Fiche du document numéro 2701

Num
2701
Date
Vendredi 3 novembre 2006
Amj
Taille
136559
Titre
Rwanda : RFI balaye les doutes de Péan
Sous titre
Mise en cause sur le traitement du conflit par l'écrivain, la radio a mené sa contre-enquête.
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Il y a un an, Pierre Péan déclenchait un tollé à Radio France
Internationale (RFI), aujourd'hui la station lui répond. Dans son livre
Noires fureurs, blancs menteurs (1), il mettait gravement en cause
quatre de ses journalistes et, plus généralement, la réputation de la
station publique en l'accusant d'avoir été, avant et pendant le génocide
de 1994 au Rwanda, la « voix de Kagame », l'actuel président rwandais.
Le volumineux ouvrage de Péan vise à démontrer qu'il n'y a pas eu de
génocide des Tutsis au printemps 1994 et que les « massacres » qui ont eu
lieu ont été sciemment provoqués par Paul Kagame, à l'époque chef du
Front patriotique rwandais (FPR), la guérilla d'obédience tutsie. A
l'évidence pour Péan, RFI, financée par le contribuable français,
n'aurait jamais dû être que la « voix de la France », comme il le suggère
dans l'intitulé du court chapitre qu'il consacre à la radio (2).

Blessures. A sa sortie, l'ouvrage de Péan avait ravivé des blessures
mal refermées : la couverture du génocide au Rwanda et de ses suites
avait occasionné, dans la rédaction de RFI comme dans d'autres, des
divisions importantes. La direction, sommée de réagir par la Société des
journalistes, avait décidé de commanditer un audit sur la couverture du
Rwanda, de 1990 à 1994.

Pierre-Edouard Deldique et Vanadis Feuille, respectivement journaliste
mais pas au service Afrique et documentaliste à RFI, viennent de
remettre leur travail qui conclut au caractère absolument
« infondé » des critiques de Pierre Péan. Pour ce faire, les deux
« auditeurs » ont écouté les 800 journaux Afrique répertoriés dans la base
de données de la sonothèque couvrant la période du 2 octobre 1990 au 18
juillet 1994.

Ils en ont tiré un document de 716 pages comportant les références et le
contenu de ces journaux, ainsi qu'un rapport de synthèse où ils
répondent aux accusations visant RFI et les quatre journalistes
incriminés. Il y apparaît ainsi que « les accusations de Pierre Péan
sont, le plus souvent, portées de manière partiale et parfois légère
 ».
De toute façon, la principale des accusations de Péan visant quatre
journalistes de RFI reposait sur la révélation de l'origine tutsie de
deux d'entre eux. Le livre de Péan est d'ailleurs poursuivi par SOS
Racisme. On imagine les protestations qu'il aurait soulevées s'il
s'était attaqué aux origines juives ou arabes de certains journalistes
traitant du conflit israélo-palestinien. Sans compter qu'une troisième
journaliste mise en cause n'a pas travaillé sur le Rwanda à l'époque du
génocide... mais dix ans plus tard.

Fugacité. Pendant leur travail, Deldique et Feuille n'ont pas voulu
rencontrer des journalistes de la rédaction, pour s'en tenir aux faits
et à ce qui a été diffusé à l'antenne. Une attitude qui a pu susciter au
départ quelques inquiétudes tant la radio est le média de la fugacité.
Tout a été répertorié : les rediffusions, les coupes effectuées dans un
sujet d'une diffusion à l'autre, etc. Tout au plus, les auteurs du
rapport notent-ils une différence entre un lancement d'un reportage, qui
parle de « troubles » et le reportage lui-même où il est question de
« pogroms ». Mais il est impossible de déceler une quelconque ligne
politique dans un sens ou dans un autre. Dans la liste des intervenants,
publiée en annexe, il apparaît ainsi que les organisations
internationales et ONG, présentes sur le terrain, sont les plus
nombreuses à l'antenne, loin devant le gouvernement rwandais ou le FPR.

Antoine Schwartz, le PDG de RFI, se dit « très satisfait » du rapport :
« L'important, au-delà des cas soulevés par Péan, c'est la démonstration
que RFI fait un travail honnête.
 » Il n'est cependant pas question de
porter plainte en diffamation contre Péan, le délai étant largement
dépassé et la façon dont ses accusations sont rédigées rendant l'issue
d'un procès incertaine. Par le passé, RFI n'a pas seulement été attaquée
par Péan : d'autres ont reproché à certains de ses journalistes d'avoir
été trop favorables au gouvernement rwandais et à la France.

« On a tendance à confondre la position des journalistes et l'endroit où
ils se trouvent
, rétorque Schwartz. Prenez la guerre de cet été entre
Israël et le Hezbollah ! Un journaliste ne dira pas la même chose selon
qu'il est au Liban ou en Israël. C'était pareil pour le Rwanda.
 » Un
argument qui laisse certains journalistes dubitatifs : « J'aimerais
comprendre ce que cette étude mesure exactement
, s'interroge une
journaliste. La philosophie de tout ça, c'est un peu, comme dirait
Godard : cinq minutes pour Hitler, cinq minutes pour les
Juifs
. » Au-delà du cas Péan, la démarche, qui n'a pas d'équivalent,
offre un passionnant outil de travail pour qui s'intéresse à l'histoire
récente du Rwanda et aussi à la fabrication de l'information radiophonique.

(1) Fayard/Mille et Une Nuits, 2005.

(2) « RFI, voix de la France ou voix
de Kagame », pp. 348 et suivantes.

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