf Munyakazi
sont allés attaquer les Tutsi à Bisesero en présence des militaires français. Tharcisse
Nsengiyumva les a vus partir ensemble de Cyangugu. Straton Sinzabakwira
les a vu à Ntendezi le 28 juin. D’autres de Cyangugu savent que les miliciens de
Yusuf ont été envoyés par les Français (NN, Thomson Mubiligi, Jean Bosco Habimana).
Deux autres ont fait partie de ces miliciens envoyés à Bisesero (Ahmed
Bizimana, Vincent Nzabonitegeka). D’autres, de Gishyita, ont vu les miliciens
de Yusuf ces jours-là (Isidore Kayiranga, Elie Ngezenubwo).
En conclusion, nous considérons comme une hypothèse très probable que les
militaires français se sont entendus avec le préfet Emmanuel Bagambiki et le
commandant militaire Samuel Imanishimwe pour que John Yusuf Munyakazi
et ses miliciens partent liquider les Tutsi survivants à Bisesero les 28 et 29 juin
1994. Le responsable des militaires français à cette époque était le colonel Tauzin
qui était sous les ordres du colonel Rosier.
9.11 Des affrontements entre milices et maquis tutsi
Au Conseil restreint du 29 juin, l’amiral Lanxade déclare : « Nous avons
trouvé des camps de réfugiés tutsis, nous avons évacué une communauté religieuse.
Les affrontements continuent entre milices hutues et maquis tutsis. Nous
cherchons comment éviter la reprise des massacres. » 141 Ce maquis tutsi correspond
aux prétendus accrochages à Bisesero. À Paris, on ne voulait donc pas
entendre parler de survivants tutsi pourchassés. Ils ne pouvaient être que des
ennemis infiltrés.
La dépêche de MichelaWrong qui suit laisse clairement apparaître que Marin
Gillier raconte des histoires aux journalistes. L’histoire suivante d’un instituteur
entouré par des Tutsi qui le menacent de leurs lances lundi 27 juin ressemble
étrangement à celle de l’instituteur Twagirayezu qui sert de guide au lieutenantcolonel
Duval alias Diego :
GISHYITA (RWANDA), 29 juin, Reuter - La France a envoyé
mercredi des renforts soutenir une unité du GIGN au sud du lac
141. Conseil restreint du 29 juin 1994. Secrétariat : Vice-amiral de Lussy (État-major particulier).
http://www.francegenocidetutsi.org/ConseilRestreint29juin1994MaquisTutsi.pdf
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 58
Kivu, à 100 km au nord de la base française de Cyangugu, où les rebelles
du Front patriotique rwandais mènent de nombreuses attaques
contre des villages.
Des membres du FPR se sont infiltrés dans cette zone et se sont
joints à des Tutsis de la région pour harceler des villages situés au sud
de Kibuye, ont déclaré des responsables français. De source militaire,
on estime que l’objectif du FPR est de prendre Kibuyé pour couper
les forces gouvernementales de leurs bases.
La présence de combattants du FPR augmente les risques d’affrontements
entre les troupes françaises et les rebelles bien qu’aucun
coup de feu n’ait été tiré depuis le début de l’opération “Turquoise”.
La France insiste sur le caractère humanitaire de sa mission. “Ce
n’est pas notre travail d’intervenir dans ce conflit. Mais si nous
sommes attaqués, nous riposterons”, affirme Marin Gillier, officier
commandant l’unité française.
Un incident s’est produit lundi [27 juin] dans le village de Bisesero,
à 2 km de Gishyita, où des Tutsis armés de lances ont entouré un
instituteur qui faisait visiter les environs à des membres du GIGN.
Les Tutsis se sont retirés à l’arrivée d’une jeep française mais ont
jeté des pierres sur la voiture où avaient pris place l’instituteur et
des journalistes.
— Combats —
“Si vous y allez, vous risquez d’être taillés en pièces. Restez sur
la route principale et ne vous aventurez pas à l’intérieur des terres”,
conseille l’officier français aux journalistes.
Les attaques rebelles se rapprochent de plus en plus du camp
français. Gillier, qui se tient avec ses hommes dans une école, a pu
observer des combats il y a deux jours lorque les villageois sont
descendus des collines pour se venger d’une précédente attaque.
“Nous avons vu des hommes envahir la colline. Les combats ont
duré plusieurs heures. On entendait les grenades et les mitrailleuses.
Plusieurs centaines de combattants se sont affrontés et nous avons
entendu dire qu’il y avait 25 morts dont 5 parmi les villageois.”
Les militaires français estiment à un millier le nombre de combattants
cachés dans les collines qui descendent la nuit dans les villages
armés de machettes et de grenades.
Si parmi ses combattants se trouvent des villageois tutsis qui
ont fui les massacres, les Français estiment qu’il y a également de
nombreux rebelles.
Plus les Français resteront dans la région, plus ils seront soumis
aux pressions des Hutus qui aimeraient obtenir l’aide des troupes
françaises pour combattre les rebelles.
“Ils peuvent attaquer à tout moment”, marmonne un jeune Hutu
regardant un militaire français avec ressentiment. “Pourquoi les Français
ne vont-ils pas dans les collines. C’est là que se déroulent les
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 59
combats.” 142
Marin Gillier peut répéter à la journaliste le récit de Twagirayezu, mais le
détail de la présence d’éléments du GIGN ne vient pas de celui-ci. Marin Gillier
est donc informé de source militaire de la reconnaissance du lieutenant-colonel
Duval. Sa thèse que des rebelles se seraient mélangés aux survivants de Bisesero
est pure invention.
9.12 Le 29, François Léotard refuse de porter secours aux
Tutsi
Le ministre François Léotard vint au Rwanda le 29 juin et se rendit à Gishyita.
Il s’entretint avec Marin-Gillier qui, écrit Corine Lesnes, « lui expose la
situation dans ce qu’on appelle désormais « le triangle de Kibuye ». La zone
reste inexplorée et les renseignements sont confus. Des réfugiés s’y trouveraient.
A moins que ce ne soient des éléments précurseurs du FPR, ou encore les uns
et les autres à la fois, tous étant soumis aux attaques des milices armées. Un
autre renseignement fait état de règlements de comptes intervillageois. « Quelle
salade », soupire le général Jean-Claude Lafourcade » 143
Deux journalistes anglo-saxons, dont un reporter du New York Times, dirent
au ministre qu’il y avait deux à trois mille Tutsi encerclés à Bisesero. Ils demandèrent
ce que fait la France. 144
Le ministre Léotard leur répondit : « Nous faisons ce que nous pouvons, c’est
une opération délicate. Il n’est pas question de s’interposer » et il glosa sur les
effectifs encore trop faibles de l’opération. Les journalistes insistèrent. Excédé,
Léotard aurait dit selon Corine Lesnes : « Dès demain on va y aller. » Mais
selon le New York Times, François Léotard refusa toute opération pour évacuer
ou protéger les Tutsi encerclés. 145
Marin-Gillier reçut effectivement un ordre d’aller le lendemain au-delà de
Bisesero pour prendre « contact avec un prêtre français qui vit dans un village
menacé ». 146 L’ordre n’était donc pas d’aller sauver les Tutsi.
Le 30 juin au matin, dans un reportage sur la visite du ministre Léotard la
veille, on entend sur France 2 ce commentaire : « D’heure en heure le risque
d’un affrontement augmente. Des renforts ont été envoyés au sud du lac Kivu où
le Front populaire rwandais attaque des villages. Objectif des rebelles : prendre
Kibuye et couper ainsi les forces gouvernementales de leurs bases. Le répit des
142. Michela Wrong, Présence FPR près du camp français à Gishyita., Reuters - Les actualités
en français, mercredi 29 juin 1994, 15 :42 GMT.
143. Corine Lesnes, M. Léotard craint de nouvelles difficultés pour le dispositif « Turquoise »,
Le Monde, 1er juillet 1994, p. 4.
http://www.francegenocidetutsi.org/LeMondeLesnesLeotard1juillet1994p4.pdf
144. Corine Lesnes, ibidem.
145. Raymond Bonner, Grisly Discovery in Rwanda Leads French to Widen Role,
New York Times, July 1, 1994, p. A1. http://www.francegenocidetutsi.org/
nytGrislyDiscoveryBonner1july1994.pdf
146. Ce prêtre était Jean-Baptiste Mendiondo qui est resté pendant le génocide dans sa
paroisse à Mukungu.
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 60
armes françaises est plus que jamais fragile. » 147 Les militaires français, dont
Rosier sur le terrain, continuent de faire croire que les survivants tutsi de Bisesero
sont des combattants qui menacent Kibuye.
9.13 Le 30 au matin, Marin Gillier ne porte pas secours
aux Tutsi
Le matin du 30 juin, Marin-Gillier dit qu’« ils se préparaient parce qu’ils
avaient eu vent de commandos FPR infiltrés dans la montagne, qu’il fallait aller
vérifier et les débusquer éventuellement ». 148 Gillier partit avec ses véhicules
comme le montre l’émission de Boisserie sur France 2 149 et non à pied comme
Rosier l’affirme à Lugan :
Dans la région de Gishyita, l’action de reconnaissance est reprise
au lever du jour avec tous les moyens dont dispose Gillier. Aucun
journaliste n’y participe car la progression se fait à pied. 150 Elle est
lente compte tenu du relief mais elle est également prudente car le
souci de Gillier est toujours de ne pas avoir à se heurter à d’éventuels
éléments APR infiltrés. Il décide néanmoins d’avancer le plus loin
possible vers l’Est et ce faisant il dépasse le secteur de Bisesero. Vers
midi, après plus de six heures de marche, un informateur lui montre
une colline dans la direction du lac Kivu, affirmant qu’il s’y passe
des choses graves. Le capitaine Dunant chef de l’équipe de recherche
du 13e RDP (Régiment de dragons parachutistes) venus renforcer
les commandos marine de Gillier reçoit l’ordre de faire demi-tour
et de se diriger vers le point en question. Vers 15 heures, après un
peu plus de deux heures de marche, il découvre un important site
de massacre du secteur de Bisesero. Aucun journaliste n’est présent.
Deux heures plus tard, Gillier rejoint lui aussi à pied. Il faut faire
vite car la nuit tombe vers 18 heures. Le secteur est donc sécurisé
tandis que les blessés sont secourus. Immédiatement prévenu, Rosier
fait activer l’hôpital militaire de campagne où sont accueillis les plus
touchés d’entre eux. 151
Gillier passa à Bisesero sans s’arrêter. Il rencontra le prêtre 152 et distribua
de la nourriture aux Hutu, dont bon nombre devaient être des tueurs.
147. F. Chevolleau, P. De Bruchard, France 2, 30 juin 1994, 8 h 35.
148. Philippe Boisserie, Danielle Birck, Retour sur images, Les Temps modernes,
no 583, juillet-août 1995, p. 215. http://www.francegenocidetutsi.org/
BoisserieBirckTMjuillet1995.pdf
149. Philippe Boisserie et Éric Maisy, Les survivants tutsi à Bisesero le 30 juin 1994, Édition
spéciale Rwanda, France 2, 30 juin 1994, 20 h.
150. Si les militaires français vont à pied, ils abandonnent leur armement lourd ce qui est
contradictoire avec cette certitude qu’ils ont d’être très proches de troupes du FPR.
151. Entretien du général Rosier avec Bernard Lugan [9, p. 270].
152. Gillier rencontra le prêtre Mendiendo à Gisovu selon Peyrard, à Gakuta selon Prungnaud.
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 61
9.14 Une équipe de France 2 filme les survivants tutsi
Lâchée par Marin Gillier, l’équipe de Philippe Boisserie de France 2 s’arrêta à
Bisesero, rencontra des Tutsi et fit un reportage qui sera diffusé le soir même. 153
9.15 Alertés par des journalistes, des subordonnés de Gillier
lui désobéissent et se portent au secours des Tutsi
C’est l’intervention de journalistes à Bisesero qui oblige Rosier à faire cesser
cette extermination et à secourir les Tutsi survivants.
Sam Kiley du Times, Michel Peyrard et Benoît Gysembergh de Paris Match
ont précédé le convoi de Gillier à Gisovu. Là, ils ne comprirent pas l’attitude de
Gillier : « Ce matin à l’aube, écrit Peyrard, une petite unité commandée par le
capitaine de frégate Marin Gillier s’est même lancée dans la quête chimérique
d’une infiltration rebelle là-haut vers Gisovu. Sans se douter que le village qui
s’affichait martyr est en vérité celui des bourreaux. » 154
Sam Kiley apporte lui aussi la preuve qu’il est allé à Gisovu avec la colonne
Gillier le 30 au matin et que celui-ci n’avait pas prévu de secourir les survivants
tutsi de Bisesero :
The day had not started well for the French. Their first visit was
to the hamlet of Gisovu, where their commander naively believed
a tall man who claimed to be a Tutsi and said he was living in
harmony with his Hutu neighbours – a statement that is unbelievable
in Rwanda. The french flew in food for the villagers, only to find
them staggering in from their fields under the weight of the beans
and sorghum they were harvesting. 155
Peyrard, Gysembergh et Kiley retournèrent à Bisesero où ils rencontrèrent
d’autres Tutsi, vers 11 heures, dont un certain Théoneste. Peu de temps après
le groupe de reconnaissance du 13e RDP mené par le capitaine Olivier Dunant
et celui du GIGN mené par Thierry Prungnaud, quittèrent Gillier et arrivèrent
à Bisesero un peu après 14 heures. Ont-ils été prévenus par le téléphone satellite
d’un des journalistes ? Raymond Bonner affirme que les militaires français ont
153. P. Boisserie, E. Maisy, D. Vérité, F. Granet, France 2, 30/6/1994, 20 h.
154. Michel Peyrard, Terré dans son trou depuis deux mois, Bernard voit au-dessus
de lui les bottes de ses bourreaux..., Paris-Match, 14 juillet 1994, p. 40. http://www.
francegenocidetutsi.org/MichelPeyrardMatch14juillet1994.pdf
155. Sam Kiley, Injured Tutsi stagger from forest hideouts, The Times, Friday July 1 1994,
p. 15. http://www.francegenocidetutsi.org/KileyTimes1July1994.pdf Traduction de l’auteur
: Des Tutsi blessés sortent en chancelant de leurs caches de la forêt. La journée n’avait
pas bien commencé pour les Français. Leur première visite avait été au hameau de Gisovu, où
leur commandant avait cru naïvement un homme de haute taille se prétendant Tutsi qui disait
qu’il vivait en bonne harmonie avec ses voisins hutu – une affirmation incroyable au Rwanda.
Les Français étaient occupés à donner de la nourriture aux villageois, quand ils réalisèrent que
ceux-ci rentraient de leurs champs pliés sous le poids des haricots et du sorgho qu’ils venaient
de récolter.
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 62
été alertés par des journalistes. 156 Ils préviennent leur chef, Marin Gillier, qui,
mis au pied du mur, doit prévenir Rosier et déclencher l’opération de secours.
Avant que celui-ci n’arrive, un pick-up chargé de cinq soldats rwandais bien
armés, passe et est arrêté par le capitaine Dunant. C’est le véhicule communal de
Gisovu, disent les survivants, ce village que Gillier est en train de ravitailler. 157
Figure 2 – Le 30 juin, les survivants tutsi de Bisesero, regroupés à l’arrivée du
groupe de reconnaissance français, sont protégés par celui-ci lors du passage d’un
pick-up avec 5 militaires rwandais à l’arrière. Juste à droite de la voiture Nissan
blanche immatriculée IT.5711, l’adjudant Thierry Prungnaud est reconnaissable
par sa calvitie. Légende originale : Rwanda’s last surviving Tutsis in the country
gather as French troops frantically organize a rescue. Source : Sam Kiley
c
Sygma/Corbis
156. Raymond Bonner, Grisly Discovery in Rwanda Leads French to Widen Role,
New York Times, July 1, 1994, p. A1. http://www.francegenocidetutsi.org/
nytGrislyDiscoveryBonner1july1994.pdf
157. Voir la photo de Sam Kiley figure 2 page 62.
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 63
9.16 Rosier déclenche enfin l’opération de secours
Rosier fait venir des hélicoptères qui transporteront à Goma les blessés les
plus graves. Là certains subiront des amputations abusives. Les survivants valides
seront gardés dans un camp extrêmemnt précaire à Bisesero même.
Rosier se défend en affirmant que Diego ne lui a rien dit :
« Non, Diego ne m’a pas rendu compte de ce qu’il a découvert à
Bisesero. Je l’ai vu à Kibuye, quelques minutes avant qu’il ne parte
vers Bisesero, et il ne m’a rien dit. Il est parti avec des journalistes et
a enfreint les instructions. Néanmoins, il aurait dû immédiatement
me rendre compte de ce qu’il a vu à Bisesero. J’aurais pris alors
les dispositions qui s’imposaient. Pour nous, cette affaire aurait été
une aubaine à un moment où l’engagement au Rwanda était très
contesté. Et, de toute façon, je l’ai encore vu le lendemain matin au
lever du jour ; il avait tout le loisir de me parler de sa mission de la
veille, mais il ne m’en a pas soufflé mot. C’est pire qu’une faute, un
manquement à l’honneur. » 158
Péan ajoute que Rosier est allé à Kibuye le matin du 28 pour superviser
l’exfiltration des religieuses et « Diego est resté à ses côtés sans lui souffler mot
de son équipée à Bisesero. » 159
9.17 Duval a-t-il informé ses supérieurs ?
La Mission d’information parlementaire fait l’impasse sur la reconnaissance
de Diego-Duval le 27 juin à Bisesero. Elle publie le rapport de Gillier. Puis les
militaires répondirent aux accusations en prétendant que Duval n’avait pas fait
de rapport et que ni Rosier, ni Marin-Gillier n’étaient informés de la présence
de survivants à Bisesero. Il n’avait pas écouté RFI qui parla le 28 juin 1994 à
midi de la reconnaissance de Diego !
Celui-ci a naturellement fait son rapport. Le journaliste Patrick de Saint-
Exupéry écrit à la fin de son article « l’officier français envoie ses informations
à l’état-major ». Dans son livre, il écrit que de retour à Kibuye « Diego restait
pendu à son téléphone crypté, adressant à Paris rapport sur rapport. » 160
Il semble même, qu’étant donné les équipements de transmissions sophistiqués
qui équipent le COS, la colonne Diego renseignait en permanence sur
sa progression le QG de Rosier comme les autres groupes COS. C’est Rosier
lui-même qui se félicite de ses moyens en télécommunication :
Concernant les transmissions, chaque élément disposait de BLU161
158. P. Péan [12, p. 476].
159. Ibidem.
160. Patrick de Saint-Exupéry [15, p. 71].
161. BLU, abréviation de « bande latérale unique ». C’est une technique de communication
radio par modulation d’amplitude dans laquelle on a supprimé la porteuse et l’une des bandes
latérales. Grâce à son efficacité en occupation de spectre radioélectrique et en énergie émise, la
BLU est surtout utilisée pour les liaisons de téléphonie haute fréquence (HF), dans le domaine
maritime, militaire, aviation ou radioamateur.
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 64
et d’INMARSAT avec chiffre pour des liaisons vers le haut ou latérales,
en plus des moyens MF classiques réservés aux liaisons internes.
162
Le guide Jean-Baptiste Twagiyarezu, un instituteur milicien, que Duval avait
trouvé à Mubuga, confirme qu’au retour Duval s’est arrêté pour faire un rapport
:
Selon les indications données sur place à la Commission par Jean-
Baptiste Twagirayezu, Diego a fait arrêter le convoi et s’est légèrement
éloigné avec sa valise de téléphone satellite. « Au retour, nous
nous sommes arrêtés au carrefour des routes Gisovu et Gishyita,
vers Mubuga. Diego a sorti un appareil radiophonique qu’il a mis
par terre pour passer son message pendant environ 5 minutes avant
de reprendre la route. Il a donné son coup de fil à voix basse afin de
ne pas se faire entendre par le reste du convoi ». 163
Le point de presse fait par le général Germanos le 28 juin est une preuve
qu’il a lu le rapport de Duval sur sa reconnaissance du 27 à Bisesero. 164
Selon Bernard Lugan, Duval n’a pas fait de compte rendu de sa reconnaissance
du 27 à Gillier, qui n’était pas son supérieur. Duval a fait des comptes
rendus à sa hiérarchie, dont le colonel Rosier en premier lieu, « d’abord oralement
le 27, puis par écrit le 29 ». 165
Il nous paraît invraisemblable que Duval n’ait pas communiqué avec Gillier,
en raison de la proximité géographique du but de la reconnaissance de Duval et
du lieu de stationnement de Gillier. Pour monter à Bisesero, Duval a emprunté
la bifurcation qui se trouve à au plus 1 000 mètres du bureau communal de
Gishyita près duquel est stationné Gillier.
À qui fera-t-on croire que des militaires si bien équipés ignoraient la position
de leurs collègues à proximité ! Un minimum de précaution pour des militaires
en opération semble être de se tenir informés de leurs positions respectives.
Duval n’aurait informé Rosier qu’oralement et seulement le 29 par écrit. La
distinction entre communication orale et écrite paraît désuette. Nous supposons
que les militaires au niveau des état-majors enregistrent toutes les conversations
téléphoniques. Nous voyons les Belges de la MINUAR, moins bien équipés, tenir
des cahiers de veille où l’opérateur note un résumé de toutes les communications.
En 2006, le général Lafourcade, interrogé par Laure de Vulpian sur France
Culture, répondit : « Bon alors personne, si vous voulez, au niveau de l’opération,
n’a entendu parler du compte rendu de Diego, c’est ça le problème. Il dit
qu’il a fait un compte rendu mais personne ne l’a vu. Je ne vois pas comment
un compte rendu ne serait pas arrivé parce que quand le deuxième compte
162. Rapport du colonel Rosier, chef du détachement COS, NMR 001/TURQUOISE/DET
COS, Goma le 27/07/1994, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Tome II, Annexes,
p. 396]. http://www.francegenocidetutsi.org/RosierRapport27juillet1994.pdf
163. Audition de Jean-Baptiste Twagirayezu à Bisesero, 15 décembre 2006. Cf. Rapport Mucyo,
[3, p. 207].
164. Voir section 9.5 page 36.
165. B. Lugan, [9, pp. 265–266].
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 65
rendu est arrivé, je peux dire que la réaction a été rapide pour aller à Bisesero
et régler le problème humanitaire parce que pratiquement, on arrivait trop
tard. » 166 Évoquant un deuxième compte rendu, le brave général avouait ainsi
qu’il y en avait eu un premier.
En 2010, le journaliste Jean-François Dupaquier publie le rapport du lieutenantcolonel
Duval, alias Diego :
Le lieutenant-colonel Jean-Rémy Duval est passé là [à Bisesero]
le 27 juin. Il a rédigé un rapport. Qui n’a pas provoqué la moindre
réaction du Commandement des opérations spéciales.
Ce rapport le voici :
« Dans le secteur de Bisesero, nous avons rencontré une centaine
de Tutsis réfugiés dans la montagne. Ils se sont présentés spontanément
sur la piste en voyant les véhicules des militaires français.
Ils seraient environ deux mille cachés dans les bois. D’après eux,
la chasse aux Tutsis a lieu tous les jours, menée par des éléments
de l’armée, gendarmerie, milices encadrant la population. Ils nous
ont montré des cadavres de la veille et du jour même, dont un enfant
blessé, témoin des combats du jour. Ils sont dans un état de
dénuement nutritionnel, sanitaire et médical extrême. Ils ont directement
impliqué les autorités locales de Kibuye comme participant à
ces chasses à l’homme. »
Le lieutenant-colonel Jean-Rémy Duval poursuit : « Ils espèrent
notre protection immédiate et leur transfert en un lieu protégé. J’ai
pu leur promettre que nous reviendrions les voir et que l’aide humanitaire
arriverait bientôt. Il y a là une situation d’urgence qui
débouchera sur une extermination si une structure humanitaire n’est
pas rapidement mise en place, ou tout au moins des moyens pour
arrêter ces chasses à l’homme. » 167
La date exacte de ce rapport n’est pas indiquée, mais le journaliste laisse
entendre qu’il a été rédigé et envoyé à l’issue de cette reconnaissance du 27
juin. Ce rapport est-il authentique ? Il ne contient rien qui nous paraisse invraisemblable.
Cependant, il ne contient pas les précisions que l’on attendrait d’un
militaire, heure de la rencontre, coordonnées géographiques du lieu, composition
du détachement. Il ne fait pas allusion au guide Twagirayezu, accusé de
collusion avec les tueurs par ces survivants. Le journaliste ne publie peut-être
que des extraits. Il ne montre pas de fac-similé.
Dans son livre paru en 2005, Pierre Péan écrit qu’en janvier 2005, Rosier
a appris qu’un message écrit de Duval venait d’être retrouvé dans les archives,
daté du 29 juin 1994 et intitulé Fax No 3, relatant sa mission et montrant la
gravité de la situation des survivants de Bisesero. Ainsi, Diego n’aurait informé
sa hiérarchie que le 29 juin et par écrit. Ce fax est intitulé « Objet : C/R de
166. Laure de Vulpian, Rwanda : l’armée française en accusation, France Culture, Le magazine
de la rédaction, 10 juillet 2006.
167. Jean-François Dupaquier, Là-haut, sur la colline de Bisesero, XXI, avril 2010, pp. 37–38.
http://www.francegenocidetutsi.org/DupaquierXXIavril2010.pdf
9 L’EXTERMINATION DES SURVIVANTS DE BISESERO 66
situation. 1. Mission du 27-06-94 ». Le texte est à peu près identique à celui
donné par Dupaquier. Une phrase diffère : « Je n’ai pu simplement leur promettre
que nous reviendrons les voir et que l’aide humanitaire arriverait bientôt. » Donc
Diego n’aurait rien promis. Trois phrases sont ajoutées :
Il est à noter qu’un véhicule des militaires FAR est passé sans
s’arrêter et qu’il affichait un grand drapeau français sur son capot.
Les reportages de Figaro et de Libé sortent le 29 juin en première
page.
2. Fax mission du 27-06 et visite du MINDEF suit. 168
Dans son livre paru en 2010, le général Lafourcade relate les questions que
posent le 29 juin, deux « journalistes étrangers » au ministre de la Défense
François Léotard, à propos de 3 000 personnes menacées dans « la zone de
Bisesero ». À peine rentré à son PC, il demande une note à son « deuxième
bureau » :
A 15 h 30, on me confirme les bruits qui courent : « Région de
Bisesero, une centaine de Tutsi se sont présentés spontanément
en voyant nos véhicules. Ils seraient environ 2 000
cachés dans les bois, pourchassés tous les jours par des éléments
de l’armée, gendarmerie et milices encadrant la population.
Des morts récents, un enfant blessé. Dénuement nutritionnel
et sanitaire extrême. Demande instante de protection et de soutien
humanitaire. NOTA : un journaliste du Figaro aurait été témoin.
» Pourtant, il est auprès de nous depuis trois jours et ne nous
en a rien dit. 169
Les termes utilisés par celui-ci sont quasiment identiques à ceux cités par
Dupaquier. Il est donc certain que Duval a fait son rapport le 27 juin, mais que
celui-ci a été volontairement mis aux oubliettes, sauf par le général Germanos,
mais il a peut-être gaffé.
Tout ceci montre qu’il y a eu une entente entre l’état-major à Paris et le
gouvernement génocidaire pour laisser celui-ci terminer le travail d’élimination
totale des Tutsi survivant à Bisesero.
9.18 Les Tutsi tués en présence des Français
Entre 1 000 à 2 000 survivants tutsi ont été tués ainsi devant les Français.
Un début de recensement nominatif des victimes tuées en présence des Français
après le 23 juin 1994 compte 381 victimes dont un maximum de tués les 27 et
28 juin. 170
168. P. Péan [12, pp. 476-478].
169. J.-C. Lafourcade [8, p. 105].
170. Vénuste Kayimahe, Jacques Morel, Enquête sur les victimes tuées au Rwanda durant
l’opération Turquoise. Cas de la région de Bisesero , 25 juin 2014. http://www.
francegenocidetutsi.org/BiseseroEnquete2013Analyse.pdf
10 CHEF DU GROUPEMENT EST TURQUOISE BASÉ À GIKONGORO67
10 Chef du groupement Est Turquoise basé à
Gikongoro
Le 24 juin une patrouille commandée par deux lieutenants-colonels Collin et
Jacque, qui seraient Hervé Charpentier, adjoint de Tauzin, et Étienne Joubert,
officier de renseignement du 1er RPIMa, va jusque Butare. Ils passent donc à
Gikongoro. 171 Le 27 juin, les Français arrivent officiellement à Gikongoro. 172 Le
30 juin, le colonel Hogard relève le colonel Rosier dans la région de Cyangugu. 173
10.1 L’installation à l’école de Murambi, lieu de massacre
C’est sur l’ordre de Rosier que le détachement du 1er RPIMa commandé par
Tauzin alias Thibaut va s’installer à Gikongoro. « Le 30 juin, écrit ce dernier,
Rosier me donne l’ordre d’installer mon détachement à Gikongoro, environ à
70 km à l’est de Nyarushishi. La situation se dégrade rapidement autour de
Gikongoro. La population est de plus en plus angoissée du fait de l’avancée du
FPR, [...] » 174
Au cours de ce déplacement les traces du génocide sont notées par Tauzin :
« Le pays est superbe, mais beaucoup de maisons sont incendiées et partout on
sent la mort. [...] Nous traversons des villages presque vides d’habitants mais où
nous repérons des fosses communes. Nous arrivons vers quatre heures du matin
à Gikongoro. Nous installons un bivouac très sommaire dans un bâtiment vide.
Le matin, nous prenons contact avec le bourgmestre et nous installons dans une
école que les événements ont vidés. » 175
Le colonel Tauzin n’en dira pas plus sur cette « école que les événements ont
vidés ». Pourtant, il a repéré précédemment des fosses communes, mais celles
de l’école de Murambi, il a décidé de les cacher. Ce serait sur les indications du
bourgmestre de Nyamagabe, Félicien Semakwavu, qu’il serait allé s’y installer.
Le 21 avril, sur l’ordre du président intérimaire Sindikubwabo, le préfet Laurent
Bucyibaruta, le sous-préfet Frodoard Havugimana, le capitaine de gendarmerie
Faustin Sebuhura, le colonel Aloys Simba, le bourgmestre de Nyamagabe,
Félicien Semakwavu et le greffier de tribunal, David Kalangwa, ont organisé le
massacre des Tutsi qu’ils avaient regroupés dans cette école en construction. Il
y avait entre 30 et 50 000 Tutsi. Après le génocide, on sortira des fosses communes
entre 27 et 29 000 corps. Les militaires français se sont installés à côté
de ces fosses. Ils ont même installé un terrain de volley-ball à proximité. Tauzin
va collaborer avec les organisateurs du massacre cités ci-dessus. Ce qui explique
son silence.
171. Michel Peyrard, « Je ne veux voir ni arc, ni lance, ni machette et surtout pas d’effusion
», martèle le colonel, Paris-Match, 7 juillet 1994, p. 46.
172. Michel Cariou, Rwanda : l’accueil « spontané » des soldats français, Le Figaro, 28 juin
1994, p. 5 ; M. Mas [10, p. 434] ; Hutu villagers cheer French, The Times, 28 June 1994 ;
Jean Chatain, Les Mirage et le ministre Léotard arrivent, L’Humanité, 29 juin 1994. http:
//www.francegenocidetutsi.org/MirageEtLeotardHumanite29juin1994.pdf
173. J. Hogard [7, p. 37].
174. D. Tauzin [16, p. 135].
175. Ibidem.
11 L’INCURSION À BUTARE LES 1er ET 3 JUILLET 68
À leur arrivée, les Français ont fait nettoyer les traces qui restaient du massacre,
selon une survivante :
Aujourd’hui j’ai parlé avec une rescapée des massacres de Murambi
qui était là à l’arrivée des Français. Elle était alors âgée de 11
ans. Elle non plus ne se souvient pas de ce terrain de volley-ball, mais
elle se souvient que les Français ont fait enterrer des corps décomposés
qui étaient encore là et les habits déchirés qui n’avaient pas été
pillés. Elle se souvient également qu’ils ont essayé de dissimuler les
taches de sang sur les murs. Un ancien sous-préfet à la préfecture de
Gikongoro du nom de Havugimana Flodoard aurait aussi ramassé
les massues, les bâtons qui avaient été utilisés lors des tueries ainsi
que les cartes d’identité des victimes. 176
11 L’incursion à Butare les 1er et 3 juillet
Alors qu’Edouard Balladur refusait que les troupes françaises s’éloignent de
la frontière zaïroise, il accepta qu’une percée soit faite sur Butare « à la demande
de Mgr Lustiger ». 177 Pour le colonel Rosier, il s’agissait d’y installer un hôpital
(EMMIR). 178 Ce n’était que des prétextes, puisque, le FPR se rapprochant de
Butare, les militaires rwandais appelèrent les Français au secours. 179 En effet,
le préfet de Butare, le lieutenant-colonel Alphonse Nteziryayo, a lancé un appel
aux Français à venir pour stopper l’avance du FPR :
« The French must come here to convince the RPF not to advance,
pushing civilians in front of them, the prefect of Butare,
lieutenant-colonel Alfonse Nzeriyayo, said. He said the RPF was
using civilians as a human shields. If we defend ourselves against
the RPF, we have to shoot at civilians whom the RPF has forced
between us. » 180
Il s’agissait donc d’empêcher le FPR de prendre la ville. La chaîne télévision
française France 3 relaie cet appel : « Les militaires français de l’opération
Turquoise, dit Gaël Leficher, ont justement progressé en direction de Butare.
176. Communication de la survivante DG.
177. Note de Bruno Delaye et du général Quesnot à l’attention de Monsieur le Président
de la République, 30 juin 1994. Objet : Rwanda - Réunion à Matignon. http:
//www.francegenocidetutsi.org/QuesnotDelaye30juin1994.pdf
178. Rapport du colonel Rosier, chef du détachement COS, NMR 001/TURQUOISE/DET
COS, Goma le 27/07/1994, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Tome II, Annexes,
p. 398]. http://www.francegenocidetutsi.org/RosierRapport27juillet1994.pdf
179. Alain Bossac qui tenait un garage et faisait fonction de consul est resté à Butare pendant
tout le génocide et était en contact avec les Français de Turquoise. Cf. Témoignage de Maria
Hutler.
180. Lindsey Hilsum, ibidem. Traduction de l’auteur : « Les Français doivent venir ici pour
convaincre le FPR d’arrêter d’avancer en poussant devant lui les civils », déclare le préfet de
Butare, le lieutenant-colonel Alfonse Nzeriyayo [Alphonse Nteziryayo]. Il ajoute que le FPR
utilise des civils comme bouclier humain. « Si nous nous défendons contre le FPR, nous
devons tirer sur des civils que les troupes du FPR poussent devant elles ».
11 L’INCURSION À BUTARE LES 1er ET 3 JUILLET 69
Les organisations humanitaires et l’armée espèrent que la présence des militaires
français bloquera la progression des rebelles du FPR. » 181
Les militaires de Rosier arrivèrent le 1er juillet après-midi. Le détachement
du 1er RPIMa sous les ordres de Tauzin alias Thibaut vint par la route. Les commandos
de l’air arrivèrent en hélicoptère et Rosier par le C160 du COS. 182 Les
images montrées par la télévision de militaires français mettant leurs armes en
batterie notamment des missiles anti-char Milan, laissent penser que l’opération
est tout sauf humanitaire. 183
Que se passa-t-il ? Le FPR étant arrivé à Save, un groupe se dirigea à Save
au nord « pour y extraire des religieux ». Il faisait nuit, la colonne « de 2 jeeps P4
commandée par Charpentier » 184 tomba sur des soldats du FPR qui ouvrirent le
feu sur le premier véhicule. Les occupants, deux religieux et un membre des FAR
furent tués. 185 Nos troupes d’élite se protégeaient derrière ! Elles battirent en
retraite. Le lieutenant-colonel Charpentier et un autre militaire furent blessés.
Selon Didier Tauzin, c’est en faisant demi-tour que leur jeep serait tombée dans
le fossé. Il remercie Saint Michel que ses soldats ne soient pas tombés aux mains
du FPR! 186 On peut effectivement se demander si des militaires français n’ont
pas été faits prisonniers. L’ensemble du dispositif français repartit dans la nuit,
évacuant des religieuses clarisses. 187 D’autres autorités auraient été évacuées.
Les Français demandèrent au général Dallaire de négocier un cessez-le-feu le
3 juillet pour évacuer ceux qui n’ont pu l’être. Ils revinrent donc le 3 juillet. Un
convoi alla au Burundi et abandonna des religieux aux miliciens, dont l’abbé
Sebera. Un autre rejoignit Gikongoro et eut des accrochages avec le FPR.
Des éléments français ont-ils reçu l’ordre de s’avancer vers Kigali depuis
Butare le 1er juillet ? Le colonel Tauzin écrit qu’il espérait bien recevoir alors
l’ordre de continuer par la route pour « foncer vers Kigali ». Mais l’ordre ne
vint pas. 188
Des Français ont-ils été faits prisonniers par le FPR lors de l’embuscade du
1er juillet à Save ? Ou à une autre occasion ?
Il est certain que des négociateurs, dont Gérard Prunier et Jean-Christophe
Rufin, furent envoyés en urgence par le ministère de la Défense le 3 juillet pour
rencontrer Paul Kagame. Le prétexte invoqué, de le mettre en relation avec le
général Lafourcade avec un téléphone rouge, ne tient guère. Kagame disposait
lui-même d’un téléphonse satellite. 189 Beaucoup d’indices montrent qu’ils sont
allés négocier la libération de prisonniers. En échange de la libération de ses
181. France 3, 2 juillet 1994, 19 h.
182. B. Lugan [9, p. 221].
183. France 2, 2 juillet 1994, Journal de 20 h : Butare.
184. D. Tauzin [16, p. 138].
185. Deux frères maristes ont été tués, Christopher Mannion, envoyé par le supérieur général
de Rome et Joseph Rushigajiki, frère de Save.
186. D. Tauzin, ibidem, p. 139.
187. Catherine Jentile et Thierry Froissart, TF1, 2 juillet 1994, 20 h.
188. D. Tauzin [16, p. 136].
189. TD Kampala 562 4/7/1994 15 h 39, signé Descoueyte. Objet : Entretien avec
le Président Museveni et Paul Kagame. p. 2/2. http://www.francegenocidetutsi.org/
Descoueyte4juillet1994.pdf#page=2
11 L’INCURSION À BUTARE LES 1er ET 3 JUILLET 70
hommes, la France dut restreindre la zone qu’elle voulait contrôler en abandonnant
les fiefs hutu de Ruhengeri et Gisenyi.
11.1 Évacuation par avion du colonel Bagosora
Les Français ont évacué de Butare le colonel Bagosora, le principal organisateur
du génocide :
Le journaliste Sam Kiley accusa les soldats français, qui étaient
arrivés à Butare le 1er juillet, d’avoir évacué également le colonel
Bagosora, par avion, le 2 juillet, avec un petit nombre d’autres personnes.
Kiley tient son information d’un officier français de haut
rang qui connaissait bien Bagosora et qui avait donc des raisons
d’être bien informé sur les détails de l’opération. 190
Le journaliste Sam Kiley du Times lui-même écrit :
The following facts are not in doubt. [...] French troops rescued
among others, Colonel Theoneste Bagosora (Chef de cabinet in the
Hutu government and the evil genious behind the genocide) in July
1994 as the Tutsi rebels closed in on Butare. 191
Cette information n’est pas corroborée par d’autres sources. Mais Sam Kiley
est un témoin sûr. Il est certain qu’il est allé à Butare puisqu’il y a pris des photos
lors de l’évacuation du 3 juillet. Ce jour-là Rosier commandait les opérations
depuis son hélicoptère. Il a pu évacuer des autorités. Mais cette évacuation a pu
se faire, comme indiqué plus haut, par le Transall qui est reparti dans la nuit
du 1er au 2 juillet et Kiley l’aurait appris le 3 juillet. Au TPIR, Bagosora n’a
pas parlé de sa présence à Butare à cette époque.
11.2 Évacuation des auteurs du génocide à Butare
Alors que les Français ont pris pour prétexte l’évacuation de religieux pour
aller à Butare, ce sont tous les auteurs du génocide qui ont pu fuir en profitant
en partie de leur intervention. La plupart vont à Gikongoro et se retrouvent
sous protection française. Citons Robert Kajuga, président des Interahamwe, le
colonel Alphonse Nteziryayo, préfet de Butare, Tharcisse Muvunyi, commandant
militaire, etc. Sylvain Nsabimana, ancien préfet, emprunte le convoi de Marin
Gillier vers le Burundi.
190. Aucun témoin ne doit survivre [6, p. 798] ; Human Rights Watch/FIDH, entretien au
téléphone, 22 septembre 1998.
191. Sam Kiley, « A French Hand in Genocide », The Times (Londres), 9 avril 1998, p. 24.
http://www.francegenocidetutsi.org/KileyTimes9april1998.pdf Traduction de l’auteur :
« Les faits suivants sont indubitables. [...] Les troupes françaises ont sauvé parmi d’autres le
colonel Theoneste Bagosora (Chef de cabinet dans le gouvernement Hutu et génie démoniaque
du génocide) en juillet 1994 quand les rebelles tutsi ont investi Butare. ».
11 L’INCURSION À BUTARE LES 1er ET 3 JUILLET 71
Georges Rutaganda, 192 vice-président des Interahamwe et membre du bureau
politique du MRND,193 est évacué par les Français début juillet :
While in Butare, Alphonse said he had seen the genocidaire
Georges Rutaganda, vice-president of the Interahamwe, leaving Hotel
Ibis with French troops to go to Gikongoro, before the RPF
arrived in the town. 194
Le 3 juillet, un cessez-le-feu avait été obtenu par l’intermédiaire du général
Dallaire pour procéder à une évacuation « d’orphelins et de religieux ». Les
combattants du FPR, arrivés sur la route de Butare à Gikongoro, s’apercevront
que les Français emmènent dans leur convoi des membres de l’armée rwandaise,
ce qui provoquera un incident. 195
11.3 L’abandon aux tueurs de l’abbé Sebera et de ses compagnons
L’abbé Jean-Marie Vianney Sebera, l’abbé François Ngomirakiza, huit religieuses
bénédictines de Sovu et une postulante ont été tués à Ndago le 5 juillet
1994. Leur véhicule qui suivait un convoi français vers le Burundi lors de l’évacuation
de Butare le 3 juillet, a été abandonné par les militaires français à une
barrière. Sebera et ses compagnons auraient retrouvé un convoi militaire français
qui regagnait Gikongoro le lendemain, mais celui-ci les aurait abandonnés
à une autre barrière. 196 La responsabilité du capitaine de frégate Marin Gillier
et de son supérieur le colonel Rosier est engagée. En effet, le commandant de
l’opération d’évacuation de Butare, le colonel Rosier déclare à Bernard Lugan :
« Gillier, en 2e échelon, doit récupérer 700 orphelins. Il décrochera le premier
pour un repli vers le Burundi où seront recueillis les enfants – Au sud de Butare,
le convoi de Gillier se fait caillasser, mais sans dommages, par la population
hutu. – Puis, par des pistes secondaires, il rejoindra Gikongoro. » 197 Il semble
donc que le convoi qui a quitté Butare le 3 juillet vers le Burundi était commandé
par le capitaine de frégate Marin Gillier et que le lendemain 4 juillet le
convoi qu’ont retrouvé les religieux est encore celui de Marin Gillier. Le colonel
Rosier s’est félicité un peu vite d’avoir sauvé les soeurs de Sovu :
L’armée française voulait évacuer les religieuses de Savé, à une
dizaine de kilomètres au nord-est de la ville. Elle a dû renoncer.
192. Georges Rutaganda a été condamné à la prison à vie par le TPIR pour génocide le 6
décembre 1999. Il est décédé en prison le 11 octobre 2010. Cf. RFI, L’ancien chef milicien
rwandais Georges Rutaganda est décédé au Bénin, 13 octobre 2010.
193. Rwanda : Death, Despair and Defiance [1, p. 163].
194. A. Wallis [17, p. 163]. Traduction de l’auteur : Alors qu’il était à Butare, Alphonse dit
qu’il a vu le génocidaire Georges Rutaganda, vice-président des Interahamwe, quittant l’hôtel
Ibis avec les troupes françaises pour aller à Gikongoro, avant que la ville ne soit investie par
le FPR.
195. Michela Wrong, Rwanda-Vers une confrontation entre FPR et Turquoise, 4 juillet 1994.
http://www.francegenocidetutsi.org/KileyTimes9april1998.pdf
196. Voir l’enquête détaillée en : http://jacques.morel67.free.fr/Sebera.pdf.
197. B. Lugan [9, p. 222].
12 À GIKONGORO LE 4 JUILLET, ROSIER DÉFEND LES ASSASSINS EN DÉROUTE72
« J’ai eu un petit réconfort, confiait dimanche soir [3 juillet] le colonel
Jacques Rozier. On a pu sauver les bénédictines de Sovou. » 198
12 À Gikongoro le 4 juillet, Rosier défend les
assassins en déroute
Le 4 juillet, Paris lui donne le feu vert pour faire barrage au FPR à Gikongoro.
Cette mission n’avait plus rien d’humanitaire et était en pleine contradiction
avec la résolution 929 du Conseil de sécurité. Celle-ci stipulait que cette
opération « ne constituera pas une force d’interposition entre les parties. » 199
Les militaires français organisent alors la défense de Gikongoro. Des blindés légers
AML 90, des mortiers lourds sont acheminés, des légionnaires arrivent en
renfort. Les Français s’installent à l’école de Murambi et y établissent un camp
où ils entassent bourreaux et victimes sur les lieux du massacre du 21 avril qu’ils
cacheront.
Rosier déclare : « le FPR va être surpris, car Gikongoro ne sera pas un Dien
Bien Phû mais plutôt un Austerlitz ». 200 Jusqu’à la fin de l’opération Turquoise
les Français collaboreront avec les auteurs des massacres.
12.1 Les Français installent des canons à l’école de Murambi
Mardi 5 juillet, Corine Lesnes constate que l’armée française installe, dans
un collège en construction, un camp pour réfugiés et une base militaire avec de
l’artillerie. Ce collège est l’école de Murambi, lieu où les Tutsi ont été massacrés
le 21 avril :
C’est ce que l’on peut appeler une protection rapprochée. Mardi
5 juillet, les bérets noirs du 11e régiment d’artillerie de marine ont
installé à la hâte des mortiers dans le camp de réfugiés de Murambi.
Les tubes sont déployés à une centaine de mètres de la population
civile, relogée dans un collège en construction. Les militaires viennent
d’arriver et ils ignorent même le nom de la position qu’ils sont en
train d’occuper. La plupart des réfugiés n’ont qu’une journée de plus
d’ancienneté. Pour tout le monde, le camp est une nouvelle étape
dans une pérégrination qui ne semble pas vouloir s’arrêter.
A vol d’oiseau, le commandement français de Gikongoro est à 2
kilomètres. La première position tenue par le FPR se trouve, elle, à
une dizaine de kilomètres, à la hauteur du village de Simbi, sur l’axe
Butare-Gikongoro, selon le colonel Rozier [Rosier] qui commande le
198. Corine Lesnes, Une mission sur le fil du rasoir, Le Monde, 5 juillet 1994, p. 3. http:
//www.francegenocidetutsi.org/Lesnes5juillet1994.pdf
199. ONU, S/RES/929 (1994). http://www.francegenocidetutsi.org/94s929fr.pdf
200. Michela Wrong, Rwanda-Vers une confrontation entre FPR et Turquoise, Reuters, Gikongoro,
4 juillet 1994. Cf. G. Périès, D. Servenay [13, p. 327].
12 À GIKONGORO LE 4 JUILLET, ROSIER DÉFEND LES ASSASSINS EN DÉROUTE73
détachement français. Le camp est un chantier d’école abandonné.
Les salles de classe font office de dortoir. Les femmes réchauffent un
vague liquide entre des rouleaux de fils d’acier. Les militaires ont
enrôlé des gens pour construire leur enclos. Le 2e régiment parachutiste
d’infanterie, venu de la Réunion, est chargé de s’occuper des
réfugiés et de distribuer les biscuits de l’armée.[...]
Les réfugiés regardent avec inquiétude l’installation des Jeeps et
des mortiers, otages d’un conflit qui les poursuit où qu’ils soient. 201
12.2 Les Français font faire la chasse aux infiltrés par les
Interahamwe
Désiré Ngezahayo a été incarcéré pour génocide et a plaidé coupable. Il est
sans doute responsable du massacre à la paroisse de Cyanika dans sa commune
le 21 avril. Nous l’avons réinterrogé au bureau du procureur à Gikongoro le 20
octobre 2011. Le prisonnier parle bien français et se montre assez coopératif.
Il reconnaît qu’il a appelé la population au génocide des Tutsi. Il nous répète
en substance ce qu’il déclare devant la commission Mucyo. Dans les critères
de reconnaissance d’un infiltré il omet le contrôle de la carte d’identité. Nous
lui faisons remarquer et il nous répond que les Français leur ont demandé de
continuer à tenir des barrières et là, ils continuaient à contrôler ces cartes et à
tuer les Tutsi, s’ils en trouvaient encore, au vu et au su des Français.
Un article paru dans Le Figaro du 6 juillet vient corroborer le témoignage de
Ngezahayo. Marin Gillier des commandos de marine est stationné à la paroisse
de Cyanika, lieu du massacre du 21 avril. Il collabore avec le bourgmestre qui
est Ngezahayo :
A proximité du camp de réfugiés de Cyanika, les commandos
marines ont installé leur campement. Le capitaine de frégate Marin
Gillier travaille en liaison avec le bourgmestre. Il s’agit avant tout de
rassurer les réfugiés qui sont aujourd’hui plus de cinquante mille et
surtout de s’intéresser aux nouveaux arrivants. En effet, déjà dans
le passé, le FPR s’est infiltré dans le camp. Des rebelles se sont
mélangés aux réfugiés. Plusieurs d’entre eux ont été démasqués. Ils
portaient deux ou trois vêtements les uns sur les autres, disposaient
de postes de radio et convoyaient des armes en pièces détachées. Le
bourgmestre affirme que parmi eux se trouvait un Ougandais. Pour
déjouer les infiltrations, les réfugiés sont désormais regroupés par
village d’origine. « Tout le monde se connaît, dit le bourgmestre, les
étrangers sont vite repérés. » 202
L’ex-bourgmestre de Nyamagabe, Jean-Baptiste Mukamarutoki, qui a été
nommé par les militaires français et a collaboré avec eux pendant un mois et
201. Corine Lesnes, « Ici, c’est l’impasse ». Malgré le bouclier français, les réfugiés du secteur
de Gikongoro ne cachent pas leur inquiétude, Le Monde, 7 juillet 1994, p. 3. http://www.
francegenocidetutsi.org/LesnesImpasseMurambi7juillet1994.pdf
202. François Luizet, Les Français verrouillent leur dispositif, Le Figaro, 6 juillet 1994. http:
//www.francegenocidetutsi.org/LuizetInfiltrationsNocturnes6juillet1994.pdf
12 À GIKONGORO LE 4 JUILLET, ROSIER DÉFEND LES ASSASSINS EN DÉROUTE74
demi, confirme les instructions données aux bourgmestres par les militaires français
pour la poursuite des assassinats de Tutsi :
« Les militaires français ne se sont pas très bien comportés pendant
leur présence à Gikongoro. Ils ont largement contribué à la
division des Rwandais. Ils disaient aux autorités dont je faisais partie
de faire la chasse aux Inyenzi partout dans nos communes. Ils
nous transmettaient ce message lors de réunions auxquelles ils nous
convoquaient et qui se tenaient à SOS ». 203
Les critères recommandés par les Français pour reconnaître les Inkotanyi
sont les mêmes que ceux utilisés par les miliciens. C’est le cas pour les traces de
botte sur les tibias. « A un barrage, observe Dominique Garraud sur la route de
Ruhengeri à Gisenyi le 8 juillet, un milicien à l’haleine chargée d’alcool, remonte
les bas d’un pantalon d’un gamin d’à peine 12 ans. ”Je vérifie qu’il n’a pas sur
les mollets de marques de bottes en caoutchouc que portent les terroristes du
FPR”, explique-t-il. » 204
12.3 Les mauvais traitements infligés aux survivants des
massacres
Les militaires français du 2e RPIMa, venus de la Réunion, mélangent dans
le camp de Murambi, Tutsi survivants des massacres et Hutu plus ou moins
assassins. La survivante DG en témoigne :
Dans le camp de Murambi, il y avait aussi bien des Interahamwe
que des survivants tutsis des différents coins du pays surtout ceux
de Gikongoro, Butare voire même de Kigali. Ces derniers n’avaient
pas d’autres choix. [...]
Lorsqu’on arrivait à Murambi, les Français nous accueillaient
juste à l’entrée principale, ils demandaient si on est tutsi ou hutu
avant de nous laisser entrer. Mais je ne sais pas à quoi servait cette
information car que ce soit hutu génocidaire ou tutsi victime, tout
le monde avait accès à ce camp. Pour notre cas, nous avons répondu
que nous étions tutsis, ils nous ont dit d’entrer mais ils nous ont
demandé de nous débrouiller pour le reste. [...]
Comme le camp était devenu l’escale pour des génocidaires, nous
vivions avec des militaires et des gendarmes parfois armés de grenades.
Je ne sais pas ce qui a pu se passer pour qu’ils ne recommencent
pas leur « travail ». On croirait en une force miraculeuse
qui nous a protégés. Nous étions vraiment exposés : nos bâtiments
n’étaient pas clôturés et les militaires français ne gardaient que juste
l’entrée principale. Une autre chose est que les survivants trouvaient
souvent leurs bourreaux dans le camp et ils allaient se plaindre devant
les militaires français. Ceux-ci les arrêtaient sous prétexte qu’ils
203. Rapport Mucyo, [3, p. 242].
204. Dominique Garraud, L’armée rwandaise lâche le gouvernement, Libération, 9 juillet
1994, p. 11.
12 À GIKONGORO LE 4 JUILLET, ROSIER DÉFEND LES ASSASSINS EN DÉROUTE75
allaient les punir, mais on a appris par après qu’ils avaient été libérés
sans condition. Ils ne les gardaient pas dans leur office et on ne sait
pas où ils les mettaient. Ils se sont réfugiés au Congo. Je ne me souviens
pas de leurs noms, mais je peux vous citer quelques cas dont
l’abbé Athanase Robert Nyandwi, un prêtre burundais qui servait
dans la paroisse de Kaduha à Gikongoro, un autre milicien de premier
plan qui a été dénoncé par une fille qu’il avait forcément faite sa
femme de fait après l’avoir violée et un militaire des ex-forces armées
rwandaises qui avait été dénoncé par les survivants de Butare. 205
Les survivants ne sont pas nourris dans le camp ou très mal, poursuit DG :
[...] ils nous ont dit d’entrer mais ils nous ont demandé de nous
débrouiller pour le reste : le logement, la nourriture ! Ils ne nous ont
même pas donné une goutte d’eau ! Et pourtant, ils voyaient bien
que nous n’avions rien, à peine les habits que nous portions, mais ils
n’ont pas pensé à nous donner au moins une couverture. En tant que
personnes en mission humanitaire, je me suis demandé de quelle mission
humanitaire s’agissait-il, s’ils laissaient les victimes vivre de telle
manière. Là, j’ai alors commencé à fort douter de leur protection.
Heureusement, nous avons rencontré des amis qui y étaient arrivés
avant nous et ils nous ont logés. Les Hutus n’avaient aucun problème,
ils allaient aisément s’approvisionner dans la ville de Gikongoro en
dehors du camp car ils n’étaient exposés à aucun risque. Dans le
camp, ils n’étaient qu’à la recherche d’un endroit où dormir car ils
ne pouvaient pas tous trouver des logements à Gikongoro tellement
ils étaient nombreux. Les Tutsis quant à eux ne pouvaient sortir, non
seulement ils craignaient pour leur vie mais aussi ils n’avaient rien
dans leur poche pour s’approvisionner en vivres. Ils restaient là, en
train de voir les autres manger alors qu’eux ils mouraient de faim.
Des fois, les Français distribuaient des vivres : un demi kilo de riz
par semaine et ce n’était pas régulier. 206
Les Tutsi qui tentaient de sortir du camp en quête d’eau et de nourriture
risquaient leur vie :
Les pauvres Tutsis, qui ne pouvaient même pas approcher du
seuil de la porte d’entrée, n’avaient pas la possibilité d’aller puiser
de l’eau. Certains ont été massacrés ou blessés à coups de machettes
en essayant d’aller puiser de l’eau à la fontaine qui était tout juste
à côté et aucune réaction de la part des militaires français. 207
Les militaires français abusent des survivantes affamées :
205. Témoignage de la survivante DG sur le camp de Murambi, 16 mars 2005. http://www.
francegenocidetutsi.org/DGMurambi.pdf
206. Témoignage de DG, ibidem.
207. Témoignage de DG, ibidem.
12 À GIKONGORO LE 4 JUILLET, ROSIER DÉFEND LES ASSASSINS EN DÉROUTE76
Les militaires français ne faisaient que profiter des femmes et des
filles du camp, et vu la situation dans laquelle elles vivaient, cellesci
ne résistaient pas à céder leur corps pour avoir à manger pour
elles et pour d’autres réfugiés voisins. Dans cette zone Turquoise, on
y rencontre actuellement des enfants métis nés des militaires français
même si leurs mamans ne livrent pas cette information facilement.
208
Les militaires français n’ont que mépris pour les survivants :
Pour ce qui est du camp des déplacés et survivants, je ne sais
pas ce qui a motivé les Français dans le choix d’un tel endroit où
venaient de périr des milliers de Tutsis pour y protéger les survivants
membres des familles décimées ou qui étaient voués au même sort.
Les corps avaient été déjà jetés dans des fosses communes, mais nous
n’étions pas dans un état de sentir tous les chocs que nous ont causé
les Français tellement nous étions étourdis ; lorsqu’on va mourir on
n’est plus tellement de ce monde. Il faut dire qu’après le génocide,
les mêmes moyens ne nous parlaient plus. Ce qu’ont fait les Français
dénotait un manque de sensibilité à l’égard de la souffrance subie par
les survivants du génocide. Et leurs visages ne trahissaient aucun état
d’âme : ni fureur, ni tristesse. [...]
Les militaires nous provoquaient en nous disant que si c’étaient
eux, ils ne pouvaient pas rester sans réagir devant les Interahamwe,
que si nous n’étions pas des fous, nous avions un caractère animal !
Ce n’était pas là la meilleure façon d’approcher quelqu’un qui a
enduré une telle souffrance. 209
Lors de leur départ, les Français, toujours selon la survivante DG, abandonnèrent
les survivants des massacres au milieu des miliciens qu’ils n’avaient pas
désarmés :
Même s’il n’y a pas de preuves matérielles, on affirmait que les
Français nous abandonneraient un jour dans les mains des génocidaires.
Cela, je n’en doutais pas, tout était possible. Le jour où nous
avons quitté le camp, les Français ont laissé ceux qui n’étaient pas
embarqués dans les premiers camions. Nous avons été évacués par les
Américains (ils n’étaient qu’à deux). Les Interahamwe ne savaient
pas de qui il s’agissait, et pensaient qu’ils étaient armés. Ils n’ont
pas osé nous faire du mal. Le FPR suivait aussi de près l’évolution
de la situation, nous étions toujours en contact. Nous avions tellement
peur, nous pensions qu’un jour nous serions tués, nous n’avions
plus confiance aux militaires français. Ils ne nous protégeaient pas,
heureusement que les Interahamwe pensaient le contraire. 210
208. Témoignage de DG, ibidem.
209. Témoignage de DG, ibidem.
210. Témoignage de DG, ibidem.
12 À GIKONGORO LE 4 JUILLET, ROSIER DÉFEND LES ASSASSINS EN DÉROUTE77
12.4 Le massacre des Tutsi continue en présence des Français
Alors que le général Germanos, sous-chef des opérations à l’état-major des
armées, en visite à Gikongoro mercredi 6 juillet, déclare que l’opération Turquoise
est là à des fins « strictement humanitaires », 211 les militaires français
ne démantèlent pas les barrières et côtoient les miliciens en armes :
Aux abords du marché qui regorge de légumes témoignant de
la vitalité agricole de la région, des militaires rwandais et des miliciens
nonchalants, Kalachnikov neuves à l’épaule, saluent les soldats
français. Cette atmosphère bon enfant est trompeuse. Dans le flot
des réfugiés, des miliciens traquent encore les Tutsis ou les Hutus
modérés. 212
Lundi 4 juillet, Raymond Bonner voit à Gikongoro une barrière de miliciens
à moins de 1,6 km de la base militaire française de Murambi :
By moving troops into the area, the French have effectively acted
without waiting for United Nations approval, though there was
no visible effort to create an entirely military-free zone. Rwandan
Government troops moved freely throughout the area today and a
checkpoint less than a mile from the French base was manned by
militiamen with machetes, rifles and grenades. 213
La survivante DG montre le lieu-dit Kabeza où était dressée une barrière
gardée par des Hutu armés de machettes. Il fallait y passer nécessairement pour
aller du centre de Gikongoro à l’école de Murambi où étaient les Français. De
plus, elle déclare qu’en arrivant au camp de Murambi vers le 10 juillet elle a vu
près de l’école ACEPER, 214 où étaient stationnés des militaires français, une
barrière tenue par des soldats des FAR armés de fusils. 215
Le survivant Emmanuel Murangira confirme que les Interahamwe et les Français
continuaient à contrôler les cartes d’identité aux barrières comme à celle
sur le chemin de l’école de Murambi :
Les Tutsi continuaient de converger vers Murambi, poursuit Emmanuel.
« Ils étaient tués par les Interahamwe au vu des Fran-
211. Dominique Garraud, Gikongoro, aux abords de la zone de sécurité, Libération, 8 juillet
1994.
212. Dominique Garraud, ibidem.
213. Raymond Bonner, French Establish a Base in Rwanda to Block Rebels, New York Times,
July 5, 1994, pp. A1, A7. Traduction de l’auteur : Les Français installent une base au Rwanda
pour arrêter l’avance des rebelles. En amenant des troupes dans la région, les Français ont agi
sans attendre l’accord des Nations Unies [sur la Zone Humanitaire Sûre], bien qu’aucun effort
visible n’ait été fait pour créer une zone entièrement démilitarisée. Les forces gouvernementales
rwandaises se déplacent aujourd’hui librement dans cette zone et un checkpoint à moins de
1,6 km de la base militaire française [à l’école de Murambi] est gardé par des miliciens armés
de machettes, fusils et grenades.
214. ACEPER : Association pour la contribution à l’éducation et au perfectionnement au
Rwanda.
215. Témoignage de DG, Murambi, 23 juillet 2007.
12 À GIKONGORO LE 4 JUILLET, ROSIER DÉFEND LES ASSASSINS EN DÉROUTE78
çais, parfois en leur présence directe ». Il précise que « des militaires
français ont été vus sur les barrières, comme celle qui était
juste à l’entrée du site, en train de vérifier les cartes d’identité
avec les Interahamwe. » Ces documents mentionnaient « l’appartenance
ethnique », une invention du colonialisme belge bien évidemment
reconduite par les deux dictatures suivantes. Le terme Tutsi
était synonyme de condamnation à mort. « Interahamwe et Français
conjoints », murmure à trois reprises le rescapé. 216
Yvette, une jeune fille de 15 ans, élève au Collège Marie-Merci de Kibeho
(G.S.M.M.K.), a survécu aux massacres mais se retrouve à l’arrivée des Français
en situation toujours aussi précaire :
When the French arrived, the assassins and the genocidal government
began to flee towards Gikongoro. There were a lot of killers
there. At that moment, the director of G.S.M.M.K., Father Emmanuel
Uwayezu, had a gun and was manning the roadblock in the
cellule of Mpunge, five hundred metres from G.S.M.M.K. near the
house of the prefect of studies, along with many other killers. He
participated in the checking of the ID cards. 217
Yvette a été évacuée par les Français après le 8 juillet à l’école de Murambi.
218
Désiré Ngezahayo a été témoin du refus de militaires français de secourir
une personne qui allait être abattue : « Une fille tutsi qui s’appelle Micheline
originaire de Ruhango a été tuée par un policier communal sur ordre du souspréfet
Ntegeyintwali Joseph à une barrière située près de la sous-préfecture de
Karaba. Les Français étaient présents et n’ont pas empêché l’assassinat. Ils ne
faisaient rien pour arrêter les massacres, leur principal souci était de contrôler
les limites de la préfecture pour que le FPR ne s’y infiltre pas ». 219
Ce témoignage est confirmé par Juvénal Mudenge, ex-policier à Karama :
« Lorsque Micheline a été tuée, les Français étaient déjà arrivés à Karama. Ils
n’ont pas enlevé la barrière de Gatyazo tenue par des Interahamwe. Sur cette
barrière, beaucoup de gens qui tentaient de se réfugier à Cyanika ou à Gikongoro
y ont été tués pendant le génocide et cela a continué pendant Turquoise. Ces
Interahamwe, dont Callixte Gahamanyi, ont découvert et tué Micheline alors
216. Jean Chatain, Les spectres de Murambi, L’Humanité, 1er avril 2004. http://www.
francegenocidetutsi.org/SpectresDeMurambiHumanite1eravril2004.pdf
217. Rwanda : Death, Despair and Defiance [1, p. 312]. Traduction de l’auteur : Quand
les Français arrivèrent, les assassins et le gouvernement génocidaire fuyèrent vers Gikongoro.
Il y avait là énormément de tueurs. À ce moment-là, le directeur de G.S.M.M.K., le père
Emmanuel Uwayezu, avait un fusil et gardait la barrière dans la cellule de Munge, à 500 m
de G.S.M.M.K., à côté de la maison du directeur des études, avec beaucoup d’autres tueurs.
Il participait au contrôle des cartes d’identité.
218. Ibidem, p. 313.
219. Témoignage de Désiré Ngezahayo recueilli par la Commission à Nyamagabe le
29/06/2006. Cf. Rapport Mucyo, [3, p. 244]. http://www.francegenocidetutsi.org/
DesireNgezahayoMucyo13decembre2006.pdf
12 À GIKONGORO LE 4 JUILLET, ROSIER DÉFEND LES ASSASSINS EN DÉROUTE79
que les Français étaient présents à quelques mètres de la barrière et du lieu où
l’assassinat a été perpétré ». 220
Eut-il quelques scrupules à l’issue de sa visite à Gikongoro ? Le général Germanos
semble avoir demandé le désarmement ainsi que l’arrestation des auteurs
des massacres. Nous lisons ceci dans une note du général Quesnot et Bruno
Delaye à François Mitterrand :
I - Pour le général Germanos (responsable des opérations à l’EMA)
de retour de Goma, deux questions se posent en ce qui concerne
l’opération Turquoise :
- l’urgence de l’intervention des ONG dans la zone humanitaire
sûre [...]
- le désarmement des milices et des FAR à l’intérieur de la zone
humanitaire et l’arrestation des responsables des massacres. Nombreux
sont ceux qui demandent que nous nous en chargions mais cela
ne relève pas de notre mandat et nous n’en avons pas les moyens. Nos
militaires interdisent toute activité de l’armée rwandaise et des milices
à l’intérieur de la zone et donneront à la commission d’enquête
des Nations Unies et au rapporteur de la commission des Droits de
l’Homme, lorsqu’ils seront présents sur place, toutes les informations
dont ils disposent sur les auteurs des massacres. 221
Il est difficile de ne pas être plus cynique que le général Quesnot et Bruno
Delaye.
12.5 Les largages par hélicoptères
Les militaires français ont largué des personnes par hélicoptères, soit pour
les tuer en les larguant de haut, soit pour s’en débarrasser en les larguant de
quelques mètres. Ils ont ainsi livré des Tutsi aux milices et à la « défense civile »,
mais ils se sont aussi débarassés de Hutu par ce moyen. Ces largages sont relatés
par la commission Mucyo. Désiré Ngezehayo cite un capitaine français qui disait
qu’ils « devaient se débarrasser des éléments nuisibles ». 222 Shinani Siborurema,
Emmanuel Izabiliza et son épouse Gloriose Musabyimana, André Muzigirwa, ont
survécu au largage et le décrivent. 223
Emmanuel Ibyimana, ancien militaire des FAR, Désiré Ngezehayo et Joachim
Hategekimana, ex-sous préfet de Kaduha, attestent que les Français ont largué
dans la forêt de Nyungwe plusieurs personnes dont Jean Benimana, alias Katasi,
vétérinaire à Kaduha. Celui-ci n’a plus été revu.
220. Témoignage recueilli par la Commission à Nyamagabe le 11/10/2007. Cf. Rapport Mucyo,
[3, p. 244].
221. Note du général Quesnot et de Bruno Delaye à l’attention de Monsieur le Président
de la République, 7 juillet 1994, Objet : Rwanda. http://www.francegenocidetutsi.org/
QuesnotDelaye7juillet1994.pdf
222. Rapport Mucyo, [3, p. 252].
223. Ibidem, pp. 254, 259–260.
12 À GIKONGORO LE 4 JUILLET, ROSIER DÉFEND LES ASSASSINS EN DÉROUTE80
Balthazar Musonera alias Gataro a été largué à Ruseke. 224 Un jeune homme
a été largué à Sheke. Il a été amené à la commune de Mubuga à Ndago et
assassiné avec l’abbé Sebera et ses compagnons. 225 Un Tutsi a été largué à
Shaba et a été tué. Pour chaque cas, la commission Mucyo a cherché plusieurs
témoignages qui corroboraient le largage.
12.6 Les Français collaborent avec les organisateurs du
génocide
Une survivante des massacres de Murambi et de Cyanika raconte qu’elle a
été employée comme femme de ménage par les Français qui recevaient souvent
la visite des organisateurs des massacres :
J’ai quitté cette famille à l’arrivée des militaires français. Le secrétaire
de la commune Nyamagabe est venu me chercher. Il ne m’a
pas accompagnée jusqu’au groupe scolaire ACEPER où s’étaient installés
certains militaires français. Il m’a dit qu’il avait peur d’être vu
par Semakwavu qui était en collaboration étroite avec les Français.
Il a ajouté que les personnes accueillies par les militaires français
étaient soit sauvées, soit massacrées selon la volonté du bourgmestre.
Puis il m’a dit : « Je ne sais pas s’ils vont te tuer ou te sauver, mais
tu peux toujours tenter tes chances ». C’était dans les premiers jours
de leur arrivée, je les ai rejoints à ACEPER et j’y ai trouvé trois
autres survivants dont deux filles et un garçon. Ces trois survivants
ont été conduits dans le camp de Murambi et je suis restée à l’ACEPER.
J’avais fait mes études secondaires jusqu’en troisième année
et je connaissais le français. Ils m’ont alors retenue comme leur domestique.
Je faisais le travail de nettoyage de la maison, de cirage
des chaussures, de lessive de leurs habits et autres. Je n’ai pas été
à Murambi lors de l’opération Turquoise ; j’ai vécu à l’ACEPER où
étaient presque 100 militaires français.
Comme le bourgmestre Semakwavu venait souvent leur rendre
visite, je me cachais pour éviter qu’il ne me voie. Un jour, les Français
m’ont appelée pour me présenter au bourgmestre. J’ai eu tellement
peur, mais je ne pouvais faire autrement. Lorsqu’il m’a vue, il n’a
rien dit, mais il est parti fâché. Il est allé réprimander l’homme qui
m’avait cachée. Je suis restée là et j’assistais chaque jour aux visites
des différentes autorités et responsables génocidaires rendues aux
militaires français. Ils entretenaient de bonnes relations et l’accueil
qui leur était réservé par les Français était très chaleureux. Parmi
ces génocidaires, j’ai pu reconnaître le colonel Simba, le bourgmestre
Semakwavu, un député prénommé Marc 226 et le préfet Bucyibaruta.
224. Ibidem, p. 255.
225. Ibidem, pp. 256–258.
226. Marc Hanyurwimfura, député, originaire de la commune de Karama à Gikongoro.
13 RETRAIT DU COS 81
Ils recevaient beaucoup de visites, mais je ne connaissais pas les
visiteurs et moins encore, je ne suivais pas leurs conversations. 227
13 Retrait du COS
Le COS s’est retiré le 26 juillet avant les autres troupes de Turquoise. 228
14 Conclusion
Le colonel Rosier a coopéré avec les auteurs du génocide et a donné l’ordre
à ses subordonnés de faire de même. Il a organisé l’extermination des derniers
survivants tutsi de Bisesero, les faisant passer pour des éléments avancés du FPR
voulant couper en deux la zone gouvernementale. Avec ses subordonnés le colonel
Didier Tauzin et le capitaine de frégate Marin Gillier, il a permis d’acheminer
de Cyangugu en renfort à Bisesero, Yusuf Munyakazi et ses miliciens.
Partout ailleurs, il a laissé continuer le génocide au prétexte d’empêcher les
infiltrations du FPR. Il a camouflé ce soutien par des opérations de désinformation
dans les médias, assimilant les Tutsi aux rebelles et les miliciens à des
citoyens défendant leur patrie. Il a aussi organisé des sauvetage de religieux pour
cacher d’autres actes inavouables.
Les soldats français assistaient eux-mêmes à la mise à mort des Tutsi par les
Interahamwe. Ils ont largué des Tutsi depuis des hélicoptères. Le colonel Rosier
a stoppé l’offensive du FPR dans le Sud-Ouest en prenant la défense des auteurs
du génocide. Il n’a pas désarmé les tueurs, il ne les a pas arrêtés. Il a caché leurs
crimes et marqué son mépris pour leurs victimes en installant une base militaire
sur les fosses communes de l’école de Murambi (Gikongoro) où le sang suintait
encore.
15 Chronologie des opérations commandées par
le colonel Rosier
Lundi 20 juin 1994 Arrivée d’une équipe de reconnaissance à Goma.
Mercredi 22 juin 1994 Matin : arrivée à Goma du gros du détachement
COS. Après-midi : transport d’un élément sur Bukavu.
Jeudi 23 juin 1994 15 h 30, entrée à Cyangugu d’un détachement du 1er
RPIMa commandé par le colonel Didier Tauzin qui se dirige vers le camp
de Nyarushishi. 229
227. Témoignage de MM, transmis par D., rescapée du camp de Murambi, 2 avril 2004.
http://www.francegenocidetutsi.org/TemoignageRescapeeMurambi.pdf
228. Rapport du colonel Rosier, chef du détachement COS, NMR 001/TURQUOISE/DET
COS, Goma le 27/07/1994, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Tome II, Annexes,
p. 398]. http://www.francegenocidetutsi.org/RosierRapport27juillet1994.pdf
229. Les premiers éléments de l’opération « Turquoise » sont entrés en territoire rwandais,
15 CHRONOLOGIE DES OPÉRATIONS COMMANDÉES PAR LE COLONEL ROSIER82
Vendredi 24 juin 1994 Héliportage à Kibuye des commandos de l’air (CPA
10) qui s’installent chez les religieuses de Sainte Marie de Namur. 230
Reconnaissance du commando Trepel à partir de Cyangugu vers Kibuye.
Il passe le matin à Rwesero puis à Kirambo, 231 où il reçoit un accueil enthousiaste.
232 Il rebrousse chemin le soir sans être parvenu à Kibuye. 233
Reconnaissance du 1er RPIMa vers Bugarama, à proximité de la frontière
du Burundi. Il passe à la paroisse de Mibilizi.
Reconnaissance du 1er RPIMa vers Gikongoro et Butare. 234
Samedi 25 juin 1994 Les journalistes Sam Kiley et Vincent Hugeux informent
le capitaine de frégate Marin Gillier que des Tutsi sont attaqués
chaque nuit à Bisesero. 235
Dimanche 26 juin 1994 CPA 10 : Second héliportage du CPA 10 (Duval)
sur Kibuye. 236
CPA 10 : Le colonel Rosier, basé à Bukavu, vient assister à l’installation
du lieutenant-colonel Jean-Rémy Duval et des ses 35 hommes du
CPA 10 à Kibuye au collège technique de filles tenu par les soeurs de
Sainte-Marie de Namur. Il est reçu par un sous-préfet et un lieutenant
de gendarmerie. 237
Trepel : Une escouade va jusque Kibuye. Une autre reste à Kirambo pour
protéger le camp de réfugiés hutu. 238
Lundi 27 juin 1994 CPA 10 : Arrivée des véhicules à Kibuye. 239 En fin
de matinée, le colonel Rosier réalise une jonction par hélicoptère avec
Duval, qui se trouve toujours sur la piste Bwakira-Kibuye. Un obus de
mortier est tombé sur le marché de Bwakira, selon Duval. Rosier demande
à Duval de rentrer à Kibuye. Ils s’y retrouvent entre 14 et 15 heures.
Le Monde, samedi 25 juin 1994, p. 3 ; Jean Hélène, Liesse chez les Hutus soulagement chez
les Tutsis, Le Monde, 26 juin 1994, pp. 1, 4.
230. Audition du lieutenant-colonel Duval par la Mission d’information parlementaire, Enquête
sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Tome III, Auditions, Vol. 2, p. 119]. http:
//www.francegenocidetutsi.org/AuditionDuval17juin1998.pdf
231. Marin Gillier, capitaine de frégate, attaché naval à l’ambassade de France en Égypte,
Turquoise : intervention à Bisesero, Le Caire, 30 juin 1998, Enquête sur la tragédie rwandaise
1990-1994 [14, Tome II, Annexes, p. 402]. http://www.francegenocidetutsi.org/
Gillier30juin1998.pdf#page=1
232. Jean Hélène, Liesse chez les Hutus, soulagement chez les Tutsis, Le Monde, 26 juin 1994,
pp. 1, 4 ; Reportage de Philippe Boisserie et Éric Maisy, Édition spéciale Rwanda, France 2,
25 juin 1994, 20 h.
233. Marin Gillier, ibidem.
234. Michel Peyrard, « Je ne veux voir ni arc, ni lance, ni machette et surtout pas d’effusion
», martèle le colonel, Paris-Match, 7 juillet 1994, p. 46.
235. Vincent Hugeux, Dix ans après le génocide, Retour à Bisesero, L’Express, 13 avril 2004
http://www.francegenocidetutsi.org/HugeuxExpress13avril2004.pdf ; Aucun témoin ne
doit survivre [6, p. 788].
236. Reportage de Philippe Boisserie et Éric Maisy, Édition spéciale Rwanda, France 2, 26
juin 1994, 20 h. Philippe Boisserie nous précise que le reportage a été réalisé ce 26 juin.
237. François Luizet, ibidem.
238. Marin Gillier, ibidem.
239. Audition du lieutenant-colonel Duval, ibidem.
15 CHRONOLOGIE DES OPÉRATIONS COMMANDÉES PAR LE COLONEL ROSIER83
Ils s’entretiennent avec la mère supérieure des soeurs de Sainte-Marie
de Namur chez qui logent Duval et ses hommes. Rosier décide de les
évacuer le lendemain puis s’envole vers Bukavu. 240 Partant de Kibuye et
accompagné par des journalistes dont Patrick de Saint-Exupéry, Duval
passe à Nyagurati, Mubuga, puis découvre des survivants à Bisesero en
fin d’après-midi. 241 Selon Lugan, le détachement conduit par Duval ne
part que peu avant 16 heures. 242
Trepel : Mission de recherche vers Gishyita et Gisovu. D’après la population,
des éléments infiltrés du FPR se trouvent à l’est de Gishyita. 243
Vers 12 h, Gillier entend des bruits de rafales d’armes automatiques ;
agitation observée à 5 km à l’est. 244 Des villageois s’attaqueraient aux
éléments infiltrés du FPR. Demande au commandement l’autorisation
d’aller sur place. La réponse tarde. 245
Mardi 28 juin 1994 CPA 10 : Évacuation par hélicoptère des religieuses
de la congrégation des soeurs de Sainte-Marie de Namur de Kibuye vers
Goma. 246
Reconnaissance de Kibuye à Kivumu par un élément du CPA 10. 247
Trepel : Amélioration des postes de combat près de Gishyita et préparation
de l’équipe d’observation qui se rendra vers l’Est le lendemain. 248
Mercredi 29 juin 1994 Trepel : Envoi avant l’aube d’une reconnaissance
vers Bisesero qui ne trouve rien. 249
François Léotard inspecte Trepel à Gishyita : mis au courant par Marin
Gillier de la fusillade du 27 vers 12 h, Léotard lui refuse l’autorisation
d’aller sur les lieux. Sous la pression de 2 journalistes dont Raymond
Bonner du New York Times, il aurait promis : « On y va demain ». 250
Marin Gillier reçoit l’ordre en milieu d’après-midi d’aller le lendemain
contacter un prêtre français menacé à 20 km à vol d’oiseau et non d’aller
secourir les Tutsi de Bisesero. 251
240. Entretien avec le général Rosier, B. Lugan [9, p. 261].
241. Patrick de Saint-Exupéry La « solution finale » du préfet de Kibuye,
Le Figaro, 5 juillet 1994, p. 6, col. 3. http://www.francegenocidetutsi.org/
LaSolutionFinaleDuPrefetDeKibuye.pdf
242. B. Lugan [9, p. 262].
243. Marin Gillier, ibidem.
244. Corine Lesnes, M. Léotard craint de nouvelles difficultés pour le dispositif « Turquoise »,
Le Monde, 1er juillet 1994, p. 4.
245. Marin Gillier, ibidem.
246. Sam Kiley, Dawn raid by French rescues nuns and orphans, The Times, 29 June 1994.
Dans son audition, le lieutenant-colonel Duval précise que cette évacuation a lieu le matin du
28.
247. Dominique Garraud, Le nettoyage ethnique continue dans les montagnes rwandaises,
Libération, 29 juin 1994, p. 16. http://www.francegenocidetutsi.org/
GarraudBiseseroLiberation29juin1994.pdf
248. Marin Gillier, ibidem.
249. Marin Gillier, ibidem, p. 405. http://www.francegenocidetutsi.org/
Gillier30juin1998.pdf#page=5
250. Corine Lesnes, ibidem.
251. Marin Gillier, ibidem, p. 404. http://www.francegenocidetutsi.org/
Gillier30juin1998.pdf#page=4
15 CHRONOLOGIE DES OPÉRATIONS COMMANDÉES PAR LE COLONEL ROSIER84
François Léotard inspecte le CPA 10 à Kibuye. 252
Jeudi 30 juin 1994 Trepel : Départ tôt le matin. Arrive en début d’aprèsmidi
au village du prêtre français : Celui-ci préfère rester avec ses paroissiens
! 253 D’après M. Peyrard et S. Kiley, le commando Trepel est allé à
Gisovu. 254
14 h 15 : Arrivée à Bisesero d’une patrouille de reconnaissance française
qui appelle le groupe de Marin Gillier.
Opération de secours des Tutsi de Bisesero par le commando Trepel. 255
Le colonel Rosier se rend à Bisesero en fin d’après midi avec Jacques
Hogard venu le relever. 256
Le détachement du 1er RPIMa est envoyé à Gikongoro. 257
Vendredi 1er juillet 1994 Trepel : 800 survivants tutsi mis sous protection
à Bisesero, 96 évacués par hélicoptère. Découverte de centaines de
cadavres. 50 soldats français restent pour protéger les Tutsi.
Le colonel Rosier est à Bisesero en fin de matinée.
Trepel : Entrevue de Gillier avec le bourgmestre de Gishyita, Charles
Sikubwabo. 258
Trepel : Évacuation de 4 Tutsi du village du prêtre par voie aérienne. 259
Trepel : Départ commando Trepel vers Gikongoro. 260
CPA 10 : Héliportage vers Butare. 261
1er RPIMa : Opération sur Butare. Après 18 h : Incident de Save. Le
colonel Charpentier alias Colin est blessé. 262
C 160 COS : débarque Rosier et des médecins de l’EMMIR.
Samedi 2 juillet 1994 Repli de l’opération sur Butare dans la nuit du 1er
au 2 juillet. Evacuation de religieuses par le C 160. 263
Dimanche 3 juillet 1994 CPA 10 : Remplacé par un détachement d’infanterie
de marine, il quitte Kibuye pour Gikongoro. 264
252. Audition de Jean-Rémy Duval [14, Tome III, Auditions, Vol. 2, pp. 119–120]. http:
//www.francegenocidetutsi.org/AuditionDuval17juin1998.pdf
253. Marin Gillier, ibidem.
254. Michel Peyrard, Terré dans son trou depuis deux mois, Bernard voit au-dessus
de lui les bottes de ses bourreaux..., Paris-Match, 14 juillet 1994, p. 40. http://www.
francegenocidetutsi.org/MichelPeyrardMatch14juillet1994.pdf
255. Raymond Bonner, Grisly Discovery in Rwanda Leads French to Widen Role, New York
Times, July 1, 1994.
256. J. Hogard [7, p. 39].
257. D. Tauzin [16, p. 135].
258. Marin Gillier, ibidem.
259. Marin Gillier, ibidem, p. 406. http://www.francegenocidetutsi.org/
Gillier30juin1998.pdf#page=6
260. Marin Gillier, ibidem.
261. B. Lugan, [9, pp. 221, 264].
262. Catherine Jentile et Thierry Froissart, TF1, 2 juillet 1994, 20 h.
263. Rapport du colonel Rosier, chef du détachement COS, NMR 001/TURQUOISE/DET
COS, Goma le 27/07/1994, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Tome II, Annexes,
p. 398]. http://www.francegenocidetutsi.org/RosierRapport27juillet1994.pdf
264. Audition du lieutenant-colonel Duval, ibidem, p. 120. http://www.
francegenocidetutsi.org/AuditionDuval17juin1998.pdf
RÉFÉRENCES 85
Le détachement du 1er RPIMa et le commando Trepel sont envoyés à
Butare pour extraire « plus de mille personnes dont 700 orphelins ». Les
deux colonnes décrochent à 13 h 20, celle de Gillier vers le Burundi, celle
de Tauzin vers Gikongoro. Cette dernière échange des coups de feu avec
le FPR à la sortie nord-ouest de Butare.
Lundi 4 juillet 1994 Le CPA 10 est en place à Gikongoro. Le commando
Trepel est au camp de la paroisse de Cyanika.
La zone humanitaire est décrétée. Le colonel Tauzin déclare : « Si le
FPR menace les populations, nous tirerons dans le FPR... sans état
d’âme. » 265 Il organise la défense de Gikongoro.
Mardi 26 juillet 1994 Retrait du détachement COS.
Références
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P.O. Box 18368, London EC4A 4JE, 1995. 1re édition, septembre 1994.
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African Rights, avril 1998. Édition française.
[3] Commission Nationale Indépendante chargée de rassembler les
preuves montrant l’implication de l’État Francais dans le génocide
perpétré au Rwanda en 1994 : Rapport. République du
Rwanda, 15 novembre 2007.
[4] Laure Coret et François-Xavier Verschave : L’horreur qui nous prend
au visage - L’État français et le génocide au Rwanda. Karthala, janvier
2005. Rapport de la Commission d’enquête citoyenne, 22-26 mars 2004.
[5] Vanadis Feuille et Pierre-Edouard Deldique : Mission d’étude sur le
Rwanda - Retranscription des journaux Afrique de RFI 1990-1994. Radio
France Internationale, Octobre 2006. 2 tomes.
[6] Alison Des Forges : Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au
Rwanda. Karthala, Human Rights Watch, Fédération internationale des
Droits de l’homme, avril 1999. Traduction de Leave None to Tell the Story.
[7] Jacques Hogard : Les larmes de l’honneur - 60 jours dans la tourmente
au Rwanda. Hugo doc., 2005.
[8] Jean-Claude Lafourcade et Guillaume Riffaud : Opération Turquoise.
Perrin, mars 2010.
[9] Bernard Lugan : François Mitterrand, l’armée française et le Rwanda.
Éditions du Rocher, mars 2005.
[10] Monique Mas : Paris-Kigali 1990-1994 ; Lunettes coloniales, politique du
sabre et onction humanitaire pour un génocide en Afrique. L’Harmattan,
1999.
265. François Luizet, La France décide de s’interposer, Le Figaro, 5 juillet 1994, p. 6. http:
//www.francegenocidetutsi.org/FranceDecideInterposerLuizet5juillet1994.jpg
RÉFÉRENCES 86
[11] Éric Micheletti : Le COS, Commandement des opérations spéciales. Histoire
et collections, 1999.
[12] Pierre Péan : Noires fureurs, blancs menteurs. Rwanda 1990-1994. Enquête.
Mille et une nuits, novembre 2005.
[13] Gabriel Périès et David Servenay : Une guerre noire - Enquête sur les
origines du génocide rwandais (1959-1994). La Découverte, 2007.
[14] Paul Quilès : Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994. Assemblée
nationale, rapport no 1271, http://www.assemblee-nationale.fr/
dossiers/rwanda.asp, 15 décembre 1998. Mission d’information de la
commission de la Défense nationale et des Forces armées et de la commission
des Affaires étrangères, sur les opérations militaires menées par la
France, d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994.
[15] Patrick de Saint-Exupéry : L’inavouable - La France au Rwanda. Les
Arènes, 2004.
[16] Didier Tauzin : Rwanda : je demande justice pour la France et ses soldats !
Le chef de l’opération Chimère témoigne. Ed. Jacob-Duvernet, 4 avril 2011.
[17] Andrew Wallis : Silent accomplice - The Untold Story of France’s Role
in the Rwandan Genocide. I.B. Tauris, 2006.

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