Fiche du document numéro 27297

Num
27297
Date
Mercredi 22 mai 2013
Amj
Taille
1863899
Sur titre
 
Titre
Le colonel Jacques Hogard et le génocide des Tutsi
Sous titre
 
Tres
 
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Nom cité
Lieu cité
Lieu cité
Cote
 
Résumé
Lieutenant-Colonel Hogard saw on his arrival, especially in Bisesero, "the horror of the massacres which have just been carried out by the extremist Hutu Interahamwe militias, and sometimes the population itself, caught in the cowardly spiral of revolutionary terror". He acknowledges that an "abominable genocide has just bloodied the country" and considers that "this major fact totally discredits the government which did not want or knew how to prevent the tragedy." However, he collaborated with the organizers of this genocide in his area of ​​responsibility of Cyangugu. He helped arm the militiamen in the event that the RPF army would arrive. This allowed them to continue their "work" of eliminating the Tutsi, this in peace, because they knew they were protected from the RPF by the French. To the exclusion of any other person or institution, Lieutenant-Colonel Hogard had authority in the Cyangugu area. By deciding to keep the political, administrative and military personnel who had organized the massacres and to collaborate with them, by letting the militia killers continue the assassinations of Tutsi or even by asking them to do so, he fully contributed to the continuation of the genocide in its area of ​​responsibility. All the directives he received from his hierarchy and the application made by Lieutenant-Colonel Jacques Hogard authorize the Rwandan Minister of Justice Tharcisse Karugarama to write in his Communiqué of August 5, 2008 that "the French soldiers of Turquoise and their sponsors fully supported the genocidal project" and to name Lieutenant-Colonel Hogard among the French political and military figures most involved in the genocide.
Extrait de
 
Commentaire
 
Type
Note
Langue
FR
Citation
Né en 1955, le lieutenant-colonel Jacques Hogard est le fils du général Jacques
Hogard, qui, au cours de la guerre d’Indochine, conçoit avec le colonel Lacheroy
la doctrine de la guerre révolutionnaire, qu’ils appliqueront en Algérie. 1 Son
père participe au putsch des généraux en 1961. En 1990, il est à l’état-major de
l’armée de terre. 2 Officier du 2e REP de la Légion étrangère, il est stationné à
Djibouti. En 1994 il commande le groupement Sud Turquoise, formé de troupes
de la Légion. Il fait ensuite partie du Commandement des opérations spéciales
(COS) et quitte l’armée en 1999. Il crée Épée, un cabinet d’intelligence économique.
3 Il est promu officier de la Légion d’honneur avec traitement le 11 mai
2009. Il a été entendu à huis clos par la Mission d’information parlementaire le
17 juin 1998. Le compte rendu de son audition n’a pas été rendu public.
1 Une connivence idéologique avec les auteurs
du génocide
Dans son livre « Les larmes de l’honneur », Jacques Hogard accuse le FPR
d’avoir abattu l’avion du président hutu du Rwanda avec un missile SAM 16
et d’avoir laissé faire le massacre des Tutsi. 4 Il répète l’histoire inventée par
les explorateurs et missionnaires européens sur les « deux races principales »,
dont les Tutsi « d’origine hamitique et nilotique » qui « constituent pendant
cinq siècles l’aristocratie rwandaise ». 5 Il partage l’idéologie des auteurs du
génocide quand, avec son ami le sous-préfet Théodore Munyamgabe, accusé de
participation au génocide, il dénonce « le joug féodal des Tutsi ». 6
Il ne cache pas sa proximité avec le général Gratien Kabiligi, chef opérations
(G3) des FAR dont il a « éprouvé l’honnêteté, le courage et l’énergie farouche. » 7
C’est ce G3 FAR qui déclare quinze jours avant l’attentat du 6 avril 1994, lors
1. G. Périès, D. Servenay [11, p. 42].
2. Interview de Jacques Hogard, Radio Nostalgie, 20 février 2006.
3. G. Périès, D. Servenay [11, p. 352].
4. J. Hogard [7, pp. 21, 55].
5. Ibidem, p. 50.
6. Ibidem, pp. 16, 49-50.
7. J. Hogard [7, p. 48].
1
2 COMMANDANT DU GROUPEMENT SUD TURQUOISE 2
d’un dîner chez le colonel Vincent, chef de la coopération technique militaire
belge (CTM), que « si Arusha était exécuté, ils étaient prêts à liquider les Tutsis.
» 8 Le général Kabiligi a été acquitté par le TPIR, mais ces propos qu’il
a tenus devant deux officiers belges, dont son conseiller, le lieutenant-colonel
Jacques Beaudoin, sont indubitables.
2 Commandant du groupement Sud Turquoise
Le lieutenant-colonel Jacques Hogard commande le groupement Sud Turquoise
(Cyangugu) du 29 juin au 21 août 1994. 9 Dans cette région, il n’y a
eu aucun combat, l’armée du FPR n’y est jamais parvenue. Pourtant il y a eu
énormément de victimes tutsi, tuées en tant que tutsi, dès le 7 avril 1994. Toute
l’organisation de l’armée, de la gendarmerie, de l’autodéfense civile, des milices
n’a eu qu’un objectif, le génocide des Tutsi.
Le groupement Sud Turquoise est formé de troupes de la Légion. Il comprend
: 10
1. Un état-major, l’EMT Sierra, ainsi composé :
- capitaine Bruno Guibert, adjoint « opérations » ;
- capitaine Georges Le Menn, second officier « opérations » ;
- lieutenant-colonel Jean-Louis Laporte, commandant en second, et adjoint
logistique ; 11
- capitaine Bernard Gondal, chef du bureau de renseignement. 12
Deux officiers assistants militaires techniques (AMT) en poste à Kigali
en avril, les commandants Dominique Chamot et Fargues, constituent le
« précieux détachement de liaison (DL) auprès des autorités et des forces
armées rwandaises ». 13 Un aumônier, le père Richard Kalka, est affecté
au groupement. 14
2. La 1re compagnie du 2e Régiment étranger d’infanterie (REI), commandée
par le capitaine Franck Nicol. 15 Son PC domine le camp de Nyarushishi
qu’il est chargé de protéger. Il faut noter que la 1/2 REI arrive
le 27 juin à Bukavu avant celle de Hogard. 16 Elle est alors placée sous
8. Commission d’enquête parlementaire du Sénat belge [13, 1-611/7, section 3.3.3.11,
p. 334] http://www.francegenocidetutsi.org/SenatBelgique-r1-611-7p334.pdf ; Rapport
de la commission Kigali, 1-611/12, Exposé du Lt Col B.E.M. Beaudoin – CTM, p. 78.
http://www.francegenocidetutsi.org/SenatBelgique-r1-611-12p78.pdf
9. Jacques Hogard arrive le 29 juin à Goma et le 30 juin à Cyangugu où il relève le colonel
Rosier. Cf. J. Hogard [7, pp. 13, 34]. Auditionné le 17 juin 1998 par les députés, Jacques
Hogard est présenté comme chef du groupement Sud-Turquoise du 22 juin au 21 août. Cf.
Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [12, Tome II, Annexes, p. 17].
10. J. Hogard [7, pp. 28-30].
11. B. Lugan [9, pp. 219, 220, 223].
12. B. Lugan [9, p. 249] ; J. Hogard [7, pp. 29, 65] ; G. Périès, D. Servenay [11, p. 325].
13. J. Hogard [7, p. 90].
14. J. Hogard [7, p. 107] ; J. Ndorimana [10, p. 103].
15. B. Lugan [9, p. 219].
16. B. Lugan [9, p. 217-219]. Képi blanc dit qu’elle se regroupe sur la plateforme de Goma
le 28.
2 COMMANDANT DU GROUPEMENT SUD TURQUOISE 3
le commandement du colonel Rosier. Hogard arrive le 29. Il déclare à
Lugan :« Dès mon arrivée à Bukavu, je prends le commandement du 2e
REI déjà à Nyarushishi. » 17 Képi blanc écrit « placée aux ordres du COS,
elle prend en compte le camp de réfugiés tutsis de Nyarushishi. » 18
Le capitaine Guillaume Ancel du 68e Régiment d’artillerie d’Afrique (68e
RAA) est en poste à la base de Kamembe. 19
3. La 3e compagnie de la 13e demi-brigade de Légion étrangère (DBLE) est
commandée par le capitaine Daniel Bouchez. 20 Elle arrive de Djibouti le
29 juin à Goma et se rend à Bukavu par la piste. Son PC est dans l’usine
à thé de Gisakura. 21
4. Le groupement CRAP du 2e REP aux ordres du lieutenant Didier Raoul. 22
Ce groupement est remplacé fin juillet par celui du 35e RAP. 23
Un contingent de Tchadiens sera placé aussi sous le commandement du
lieutenant-colonel Hogard.
Celui-ci arrive le 29 juin à Goma et le 30 à Cyangugu. Il accompagne ce
jour-là le colonel Rosier à Bisesero. 24 À Cyangugu, il relève le détachement du
1er RPIMa, qui, avec les autres groupes COS, va arrêter l’avance du FPR devant
Gikongoro.
Son QG est sur l’aéroport de Kamembe à Cyangugu mais aussi sur l’aéroport
de Kavumu au nord de Bukavu, donc au Zaïre.
La 3/13 DBLE établit un « verrou stratégique » contre le FPR à Kitabi sur
la route de Gikongoro à la lisière est de la forêt de Nyungwe. 25
Des éléments de la 1/2 REI, le groupe mortier en l’occurrence, sont aussi
envoyés en lisière de la forêt de Nyungwe en renforcement de la 3/13 DBLE. 26
Par conséquent, la mission du colonel Hogard d’arrêter le FPR le conduit à
pactiser avec les auteurs du génocide. Il rencontre entre autres le général Gratien
Kabiligi, chef des opérations des FAR, qui est originaire de Cyangugu. Il dit qu’il
refuse au nom de sa neutralité de donner les armes que Kabiligi lui demande. 27
17. Ibidem, p. 220.
18. Képi blanc, No 549, octobre 1994, page 6 du cahier spécial « Ruanda » de 8 pages http:
//www.francegenocidetutsi.org/KepiBlanc549.pdf
19. Christophe Deroubaix, A Cyangugu, j’ai ressenti l’angoisse du lendemain, L’Humanité,
1er août 1994 http://www.francegenocidetutsi.org/DeroubaixCyangugu1erAout1994.pdf ;
Témoignage de Luc Pillionnel à la commission Mucyo, 14 juin 2007 [4, Annexes, p. 143].
http://www.francegenocidetutsi.org/PillionnelMucyo14juin2007.pdf
20. Éric Micheletti Les bérets verts de la Légion sur les collines du Rwanda, Raids, no 101,
p. 16.
21. Gisakura est à l’est de Kamembe et à l’ouest de la forêt de Nyungwe. Cf. Képi blanc,
no 549, octobre 1994. http://www.francegenocidetutsi.org/KepiBlanc549.pdf
22. B. Lugan [9, pp. 224, 249] ; J. Hogard [7, pp. 30, 96].
23. Képi blanc, no 549, octobre 1994 http://www.francegenocidetutsi.org/KepiBlanc549.
pdf ; B. Lugan [9, p. 224].
24. J. Hogard [7, p. 39].
25. Raids, no 101, p. 16 ; F. Luizet, Le Figaro, 5 juillet 1994.
26. Képi blanc, ibidem.
27. J. Hogard [7, p. 46].
3 LA ZONE HUMANITAIRE N’EST SÛRE QUE POUR LES AUTEURS DU GÉNOCIDE4
3 La zone humanitaire n’est sûre que pour les
auteurs du génocide
La Résolution 929 du Conseil de sécurité des Nations unies, rédigée par la
France, est très ambiguë puisqu’elle ne parle pas de génocide et spécifie que
l’opération Turquoise, qu’elle autorise, devra être « menée de façon impartiale
et neutre ». 28 Mais elle précise néammoins que c’est une opération « visant à
contribuer, de manière impartiale, à la sécurité et à la protection des personnes
déplacées, des réfugiés et des civils en danger au Rwanda ». L’opération agira
sous chapitre VII, donc aura le droit d’utiliser la force, contrairement à la MINUAR
dirigée par le général Dallaire. De plus, contrairement à ce dernier, le
commandement de l’opération Turquoise pourra décider de l’usage de la force
sans avoir à attendre l’accord de l’Onu à New York.
Lorsque le 6 juillet 1994 le Conseil de sécurité accuse réception de la lettre
de Jean-Bernard Mérimée l’informant de la création de la « Zone humanitaire
sûre», 29 la France devient la seule détentrice de l’autorité dans cette zone.
Comment les chefs des groupements Turquoise vont-ils exercer toutes leurs
prérogatives ? Leur action s’exerce dans le cadre de directives émanant de la
hiérarchie militaire aux ordres du gouvernement français, qui, pour ce que nous
connaissons de ces directives secrètes, ordonnent :
- de permettre aux autorités locales de rétablir leur autorité comme le spécifie
l’ordre d’opération Turquoise :
- AFFIRMER AUPRÈS DES AUTORITÉS LOCALES RWANDAISES,
CIVILES ET MILITAIRES NOTRE NEUTRALITÉ ET
NOTRE DÉTERMINATION À FAIRE CESSER LES MASSACRES
SUR L’ENSEMBLE DE LA ZONE CONTRÔLÉE PAR LES FORCES
ARMÉES RWANDAISES EN LES INCITANT À RÉTABLIR LEUR
AUTORITÉ. 30
Étant donné que les autorités locales en place fin juin ont toutes organisé le
génocide, les responsables réticents ou opposés ayant été éliminés, cet ordre enjoint
aux militaires français de collaborer avec les responsables des massacres. La
phrase « affirmer notre détermination à faire cesser les massacres sur l’ensemble
de la zone contrôlée par les Forces armées rwandaises » exprime bien qu’il s’agit
d’un vocabulaire à employer au niveau de la communication officielle. La règle
de comportement sera d’« affirmer notre neutralité ». Il en découle que les chefs
militaires français n’auront pas à démettre ces autorités de leur fonction, encore
moins à les arrêter.
28. ONU, S/RES/929 (1994). http://www.francegenocidetutsi.org/94s929fr.pdf
29. Ministère des Affaires étrangères, Direction des affaires africaines et malgaches, Paris,
7 juillet 1994, A/S : Rwanda. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [12, Tome
II, Annexes, p. 447]. http://www.francegenocidetutsi.org/MinAffEtDAM7juillet1994.pdf#
page=2
30. Ordre d’opérations de Turquoise, 22 juin 1994, Enquête sur la tragédie rwandaise
1990-1994 [12, Tome II, Annexes, p. 387]. http://www.francegenocidetutsi.org/
OrdreOpTurquoise22juin1994.pdf#page=2
3 LA ZONE HUMANITAIRE N’EST SÛRE QUE POUR LES AUTEURS DU GÉNOCIDE5
- de ne pas arrêter les présumés coupables d’assassinats ou de massacres, car
cela « ne relève pas du mandat qui nous a été donné ». 31
- de ne pas arrêter les membres du gouvernement intérimaire. 32
- de ne pas désarmer dans l’immédiat les FAR et les milices qui s’y trouvent. 33
Cet ordre est précisé explicitement par la note sur le concept de zone humanitaire
protégée du 4 juillet. 34
- d’interdire aux FPR, FAR et « aux milices de chaque partie » de pénétrer
dans la zone. 35 Mais comme les FAR et les milices sont déjà dans la zone, cet
ordre ne sera exécuté qu’à l’encontre du FPR.
Le stratagème de l’opération Turquoise, opération présentée comme humanitaire
mais destinée en fait à sauver les organisateurs du génocide et leur éviter la
défaite, est exprimé explicitement au paragraphe « IDÉE DE MANOEUVRE »
de l’ordre d’opération Turquoise publié par la Mission d’information parlementaire
:
TERTIO : IDÉE DE MANOEUVRE
AFIN DE MARQUER LE CARACTÈRE HUMANITAIRE DE
L’OPÉRATION, ASSURER D’EMBLÉE LA PROTECTION DE
LA ZONE DE RASSEMBLEMENT DES PERSONNES DÉPLACÉES
DE CYANGUGU TOUT EN INITIANT LE DÉPLOIEMENT
DE LA FORCE SUR LES PLATES-FORMES DE GOMA ET DE
KISANGANI.
ULTÉRIEUREMENT ÊTRE PRÊT À CONTRÔLER PROGRESSIVEMENT
L’ÉTENDUE DU PAYS HUTU EN DIRECTION DE
KIGALI ET AU SUD VERS NIANZI ET BUTARE ET INTERVENIR
SUR LES SITES DE REGROUPEMENT POUR PROTÉGER
LES POPULATIONS. 36
Donc la manoeuvre consiste à camoufler derrière l’opération de protection des
Tutsi du camp de Nyarushishi à Cyangugu une deuxième opération, offensive
d’une part, puisqu’il s’agit de contrôler le pays jusqu’à Butare, Nianzi [Nyanza ?]
31. Note du Quai d’Orsay en date du 7 juillet 1994, Enquête sur la tragédie rwandaise
1990-1994 [12, Tome II, Annexes, p. 447]. http://www.francegenocidetutsi.org/
MinAffEtDAM7juillet1994.pdf#page=2
32. Rwanda-Paris pret à arreter les membres du gvt, Agence Reuter, Paris, 15 juillet 1994.
Note manuscrite d’Hubert Védrine : « Lecture du Président. Ce n’est pas ce qui a été dit
chez le Premier Ministre. H Védrine ». Le titre « Paris pret à arreter les membres du gvt »
est souligné de sa main et il a coché le paragraphe « S’ils viennent à nous et que nous
en sommes informés, nous les internerons. [...] ». http://www.francegenocidetutsi.org/
Reuter15juillet1994.pdf
33. Note du général Quesnot et de Bruno Delaye à l’attention de Monsieur le Président
de la République, 4 juillet 1994. Objet : Rwanda : Comité restreint du 4 juillet 1994. http:
//www.francegenocidetutsi.org/QuesnotDelaye4juillet1994.pdf
34. Note du ministère de la Défense et du ministère des Affaires étrangères, 4 juillet 1994.
Objet : Rwanda ; concept de zone humanitaire protégée, contenu, évolution. http://www.
francegenocidetutsi.org/MinDefMinAffEt4juillet1994.pdf#page=2
35. Note du ministère de la Défense et du ministère des Affaires étrangères, ibidem.
36. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994, [12, Rapport, p. 306 ; Annexes, p. 387].
Nianzi, en fait Nyanza, est l’ancienne résidence royale à 40 km au nord de Butare sur la route
de Kigali. http://www.francegenocidetutsi.org/OrdreOpTurquoise22juin1994.pdf#page=2
4 LES MASSACRES DANS LA RÉGION DE CYANGUGU SONT CONNUS6
et Kigali, une épuration ethnique d’autre part, puisqu’il s’agit de contrôler le
« pays hutu », débarrassé donc de tout élément tutsi.
L’ensemble des ces directives offre un cadre qui va permettre aux organisateurs
et aux exécutants du massacre des Tutsi de poursuivre leur projet génocidaire
dans une zone présentée comme humanitaire sûre par les Français, sans
craindre d’être pourchassés ou arrêtés par le FPR, qui, lui, met réellement fin
au génocide.
4 Les massacres dans la région de Cyangugu
sont connus
Non seulement le lieutenant-colonel Hogard est allé à Bisesero le 30 juin
et y a vu le résultat des massacres de Tutsi par les forces du gouvernement
intérimaire rwandais, mais il était connu que des massacres s’étaient déroulés
dans la région de Cyangugu. Ainsi le 16 mai, M. Kovanda, représentant de la
République Tchèque à l’ONU déclare au Conseil de sécurité :
[...] En outre, 4 000 personnes ont été massacrées à Shangi, une
paroisse à Cyangugu, et 2 000 à Mibiziri, également à Cyangugu. Il
s’agit du même Cyangugu où des milliers de personnes se trouvent
piégées depuis des semaines dans un stade sans aucun secours. On se
demande à coup sûr si le sort des morts n’est pas préférable à celui
des survivants. 37
Ainsi le lieutenant-colonel Hogard savait à son arrivée le 29 juin qu’il allait
trouver en face de lui des autorités qui avaient organisé les massacres ou qui
pour le moins devaient être en mesure de rendre compte de ce qui s’était passé.
Précisément ce 29 juin, ces massacres sont qualifiés de génocide par René Degni-
Ségui, le rapporteur spécial de la Commission des Droits de l’homme de l’ONU.
5 Réarmement et entraînement des FAR, gendarmes
et milices
Nous retenons de l’entretien que nous avons eu en octobre 2011 avec Straton
Sinzabakwira, ancien bourgmestre de Karengera que les Français ont effectivement
désarmé beaucoup de soldats des FAR. Ceux-ci ne voulaient plus se
battre contre le FPR. Et qu’ont fait les Français des armes de ces déserteurs ?
Le lieutenant-colonel Hogard dira qu’il en a fait larguer dans le lac Kivu. C’est
possible. Mais Straton Sinzabakwira nous dit que les Français ont redistribué
ces armes aux Interahamwe. Les exemples qui suivent le confirment.
37. Conseil de sécurité, 3377e séance, lundi 16 mai 1994, S/PV.3377, p. 16. http://www.
francegenocidetutsi.org/spv3377-1994.pdf#page=16
5 RÉARMEMENT ET ENTRAÎNEMENT DES FAR, GENDARMES ET MILICES7
5.1 Collaboration avec le chef milicien Bandetse
Édouard Bandetse est un homme d’affaires, trésorier de la branche de Cyangugu
du MRND, qui dirige une milice. Il est de ceux qui accueillent les Français
à leur arrivée le 23 juin. 38
Anthère Ntamuhanga, a été caporal des FAR jusqu’en décembre 1993. Il
rapporte que les militaires français ont donné, durant l’opération Turquoise,
deux fusils à Édouard Bandetse :
« Une semaine après leur installation à Nyarushishi, les Français
ont donné deux fusils à Édouard Bandetse qui était commerçant ici
à Kamembe ; il était aussi président des Interahamwe de la commune
Nyakabuye. C’est le genre de fusils que portaient les chauffeurs militaires.
C’est moi qui allais l’initier à leur maniement, leur montage
ainsi que leur démontage. Il avait aussi deux pistolets avec lesquels
il est parti quand il a fui le pays. » 39
Conscessa M. témoigne de la collaboration des Français avec les miliciens de
Bandetse au camp de Nyarushishi :
À un moment, les Français sont arrivés. Les Français étaient là,
avaient une barrière, mais ils s’entendaient avec les Interahamwe
conduits par un certain Bandetse qui est originaire d’ici tout près à
Nyakarenge.
Les Interahamwe discutaient avec les Français et les Français
nous disaient de les suivre pour aller nous donner de la viande. Ils
nous avaient trouvé une vache à manger, prise sur la colline. Ils
prenaient alors certains d’entre nous avec lesquels ils partaient. Au
fait, arrivés à la barrière, ils les livraient aux Interahamwe et ils ne
revenaient plus jamais. Nous les attendions avec la part de la viande
promise, en vain. [...] 40
5.2 Collaboration avec le chef milicien John Yusuf Munyakazi
Thomson Mubiligi fait état de réunions de Yusuf avec les Français qui lui
auraient donné des armes :
Q : Y a-t-il eu une collaboration entre les Français et John Yusuf
Munyakazi et ses miliciens ?
R : Yusuf Munyakazi avait une collaboration avec les militaires
français, néanmoins ses miliciens n’opéraient pas de concert avec
les militaires français. Ils collaboraient de telle sorte que c’était bien
38. Témoignage de Jean-Bosco Habimana. Cf. Georges Kapler, enregistrement vidéo, L’horreur
qui nous prend au visage [5, pp. 163–164].
39. Rapport Mucyo [4, Rapport, p. 187]. http://www.francegenocidetutsi.org/
RapportMucyo15novembre2007.pdf#page=193
40. Georges Kapler, enregistrement vidéo, L’horreur qui nous prend au visage [5, p. 499].
5 RÉARMEMENT ET ENTRAÎNEMENT DES FAR, GENDARMES ET MILICES8
visible que les Français les soutenaient, ils ne leur ont jamais empêché
de faire ce qu’ils faisaient.
Q : Comment pouvez-vous dire que John Yusuf Munyakazi collaborait
avec les Français ? Est-ce que vous l’avez vu discuter avec
les Français, participer à des réunions avec les Français ?
R : Parce que vois-tu, le préfet Bagambiki, Imanishimwe, Yusuf
le chef des Interahamwe et Nyandwi, ainsi que plusieurs autres
que je ne me rappelle pas, tenaient des réunions avec des militaires
français ; mais ce dont ils discutaient, nous ne l’apprenions pas, nous
constations tout simplement que les tueries se poursuivaient.
Q : Est-ce que vous avez été témoin de livraison d’armes par les
Français à Bagambiki, aux miliciens ou à John Munyakazi ?
R. Oui. Chez Yusuf ils ont donné des armes. Particulièrement,
à un des groupes de Yusuf Munyakazi dont les membres portaient
un brassard rouge. C’était des Français qui leur avaient donné des
armes. 41
5.3 Les Français réarment des « gendarmes » rwandais
Une photo dans Képi blanc, 42 le journal de la Légion, montre des légionnaires
distribuant des fusils automatiques à de jeunes Rwandais en tenue léopard ou
kaki. La légende est la suivante : « Les C.R.A.P. du 2e R.E.P. participent à
la restructuration des forces de l’ordre ruandaises. Ici, dans la presqu’île de
Gafunzo, ils affectent leur armement de dotation aux gendarmes ruandais. »
Il y a tout lieu d’avoir des doutes sur ces gendarmes. Sur cette presqu’île de
Gafunzo se trouve la paroisse de Shangi où environ 4 000 Tutsi ont été massacrés
les 14 et 29 avril 1994.
Une autre photo publiée par Raids a pour légende :
Un CRAP du 2e REP contrôle les armes des FAR. Dès que l’ordre
sera restauré, tout comme les troupes de marine, la Légion va s’efforcer
de rétablir une police et une administration civile. Les CRAP
participeront à de nombreuses opérations contre les pillards, et notamment
sur les îles du lac Kivu utilisées depuis toujours par les
trafiquants. 43
Ce légionnaire remet aux Rwandais des armes de guerre. Trois d’entre eux,
portant le béret rouge, sont des gendarmes. Ils sont tous en tenue léopard. Le
même article rapporte que les armes confisquées aux FAR qui ont fui à Bukavu
par le pont sur la Rusizi sont redistribuées à des policiers :
41. Vénuste Kayimahe, Jacques Morel, Interview de Thomson Mubiligi, 10 juin 2010, Hôtel
1000 collines, Kigali. http://www.francegenocidetutsi.org/ThomsonMubiligi10juin2010.
pdf
42. Képi blanc, no 549, octobre 1994. http://www.francegenocidetutsi.org/
KepiBlanc549.pdf
43. Les bérets verts de la Légion sur les collines du Rwanda, Raids, no 101, p. 20.
5 RÉARMEMENT ET ENTRAÎNEMENT DES FAR, GENDARMES ET MILICES9
Ces mêmes armes, répertoriées, numérotées, sont redistribuées
à des forces de police recréées par le colonel Hogard pour rétablir
l’autorité disparue. Ce sont les CRAP du REP qui sont chargés d’encadrer
ces policiers et de vérifier qu’aucune exaction n’est commise.
Le sergent-chef Martin, néo-zélandais, remet un FAL à un policier
communal coiffé d’un béret jaune vif. « Tu ne tues personne inutilement,
et demain je reviens compter les cartouches. Maintenant,
signe le papier. » 44
La fonction de « police » nécessite-t-elle de posséder un fusil FAL, c’est-à-dire
un Fusil Automatique Léger fabriqué par l’entreprise Herstal en Belgique ?
Cette « gendarmerie » formée par les Français, se livrant à du racket, a été
désarmée par la MINUAR après le départ des Français :
En outre les Français ont légué aux nouvelles autorités plusieurs
« bombes à retardement » : une « gendarmerie » de 230 hommes,
formée par eux à partir d’éléments des forces armées rwandaises,
s’est ainsi rapidement mise à rançonner la population avant d’être
désarmée par la MINUAR. 45
5.4 Les supplétifs des « bandes rouges » à Nyamasheke
Les Français ont confié à des Rwandais des tâches de « sécurité » et les
ont armés. Ils leur ont donné un ruban rouge comme signe distinctif. Thomson
Mubiligi était un Interahamwe et a collaboré avec les troupes françaises durant
le génocide dans Cyangugu. Il déclare devant la commission Mucyo :
Les Français ont distribué des armes à certaines personnes dont :
moi, Habimana Anaclet qui fut militaire dans les FAR et Habimana.
Ils nous ont également donné des rubans rouges que nous devrions
porter pour nous identifier, nous disant que nous allions les aider
à assurer la sécurité. En contrepartie, nous recevions des rations de
combat. [...] Les Français ont laissé faire les Interahamwe qui tuaient
en toute impunité. » 46
Il nous répète que les Français lui ont remis un fusil dont il nous fait une
esquisse en figure 1 page 12 :
C’était des Français qui leur [aux miliciens de Yusuf] avaient
donné des armes. Moi-même ils m’en ont donné une. Non pas un
fusil français, mais du genre de ceux que l’on trouvait au Rwanda.
Q. Qui te l’a donné ?
R. Ce sont eux qui nous les ont données. Nous aussi nous portions
des brassards rouges. Je me rappelle qu’au moment de le recevoir,
je me trouvais avec un certain Anaclet qui en a également reçu. [...]
44. Ibidem, p. 21.
45. Colette Braeckman [2, p. 301].
46. Rapport Mucyo, [4, pp. 193–184]. http://www.francegenocidetutsi.org/
RapportMucyo15novembre2007.pdf#page=199
5 RÉARMEMENT ET ENTRAÎNEMENT DES FAR, GENDARMES ET MILICES10
Q. C’était quel genre de fusil ? C’était un fusil à un coup ou
était-ce une arme à répétition ou un pistolet-mitrailleur ?
R. Ce fusil s’appelait, s’appelait..., je ne trouve pas c’était un
fusil qui se pliait, mais je me souviens qu’on nous disait que c’était
une arme qui venait d’Afrique du Sud. Si je me souviens je vous le
dis immédiatement. Ce n’était pas une kalachnikov.
Q. Était-ce une arme à répétition ou à un seul coup ?
R. On pouvait le poser sur pied. C’était une petite arme, elle
n’était pas grande. Je peux en faire un croquis....
Q. Vous avez dit que c’était une arme d’Afrique du Sud ? Oui.
NATO. On l’appelait NATO. J’ignore comment on l’appelait au
Rwanda, ce n’était ni une Kalachnikov ni un FAL ni un FAL Para
commando. Je ne me souviens pas comment ils l’appelaient.
Q. Il y avait des militaires rwandais qui avaient cette arme ?
R. Oui. C’était surtout l’arme des militaires rwandais. [...]
Q. Quand les Français vous ont donné une arme, vous faisiez
partie de quelle organisation ?
R. En ce temps-là, ils sont venus et nous ont demandé lesquels
parmi nous savaient se servir d’un fusil. Alors tous nous avons dit
que nous le savions ; tu sais lorsque tu as un fusil, c’est quelque
chose qui te rend fier. Alors ils nous les ont donnés et nous ont dit :
« Comme ça vous allez veiller à la sécurité d’ici, contre les voleurs
et d’autres... ». Certaines personnes leur ont dit : « Ces gens à qui
vous venez de donner des armes sont des Interahamwe », et eux ils
ont répondu qu’ils s’en fichaient. Ils ont dit à celles-ci : « De quel
côté êtes-vous ? Êtes-vous ici ou là-bas ? Vous vous n’êtes pas des
tutsi ! Alors si les tutsi viennent, éliminez-les [il montre le geste que
les Français ont fait à cette occasion : celui de couper la gorge] ».
Q. Ils vous ont donné ces armes pour quoi faire ?
R. Ils avaient leurs propres armes, ils n’avaient pas besoin de
celles-ci, mais ils avaient vu que la plupart parmi nous n’avaient que
des machettes et des choses de ce genre, et ils ont dit « C’est quoi
ça, vous ne savez pas vous servir d’armes à feu ? »
Q. Est-ce qu’ils vous ont donné des entraînements militaires ?
R. Non parce que lorsqu’ils ont demandé qui savait se servir d’une
arme à feu, tout le monde s’est bousculé pour en avoir et alors ils ont
imaginé que tous nous avions certainement reçu un entraînement et
ils ont alors dit « Allez, prenez ! »
Q. Est-ce que vous vous souvenez qui vous a donné cette arme ?
Est-ce que vous pouvez décrire les militaires qui vous ont donné les
armes, quelle était la couleur de leur béret en particulier et à quelle
date ils vous ont donné cette arme ?
R. Je ne me rappelle pas le nom du militaire qui nous les a données,
mais je sais que son véhicule portait l’inscription « Armée de
terre ». Nous avons demandé son nom et on nous a dit que c’était
un commandant. Commandant aux légions étrangères. Seulement
5 RÉARMEMENT ET ENTRAÎNEMENT DES FAR, GENDARMES ET MILICES11
ça. Nous avons insisté pour qu’il nous dise son nom mais il a répliqué
: « Non. Moi je suis commandant aux légions étrangères, tout
simplement. Moi j’étais à Bangui, c’est là où j’étais. Il ne faut pas
connaître mon nom, moi je suis commandant aux légions étrangères,
c’est tout ». Et puis, il était un militaire du lieutenant-colonel Hogard,
à partir de cette indication, on peut savoir quel était la couleur
de son béret.
Q. A quelle date vous ont-ils donné cette arme ?
R. C’était à peu près une semaine après leur arrivée. Et à cette
époque-là, les FAR étaient en train de fuir.
Q. Est-ce que c’était avant ou après la chute de Kigali, qui a eu
lieu le 4 ou 5 juillet ?
R. Ce n’est pas beaucoup avant. C’était aux alentours de cette
date. Car en ce moment- là, la chute de Kigali, lorsqu’elle a eu lieu, ils
étaient très nombreux à s’être déjà enfuis dans Cyangugu. Peu après
l’arrivée des Français, le gouvernement intérimaire dans sa totalité
est passé par là pour aller de l’autre côté de la frontière.
Q. Les Français vous ont donné ces armes pour quoi ? Est-ce
que c’est, premièrement pour maintenir l’ordre, deuxièmement, pour
combattre le FPR, troisièmement, pour tuer les tutsi ? Ou pour faire
la chasse aux infiltrés ?
R. Là moi aussi je voudrais vous retourner la question : « Quand
un militaire donne un fusil à un civil, il s’imagine que celui-ci va en
faire quoi ? »
Q. Essaye tout de même de donner une réponse.
R. Oui, je vais lui donner une réponse. Tu vois, lorsqu’ils nous ont
donné ces fusils, ils savaient qu’on pouvait s’en servir pour n’importe
quoi, soit pour voler ou tuer des gens, sauf que moi je ne l’ai pas
fait. Mais la plupart de ceux à qui ils les ont donnés ne les ont pas
utilisés pour ce à quoi ils étaient destinés. Ils les ont utilisés pour
tuer les gens du côté de Bugarama, ils s’en servaient pour voler ou
les vendaient... Ah oui, je me rappelle maintenant la marque de cette
arme, c’était une R4 [L4 ?].
Q. Est-ce que les Français vous ont dit de faire la chasse au FPR
infiltrés ?
R. Ils nous ont dit : « Vous avez maintenant des fusils, c’est pour
vous défendre, et alors si vous voyez des inyenzi et autres, allez-y
réagissez, qu’ils ne vous attaquent pas comme ça alors que vous avez
de quoi faire ». Et à cette époque, au Rwanda, pendant le génocide,
l’inyenzi, c’était tout tutsi.
Q. Ils ont donné selon vous combien d’armes ?
R. Bon. Pour tous les Interahamwe de Bugarama, de Yusuf, ils
ont tous reçus des fusils.
Q. Ils étaient combien ?
5 RÉARMEMENT ET ENTRAÎNEMENT DES FAR, GENDARMES ET MILICES12
R. Yusuf avait plus de cent Interahamwe. 47
Figure 1 – Dessin par Thomson Mubiligi du fusil R4 que lui auraient remis les
Français.
Gaspard Nteziryimana a reçu une formation militaire de la part des soldats
français à Nyamasheke afin de faire partie des « bandes rouges », un groupe de
supplétifs des militaires français :
« J’ai vu les militaires français en juin 1994. Ils nous ont formés
à l’utilisation des armes à feu et aux tactiques militaires à Mataba
dans Nyamasheke. Nous étions plus de 160 jeunes en provenance des
anciens secteurs de Mubumbano, Nyamasheke et Butambara. [...]
Nous avons commencé l’entraînement qui allait durer quinze jours.
On nous entraînait à partir de 7 heures, nous prenions une pause
d’une heure à midi pour reprendre jusqu’à 17 heures. Nous rentrions
chez nous le soir. Nous avons demandé pourquoi ils nous laissaient
rentrer chez nous alors que nous étions en train de suivre une formation
militaire et ils nous ont répondu que nous ne serions pas
enrôlés dans l’armée mais que nous allions appuyer l’opération Turquoise
pour empêcher les inkotanyi de franchir Gikongoro et s’emparer
de Cyangugu. Après une cérémonie de clôture de l’entraînement,
nous sommes rentrés chez nous. Les conseillers des secteurs nous
ont convoqués après un certain temps pour recevoir le matériel en
fonction de nos mérites et commencer le service. A Nyamasheke,
les Français nous ont donné environ quinze fusils (FAL et kalachnikov)
et des uniformes militaires, les mêmes que celles des FAR. Ils
nous ont également donné un écrit attestant que nous avions reçus
47. Vénuste Kayimahe, Jacques Morel, Interview de Thomson Mubiligi, 10 juin 2010, Hôtel
1000 collines, Kigali. http://www.francegenocidetutsi.org/ThomsonMubiligi10juin2010.
pdf
6 CONTINUATION DES OPÉRATIONS DE GÉNOCIDE 13
ces armes d’eux et une bande en tissus rouge que nous portions sur
les épaules pour nous différencier des FAR et prouver que nous appuyions
les Français. A un certain moment, les Français ont repris
les armes qu’ils nous avaient données et je suis retourné à la maison.
[...] » 48
6 Continuation des opérations de génocide
Le massacre des Tutsi survivants continue dans la zone de responsabilité du
colonel Hogard. Straton Sinzabakwira décrit comment le génocide s’est poursuivi
avec la collaboration des Français :
Je suis une des autorités locales qui étaient en fonction pendant
le génocide de 1994 puisque j’étais bourgmestre de la commune de
Karengera et je suis l’un de ceux qui ont avoué leur rôle dans le
génocide des Tutsi qui a eu lieu au Rwanda. [...] Pendant l’opération
Turquoise, les Français ont collaboré avec les tueurs dans l’exécution
du génocide. Ils soutenaient ceux qui tuaient, leur apprenaient comment
tuer, leur donnaient des armes, sélectionnaient aussi des gens
qui devaient être tués et abandonnaient des victimes à leur sort. 49
6.1 Des cadavres sur l’aéroport de Kamembe, le 19 juillet
Luc Pillionnel, citoyen suisse marié à une rwandaise, a obtenu par l’intermédiaire
de Gérard Prunier, conseiller au ministère de la Défense, l’autorisation
d’extraire du camp de Nyarushishi la famille de son épouse, que celle-ci avait
reconnue dans un reportage à la télévision. Le colonel Hogard le fait venir sur
la base de Kavumu près de Bukavu, d’où il est héliporté à l’aéroport de Kamembe
près de Cyangugu, le 19 juillet 1994. Là, pris en charge par le capitaine
Guillaume Ancel, il voit une quinzaine de personnes qui ont été assassinées à
l’intérieur de la base française à l’aéroport de Kamembe :
Et à ce moment-là, nous étions situés sur le côté de la base le
long de la piste, j’ai un peu de la peine à déterminer l’axe, je pense
que nous étions, vue l’orientation du soleil, au sud de la piste dans
l’axe de la piste. A ma droite, il y avait le bunker des Français, la
position de campagne avec à l’intérieur de cette position le grand
hangar métallique. Nous sommes sortis de la position avec le véhicule
et nous avons longé la piste avec le soleil sur notre droite. Il était
environ 11 h 30. Je me rappelle que les véhicules roulaient lentement
dans l’herbe relativement bien soignée qui borde l’aéroport. Et après
une distance d’une centaine de mètres ou environ de 200 mètres, il
48. Rapport Mucyo [4, p. 185].
http://www.francegenocidetutsi.org/RapportMucyo15novembre2007.pdf#page=191
49. Audition de Straton Sinzabakwira par la Commission Mucyo en sa séance publique
du 13/12/2006. Cf. Rapport Mucyo, p. 187. http://www.francegenocidetutsi.org/
RapportMucyo15novembre2007.pdf#page=193
6 CONTINUATION DES OPÉRATIONS DE GÉNOCIDE 14
y avait environ une demi douzaine de cadavres frais. J’avançais en
longeant la piste sur le côté sud, et nous étions arrivés à hauteur de
la tour de contrôle quand nous avons tracé une oblique sur la gauche,
et c’est à cet endroit, sur notre droite que se situaient les cadavres.
J’ai été particulièrement frappé par la tête quasiment décollée d’un
corps où je voyais les chairs toutes rosâtres de la personne qui était
là, et il y avait une flaque de sang sur le sol qui n’était pas encore
sèche. Le ciel s’y reflétait comme dans un miroir, comme si c’était
un petit peu du mercure. Les Français sont passés là à côté sans un
geste. Il n’y a pour moi pas l’ombre d’un doute, ils s’agissaient des
personnes qui avaient fui depuis des semaines le génocide. Ceci se
voyait notamment grâce à l’aspect très amaigri du visage de la personne
de sexe masculin qui gisait dans la poussière à mes côtés, avec
une barbe assez fournie de plusieurs semaines. Il était très maigre
avec des habits sales. Ces gens étaient à proximité de la piste. A
quelques mètres de la piste d’aviation, 150, 200 mètres, à l’intérieur
de la position française extrêmement bien gardée. Pour moi, il était
impossible que des Rwandais en civil, à mon avis relativement en
mauvais état de santé, ayant eu faim pendant longtemps, en fuyant,
aient voulu tenter une quelconque action militaire. D’ailleurs, il n’y
avait aucune arme ou quoi que ce soit de cette nature vers eux. Et
puis, ça pose la question de savoir comment est-ce qu’ils sont arrivés
là ? [...] Donc là il y avait une position fortifiée de ce côté là. Il y en
avait une en face, proche des bâtiments d’entrée et de sortie de la
base.
A mon avis, tout le périmètre était sécurisé en permanence et
puis, vu la nature des lieux avec de l’herbe basse sans buisson, sans
rien sur la piste que je dirai en bon état, plate. La moindre personne
qui se déplacerait à cet endroit, a fortiori la journée, était immédiatement
repérée. Ils ne pouvaient pas être là sans que les Français les
aient laissés entrer. [...] J’entends que si elles avaient cherché à pénétrer
sur la base, il n’était pas possible qu’elles se cachent. C’est un
terrain plat, il faisait jour, c’était onze heures du matin. Donc pour
moi, il y avait un périmètre fermé et les cadavres je les ai trouvés à
proximité de la piste d’atterrissage, le long d’un petit bout de route
rudimentaire qui avait été formée par les va-et-vient des véhicules
français qui longeaient la piste d’aviation en petit bout pour après
obliquer en direction de la sortie du camp. Les cadavres que j’ai
vus là sur ma droite en sortant étaient dans le périmètre de l’armée
française entre deux positions, deux fortifications de campagnes, occupées
par des personnels français nombreux où il y avait plusieurs
factionnaires en permanence jour et nuit. 50
50. Luc Pillionnel, Témoignage de Luc Pillionnel à la commission Mucyo, 14 juin 2007 [4,
Annexes, p. 146]. http://www.francegenocidetutsi.org/PillionnelMucyo14juin2007.pdf
6 CONTINUATION DES OPÉRATIONS DE GÉNOCIDE 15
Le témoin ignore pourquoi ces personnes ont été tuées, mais elles l’ont été sur
une base entièrement sous le contrôle de militaires français. Le capitaine Ancel,
devant aller assurer un « appui-feu », ne l’emmène finalement pas à Nyarushishi
mais le dépose à l’évêché de Cyangugu. Le long de la route de l’aéroport à
l’évêché, Pillionnel voit encore plusieurs cadavres, certains frais, d’autres plus
anciens qui sentaient mauvais. C’était donc le 19 juillet, en zone dite humanitaire
sûre.
Le capitaine Ancel fait extraire les membres de la belle-famille de Pillionnel
qui le prie de les amener à Bukavu. Mais là, au milieu de tous les génocidaires en
déroute, ils ont encore couru le risque de se faire tuer. Observons que Guillaume
Ancel, alors capitaine, conteste le témoignage de Pillionnel selon lequel des cadavres
se trouvaient dans le périmètre de l’aéroport de Kamembe.
Cassien Bagaruka, pompier à l’aéroport, raconte comment les Français laissent
les Interahamwe tuer un de ses collègues à l’intérieur de l’aéroport.
Dans le même cadre, un des pompiers de l’aéroport du nom de
Gratien, poursuivi par les tueurs, s’est réfugié dans le camp militaire
français situé à l’aéroport de Kamembe et il a été tué sur place devant
les militaires français alors qu’ils pouvaient le protéger. 51
Il confirme ainsi l’hypothèse de Pillionnel selon laquelle les Français ont
laissé les Interahamwe massacrer à l’intérieur de l’enceinte de l’aéroport. Le
verbe « laisser » est faible.
6.2 Tuer les Tutsi et faire disparaître les cadavres
D’après un tueur emprisonné, Jean-Bosco Habimana, caporal des FAR et
chef Interahamwe, les Français sont de connivence avec les Interahamwe. L’officier
français qui les empêche d’exterminer les réfugiés de Nyarushishi les autorise
en revanche à débusquer et liquider les Tutsi hors du camp :
En redescendant [du camp de Nyarushishi], nous brûlions et détruisions
systématiquement les maisons qui n’avaient pas encore été
touchées. Lorsque nous en croisions un qui avait un nez un peu long,
nous le tuions sans même vérifier son identité, « même le Français a
signé ta mort », disions-nous. C’est ce que nous disions partout, que
même le Français nous avait accordé la licence de tuer.
Avant de quitter Nyarushishi, les Français nous avaient donné
des grenades et des rations de combat. Nous sommes redescendus
en mangeant et dans la gaieté. Les faits continuaient. Nous, à la
frontière, nous continuions à tuer les gens et les jetions dans le lac
Kivu. Sous les yeux des Français bien sûr ! À un moment les Français
nous ont dit : « Vous autres Rwandais hutu n’êtes pas intelligents.
Vous tuez les gens et les jetez dans l’eau sans rien faire d’autre !
Ignorez-vous qu’ils finiront par remonter à la surface et qu’ils vont
être vus par des satellites. Vous ne savez vraiment rien ! » C’est les
51. Rapport Mucyo, [4, p. 189].
6 CONTINUATION DES OPÉRATIONS DE GÉNOCIDE 16
Français qui nous ont appris à ouvrir le ventre après l’avoir tué et
jeter le corps à l’eau sans qu’il ne risque de remonter à la surface.
Nous l’avons appris et avons commencé à l’appliquer. 52
Le témoin affirme que les Français voulaient débarrasser la zone Turquoise
des Tutsi :
Ils nous ont dit qu’ils partaient à Gikongoro et à Kibuye pour
barrer la route au FPR, pour qu’il ne mette pas le pied dans Gikongoro.
Ils nous ont assuré qu’il n’était pas concevable que le FPR
puisse venir nous trouver à Cyangugu. Ils nous demandaient de nous
occuper de trouver tous les Tutsi qui se trouvaient encore dans la
région pour les exterminer. Nous promettant que notre zone allait
devenir, grâce à eux, la zone Turquoise. C’était des Français qui
parlaient comme ça. 53
Le témoignage de Jean-Bosco Habimana a aussi été recueilli par la commission
Mucyo. Son énormité laisse incrédule. Mais il est surprenant d’entendre
l’ancien bourgmestre de Karengera, Straton Sinzabakwira en confirmer la teneur
:
A Cyangugu, après avoir vu les corps de personnes tuées flotter
sur le lac Kivu et dans la rivière Rusizi, ils [les militaires français] ont
suggéré aux tueurs d’ouvrir les ventres des cadavres flottant et de
les remplir de pierres pour qu’ils puissent couler. Ils ont fait le tour
des barrières en donnant ces instructions aux tueurs. Ils voulaient
cacher les preuves du génocide aux journalistes internationaux. On
me l’a dit, mais je l’ai aussi vu moi-même. 54
Une survivante NN., qui a été cachée dans Kamembe grâce à son mari hutu,
déclare que les Français de Turquoise n’ont rien fait de bien pour les Tutsi :
Q : Ceux-là qui sont venus en grand nombre en juin 1994, pour
soi-disant établir une zone de sécurité, comment les avez-vous vus,
quels étaient leurs comportements ?
R : Ils sont venus et ont traversé la frontière et ont demandé :
« Où sont les tutsi ? » Ils répétaient : « tutsi, tutsi, tutsi ? » Nous
ne sortions pas, ils s’adressaient aux personnes qui se tenaient sur
la route, mais cela nous parvenait. J’ai d’ailleurs fini par sortir moi
aussi et je les ai vus. Ils m’ont demandé : « De quelle ethnie estu
pour avoir survécu ? » Je leur ai répondu que j’étais tutsi, ils
m’ont demandé comment je pouvais vivre encore, pourquoi je n’étais
pas morte. J’ai dit que je n’avais pas été tuée peut-être parce que
mon heure n’avait pas encore sonné, mais que malgré cela j’avais été
éprouvée. Ils m’ont alors proposé de m’emmener à Nyarushishi. Je
52. Georges Kapler, enregistrement vidéo, L’horreur qui nous prend au visage [5, p. 164].
53. Ibidem, p. 163.
54. Audition de Straton Sinzabakwira par la Commission Mucyo en sa séance publique
du 13/12/2006. Cf. Rapport Mucyo, pp. 187-188. http://www.francegenocidetutsi.org/
RapportMucyo15novembre2007.pdf#page=193
6 CONTINUATION DES OPÉRATIONS DE GÉNOCIDE 17
leur ai dit que je ne voulais pas aller à Nyarushishi, que je voulais
rester chez moi. Car eux ils sont arrivés en prétendant qu’ils venaient
secourir les gens, mais cela n’a pas empêché que les gens ont continué
à mourir, même s’ils ont été conduits là-bas à Nyarushishi. Il y avait
une sorte de confusion si tu veux : ils essayaient de nous montrer
qu’ils recherchaient les tutsi survivants pour les protéger, mais l’on
se rendait compte qu’ils pouvaient avoir d’autres objectifs, ceux de
leur faire du mal. Je sais qu’aucun tutsi ne peut dire du bien des
soldats français à cette époque, car ils n’ont rien fait de bien pour
nous, les Français. Rien qui eut pu nous secourir. Que ce soit ceux
qui se trouvaient à Nyarushishi, que ce soit ceux qui étaient restés
cachés dans les maisons, les Français ne les ont secourus en rien. 55
Les Français protégeaient les Interahamwe :
Q : A part ces voleurs, les autres criminels, est-ce qu’ils les punissaient
? Ceux qui tuaient ?
R : Pas du tout alors ! Ceux qui tuaient les gens, les Interahamwe,
ceux-là ils ne les touchaient pas. Pas du tout. Personne ne touchait
aux Interahamwe. Les Interahamwe, ils ne les ont jamais inquiétés.
Ils continuaient à tuer et allaient tranquillement leur chemin pour
fuir.
Q : Les Français ne voyaient-ils pas que ces Interahamwe perpétraient
des assassinats ?
R : Ce n’était pas un problème pour eux. Ils s’en foutaient.
Q : Ils préféraient arrêter un voleur plutôt qu’un assassin ?
R : Exactement. Le voleur, ils le traitaient comme cela, mais le
tueur était laissé tranquille. 56
6.3 Personnes jetées du haut d’hélicoptères
Selon NN, les Français ont jeté du haut d’un hélicoptère une personne qui a
été tuée :
Q : Quand ils sont arrivés, est-ce que les tueurs ont immédiatement
arrêté de massacrer ?
R : Cela ne s’est pas arrêté. Et même je me souviens qu’à un
certain moment, ces Français ont attrapé quelqu’un qu’ils ont mis à
bord d’un hélicoptère et ils l’ont précipité au sol.
Q : Où est-ce qu’ils avaient pris cette personne ?
55. Interview de NN. par Cécile Grenier, Bugarama, 23 janvier 2003. Traduction de Vénuste
Kayimahe. Cécile Grenier travaillant à France 2, révoltée par ce que la France a fait
au Rwanda, y est allée de ses propres deniers en 2002-2003 faire une série d’interviews avec
Vénuste Kayimahe. Elle a réalisé en collaboration deux bandes dessinées, Rwanda 1994, descente
aux enfers, Albin Michel, 2005 et Rwanda 1994, le camp de la vie, Vent des Savanes,
2008.
56. Interview de NN. par Cécile Grenier, Bugarama, 23 janvier 2003.
6 CONTINUATION DES OPÉRATIONS DE GÉNOCIDE 18
R : On disait qu’il avait volé, il avait participé aux pillages des
magasins, et alors ils l’ont mis dans un sac et sont allés le jeter dans
la forêt.
Q : A-t-il survécu ou est-il mort ?
R : Il est mort. 57
Straton Sinzabakwira, bourgmestre de la commune de Karengera, a vu deux
personnes jetées d’hélicoptère qui ont été tuées :
Dans la forêt de Nyungwe à Gasare, les soldats français capturaient
des gens, les ligotaient, les mettaient dans des sacs, les chargeaient
dans des hélicoptères et allaient les jeter dans la forêt. Les
victimes étaient qualifiées de complices d’Inkotanyi. D’après les informations
que je recevais des personnes qui fuyaient Kigali, ceux
qui ont été tués par les Français en les jetant par hélicoptère dans
la forêt de Nyungwe, étaient nombreux. J’ai moi-même vu les corps
de deux hommes ligotés qui ont été jetés par les militaires français
à Gasare dans la commune Karengera. Mis à part ceux-là, d’autres
personnes ont subi le même sort. 58
6.4 La chasse aux infiltrés
Straton Sinzabakwira explique que les Français les chargeaient d’empêcher
les infiltrations du FPR :
Les militaires français visitaient toutes les communes et tenaient
des réunions avec les bourgmestres ou avec les dirigeants des Interahamwe
pour nous donner des consignes du comportement à adopter.
Lorsqu’ils sont arrivés à Cyangugu, ils contrôlaient tout, supervisaient
et donnaient des instructions pour renforcer les rondes afin
d’empêcher le FPR de s’infiltrer. Pour reconnaître les militaires du
FPR, ils nous avaient donné la consigne de regarder sur les épaules
s’il n’y aurait pas de traces de port d’armes et de vérifier sur les
jambes les traces de bottines. 59
Entendu par nous le 26 octobre 2011, Straton Sinzabakwira confirme que les
Français les ont encouragés à poursuivre l’exécution des Tutsi interceptés sur
les barrières.
6.5 Tutsi tués aux barrières
Straton Sinzabakwira raconte comment les Français ont laissé Christophe
Nyandwi tuer cinq Tutsi arrêtés sur une barrière, sur la route Cyangugu-Gikongoro :
57. Interview de NN. par Cécile Grenier, Bugarama, 23 janvier 2003.
58. Audition de Straton Sinzabakwira par la Commission Mucyo en sa séance publique
du 13/12/2006. Cf. Rapport Mucyo, p. 187. http://www.francegenocidetutsi.org/
RapportMucyo15novembre2007.pdf#page=193
59. Audition de Straton Sinzabakwira par la Commission Mucyo en sa séance publique
du 13/12/2006. Cf. Rapport Mucyo, p. 187. http://www.francegenocidetutsi.org/
RapportMucyo15novembre2007.pdf#page=193
6 CONTINUATION DES OPÉRATIONS DE GÉNOCIDE 19
À la barrière de Ntendezi dans la commune Karengera dont
j’étais bourgmestre, j’étais là avec Christophe Nyandwi, chef des
Interahamwe à Cyangugu, lorsque les soldats français sont venus
à l’endroit où nous contrôlions les voitures qui venaient de Gitarama,
de Butare et de Gikongoro. Nous cherchions des Tutsi dans
ces voitures, parce que personne ne pouvait franchir la barrière sans
montrer sa carte d’identité pour nous assurer qu’il était effectivement
hutu. Nous avions mis de côté cinq Tutsi et étions avec des
Interahamwe en uniforme. Les militaires français sont sortis de leurs
véhicules et nous avons discuté avec eux. Nous leur avons dit que
nous étions en train de chercher l’ennemi. Ils connaissaient Nyandwi
comme leader des Interahamwe puisqu’ils le rencontraient à la préfecture
et dans des réunions. Ils nous ont garanti leur soutien et ont
repris la route. Ceux qui étaient derrière dans leurs véhicules ont
levé leurs mains en l’air en signe de soutien. Nyandwi a emmené les
cinq Tutsi et les a tués entre la commune Gisuma et l’usine de thé de
Shagasha. S’ils étaient venus dans le cadre humanitaire, ils auraient
pu sauver et évacuer ces Tutsi ; 60
Calixte Gashirabake signale un autre crime à cette barrière, devant les Français
:
Nous serons transportés et concentrés dans le camp de Nyarushishi
avant de continuer au Zaïre. Sur le pont de Ntendezi, les Interahamwe
ont arrêté et tué un jeune homme suspecté d’être inkotanyi
quand il tentait de traverser ce pont. Ils lui ont demandé son identification
et il leur a dit : « Vraiment, ne vous fatiguez pas, je suis
tutsi ! ». A peine avait-il prononcé le dernier mot, ils l’ont poignardé.
Les Français qui étaient assis sur le pont ont tout vu et n’ont pas
bronché. 61
6.6 Viols des femmes et maltraitance des Tutsi à Nyarushishi
Straton Sinzabakwira évoque les sévices que les Français faisaient subir au
camp de Nyarushishi :
A Nyarushishi où les Tutsi se cachaient, les Français violaient
les femmes et les filles dans les tentes et dans le bois d’à côté. Et
dans leur soi-disant « action humanitaire », ils ne donnaient pas de
nourriture aux réfugiés. Ceci m’a été rapporté par la population qui
allait vendre des marchandises aux réfugiés de ce camp. J’utilisais
ces gens-là en tant qu’autorité pour avoir des informations sur la manière
dont ces réfugiés vivaient, comment étaient les relations entre
60. Audition de Straton Sinzabakwira par la Commission Mucyo en sa séance publique
du 13/12/2006. Cf. Rapport Mucyo, p. 187. http://www.francegenocidetutsi.org/
RapportMucyo15novembre2007.pdf#page=193
61. Rapport Mucyo, [4, p. 183].
6 CONTINUATION DES OPÉRATIONS DE GÉNOCIDE 20
eux et les Français. L’opération Turquoise n’avait aucun caractère
humanitaire. 62
Une rescapée, réfugiée au camp de Nyarushishi, Conscessa M., interrogée par
Georges Kapler, raconte la pratique de la corvée de bois. Ceux qui sortaient du
camp pour chercher du bois afin de cuisiner étaient tués par les Interahamwe de
Bandetse :
À un moment, ils [les militaires français] sont venus demander
aux gens de sortir du camp pour aller chercher du bois de chauffage,
en leur promettant d’assurer leur sécurité. Des hommes et des
jeunes en bonne santé se regroupaient et partaient. Lorsqu’ils avaient
franchi la barrière, les Français la refermaient. Nous attendions et
finissions par leur demander pourquoi fermer la barrière avant le
retour des nôtres ? Ils nous rétorquaient qu’ils n’avaient pas voulu
rentrer au moment où ils leur avaient ouvert la barrière. Nous continuions
à attendre. Alors, désespérés, nous retournions demander aux
Français qui finissaient par nous répondre que le groupe était tombé
sur les Interahamwe de Bandetse qui les avaient tués. Oui, nous les
perdions ainsi. 63
Conscessa M. donne encore d’autres preuves de la connivence entre les Français
et les Interahamwe :
Ils les amenaient hors du camp, dans la forêt derrière leurs tentes.
Parfois, ceux qui y allaient pour chercher du bois de chauffage pouvaient
tomber sur des corps qu’on avait jetés là. Au retour, ils nous
disaient untel est mort. Ainsi, nous savions que ces personnes étaient
mortes et qu’elles avaient été attirées hors du camp à l’appel des
Français qui leur promettaient la viande de boeuf sur les collines.
[...]
Oui, comme quoi ils avaient fait venir la vache mais qu’ils ne pouvaient
l’introduire dans le camp, que certains d’entre nous devaient
aller s’en occuper et ramener la viande au camp. [...]
Non, j’ai parlé du fait que les Français entraient dans le camp et
faisaient sortir les gens du camp en leur promettant qu’ils venaient
les chercher pour s’occuper d’un boeuf que eux, ils avaient pris le soin
de nous acheter et que des hommes et jeunes gens devaient partir le
dépecer et ramener la viande.
À mon avis, les Français étaient là dans le but de nous tuer, ils
ne manifestaient jamais de compassion envers nous, il n’essayaient
jamais de nous rassurer, de nous dire de tenir bon, qu’ils allaient
empêcher que l’on continue à nous tuer. Rien de tout cela. Bien au
contraire, on avait l’impression qu’ils en avaient contre nous.
62. Audition de Straton Sinzabakwira par la Commission Mucyo en sa séance publique
du 13/12/2006. Cf. Rapport Mucyo, p. 187. http://www.francegenocidetutsi.org/
RapportMucyo15novembre2007.pdf#page=193
63. Enregistrement vidéo de Georges Kapler, mars 2004, L’horreur qui nous prend au visage
[5, p. 499].
6 CONTINUATION DES OPÉRATIONS DE GÉNOCIDE 21
Ils nous disaient que certains des leurs avaient été tués par les
Inkotanyi à Kigali.
Personnellement, je considère que les Français ont aidé les Interahamwe
à nous tuer. S’ils voulaient bien dire la vérité et reconnaître
ce qu’ils ont fait pour être punis ou même pour que l’on puisse leur
pardonner, mais quoi qu’il en soit, ils méritent un châtiment. 64
Selon le témoin Conscessa M., les militaires français ont commis des viols,
elle en a été elle-même victime :
Il est arrivé un moment où les Français ont développé une sale
habitude : ils venaient et abusaient des filles, moi-même j’ai été forcée
par eux, ils m’ont prise par la force. [...]
Ils venaient et nous proposaient de les suivre pour recevoir du riz
et des lentilles. Nous y allions et arrivées là-bas, ils nous prenaient
de force, dans leurs tentes ou parfois même dans la forêt, à côté.
Aviez-vous peur en vous y rendant ?
Pas tant que ça, c’était mourir ici ou là bas de toute façon. La
plupart du temps, nous avions faim et nous disions : « Allons-y,
prenons la nourriture pour la rapporter au camp ». Mais lorsque
nous arrivions là, ils nous forçaient... C’était habituel. Mais nous
étions si affamées que nous pensions qu’ils ne risquaient pas d’avoir
de la concupiscence vis-à-vis de nous. 65
Toujours selon Conscessa M., les militaires français ont tué un garçon nommé
Gilles :
Par après, ils ont tué un garçon qui s’appelait Gilles. Ils l’avaient
pris dans le camp et l’avaient emmené avec eux pour aller travailler
dans leurs tentes plus loin. Un jour, ils l’ont tué et on ne l’a plus
revu. 66
Un autre témoignage de Conscessa M. figure dans le rapport Mucyo sous
le titre « L’esclavage sexuel de Concessa ». Elle raconte comment les militaires
français du camp de Nyarushishi la violaient par groupes de quatre, après deux
groupes il y avait une pose puis ça recommençait avec d’autres, ainsi jusqu’à
quatre heures du matin. Et ça recommençait le lendemain. Ils appelaient leurs
collègues en leur disant : « nous avons de belles femmes venez, venez constater
la différence entre nos femmes et les femmes tutsi ». Parmi les militaires qui
abusaient d’elle, il y avait également un colonel. Elle précise à son propos :
« A un certain moment, celui dont on disait qu’il était colonel a demandé à ses
collègues de me laisser à lui seul et de chercher les autres. Ce colonel est resté
avec moi deux jours avant la fin de Turquoise, puis ils sont partis. » 67
Jean Bosco Habimana, dit Masudi, ancien FAR et chef Interahamwe déjà
cité, raconte comment des militaires français l’avaient chargé de leur apporter
64. Georges Kapler, ibidem, pp. 499–500.
65. Georges Kapler, ibidem, p. 499.
66. Georges Kapler, ibidem, p. 499.
67. Rapport Mucyo, [4, pp. 194-196].
6 CONTINUATION DES OPÉRATIONS DE GÉNOCIDE 22
des filles, pas n’importe lesquelles, uniquement des Tutsi afin d’abuser d’elles
sexuellement.
Les Français installés au stade Kamarampaka ont aussi violé des
filles et des femmes tutsi pendant l’opération Turquoise. Ils nous
avaient chargé de façon particulière de leur chercher des filles ou
des femmes tutsi et certaines victimes de leurs viols ont survécu. Il
fallait nécessairement leur apporter des filles tutsi qui, disaient-ils,
ne leur causeraient pas de problèmes si des gens apprenaient qu’ils
les avaient violées et il était strictement interdit de leur apporter
des filles hutu. La première fois, je leur ai apporté deux filles de 14
ou 15 ans au stade Kamarampaka. La première, que nous avions
trouvée au cimetière de Mururu, s’appelait M Béata. Comme nous
savions qu’elle était tutsi, nous l’avons prise et l’avons amenée au
stade Kamarampaka où des militaires français l’ont violée. Après, ils
nous l’ont remise, nous suppliant de ne pas la tuer. La deuxième, que
nous avions trouvée cette fois-ci à Winteko dans la cellule Bugayi,
s’appelait Mukasine Florence. Comme la première, elle a été également
violée, au stade Kamarampaka, par des militaires français qui
nous ont dit de ne pas la tuer. En contrepartie, ils nous ont donné
des rations de combat et des boites de conserves. Je l’ai fait encore
une fois quand on était près du camp de Nyarushishi, parce qu’il y
avait des Français, même à Nyarushishi. J’ai amené une jeune fille
de 19 ans du nom de Mukan que j’ai trouvé à un kilomètre de Nyarushishi.
Elle a été violée par un autre militaire français, mais il n’a
pas voulu me donner de ration de combat. Ça m’a mis en colère et je
suis allé le dire à leur supérieur. Je lui ai dit que je tuerais la fille s’il
ne me donnait pas ma ration de combat. Et il m’a dit que je pouvais
la tuer, que ça ne le regardait pas. Je l’ai tuée en sa présence ; il y
avait également d’autres militaires français. Je suis parti laissant le
corps gisant là. 68
Flore Muka est l’une des filles dont parle Masudi dans le témoignage précédent.
Née en 1980, elle avait 14 ans au moment de l’opération Turquoise.
Après que son père et quatre des ses frères et soeurs aient été tués, elle a pu
rejoindre le camp de Nyarushishi. Elle a été livrée, au Stade Kamarampaka, par
l’Interahamwe Masudi à un militaire français qui l’a ensuite violée :
A notre arrivée à Nyarushishi, il y avait beaucoup de réfugiés
gardés par les militaires français de l’opération Turquoise. La vie
à l’intérieur du camp était très dure. Comme il semblait y avoir un
peu d’accalmie, surtout que les Français, étaient venus nous secourir,
nous avons commencé à sortir du camp pour aller chercher de quoi
manger aux alentours du camp. Un jour, alors que j’étais sortie avec
deux autres filles pour aller chercher des patates douces dans un
champ qui se trouvait à quarante minutes du camp, un groupe d’une
68. Rapport Mucyo, [4, pp. 197–198].
6 CONTINUATION DES OPÉRATIONS DE GÉNOCIDE 23
trentaine de miliciens nous a repérées et nous a couru derrière, criant
et sifflant. Une des filles fut attrapée et tuée, l’autre s‘échappa, moi je
courus me cacher dans une famille où ils me retrouvèrent finalement.
Un Interahamwe surnommé M armé de lance et de couteaux me
tabassa en m’insultant. Il me prit et me traîna par la main jusqu’au
stade Kamarampaka à Cyangugu où nous arrivâmes après une heure
de marche. J’étais épuisée et je tremblais tout au long du chemin,
pensant qu’il allait me tuer. Je n’arrêtais pas de le supplier de me
tuer au lieu de continuer à me faire marcher et lui me répondait qu’il
n’allait pas me tuer. Arrivés au portail du stade, il y avait quatre
militaires français avec qui, il a échangé quelques mots, puis ils nous
ont laissés entrer lui et moi. M est allé ensuite frapper à une porte
d’une des vestiaires du stade d’où est sorti un militaire français très
costaud qui m’a fait entrer sous une grande tente à coté. Naïve que
j’étais, je me disais que j’étais sauvée puisqu’il me mettait entre les
mains des Français, alors que mon calvaire ne faisait que commencer.
Le militaire français l’a alors atrocement violée. Abandonnée à l’extérieur du
stade, elle a été recueillie par une vieille femme qui l’a soignée. Elle avait donc
14 ans. 69
Bea Mukan est une autre fille que Masudi, dans son témoignage cité plus
haut, affirme avoir livrée à un militaire français. Beate raconte les circonstances
de son viol par ce Français dans le vestiaire du stade Kamarampaka. Née en
1979, elle avait 15 ans à l’époque. 70
Pour ceux qui mettraient en doute les témoignages sur la mise à mort par
les Interahamwe des Tutsi qui cherchaient du bois en dehors du camp de Nyarushishi,
le général Didier Tauzin vient confirmer les témoignages recueillis par
Georges Kapler, Annie Faure, Raphaëlle Maison et la commission d’enquête
Mucyo. Il écrit : « Nous ne sommes restés à Nyarushishi qu’une semaine du 23
au 30 juin exactement. Cette semaine a été très occupée. [...] nous avons établi
de nombreux contacts, en particulier avec les autorités locales et les unités des
FAR stationnées dans le secteur, pour leur faire bien comprendre que tous les
civils tutsis étaient désormais sous notre protection et que nous ne tolérions
aucun dérapage, [...] Malgré tout, nous étions si peu nombreux qu’il n’est pas
impossible que des interahamwés aient réussi à assassiner quelques réfugiés, en
particulier lorsque ceux-ci sortaient glaner du bois pour le feu. Il m’a souvent
été demandé par la suite si j’aurais pu arrêter des chefs locaux de milices interahamwé,
sorte de “jeunesse de partis” créées quelques années plus tôt par un
tutsi et qui étaient accusées d’avoir été le principal responsable des massacres
des tutsis. Je continue de répondre que nous n’en avions pas reçu la mission. » 71
Les viols de femmes tutsi par des militaires français ont fait l’objet de trois
plaintes au Tribunal des armées de Paris introduites par Me Laure Heinich.
69. Audition du 14/12/2006. Cf. Rapport Mucyo, [4, Annexes, pp. 90–92].
70. Rapport Mucyo, [4, p. 199].
71. D. Tauzin [14, p. 131].
6 CONTINUATION DES OPÉRATIONS DE GÉNOCIDE 24
6.7 Pas d’arrestation des tueurs
Le génocide des Tutsi a été reconnu par Alain Juppé, ministre des Affaires
étrangères, le 18 mai 1994 à la séance des questions d’actualité de l’Assemblée
nationale. Le 16 juin 1994, il écrit dans Libération :« La France, seul pays occidental
représenté au niveau ministériel à la session extraordinaire de la Commission
des Droits de l’homme à Genève, exige que les responsables de ces génocides
soient jugés. » 72 Oui, il met un “s” à génocides. Le 28 juin 1994, un génocide,
celui des Tutsi, est officiellement reconnu par René Degni-Ségui, le rapporteur
spécial de la Commission des Droits de l’homme de l’ONU. La France, signataire
de la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression
du crime de génocide, se devait d’arrêter les coupables présumés, en vertu de
l’article VI de cette Convention. Elle n’avait nul besoin d’un mandat de l’ONU
pour le faire.
John Yusuf Munyakazi, chef des Interahamwe de Bugarama, les tueurs les
plus dangereux de la région est suspecté par les militaires français d’être le responsable
du massacre de Shangi. 73 Ils ne l’arrêtent pas. John Yusuf Munyakazi
a quitté le Rwanda avec ses miliciens le 16 juillet, en procédant à un pillage
systématique. 74 Depuis ils firent de fréquentes incursions au Rwanda depuis le
Zaïre. Il n’est arrêté que le 5 mai 2004 en République démocratique du Congo
(RDC). Il a été condamné à 25 ans de prison le 28 septembre 2011 par le TPIR.
Christophe Nyandwi, fonctionnaire de la préfecture de Cyangugu, est président
des Interahamwe de la préfecture de Cyangugu. Il agit comme représentant
du préfet pour commander les massacres. Interrogé par un journaliste
de l’émission La Marche du Siècle, il jure la main sur le coeur qu’il n’a rien
fait. « Dans les témoignages recueillis, dit le commentateur, les soldats français
de l’opération Turquoise ont retrouvé le nom de Nyandwi souvent cité comme
organisateur des massacres ». 75 Le lieutenant-colonel Hogard n’arrête aucun assassin.
Ou s’il en a arrêté, il les a relâchés. Il se justifie en disant qu’il avait une
mission militaire mais pas de gendarmerie ou de police. Interrogé sur l’arrestation
des présumés coupables durant l’opération Turquoise, le lieutenant-colonel
Hogard déclare : « Ma mission n’était pas de les rechercher, de les poursuivre,
de les arrêter euh... si euh... ma mission était une mission militaire, encore
une fois à distinguer des missions de gendarmerie ou de... ou de police ou de
prévôté euh... et donc je crois que nous avons fait notre travail. » 76 Les soldats
sous ses ordres étaient limités à faire une simple identification des « criminels
de guerre » présumés. Ni mandat de recherche, ni mandat d’arrêt, constate
72. Alain Juppé, « Point de vue », Intervenir au Rwanda, Libération, 16 juin 1994. http:
//www.francegenocidetutsi.org/JuppeLiberation16juin1994.pdf
73. Opération Turquoise, PCIAT, Fiche d’information, Goma, 10 juillet 1994. Objet : Renseignements
recueillis en zone humanitaire de sécurité. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise
1990-1994, Mission d’information parlementaire [12, Tome II, Annexes, pp. 498–500].
http://www.francegenocidetutsi.org/FicheDinformationZhs10juillet1994.pdf#page=2
74. African Rights, John Yusufu Munyakazi - Un génocidaire devenu réfugié [1, p. 80].
75. Jean-Marie Cavada, émission « La Marche du siècle », FR3, 21 septembre 1994. Archive
INA 38 :27-40 :41.
76. Jean-Marie Cavada, émission « La Marche du siècle », FR3, 21 septembre 1994. Archive
INA 40 :42-41 :21
6 CONTINUATION DES OPÉRATIONS DE GÉNOCIDE 25
Jean-Marie Cavada. Cependant nous notons que le Groupement Sud Turquoise
que commandait Jacques Hogard comptait un détachement prévôtal (gendarmerie).
77
Ce détachement prévôtal pouvait procéder à des arrestations. D’ailleurs il y
en eut. « Le 25 juillet, la 2e section de la 1re compagnie du 2e REI s’infiltre de
nuit à Bugarama et appréhende une bande de miliciens qui terrorise la population
». 78 Notons que Bugarama est le fief de la milice de John Yusuf Munyakazi.
Le Figaro présente cette affaire comme beaucoup plus sérieuse :
Des accrochages ont opposé pendant trois nuits la milice Interahamwe
(extrémistes hutus) à des militaires français de la Légion
étrangère, qui leur ont infligé des pertes, a déclaré un officier français.
Les incidents ont eu lieu près de Bugarama, dans le sud-ouest
du Rwanda, a précisé le lieutenant-colonel Hogard à Cyangugu, dans
la zone de sécurité instaurée par les Français.
« Nous les pourchassons » a-t-il dit en ajoutant que les légionnaires
n’avaient subi aucune perte.
La milice Interahamwe a joué un rôle prépondérant dans les massacres
de la minorité tutsie lors des sanglants événements qui depuis
le 6 avril ont fait plus de 500 000 morts et quatre millions de réfugiés
et déplacés. Avec la défaite de l’ancienne armée gouvernementale par
le Front patriotique du Rwanda (FPR), sa majeure partie est actuellement
exilée au Zaïre, d’où elle mène des coups de main contre les
Tutsis en territoire rwandais, a précisé l’officier.
« Ils franchissent la frontière pendant quelques heures et tentent
de menacer la population et de lui ordonner de partir. Ils tirent parfois
sur nous et trop, c’est trop, nous ripostons immédiatement », a
ajouté le lieutenant-colonel Hogard. 79
Mais qu’est-il advenu de ces miliciens faits prisonniers ? Ayant entendu Hogard,
Périès et Servenay écrivent à ce sujet :
Pourtant, le lieutenant-colonel Hogard n’a pas le même comportement
[il n’a pas arrêté les membres du gouvernement intérimaire]
avec les « petits » miliciens qui entravent l’action des troupes françaises.
Quelques dizaines d’entre eux sont arrêtés, identifiés, photographiés,
par l’équipe renseignement du Groupement sud. Certains
sont même incarcérés dans la prison de Cyangugu en raison des témoignages
qui leur imputent de nombreux massacres. Ils seront relâchés
au lendemain du départ des troupes françaises, fin août, car les
casques bleus éthiopiens qui prennent la relève n’ont pas les moyens
de les garder. 80
77. Ce détachement prévôtal dresse procès-verbal des armes remises au colonel Gisalassie,
chef des éléments éthiopiens de la MINUAR, qui viennent relever les Français le 21 août 1994.
Cf. B. Lugan [9, p. 239].
78. B. Lugan [9, p. 239].
79. La Légion face aux miliciens hutus, Le Figaro, 26 juillet 1994, p. 4.
80. G. Périès, D. Servenay [11, p. 325].
6 CONTINUATION DES OPÉRATIONS DE GÉNOCIDE 26
Nous avons entendu une autre version. En quittant le Rwanda, les Français
n’ont pas remis à la MINUAR les listes de personnes accusées de génocide et ils
ont libéré celles qui étaient en prison avant l’arrivée de la MINUAR :
In the Cyangugu as well as the Gikongoro area of the Frenchcontrolled
zone, UNAMIR officers claim to have seen lists, prepared
by French authorities in the zone, of persons accused locally of genocide
or other criminal activities, some of whom had been detained.
Departing French troops did not hand over these lists to UNAMIR
forces, however, and they released jailed prisoners before U.N. replacements
arrived to take over from French command. 81
Jean Hélène note qu’à Gikongoro, les Français n’avaient pas de prison et que
tous les détenus de la prison de Gikongoro ont été libérés :
Sur le chemin du retour, un drame éclate au bord de la route : la
foule poursuit un homme qui a tenté de voler de la nourriture tout
juste distribuée. Les soldats [français] jaillissent de leur véhicule mais
les villageois ont été plus rapides. Le voleur est arrêté une grenade
à la main. Les militaires iront fouiller sa chaumière sans trouver
d’autres armes. Ni les Français ni la MINUAR II n’ont ouvert de
cachots. Le brigand sera donc remis au bourgmestre, qui ne pourra
que le relâcher puisque le directeur de la prison de Gikongoro est
parti avec les clés après avoir libéré tous les prisonniers. 82
Dans les trois rapports sur l’opération Turquoise transmis au Conseil de
sécurité par le représentant permanent de la France, 83 il n’est pas question
d’arrestation de coupables de massacres, encore moins de leur remise à la MINUAR.
Il est douteux que le lieutenant-colonel Hogard ait remis des prisonniers
aux Casques bleus éthiopiens. Bernard Lugan fait état de remise d’armes aux
Éthiopiens mais pas de prisonniers. 84
81. Human Rights Watch, Rwanda/Zaïre : Rearming with Impunity - International Support
for the Perpetrators of the Rwandan Genocide [8, II The role of France], Interviews
with U.N. officials, August 1994 - March 1995. http://www.francegenocidetutsi.org/
HRWrearmingWithImpunityMay1995.pdf Traduction de l’auteur : Dans la région de Cyangugu
comme dans celle de Gikongoro de la zone contrôlée par les Français, des officiers de la MINUAR
disent avoir vu des listes, préparées par les autorités françaises de la zone, de personnes
accusées localement de génocide ou d’autres activités criminelles, certaines d’entre elles ayant
été détenues. En partant les troupes françaises ne remirent pas ces listes à la MINUAR et ils
libérèrent les personnes emprisonnées avant que les troupes des Nations Unies n’arrivent pour
prendre la succession du commandement français.
82. Jean Hélène, Rwanda : après les Français, l’inquiétude, Le Monde, 20 août 1994, pp. 1,
4. http://www.francegenocidetutsi.org/HeleneInquietude20aout1994.pdf
83. 5 juillet 1994, ONU S/1994/795 http://www.francegenocidetutsi.org/S1994-795.
pdf ; 4 août 1994, ONU S/1994/933 http://www.francegenocidetutsi.org/S1994-933.pdf ;
27 septembre 1994, ONU S/1994/1100. http://www.francegenocidetutsi.org/S1994-1100.
pdf
84. B. Lugan [9, p. 239].
7 COLLABORATION AVEC LES ORGANISATEURS DU GÉNOCIDE 27
6.8 Hogard ne fait pas taire les radios qui appellent au
massacre puis à la fuite
Dans la région de Cyangugu, la radio RTLM est audible par un système
de réémetteur. Le studio mobile de Radio Rwanda suit le gouvernement dans
sa retraite et lancera un appel à la fuite le 17 juillet. 85 Le lieutenant-colonel
Hogard déclare à Gabriel Périès :
Dans l’autre sens, c’est vrai que ce problème des radios extrémistes
n’a pas été bien traité. On les a traquées et on ne les a pas
trouvées. C’est un échec de Turquoise, ça oui. Une fois, mon équipe
CRAP a failli attraper une camionnette et l’émetteur, mais ils sont
arrivés trop tard. C’est un échec, mais ce n’est pas ma faute d’avoir
essayé. 86
7 Maintien des opérations et collaboration avec
l’infrastructure politique et logistique du génocide
7.1 Collaboration avec les organisateurs du génocide
Le capitaine Bernard Gondal, officier de renseignement de Hogard, constate
que les massacres ont été organisés par les autorités locales et que toute la
population y a participé :
« [...] Au départ, pour expliquer ces massacres, on nous dit que ce
sont les miliciens. En fait, on s’aperçoit que c’est tout le monde. Une
grande partie de la population survivante a participé aux massacres.
[...] »
Avec une équipe de CRAP du 2e REP, ses yeux et ses oreilles,
il découvre l’impensable organisation des massacres : « Très vite
nous avons la sensation désagréable que les autorités ont organisé
les massacres. Mais on sait aussi que ce n’est pas le cas de toutes les
autorités. Les préfets, les bourgmestres : il y a une vraie déliquescence
de l’autorité civile. Cela fuit de partout, dans tous les sens.
Nous nous attendions à voir des assassins, des tueurs... mais pas à
cette implication des autorités locales. Que tout cela soit organisé,
c’est fou. D’autres ont aussi essayé de protéger les Tutsis. » 87
Jacques Hogard décrit sa prise de contact avec les autorités de Cyangugu :
« – Les autorités rwandaises me disent, c’est tant [d’argent] par
jour. Surréaliste, raconte le lieutenant-colonel Hogard. Je dis non.
85. B. Lugan [9, p. 251].
86. Entretien du 24 février 2006 avec le colonel Hogard. G. Périès, D. Servenay [11, p. 336].
87. Entretien par téléphone avec le capitaine Bernard Gondal, le jeudi 15 décembre 2005.
Cf. G. Périès, D., Servenay [11, p. 325].
7 COLLABORATION AVEC LES ORGANISATEURS DU GÉNOCIDE 28
On s’installe. Et j’annonce la nécessité de mettre en place un comité
de coordination entre nous et les Rwandais, avec réunion tous les
jours à 11 heures. Je présente au préfet notre mission : neutralité et
impartialité. On emploiera la force si besoin est.
« – Quelle est la réaction du préfet ?
« – Je ne peux pas vous dire qu’il bondit de joie. Bien qu’il ait été
élargi par le tribunal d’Arusha, je pense que c’est un vrai salopard,
passez-moi l’expression. J’en ai la conviction si ce n’est les preuves :
il fallait voir la rouerie, l’hypocrisie et la perfidie du bonhomme
pour le comprendre tout de suite. Donc, il fait grise mine. C’était du
feeling, mais lorsque j’ai rencontré le préfet de Cyangugu, d’emblée
il m’a révulsé. Je ne savais pas ce qu’il avait fait ou pas, mais je
savais qu’il devait déguerpir. Ensuite, j’ai compris qu’il donnait des
ordres aux milices à l’extérieur de la ville, tout en nous assurant qu’il
calmait le jeu. C’est aussi pour cela que l’on a accéléré le processus
de décomposition de l’État rwandais. » 88
Figure 2 – Le colonel Tauzin présente son successeur le colonel Hogard au
préfet Bagambiki. Source : TF1, 2 juillet 1994, 13 h
Dans son livre il ne cache pas le rôle du préfet Bagambiki dans les massacres :
Très vite il me faudra mettre les points sur les i au préfet Étienne
[Emmanuel] Bagambiki. J’ignore alors totalement son « background »
88. Entretien du 2 décembre 2005 et du 24 février 2006 avec le colonel Hogard, dans ses
bureaux de la société Epee. G. Périès, D. Servenay [11, p. 326].
7 COLLABORATION AVEC LES ORGANISATEURS DU GÉNOCIDE 29
mais il ne m’inspire d’emblée que peu de sympathie. [...]
Bagambiki, je l’apprendrai plus tard, est un personnage influent
venant du MRND, le parti du président assassiné, dont il est l’un
des durs. Nous réalisons vite qu’il n’est pas franc du collier et qu’il
tente de nous doubler en manipulant ses réseaux extrémistes. Je
dois donc le mettre sévèrement en garde contre les conséquences de
ses agissements présumés et de ses liens probables avec les bandes
d’Interahamwe avec lesquels nous aurons quelques accrochages. Dès
lors, la défiance s’installe entre nous. Cela n’ira pas beaucoup plus
loin : Bagambiki disparaît à jamais le 18 juillet après avoir appelé au
pillage de la préfecture de Cyangugu et à l’exode de la population
vers le Zaïre. 89
Hogard sait donc que Bagambiki ordonne toujours aux milices de massacrer.
Mais il ne l’arrête pas. Il collabore avec lui, il le voit tous les jours.
Le but pour Hogard était de « ne pas déstabiliser ce qui reste » :
« Au début, l’ancien régime continue d’administrer, dit Jacques
Hogard, on est obligé de traiter avec ces gens-là pour ne pas déstabiliser
ce qui reste, tout en restant méfiant. On sauve la face si vous
voulez. C’est la phase d’arrivée jusqu’au 18 juillet. C’est une vraie
difficulté. On sent qu’on dérange. Alors on accentue la pression, morale
et physique. Progressivement. Dans les trois ou quatre premiers
jours, on croise des civils dans des pick-up, des milices armées de la
machette à la kalachnikov. On est confronté à des barrages. On les
démantèle en souplesse en leur disant : “La France s’occupe de la sécurité
des populations, ce n’est plus vous, c’est nous.” C’est difficile,
vous êtes sur un barril de poudre et il faut éviter l’étincelle. » 90
Le but de Hogard est clairement ici de ne pas déstabiliser ce qui reste de ce
régime qui a organisé le génocide et le continue devant lui. Hogard déplore le
départ du préfet Bagambiki :
La tâche des militaires français dans le Sud est d’autant plus délicate
qu’elle inclut maintenant le maintien de l’ordre, des missions
humanitaires et certaines tâches abandonnées par l’administration.
« Il faut que je rétablisse l’eau courante, que je veille au bon fonctionnement
de la centrale électrique, que je m’occupe des contrôleurs
aériens. Et tous me demandent : qui va nous payer maintenant ? »,
dit le lieutenant-colonel Hogard, en déplorant le départ du préfet de
Cyangugu. 91
Le sous-préfet Théodore Munyangabe a été chargé, sans doute par Hogard,
d’assurer l’intérim du préfet. 92 Il a été reproché à Théodore Munyangabe d’être
89. J. Hogard [7, pp. 44-45].
90. Entretien avec le colonel Hogard, G. Périès, D. Servenay, ibidem, p. 328.
91. Frédéric Fritscher, Sans abris, sans eau, sans soins..., Le Monde, 21 juillet 1994, pp. 1,
3. http://www.francegenocidetutsi.org/FritscherSansAbris21juillet1994.pdf
92. T. Cruvellier [6, p. 107].
7 COLLABORATION AVEC LES ORGANISATEURS DU GÉNOCIDE 30
aussi mêlé aux massacres, à Shangi et à Mibilizi. 93 Condamné en 1re instance,
il a été acquitté par un arrêt de la cour d’appel de Cyangugu du 6 juillet 1999.
Le lieutenant Samuel Imanishimwe, commandant des FAR dans la préfecture
de Cyangugu et proche collaborateur du préfet, est un des principaux assassins.
Le lieutenant-colonel Hogard ne l’ignore pas :
[...] il existait bien au sein des FAR des petites frappes qui avaient
participé sur les arrières aux massacres commandités par les extrémistes
du régime. Je pense ainsi au triste lieutenant Samuel Imanishimwe,
responsable du camp de Karambo, où se tient la garnison de
Cyangugu, rencontré dans les premiers jours de notre déploiement
et dont le sous-préfet Munyangabe me fera comprendre le rôle actif
dans les règlements de compte et massacres perpétrés en ville au
printemps. 94
Le génocide des Tutsi ne serait-il pour Hogard qu’un « règlement de compte » ?
Jean-Bosco Habimana, caporal des FAR et chef Interahamwe, interrogé à la
prison de Cyangugu, rapporte que les Français collaboraient avec Imanishimwe :
Non seulement, ils [les Français] nous conseillaient, mais même
la nourriture, c’est eux qui nous l’assuraient. Et ils venaient vers
nous. Parfois, ils rencontraient le préfet Manishimwe 95 qui envoyait
un militaire qui s’appelait Bikumanywa, c’était un sergent major qui
était responsable des stocks du camp Karambo. Il venait nous donner
les instructions qu’il avait reçus des Français. « Allez partout sans
crainte nous sommes soutenus par le Français », celui-ci ne souhaite
nullement voir le pays dans les mains du cancrelat. 96
Le lieutenant Samuel Imanishimwe a été arrêté au Kenya le 11 août 1997. Il
a été condamné à 27 ans de prison par le TPIR le 25 février 2004 pour génocide,
autres crimes contre l’humanité (extermination) et crimes de guerre. Sa peine a
été réduite en appel à 12 années de prison. 97
Cassien Bagaruka, pompier sur l’aéroport de Kamembe, rapporte :
Lors de l’opération Turquoise, les militaires français sont arrivés
à Cyangugu, le 22 juin 1994. Ils ont été accueillis chaleureusement
par les Interahamwe et les ex-FAR, qui chantaient en brandissant des
drapeaux Français. Ils se réjouissaient que ces Français aillent fournir
des munitions pour vaincre les Inyenzi. Arrivés à l’aéroport de
Kamembe, ils ont installé un poste de radio émetteur contrôlé par
le caporal Thierry et le sergent Galant Olivier, ainsi que d’autres
matériaux dont des véhicules transportés par des hélicoptères et des
93. African Rights, John Yusufu Munyakazi - Un génocidaire devenu réfugié [1, pp. 43, 50,
52].
94. J. Hogard [7, p. 48].
95. Confusion entre le lieutenant Imanishimwe et le préfet Bagambiki.
96. Georges Kapler, enregistrement vidéo, CEC, 2004. Cf. L’horreur qui nous prend au
visage [5, p. 166].
97. IRIN, Arusha, 7 juillet 2006.
7 COLLABORATION AVEC LES ORGANISATEURS DU GÉNOCIDE 31
avions Transall du genre Hercule 730. Peu après, les militaires français
dirigés par le colonel Hogard ont assisté à une réunion organisée
par les autorités locales dont le colonel Kabiligi, le colonel Tharcisse
Renzaho, Tharcisse Muvunyi et Sylvère Ahorugeze.
Après quoi, les hélicoptères ont commencé l’opération de déplacer
les Interahamwe le matin pour les ramener le soir. En fait, les
militaires français ont collaboré étroitement avec les miliciens Interahamwe.
98
Tharcisse Renzaho, préfet de Kigali, a été condamné à perpétuité par le
TPIR pour génocide.
7.2 Collaboration avec les chefs Interahamwe
Thomson Mubiligi était un Interahamwe qui a collaboré avec les troupes
françaises durant le génocide dans Cyangugu. Il déclare à la commission Mucyo :
« J’ai vu arriver les Français à Cyangugu. Certains sont allés
à Nyarushishi, d’autres à l’aéroport et un autre groupe de militaires
circulait partout. Ils collaboraient étroitement avec le préfet
de Cyangugu et la gendarmerie et tenaient souvent des réunions avec
des officiers supérieurs des FAR ainsi que les chefs des Interahamwe.
Dans ce cadre, ils ont étroitement collaboré avec le président de
la CDR, Bantari Ripa, le président des Interahamwe de Cyangugu,
Nyandwi Christophe, ainsi que Yusuf Munyakazi, chef des Interahamwe
de Bugarama qui sont allés donner du renfort à Kibuye.
[...] A Cyangugu, les Interahamwe ont continué à tuer malgré la présence
des militaires français. En effet, ces Interahamwe ont maintenu
leurs barrières et les Français n’ont rien fait pour les désarmer ni les
chasser de ces barrières. Des Interahamwe de Kigali ont pillé dans la
ville de Cyangugu et là aussi les Français n’ont rien fait pour les en
empêcher. [...] Un des officiers supérieurs français s’appelait Lieutenant
Colonel Hogard, d’autres se disaient Commandants aux légions
étrangères. 99
Dans un but de vérification nous avons rencontré Thomson Mubiligi en 2010.
À notre question : « Est-ce que les militaires français entretenaient des relations
avec les responsables des milices ? Est-ce qu’ils se causaient ? », l’ancien Interahamwe
répond : « Parce que les responsables des Interahamwe étaient des gens
capables de s’exprimer en français, parmi lesquels Nyandwi Christophe, Bantari
Ripa, Bagambiki, Imanishimwe, il y avait une collaboration entre eux et les
Français. Car c’était eux qui gouvernaient Cyangugu. Il y avait aussi le commandant
de l’aéroport de Kamembe – je ne me souviens pas de son nom, lui
aussi a exterminé beaucoup de gens dont ses collègues de l’aéroport. » 100
98. Rapport Mucyo, [4, Annexes, pp. 34-35].
99. Rapport Mucyo, [4, pp. 183-184].
100. Vénuste Kayimahe, Jacques Morel, Interview de Thomson Mubiligi, 10 juin 2010, Hôtel
1000 collines, Kigali. http://www.francegenocidetutsi.org/ThomsonMubiligi10juin2010.
7 COLLABORATION AVEC LES ORGANISATEURS DU GÉNOCIDE 32
7.3 Les Français ne font confiance qu’aux Interahamwe
Straton Sinzabakwira raconte comment les Français l’ont battu :
Moi-même, j’ai été battu par les soldats français autour du 15
juillet 1994, lorsqu’ils ont appris des Interahamwe que j’avais aidé
Claudien Kanyeshyamba [un Tutsi] à fuir vers le Burundi. Les Français
sont venus me chercher parce qu’il leur avait été dit que je
travaillais pour l’ennemi et que j’avais des armes qui devaient être
utilisées par les inkotanyi une fois arrivés dans cette région. Les militaires
français sont venus fouiller chez moi et ils n’ont rien trouvé
mais moi et ma famille, ils nous ont harcelés et battus ; 101
7.4 L’exfiltration du gouvernement génocidaire
Le 16 juillet, le lieutenant-colonel Jacques Hogard rencontre le président
intérimaire Sindikubwabo et le ministre des affaires étrangères Bicamumpaka.
Il organise leur exfiltration à Bukavu le lendemain :
Avant de quitter Cyangugu dimanche [17 juillet 1994], le président
et les ministres du gouvernement intérimaire rwandais (GIR)
ont lancé des appels à la population pour qu’elle les suive dans leur
exil. Le chef d’état-major des FAR, le général Augustin Bizimungu,
a suivi le même chemin, donnant des instructions similaires à ses
troupes.
La Radio des Mille Collines, la voix des extrémistes hutus – qui
avait incité les milices à massacrer Tutsis et Hutus modérés – a suivi
l’état-major des FAR dans ses retraites successives. [...] Retranchés
à Gisenyi, puis à Cyangugu, ils étaient toujours la voix du GIR et
des FAR en déroute, intimant aux populations de prendre la route
du Zaïre. Dans leurs propos violemment antifrançais, ils menaçaient
de représailles et de mort ceux qui ne partiraient pas.
Le lieutenant-colonel Jacques Hogard, commandant de la partie
sud de la zone de sécurité française, a fait preuve de fermeté. En
même temps qu’il notifiait dimanche au président et aux ministres
du GIR sa décision de les voir quitter Cyangugu, il insistait pour
que la Radio des Mille Collines parte aussi. Coupables d’incitation
aux massacres, les journalistes de la station ont leur part de responsabilité
dans les malheurs qui frappent maintenant les réfugiés. Le
lieutenant-colonel a eu gain de cause. La Radio des Mille Collines –
qui lançait lundi matin : « Le FPR a mis quatre ans pour rentrer
au Rwanda avec deux cent mille personnes. Nous mettrons un mois
pdf
101. Audition de Straton Sinzabakwira par la Commission Mucyo en sa séance publique
du 13/12/2006. Cf. Rapport Mucyo, p. 187. http://www.francegenocidetutsi.org/
RapportMucyo15novembre2007.pdf#page=193
7 COLLABORATION AVEC LES ORGANISATEURS DU GÉNOCIDE 33
pour revenir avec cinq millions » – est maintenant à Bukavu, avec
le GIR. 102
Bernard Lugan compose le récit suivant à partir d’entretiens avec le général
Lafourcade et le colonel Hogard :
Le 16 juillet dans l’après-midi, 103 des éléments de la Garde présidentielle
accompagnant des berlines noires sont signalés dans la
ville de Cyangugu. Le lieutenant-colonel Hogard est averti par le capitaine
Bernard Gondal, chef de son bureau renseignement. Compte
rendu est fait au général Lafourcade.
N’ayant pas reçu l’ordre d’arrêter les membres du GIR, décision
incombant au pouvoir politique et en l’absence de consignes de Paris,
104 le général Lafourcade doit cependant prendre une décision
rapide. Il ordonne donc de faire immédiatement signifier à ces personnalités
que leur présence en ZHS est incompatible avec le mandat
de Turquoise. Le général Lafourcade est très précis à ce sujet :
« J’ai donc demandé au lieutenant-colonel Hogard de passer le
message aux membres du GIR de quitter immédiatement la ZHS. »
La réaction française à l’intrusion de membres du GIR en ZHS est
extrêmement rapide. 105 Le même jour, nous sommes le 16 juillet, en
fin d’après-midi, soit quelques heures à peine après que leur arrivée
a été signalée, les ministres sont en effet avisés par les autorités militaires
françaises. Escorté de l’équipe de commandos parachutistes
du 2e REP commandée par le lieutenant Raoul, le lieutenant-colonel
Hogard se rend ainsi à la villa occupée par Théodore Sindikubwabo
à proximité de l’hôtel du lac et qui est gardée par des éléments
de la Garde présidentielle. L’entrevue avec MM. Sindikubwabo et
Bicamumpaka est tendue. Le lieutenant-colonel Hogard les informe
en effet qu’ils sont indésirables dans la ZHS, qu’ils doivent donc la
quitter au plus vite et que les forces françaises ne tolèreront aucune
manifestation du GIR, de quelque nature que ce soit : émission de
radio ou réunion publique.
Leur départ est fixé au lendemain 17 juillet afin de permettre
aux autorités zaïroises de les accueillir, ce qui permet à certains de
parler d’« exfiltration » [...] 106
Lugan précise plus loin :
102. Frédéric Fritscher, Sans abris, sans eau, sans soins..., Le Monde, 21 juillet 1994, pp. 1,
3. http://www.francegenocidetutsi.org/FritscherSansAbris21juillet1994.pdf
103. Yannick Gérard signale l’arrivée du président et du Premier ministre à Cyangugu le
15 juillet ! Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [12, Tome II, Annexes p. 418].
http://www.francegenocidetutsi.org/Gerard9D9-15juillet1994.pdf
104. Y aurait-il désaccord à Paris sur la conduite à tenir ?
105. Cela prête à sourire car les membres du GIR, en particulier le président et le Premier
ministre, étaient certainement suivis ou accompagnés par des militaires français depuis Gisenyi.
106. Entretien de Bernard Lugan avec le colonel Jacques Hogard [9, p. 249]. Jacques Hogard
décrit lui-même cette rencontre dans les mêmes termes [7, pp. 96–97].
7 COLLABORATION AVEC LES ORGANISATEURS DU GÉNOCIDE 34
Comme il n’a pas l’autorisation d’arrêter les membres du GIR et
comme il doit impérativement les expulser de la ZHS, le lieutenantcolonel
Hogard prend naturellement contact avec son homologue zaïrois,
le colonel Opango Deke Kange, pour l’informer de l’arrivée prochaine
en territoire zaïrois des membres du GIR et de leur famille. 107
Le lieutenant-colonel Hogard se confie un peu plus tard à la journaliste Florence
Aubenas :
Il y a dix jours, le gouvernement intérimaire en déroute s’est
réfugié à Cyangugu. Le colonel Hogard l’a appris par hasard. « Je
n’avais aucune consigne de Paris. J’ai juste appris dans l’après-midi
par une dépêche AFP que le Quai d’Orsay trouvait leur présence indésirable.
Alors je suis allé les voir. C’était étrange. Pour un officier,
il n’est pas très courant d’être invité chez un président. » Il y trouve
un homme d’État qui fait le procès de la zone humanitaire sud. « En
s’installant au sud, les Français ont permis au FPR de concentrer sa
force de frappe sur le front du nord et de gagner la guerre. » « Matériellement,
il avait raison, mais ce n’était pas notre but, commente le
colonel Hogard. Je lui ai répondu que sans nous, lui-même ne serait
sans doute pas là et que le FPR tiendrait les rives du lac Kivu. » Le
Président intérimaire accepte de se replier au Zaïre. « Je prends le
chemin de l’exil, comme le général de Gaulle en juin 40 », dit-il. 108
Le mensuel de la Légion étrangère, Képi Blanc, d’octobre 1994 confirme que :
Battue sur le terrain, l’armée ruandaise se replie, en désordre,
vers la « zone humanitaire sûre ». L’E.M.T. [l’état-major tactique
de l’opération Turquoise] provoque et organise l’évacuation du gouvernement
de transition ruandais vers le Zaïre. Le 17 juillet, le gouvernement
ruandais passe au Zaïre. 109
Le récit que le lieutenant-colonel Hogard fait dans son livre est analogue à
ce que Lugan dit plus haut. Ce qui frappe dans son récit, c’est l’appel aux Hutu
à suivre le gouvernement intérimaire au Zaïre, lancé sur les ondes de Radio
Rwanda. « C’est alors le signal d’un exode proprement hallucinant ! », écrit Hogard.
110 Son entretien avec Théodore Sindikubwabo et Jérôme Bicamumpaka,
qui sont arrivés à Cyangugu dimanche 17 juillet avec une centaine d’hommes
bien armés de la garde présidentielle est raconté avec abondance de détails par
Périès et Servenay. Il leur donne un délai de 24 heures pour partir. Le lendemain
à midi « il n’y avait plus personne. » 111
107. Ibidem, p. 251.
108. Florence Aubenas, L’uniforme mal taillé des soldats de la force Turquoise, Libération, 28
juillet 1994. http://www.francegenocidetutsi.org/AubenasLiberation28juillet1994.pdf
109. Képi blanc, No 549, octobre 1994, page 6 du cahier spécial « Ruanda » de 8 pages http:
//www.francegenocidetutsi.org/KepiBlanc549.pdf#page=6 ; Patrick de Saint-Exupéry Les
« trous noirs » d’une enquête, Le Figaro, 17 décembre 1998.
110. J. Hogard [7, pp. 96–97].
111. Entretien avec le colonel Hogard, G. Périès, D. Servenay, ibidem, pp. 338-340.
8 INCITATION À FUIR MASSIVEMENT LE PAYS 35
Hogard dit ne pas avoir de regret, mais il ne semble pas avoir la conscience
tranquille :
L’épisode est une plaie pour le colonel Hogard : avec le recul,
il admet s’être laissé enfermé dans une position délicate pour un
militaire à qui l’on demande, sans le dire, de faire de la politique : « Je
n’avais pas le mandat de les arrêter, dit-il, si on avait eu le mandat de
les arrêter, on l’aurait fait, ça ne me posait aucun problème. Personne
ne nous a jamais demandé de les arrêter. Et ce n’est pas les autorités
françaises que j’incrimine, parce que les autorités françaises n’ont
jamais eu ce mandat de la part de la communauté internationale.
[...] Et je ne regrette rien, je pense que j’ai fait au mieux des intérêts
de tout le monde, je n’ai pas de regret. » 112
Il est donc clair que les autorités françaises n’ont pas arrêté les organisateurs
du génocide ainsi que c’était leur devoir, en tant que signataires de la Convention
des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide. De
même, elles n’ont pas cherché à stopper cet « exode hallucinant ».
Selon Cassien Bagaruka, pompier de l’aéroport de Kamembe, des hélicoptères
et des avions français ont servi à exfiltrer les membres du GIR :
A la fin de l’opération Turquoise, avant que les militaires français
ne quittent la zone turquoise vers le Zaïre, une réunion a été
organisée au cours de laquelle les militaires français et les autorités
locales ont demandé à toute la population de fuir et ils ont mis
des hélicoptères à la disposition de ces autorités pour les déplacer.
C’est ainsi qu’ils ont transportés les voitures des autorités par avion
Transall dont celle d’Eliezer Niyitegeka ex-ministre de l’information
et du colonel Kanyamanza. 113
Notons que le ministre Eliezer Niyitegeka a été condamné à perpétuité pour
génocide et entente en vue de commettre le génocide par le TPIR, le 15 mai
2003.
8 Incitation à fuir massivement le pays
Le lieutenant-colonel Hogard se targue d’avoir fait lâcher par des hélicoptères
« des dizaines de milliers de tracts sur la région de Cyangugu, expliquant
aux Rwandais que les troupes françaises assuraient leur sécurité, l’approvisionnement
et les soins médicaux, pour les inciter à rester sur place. » mais le
journaliste Frédéric Fritscher note que ces arguments « ne pèsent pas lourd devant
les menaces de représailles et de morts proférées par le GIR et Radio Mille
Collines à l’encontre de ceux qui ne choisiraient pas d’exode. » 114
112. Entretien avec le colonel Hogard, G. Périès, D. Servenay, ibidem, p. 340.
113. Témoignage de Cassien Bagaruka. Cf. Rapport Mucyo, [4, Annexes, p. 35]. http://www.
francegenocidetutsi.org/CassienBagarukaAnnexeMucyo34-36.pdf Le colonel Kanyamanza
est le chef de l’escadrille de l’aviation légère de l’armée rwandaise.
114. Frédéric Fritscher, Sans abris, sans eau, sans soins..., Le Monde, 21 juillet 1994, pp. 1,
3.
8 INCITATION À FUIR MASSIVEMENT LE PAYS 36
Les militaires français auraient encouragé leurs amis hutu à la fuite. Aloys
K., rescapé du camp de Nyarushishi, rapporte ce qui s’est passé à Cyangugu
lors de l’exode au Zaïre :
Ils [les militaires français] encourageaient les gens à fuir en racontant
que les Inkotanyi venaient et tuaient tout sur leur passage.
Ils leur faisaient ce signe (il fait le geste de se trancher la gorge) pour
leur signifier que les Inkotanyi allaient les tuer lorsqu’ils arriveraient,
ils leur faisaient signe car beaucoup ne parlaient pas français. Ils leur
demandaient d’activer les travaux de destructions et de pillages. Ils
faisait le signe de trancher la tête avec une main, en disant “Inkotanyi”
pour signifier qu’ils allaient les tuer.
Autre chose encore, ils inspectaient les cartes d’identité, lorsqu’ils
voyaient la mention hutu, ils laissaient la personne franchir la
frontière à Rusizi. Lorsqu’il y avait mention tutsi, ils chassaient la
personne en lui demandant de retourner en arrière pour retrouver
les Inkotanyi. En général, ils évaluaient le nez et se fiaient aussi aux
cartes d’identité, avec leur mention ethnique hutu/tutsi. [...]
Les Français venaient de quitter le Rwanda et je sais que à cette
époque, à la frontière Rusizi I, c’était des Français qui assuraient la
surveillance du côté Rwanda et du côté Zaïre. Lorsqu’ils constataient
que tu avais la mention ethnique, à cette époque c’était le cas, si tu
étais hutu, ils t’offraient le passage, en te disant que les Inkotanyi te
tueraient si tu restais, si tu étais tutsi, ils te refoulaient. 115
Jean-Bosco Habimana, caporal FAR et chef Interahamwe, rapporte aussi que
les Français poussaient à l’exode :
Par après, ils nous ont dit qu’il était trop tard, que le FPR avait
des forces qu’ils ne soupçonnaient pas, nous avions trop tardé à faire
appel à eux, il était trop tard.
Ils ont parlé ainsi lorsque les choses tournaient mal pour eux,
lorsqu’ils avaient commencé à échanger des tirs avec le FPR à Gikongoro.
Ils nous ont dit, il n’y a pas d’autre issue, nous devions
tous, sans exception, fuir au Congo. Que celui qui allait chercher
à rester allait être désigné comme cancrelat lui-même. C’était les
Français eux-mêmes qui parlaient ainsi.
Ils nous ont demandé de fuir, partout où ils passaient, dans les
petits centres commerciaux, ils incitaient les gens à fuir le FPR.
Tout comme dans ces petits centres, ils demandaient à toute personne
qu’ils croisaient : Tutsi ou Hutu ? Si tu répondais Hutu, ils te
faisaient un signe d’amitié, Yes ! Mais pour reconnaître un Hutu, ils
se fiaient à ce signe : le port du gourdin. Il y en avait des cloutés,
que nous appelions « aucune rançon possible pour racheter la vie
de l’ennemi », cela avait fort impressionné les Français. Ils nous disaient
que sur ce point, ils reconnaissaient que les Rwandais avaient
115. Georges Kapler, enregistrement vidéo, L’horreur qui nous prend au visage [5, p. 371].
8 INCITATION À FUIR MASSIVEMENT LE PAYS 37
un sens de la créativité, qu’ils n’auraient pas imaginé une telle arme
pour tuer. Nous avions tué plusieurs fois avec ça devant leurs propres
yeux et ils ne faisaient rien pour nous en empêcher. 116
Un autre tueur en prison, Ahmed Bizimana, rapporte :
Au moment de fuir au Zaïre, c’est les Français qui ont demandé
aux gens de fuir. Ils ont occupé les postes frontières et ont demandé à
la population de fuir comme quoi les Inyenzi allaient tous les tuer. 117
Straton Sinzabakwira, bourgmestre de la commune de Karengera déclare :
Les militaires français ont exfiltré les criminels et encouragé la
population à s’exiler. Ils mimaient le geste de couper la gorge en
incitant la population à fuir. A Bugarama, ils sortaient, de force, les
gens de leurs maisons. » 118
Le bureau des Affaires civiles de l’opération Turquoise reconnaît lui-même
« les menaces des miliciens venant de Cyangugu et Bukavu et poussant au départ.
» 119 Le lieutenant-colonel Hogard leur a donc laissé toute latitude pour
aller et venir par delà la frontière et menacer la population si elle n’accepte pas
de fuir.
8.1 Le pillage de Cyangugu et la destruction des infrastructures
Le lieutenant-colonel Hogard assiste au pillage de Cyangugu et à la destruction
des services publics lors du départ des génocidaires sans s’y opposer. Par
son attitude et ses propos, il approuve la politique de la terre brûlée devant le
FPR.
C’est fini. Le lendemain, lundi 18 juillet 1994, le cortège du gouvernement
intérimaire passe au Zaïre. Un appel d’une radio extrémiste
invite toute la population de la ZHS à le suivre pour continuer
le combat. En une heure à peine, le bâtiment de la préfecture de
Cyangugu est littéralement « dépecé » selon Jacques Hogard. Plus
un bureau, plus une chaise, plus une prise électrique. Les génocidaires
emportent tout ce qu’ils peuvent dans leur exil. 120
Cassien Bagaruka, pompier à l’aéroport, précise le rôle des Français dans
cet incendie de la préfecture : « Lorsque les bâtiments de la préfecture de Cyangugu
ont pris feu et que les pompiers de l’aéroport sont allés éteindre le feu,
116. Georges Kapler, enregistrement vidéo, L’horreur qui nous prend au visage [5, p. 165].
117. Georges Kapler, enregistrement vidéo, L’horreur qui nous prend au visage [5, p. 90].
118. Audition de Straton Sinzabakwira par la Commission Mucyo en sa séance publique
du 13/12/2006. Cf. Rapport Mucyo, p. 187. http://www.francegenocidetutsi.org/
RapportMucyo15novembre2007.pdf#page=193
119. Opération Turquoise, bureau des Affaires civiles, Point de situation humanitaire
du 18 août, 18 août 1994, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-
1994, [12, Tome II, Annexes, p. 531]. http://www.francegenocidetutsi.org/
TurquoiseSituationHumanitaire18aout1994.pdf
120. Entretien avec le colonel Hogard, G. Périès, D. Servenay, ibidem, p. 340.
8 INCITATION À FUIR MASSIVEMENT LE PAYS 38
les militaires français les ont chassés en disant qu’il ne fallait pas gaspiller de
l’eau. » 121
La commission Mucyo a réuni de nombreux témoignages sur ces pillages qui
se sont déroulés devant les Français et souvent avec leur participation. Aloys
Karuranga, employé à la compagnie de téléphone, dit comment le colonel Hogard
a, de fait, laissé détruire le central téléphonique :
Aloys Karuranga est originaire de Rusizi dans l’ex-préfecture
de Cyangugu. Il a travaillé à la compagnie nationale de téléphone
(Rwandatel) depuis 1970. En 1994, il était en poste à Cyangugu. Il
raconte la participation de militaires français dans le pillage de la
centrale téléphonique de Cyangugu dont il avait la charge.
« En 1994, j’étais ici à Cyangugu et je travaillais à Rwandatel.
[...] Le 18 juillet 1994, les gens ont commencé à piller et à détruire
la ville de Kamembe et le 22, la centrale téléphonique qui était sous
ma responsabilité a été pillée. Le soir, vers 18 h, après avoir visité
les lieux et constaté que les ordinateurs et tout le matériel contenu
dans notre stock avaient été pillés, je suis allé voir le Colonel Hogard,
chef de la mission de l’opération Turquoise à Cyangugu, dont
le bureau se trouvait dans un hangar de l’aéroport. Je lui ai dit que
notre central avait été saccagée [sic] et lui ai demandé de mettre
disons un gardiennage permanent. Il m’a donné alors, une équipe de
patrouille et nous a dit d’aller voir ce qui s’y passait. En arrivant,
nous avons constaté que les périphériques informatiques n’y étaient
plus. Toutefois, la centrale et les équipements de la téléphonie rurale
fonctionnaient encore. Nous sommes retournés voir le colonel
pour lui en rendre compte. En réponse à ma demande de protection
des installations, il m’a dit qu’il était désolé, qu’il ne pouvait pas
avoir un Français pour tout Rwandais ni pour toutes les maisons. Il
m’a, néanmoins, promis une patrouille régulière. Ce qui m’a étonné
et choqué c’est que, le lendemain vers 14h, j’y suis retourné et j’ai
constaté que tout avait été pillé, la centrale comprise. Pire encore,
j’y suis retourné deux semaines après et j’y ai trouvé un camion appartenant
aux militaires français ; ces derniers se trouvaient sur des
conteneurs dans lesquels nous stockions notre matériel. Ils étaient
avec un Rwandais du nom de Musafiri qui travaillait à l’Electrogaz,
je pense qu’il avait sollicité l’aide des Français pour transporter ces
conteneurs. J’avais sur moi un appareil photographique et, me cachant
derrière une pilonne [sic], j’ai pris des photos. Finalement, ils
ont pillé un conteneur. [...] Les maisons avaient été détruites et les
gens venaient piller les matériaux, laissant ces maisons inhabitables.
Les Français qui étaient à la barrière de Rusizi facilitaient les gens
[sic] qui traversaient avec le matériel pillé et parfois il y a ceux qui
revenaient du Zaïre pour en piller encore. » 122
121. Rapport Mucyo, [4, pp. 202-203].
122. Rapport Mucyo, [4, pp. 200-201].
8 INCITATION À FUIR MASSIVEMENT LE PAYS 39
Jean Bigirumwami décrit comment les Interahamwe de Bugarama ont pillé
devant les Français la cimenterie Cimerwa, et ont incendié le bureau communal
et la Riziculture. Les Français sont venus saccager sa propre maison. 123
Gonzague Habimana, para-commando des FAR à Kanombe, raconte comment
les militaires français volaient des voitures à Cyangugu. 124
Les détracteurs de la commission Mucyo vont contester ces faits. Mais le
lieutenant-colonel Hogard ne cherche pas à cacher ces pillages. Une autre preuve
en sont les ruines que l’on voyait encore en 2010. D’autres enquêteurs confirment
le constat du rapport Mucyo. Notamment ce Gonzague Habimana a été entendu
longuement par Cécile Grenier. Sur ces vols de voitures il déclare :
Gonzague Habimana : Je suis personnellement allé jusqu’à Cyangugu
du temps de Turquoise. C’est d’ailleurs là que s’est arrêtée ma
fuite. Je ne me suis guère approché d’eux [les Français], car j’étais
déçu et pensais que cela ne me servirait plus à rien. [...] Ce que je
sais très bien, c’est qu’une fois sinon deux, je les ai vus à Kamembe
embarquer des véhicules rwandais de luxe dans leurs avions, qu’ils
emmenaient de l’autre côté à l’aéroport de Bukavu. Ils semblaient
aussi participer aux pillages.
Q. Ils embarquaient ces véhicules dans leurs avions ?
R. Oui.
Q. Les véhicules du gouvernement ou ceux des citoyens ?
R. Les véhicules des citoyens ordinaires. Tout véhicule de luxe en
bon état, ils le prenaient.
Q. Dans leurs avions ?
R. Oui.
Q. Ils étaient comment, leurs avions ?
R. Ils avaient de gros avions militaires, des avions de combat,
plusieurs sortes. Mais la plupart, c’était des Hercule.
Q. Des Hercule C130 ?
R. Oui. Des C130.
Q. Donc, ils embarquaient des véhicules abandonnés par leurs
propriétaires ?
R. Oui.
Q. Est-ce qu’ils les amenaient à leurs propriétaires ?
R. Il y en avait ceux dont se disputaient les Interahamwe et
lorsque les Français voyaient qu’ils allaient en venir aux mains, ils
les confisquaient et les ramenaient à l’aéroport, puis les embarquaient
eux aussi, comme de vulgaires pillards.
Q. Mis à part ces véhicules qu’ils transportaient par avion, il n’y
en avait pas qu’ils prenaient par voie terrestre ?
R. Par la route ?
Q. Oui.
123. Rapport Mucyo, [4, pp. 201-202].
124. Rapport Mucyo, [4, p. 202].
8 INCITATION À FUIR MASSIVEMENT LE PAYS 40
R. Bien sûr qu’ils en prenaient. Ils en utilisaient. Tu vois, à cette
époque ils effectuaient beaucoup d’allers et venues entre Kamembe
et l’aéroport de Kavumu. Ce sont deux lieux bien proches, et alors
ils utilisaient aussi les véhicules... je veux dire ces véhicules de luxe,
tous terrains, qu’ils avaient récupérés ici. 125
D’autres témoignages indépendants de ceux de la commission Mucyo confirment
que les usines de la région de Cyangugu ont été démantelées :
Jean-Népomucène revient dans le village de Cymbogo [Cyimbogo]
en septembre pour constater que les Hutu, avant leur fuite,
ont tout saccagé. Des témoins racontent que le directeur de l’usine
de jus de fruits a fait plusieurs voyages en camion vers le Zaïre, juste
en face, pour sortir toutes les machines. 126
Les militaires français ont pillé l’usine à thé de Shagasha :
Les Français, ils ont volé, c’est eux qui ont détruit l’usine de thé
de Shagasha. Ils ont pris les machines et beaucoup d’autres choses
qu’ils embarquaient à bord de leurs avions. Ils s’y rendaient escortés
par leurs blindés, et ils ont démonté toute l’usine et pris tout le thé
qu’ils ont emportés. Je ne sais pas où ils emmenaient ça, mais ils ont
chargé ces machines et ce thé. 127
Les Français ont pris aussi des véhicules :
Par exemple ceux de l’usine à thé de Mata. Ils y sont allés, ils y
ont pris les véhicules. Ils amenaient ces véhicules et les embarquaient
dans leurs avions, je voyais tout ça, de chez moi on a vue parfaite sur
l’aéroport, on voit tout ce qui s’y fait. Toi-même tu pourras vérifier
en rentrant si tu le veux. Les véhicules, ils les mettaient dans les
avions, les machines aussi, ça je peux en témoigner contre eux même
devant Dieu. 128
Ils ont volé du riz :
Ils ont volé aussi du riz et du maïs, dans le centre de Gihundwe.
Ce sont les Français qui y sont allés. Ils ont pillé le riz, en ont chargé
leurs véhicules, des camions couverts de bâches, remplis des sacs
de riz qu’ils amenaient à l’aéroport, car c’est là qu’ils avaient leur
camp. 129
Les Français ont laissé piller et détruire :
125. Interview de Gonzague Habimana par Cécile Grenier, traduction Vénuste Kayimahe, 31
décembre 2002. http://www.francegenocidetutsi.org/GonzagueHabimana31decembre2002.
pdf
126. Michel Bührer [3, p. 22].
127. Interview de NN. par Cécile Grenier, Bugarama, 23 janvier 2003. Traduction de Vénuste
Kayimahe.
128. Interview de NN., ibidem.
129. Interview de NN., ibidem.
9 CONCLUSION 41
Q : Je ne connais pas bien Cyangugu, mais l’on dit que cette ville
a été totalement détruite du temps de Turquoise ?
R : Turquoise, ils ont dit qu’aucun militaire du FPR n’était autorisé
à s’introduire dans cette zone, en se battant. Mais je te jure au
nom de Dieu, les magasins ont été pillés sous l’oeil de soldats français,
toutes ces maisons détruites au bord du lac, les Français étaient
là, et même ils protégeaient les destructeurs, toutes les maisons, la
préfecture,... Quand vous allez rentrer, observez bien au bord du lac,
toutes ces maisons détruites là-bas, en leur présence.
Q : Ils protégeaient ceux qui les détruisaient ?
R : Parfaitement. Et tu te demandais comment les maisons pouvaient
être détruites en présence des Français, et tu te sentais mystifié.
Tu te demandais : « Dans quel genre de guerre sommes-nous ?
Pourquoi ceux-là sont-ils en train de détruire les maisons alors que
les Français sont présents... ? »
Ces magasins-là du centre ville, que nul ne vienne te mentir,
personne n’a débarqué du Congo pour les piller. Les commerçants
eux-mêmes, protégés par des soldats français, vidaient leurs propres
magasins, mettaient les marchandises dans des véhicules et les français
les escortaient jusqu’au Congo. 130
Aloys K., rescapé du camp de Nyarushishi, déjà cité, confirme :
Autre chose, les biens publics (hôpitaux, électricité et autres) ont
été détruits en leur présence, ils n’ont rien fait pour l’empêcher. 131
Faustin Twagiramungu, Premier ministre après le génocide, se plaint que sa
maison au bord du lac Kivu à Cyangugu « a été pillée de fond en comble, sous
le regard des militaires français. » 132 En fait elle a été complètement détruite.
9 Conclusion
Le lieutenant-colonel Hogard a vu en arrivant, notamment à Bisesero « l’horreur
des massacres auxquels viennent de se livrer les milices extrémistes Hutu
Interahamwe, et parfois la population elle-même, prise dans le lâche engrenage
de la terreur révolutionnaire ». 133 Il reconnaît qu’un « abominable génocide vient
d’ensanglanter le pays » et considère que « ce fait majeur discrédite totalement
le gouvernement qui n’a pas voulu ou su empêcher la tragédie. » 134
Il a pourtant collaboré avec les organisateurs de ce génocide dans sa zone
de responsabilité de Cyangugu. Il a contribué à armer les miliciens dans l’hypothèse
d’une arrivée de l’armée du FPR. Ce qui leur a permis de continuer leur
130. Interview de NN., ibidem.
131. Georges Kapler, L’horreur qui nous prend au visage [5, p. 371].
132. C. Braeckman [2, p. 322].
133. J. Hogard [7, p. 39].
134. Ibidem, p. 47.
10 FIABILITÉ DES TÉMOIGNAGES ET VALIDITÉ DU RAPPORT MUCYO42
« travail » d’élimination des Tutsi, ceci en toute quiétude, car ils se savaient
protégés du FPR par les Français.
À l’exclusion de toute autre personne ou institution, le lieutenant-colonel
Hogard disposait de l’autorité dans la zone de Cyangugu. En décidant de garder
le personnel politique, administratif, militaire, qui avait organisé les massacres et
de collaborer avec lui, en laissant les tueurs des milices poursuivre les assassinats
de Tutsi ou même en le leur demandant, il a contribué pleinement à la poursuite
du génocide dans sa zone de responsabilité.
L’ensemble des directives qu’il a reçues de sa hiérarchie et l’application décrite
ci-dessus qu’en a fait le lieutenant-colonel Jacques Hogard autorise le ministre
rwandais de la justice Tharcisse Karugarama à écrire dans son Communiqué
du 5 août 2008 que « les militaires français de Turquoise et leurs
commanditaires ont pleinement pris en charge le projet génocidaire » et à citer
nommément le lieutenant-colonel Hogard parmi les personnalités politiques et
militaires françaises les plus impliquées dans le génocide. 135
10 Fiabilité des témoignages et validité du rapport
Mucyo
Dans le cadre de la vérification de l’enquête de la commission Mucyo, nous
sommes allés interroger Straton Sinzabakwira à la nouvelle prison de Mpanga,
près de Nyanza, mercredi 26 octobre 2011. Le prisonnier, condamné à 20 ans,
est doué d’une mémoire remarquable et parle français. Il avoue « avoir trempé
dans ce génocide ». Ayant adhéré au PSD, Parti social démocrate, un parti qui
« aspirait à la démocratie », il était dans l’opposition au régime d’Habyarimana
et son parti unique, le MRND, dont le préfet Bagambiki était un acteur important.
Il est effarant de constater qu’étant dans l’opposition il ait participé à
l’organisation du génocide. Mais c’est un exemple de ce qu’a été le front Hutu
Power, promu d’ailleurs par des militaires et politiciens français en 1993. Il a été
bourgmestre du 7 mai 1993 au 19 juillet 1994. Donc il fuit un jour après le préfet
Bagambiki et le gouvernement intérimaire, Théodore Sindikubwabo en tête. Il a
été élu bourgmestre par le Conseil communal de développement et non nommé
par le Président Habyarimana comme auparavant. Il a confirmé pour l’essentiel
les déclarations qu’il a faite devant la commission Mucyo. Son témoignage a été
enregistré en vidéo.
Un extrait de cette interview de Straton Sinzabakwira est visible sur Internet
:
http://www.dailymotion.com/video/xmv9zo_07-straton-sinzabakwira-video_
news
135. République du Rwanda, Communiqué du rapport de la Commission nationale indépendante
chargée de faire la lumière sur le rôle de la France dans le génocide des
Tutsi de 1994, remis le 16 novembre 2007, le Gouvernement rwandais retient les faits
et considérations suivants, Kigali, 05 août 20, signé Hon. Tharcisse Karugarama, Ministre
de la Justice/Garde des Sceaux, pp. 12-13. http://www.francegenocidetutsi.org/
CommuniqueDePresseRapportMucyo.pdf
RÉFÉRENCES 43
De même, nous avons entendu deux fois Thomson Mubiligi, responsable
Interahamwe de Cyangugu à Kigali, le 10 juin 2010 et le 19 octobre 2011. Tant
que nous n’abordions pas son propre rôle dans les tueries, le témoin nous a paru
fiable. Il n’a pas fui au Congo. Il a été mis en prison le 23 mars 1995. Il a choisi la
procédure d’aveu et a été libéré en 2003 après 8 ans et demi de prison. Son père,
Napoléon Mubiligi, ancien bourgmestre de Kamembe, est en prison. Ce qu’il
nous a dit nous semble cohérent avec ce qu’il a déclaré devant la commission
Mucyo.
Références
[1] African Rights : John Yusufu Munyakazi - Un génocidaire devenu réfugié.
Numéro 6 de Rwanda - Témoins du génocide. African Rights, Juin
1997.
[2] Colette Braeckman : Rwanda, histoire d’un génocide. Fayard, novembre
1994.
[3] Michel Bührer : Rwanda, mémoire d’un génocide. Le Cherche Midi -
UNESCO, 1996.
[4] Commission Nationale Indépendante chargée de rassembler les
preuves montrant l’implication de l’État Francais dans le génocide
perpétré au Rwanda en 1994 : Rapport. République du
Rwanda, 15 novembre 2007.
[5] Laure Coret et François-Xavier Verschave : L’horreur qui nous prend
au visage - L’État français et le génocide au Rwanda. Karthala, janvier
2005. Rapport de la Commission d’enquête citoyenne, 22-26 mars 2004.
[6] Thierry Cruvellier et al. : Augustin Cyiza, un homme libre au Rwanda.
Karthala, 2004.
[7] Jacques Hogard : Les larmes de l’honneur - 60 jours dans la tourmente
au Rwanda. Hugo doc., 2005.
[8] Human Rights Watch : Rwanda/Zaïre : Rearming with Impunity -
International Support for the Perpetrators of the Rwandan Genocide, volume
7, No 4. Human RightsWatch, http://www.hrw.org/reports/1995/
Rwanda1.htm, May 1995.
[9] Bernard Lugan : François Mitterrand, l’armée française et le Rwanda.
Éditions du Rocher, mars 2005.
[10] Jean Ndorimana : Rwanda 1994, Idéologie, Méthodes et Négationisme du
Génocide des Tutsi à la Lumière de la Chronique de la Région de Cyangugu.
Perspectives de Reconstruction. Vivere In, 2003.
[11] Gabriel Périès et David Servenay : Une guerre noire - Enquête sur les
origines du génocide rwandais (1959-1994). La Découverte, 2007.
[12] Paul Quilès : Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994. Assemblée
nationale, rapport no 1271, http://www.assemblee-nationale.fr/
RÉFÉRENCES 44
dossiers/rwanda.asp, 15 décembre 1998. Mission d’information de la
commission de la Défense nationale et des Forces armées et de la commission
des Affaires étrangères, sur les opérations militaires menées par la
France, d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994.
[13] Sénat de Belgique - Commission des Affaires étrangères : Commission
d’enquête parlementaire concernant les événements du Rwanda 1-
611/(7-15) 1997/1998. Sénat belge, 6 décembre 1997.
[14] Didier Tauzin : Rwanda : je demande justice pour la France et ses soldats !
Le chef de l’opération Chimère témoigne. Ed. Jacob-Duvernet, 4 avril 2011.

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