Fiche du document numéro 27185

Num
27185
Date
Vendredi 2 octobre 2020
Amj
Taille
115396
Titre
« Soldat de l’ombre. Au cœur des forces spéciales » : les mémoires d’un général 4 étoiles
Sous titre
Entre réussites et échecs, le général Christophe Gomart dresse, dans un livre paru chez Tallandier, un tableau passionnant des récentes guerres expéditionnaires françaises. Se faisant, il ranime la vieille querelle avec la DGSE, le service secret extérieur français.
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Livre. La France projette son armée dans le monde, assumant que certains de ses soldats demeurent dans l’ombre en dépit de leur rôle éminent sur le terrain : ceux des forces spéciales. Une mythologie débordant de testostérone entoure ces 4 000 hommes, sollicités par le pouvoir politique comme un pion de combat au rapport coût/efficacité imbattable. Dans ses Mémoires, copieux, le général Christophe Gomart parle en leur nom sans ces oripeaux.

Faisant œuvre utile, précis autant qu’il lui est possible, l’ancien patron du commandement des opérations spéciales (COS) et de la direction du renseignement militaire (DRM) entre 2011 et 2017 dresse un tableau passionnant des récentes guerres expéditionnaires françaises et ce, dans leurs réussites comme leurs échecs. L’ouvrage comporte de nombreux récits inédits, toujours équilibrés. « Contrairement à la légende, le COS n’a jamais eu Ben Laden dans son viseur », tient ainsi à préciser l’auteur en décrivant les missions d’Afghanistan des années 2003-2007, aussi rudes que soumises à un matériel français défaillant.

L’auteur a débuté sa carrière d’officier dans les pas de son père au 13e régiment de dragons parachutistes de Dieuze (Moselle), fameux pour aller au-delà des lignes ennemies remplir les missions de renseignement les plus extrêmes. « Les militaires n’aiment pas se dévoiler », confie en présentant son livre cet officier général qui poursuit une carrière dans le secteur privé. « Les critiques vont venir, de l’intérieur du ministère des armées. Mais il est normal que les citoyens sachent. » Belle affiche, que le lecteur ne devra pas prendre pour argent comptant en raison du secret-défense. En son temps proche du cabinet du ministre Jean-Yves Le Drian à la défense, Christophe Gomart épargne aussi l’échelon politique de toute critique.

De « succès » en « déceptions », voici donc dressé, par un de leurs acteurs majeurs, le bilan des dernières opérations extérieures françaises.

Chaos persistant



En Libye, le COS est arrivé en avril 2011 peu après la campagne des frappes aériennes franco-britanniques contre Mouammar Kadhafi. Le président Sarkozy « avait souhaité que les combats se terminent avant le 14 juillet ». Ce ne sera évidemment pas le cas. Les forces spéciales, 80 opérateurs seulement, avaient été réparties auprès des divers groupes rebelles jusqu’à découvrir au Sud libyen les énormes stocks d’armes du régime déplacés par les factions en lutte – armes qui allaient, en 2012, nourrir la guerre suivante, celle des Touareg, et des djihadistes, au Sahel. Des officiers français sont restés en contact avec tous les camps libyens jusqu’en 2020. Conclusion ? Un chaos persistant et « des leçons difficiles à tirer » pour la France.

Au Sahel, « rien n’a vraiment changé depuis la guerre du Rif » des années 1920, assure-t-il, quand « la France se battait sur ces terres amies contre des groupes armés formés autour de trafiquants de tous poils ». Et même si le général juge l’opération « Barkhane » « utile » face aux djihadistes, le moment est venu, selon lui, « de trouver un terme à cette présence ». Car d’évidence, « les Français ne peuvent pacifier le Mali, régler ses tensions politiques, reconstruire son Etat à la place des Maliens ».

En exposant les échecs, Christophe Gomart ranime une vieille querelle de famille entre des « cousins » militaires dont le rôle respectif n’a plus été clair dans la période : le service action de la DGSE et le COS. Le premier, avec un millier d’hommes, doit agir en clandestinité, dans des opérations que la France ne revendiquera pas. Le second, discret, intervient en principe en uniforme. Sur le terrain, où ces forces se sont partout côtoyées, du Mali à la Syrie, le flou a dominé, parfois au péril des hommes.

Enorme fiasco



Le ministre de la défense et le président François Hollande auraient pu se voir demander des comptes après l’échec dramatique de la tentative de libération de Denis Allex, membre du service action, otage en Somalie, en janvier 2013 – mais lancée au même moment, l’opération « Serval » au Mali a mobilisé l’attention du public.

Le général consacre un chapitre aux raisons internes de cet énorme fiasco. Trois militaires, dont l’otage, sont morts, au cours d’un assaut conjoint du COS et du service action, qui avait envoyé 50 soldats. Appuyée par les Etats-Unis, « l’opération n’a pas été montée comme il faut » en raison de la lutte sourde qui opposait les deux services français, accuse-t-il. « Dès lors qu’on monte une opération avec un groupe d’assaut, ça devient une opération militaire. Le COS est fait pour ça. Une opération clandestine, c’est autre chose : trois ou quatre personnes subtiles et rusées, au grand maximum. » Pour certains membres du SA, révèle-t-il, ce fut un baptême du feu. Leur grand courage ne pouvait suffire. « Le cœur de la question, c’est l’expérience du combat. »

Le mélange des genres a culminé en Libye, quand les militaires des deux boutiques se sont retrouvés en civil, à la demande d’autorités locales soucieuses de gommer tout soutien étranger. Une autre fois, les premiers ont endossé l’uniforme des seconds. Pour régler ce « flou toxique », l’ancien haut responsable Gomart propose de verser la majorité des forces du service secret dans l’armée.


Soldat de l’ombre. Au cœur des forces spéciales, du général Christophe Gomart, avec Jean Guisnel (Tallandier, 384 pages 19,90 euros).

Nathalie Guibert

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