Fiche du document numéro 27049

Num
27049
Date
Dimanche 24 janvier 2010
Amj
Taille
99449
Sur titre
 
Titre
Un leader rebelle accusé de génocide vit à Paris
Sous titre
 
Tres
 
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Cote
 
Résumé
Callixte Mbarushimana, a former UN official turned executive secretary of the FDLR who now lives in the suburbs of Paris, is a textbook case of how people accused of atrocities escape.
Extrait de
 
Commentaire
 
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
PARIS -- Il y a quelques mois au Congo, un groupe de rebelles, après avoir décapité le chef du
village de Busurungi, attacha tous les hommes du village en ligne, au coude à coude, et leur coupa
la tête.
Au même moment, l’homme qui dit coordonner les activités journalières de ces rebelles, était en
train de publier leur communiqué de presse de son appartement de la banlieue parisienne. C’est là
que vit Callixte Mbarushimana, en homme libre – même si l'Organisation des Nations Unies (ONU)
l’a placé sur une liste noire en tant que secrétaire exécutif du groupe rebelle Forces Démocratiques
de Libération du Rwanda (FDLR) qui est accusé du massacre d’au moins 700 civils l’année
dernière. Il est également recherché par Interpol pour génocide dans son pays natal le Rwanda.
A 46 ans, cet ancien fonctionnaire de l'ONU est un cas d’école sur la manière dont des personnes
accusées d’atrocités s’échappent. Son histoire montre aussi comment les responsables des conflits
africains se sont réfugiés en Europe : au moins deux douzaines de personnes accusées de génocide y
vivent aujourd'hui, notamment Mbarushimana.
« Je trouve cela vraiment incroyable qu’il soit capable d’envoyer régulièrement des communiqués
de presse à partir de la région parisienne. C’est intolérable. » dit Alain Gauthier, responsable d’une
association soutenant les survivants du génocide. « On devrait au moins pouvoir le faire taire.
Pourquoi n’a-t-il pas été arrêté ? »
Le porte-parole du Ministère des Affaires Etrangères, Bernard Valero, déclare que la France a pris
toutes les mesures légales possibles, mais qu’elle ne peut pas extrader Mbarushimana vers le
Rwanda suivant le mandat d’arrêt d’Interpol.
Selon lui, « La France n’extrade pas vers leur pays d’origine les citoyens d’Etats qui appliquent la
peine de mort – ce qui était le cas au Rwanda – ou ceux dont le système judiciaire ne garantit pas
complètement leurs droits. »
Un récent rapport d’enquête de l'ONU a pu retracer des appels provenant des téléphones satellite
des chefs rebelles du FDLR de la jungle du Congo vers un réseau de numéros en Europe, montrant
les liens proches entre les soldats commettant des atrocités et les chefs rebelles à l’étranger. Parmi
ces appels, les plus longs allaient vers des numéros non identifiés en France que les enquêteurs de
l'ONU pensent être contrôlés par Mbarushimana.
Dans l’espoir d’augmenter la pression sur la France pour qu'elle livre Mbarushimana, l’Allemagne a
arrêté le président et le vice-président des FDLR à la fin de l’année dernière. Ceux-ci vivaient en
Allemagne depuis de nombreuses années. Les personnes qui luttent depuis 1994 pour que
Mbarushimana soit traduit en justice disent que la France a montré à plusieurs reprises qu'elle
n'avait pas la volonté politique de poursuivre les génocidaires.
« Je suis ici. Est-ce que je me cache ? » demande Mbarushimana durant une interview de plusieurs
heures dans le hall d’un hôtel du quartier chic de l’Opéra.
Il est éloquent, détendu, pimpant, il porte des costumes bien coupés, assortis avec goût à des
cravates roses. Il écoute de la world music, aime le cinéma et lit de bons romans. Il insiste sur le fait
qu’il est innocent, et que le FDLR est un mouvement militaire et politique qui a l’intention
d’apporter des réformes au Rwanda et qui n’a jamais commis de crimes au Congo.
Il agit comme un homme qui n’a rien à cacher, même s’il n’invite jamais de journaliste chez lui et
que son adresse à Paris est secrète. Le seul sujet qu'il refuse d'aborder est ce qu’il faisait exactement
en 1994.
A partir du 6 avril 1994, à peu près un demi-million de Tutsi du Rwanda ont été massacrés en 100
jours à peine. Parmi eux 33 fonctionnaires de l'ONU.
D'après ses collègues, Mbarushimana, un Hutu qui travaillait comme technicien informatique au
PNUD, ne faisait pas mystère de ses opinions avant même les massacres. « Il pouvait montrer le
complexe de l'ONU et dire, « regarde cet endroit. C’est plein de cancrelats » se souvient Jean Paul
Kamatali, un chauffeur de l'ONU de 48 ans. Mbarushimana utilisait le surnom insultant donné aux
Tutsi pendant les massacres.
Après que plusieurs fonctionnaires se sont plaints d'avoir été menacés, le chef du bureau appela
Mbarushimana pour une conversation privée. Mbarushimana n’essaya même pas de cacher son
idéologie, « C’était un fanatique » se rappelle Amadou Ly, ancien représentant du PNUD au
Rwanda, aujourd’hui à la retraite.
Ly comprit que les employés Tutsi étaient en danger et envoya un mémorandum confidentiel
demandant au quartier général de l'ONU de mettre en place un plan d’évacuation pour eux. Mais ce
mémorandum ne reçut jamais de réponse, et lorsque les massacres débutèrent, l'ONU n’évacua que
les fonctionnaires internationaux. Les secrétaires, les chauffeurs et les responsables de projets Tutsi
se cachèrent, se terrant dans des système de ventilation, des trous, des fosses sceptiques et dans des
fossés couverts par des feuilles.
D’après un rapport confidentiel de l'ONU que l'Associated Press a pu se procurer, Mbarushimana
s’est installé dans le bureau de Ly quatre jours après le début des massacres et s’est auto-proclamé
directeur par intérim. Des témoins disent qu’il a échangé son costume cravate contre un treillis
militaire avec pistolet à la ceinture.
D'après le rapport, il a mis le téléphone satellite du bureau, la flotte de 4x4 ainsi que la pompe à
essence du service à la disposition des milices extrémistes, qui ont ainsi pu utiliser ces équipements
pour procéder aux massacres.
« Il leur a offert des voitures et de l’essence » déclare Jean Bosco Mutangana, le procureur national
du Rwanda qui dirige la section de recherche des fugitifs du Rwanda et qui poursuit activement
Mbarushimana. « Les tueurs venaient dans le complexe de l'ONU faire le plein d’essence avant
d’aller tuer des gens.
D'après le rapport et des interviews menées par l'Associated Press avec ses anciens collègues,
Mbarushimana aurait également conduit des tueurs aux maisons de ses collègues et, dans certains
cas, participé aux massacres.
Jean Berchimas Rwagitinywa, chauffeur Tutsi du PNUD, se cachait dans la maison d’un chauffeur
Tutsi qui travaillait pour une autre agence de l'ONU, lorsqu’il vit un Land Cruiser avec le logo bleu
des Nations Unies. On frappa à la porte. A travers un trou dans les rideaux, Rwagitinywa vit
Mbarushimana accompagné de trois officiers de police. Ils étaient habillés en tenue de camouflage,
leurs armes à la main.
Rwagitinywa courut dehors en passant par l’arrière de la maison et se glissa à travers la barrière. Il
dit qu’il a entendu tat-tat-tat-tat le bruit d’un pistolet automatique. Parmi les 10 personnes restées à
l’intérieur, seulement la fille de son ami a pu survivre en grimpant dans une anfractuosité du
plafond.
Dans des dépositions signées, les collègues de Mbarushimana racontent comment il venait dans leur
maison sous le prétexte d’organiser leur évacuation. On n'a jamais revu ceux qui sont montés dans
sa voiture. Les hauts dirigeants de l'ONU sont particulièrement préoccupés en raison des allégations
selon lesquelles Mbarushimana a utilisé ses contacts à l'ONU pour saboter les opérations
d'évacuation et envoyé des tueurs dans les maisons de ses collègues qui s’apprêtaient à être évacués.
Gregory Alex, un Américain qui travaillait pour les opérations d’urgence de l'ONU, éclate en
sanglot lorsqu’il se souvient de Florence Ngirumpatse, la responsable du service des ressources
humaines du PNUD, qui était bloquée dans sa maison à moins d’un kilomètre du complexe de
l'ONU. Plusieurs de ses collègues lui avaient confié leurs enfants, supposant que son statut et sa
proximité avec l'ONU les auraient protégés. Elle était en train de lancer des appels à l’aide
désespérés par téléphone à l'ONU lorsque finalement Alex obtint le feu vert au mois de mai pour
envoyer un véhicule blindé pour l’évacuer.
« Florence et 12 autres personnes – surtout des filles d'âge scolaire – ont été tailladées à mort
quelques heures avant l’arrivée de l'équipe de sauvetage » se rappelle Alex.
Il dit que les enquêteurs de l'ONU lui ont rapporté plus tard que Mbarushimana connaissait
quelqu'un au Quartier Général de New York qui lui faisait suivre des informations confidentielles
en provenance des équipes d'évacuation à Kigali.
Farhan Haq, le porte-parole de l'ONU dit qu’il ne peut pas confirmer le rapport, insistant sur le
souhait de l'ONU de voir Mbarushimana traduit en justice dans l’espoir d’obtenir des réponses à ces
questions. Après le génocide, Mbarushimana a continué à travailler pour l'ONU pendant six ans.
« Le sang a coulé » dit Alex, aujourd’hui responsable des Nations Unies au Congo. « Quelque
chose aurait dû être dit et fait il y a dix, quinze, cinq ans. Cela aurait dû être fait, et cela ne l’a pas
été. »
Lorsque les massacres se sont terminés, les dirigeants Hutu se sont regroupés dans les jungles du
Congo frontalier dans le but de créer un groupe armé pour attaquer le Rwanda ; ce groupe devint les
FDLR.
Mbarushimana serait brièvement passé au Congo. En 1996, il a obtenu un nouveau contrat de
technicien informatique au PNUD en Angola. Trois ans plus tard, on proposa à Alex un emploi
dans le même bureau et ils se sont retrouvés là.
Furieux, Alex a écrit une lettre au Secrétaire Général de l'ONU dans laquelle il détaillait les crimes
allégués de Mbarushimana. Selon le rapport de l'ONU, malgré cette lettre, Mbarushimana a
continué à travailler en Angola jusqu’à l’expiration de son contrat en décembre 1999. Malgré le non
renouvellement de son contrat, Mbarushimana refit surface comme programmateur dans la mission
des Nations Unies au Kosovo un peu plus d’un an plus tard.
Le rapport interne de l'ONU a montré que personne au Kosovo n’a pris la peine d'interroger les
personnes que Mbarushimana avait citées en références « en dépit des allégations d’atrocités émises
contre lui ». On l'a finalement laissé partir en 2001 après son arrestation par la police du Kosovo en
exécution d'une demande d’extradition des autorités rwandaises.
« Vous connaissez l'adage, “le mal a besoin de l'inaction des honnêtes gens pour triompher” » dit
Charles Petrie, actuellement haut responsable de l'ONU en Somalie, qui était au Rwanda pendant le
génocide. « C’est la raison pour laquelle je pense que l'ONU doit s’attaquer à ses propres échecs
internes en s’interrogeant sur le cas de Callixte. Sinon, la bureaucratie aura permis le triomphe du
mal ».
Depuis une quinzaine d’années depuis le génocide, Mbarushimana a pu éviter un procès grâce à des
failles de procédure.
Le tribunal du Kosovo l’a relâché au bout de deux mois parce que le Rwanda n’avait pas préparé
convenablement l'acte d’accusation. Le document envoyé par le Rwanda est arrivé trop tard, était à
moitié illisible et n’incluait pas assez de déclarations de témoins, suivant la décision de la cour du
Kosovo.
Plus tard, il fut inculpé par le TPIR, installé en Tanzanie par les Nations Unies. Mais son affaire fut
abandonnée. Ceux qui sont proches du dossier disent que le Tribunal avait des ordres de ne
poursuivre que les « gros poissons », ceux qui ont planifié le génocide plutôt que ceux qui ont
perpétré les massacres.
Il fut arrêté récemment en 2008 à l’aéroport de Francfort, lorsque au contrôle des passeports on
réalisa qu’il faisait l’objet d’une « note rouge » d’Interpol. Mais il fut relâché après quatre mois de
prison, après que les autorités allemandes – comme les Français – ont considéré qu’ils ne pouvaient
pas l’extrader vers le Rwanda à cause des problèmes de disfonctionnement judiciaire et de
mauvaises conditions de droits de l’homme.
Depuis sa libération, le département d’Etat américain considère que les FDLR sont « la racine de
l’instabilité » au Congo, il affirme sa « déception que des leaders comme Callixte Mbarushimana…
soient capables d’opérer en toute impunité malgré leur soutien sans faille aux FDLR pour échapper
à la justice, propager la violence et commettre des abus contre les populations civiles.
Il retourna en France, où presque toutes les semaines il signe de son nom les communiqués de
presse des FDLR.
Une association représentant les victimes du génocide en France a aujourd’hui déposé plainte
contre Mbarushimana en espérant que les autorités françaises le jugent sur le sol français.
D’autres pensent que les autorités doivent observer ce qui est en train de se passer actuellement au
Congo. Les Nations Unies expliquent que les leaders européens des FDLR ne sont pas seulement
informés mais activement impliqués dans les décisions tactiques, y compris une série d’horribles
massacres perpétrés l’année dernière.
Les enregistrements téléphoniques des Nations Unies montrent que juste avant et après que les
hommes de Busurungi furent décapités en mai 2009, il y eut une rafale d’appels entre les
commandants du Congo et leurs leaders en Europe, y compris 14 appels vers Ignace
Murwanashyaka, le président des FDLR récemment arrêté en Allemagne. Au moins 96 personnes
furent tuées, d’après Human Rights Watch, qui déclare que les FDLR « coupent les gorges comme
à des poulets ».
Depuis l’arrestation de Murwanashyaka, Mbarushimana a pris les rênes des FDLR et il empêche les
autres leaders de se rendre, nous dit Alex l’officiel des Nations Unies, qui dirige maintenant une
unité au Congo chargée de désarmer les FDLR.
Assis dans un fauteuil en cuir à Paris, Mbarushimana nie que les FDLR ont attaqué le village ou
que ses hommes ont fait quelque chose de mal. Il dit qu’il est innocent et que « le régime de Kigali
accuse n’importe qui de génocide d’un jour à l’autre ».
Il dit qu’il se bat pour son peuple persécuté par le gouvernement rwandais qui discrimine les Hutu.
L’histoire de sa vie est très proche de celle de Nelson Mandela, nous dit-il, sa biographie le
réconforte lorsqu’il se trouve lui-même en prison.
« J’ai pensé à Mandela, qui fut emprisonné par le régime de l’apartheid pendant 27 ans » déclare
Mbarushimana, sur un morceau de jazz. « Et comme je le disais, je ne suis pas le premier défenseur
de mon peuple luttant contre un régime répressif, à souffrir. »

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024