Fiche du document numéro 26965

Num
26965
Date
Mercredi Avril 2009
Amj
Taille
383748
Sur titre
 
Titre
Dossier Rwanda, 15 ans après
Sous titre
 
Tres
 
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Mot-clé
Cote
 
Résumé
Between April and July 1994, nearly a million people, mainly Tutsis, but also Hutus opposed to genocidal logic, were exterminated with international indifference. On the occasion of the commemoration of this genocide, ACAT-France asked six members of civil society, both Rwandan and French, known for their work on the genocide, to bear witness to their experiences, to the difficulty of reconciling, and their fight for truth and justice in Rwanda.
Source
Extrait de
 
Commentaire
 
Type
Article de revue
Langue
FR
Citation
Où en sont
la justice et
la réconciliation ?
DOSSIER proposé par Clément Boursin,responsable des programmes Afrique
RWANDA
QUINZEANSAPRÈS
Entre avril et juillet 1994, près d’un million de
personnes, principalement des Tutsis, mais également
des Hutus opposés à la logique génocidaire, ont été
exterminés dans l’indifférence internationale.
À l’occasion de la commémoration de ce génocide,
l’ACAT-France a demandé à six membres de la
société civile, rwandais comme français, connus pour
leur travail sur le génocide, de témoigner de leur
vécu, de la difficulté de réconcilier, et de leur combat
en faveur de la vérité et de la justice au Rwanda.
Rwanda. © Rapho / Pierre-Yves Ginet
Entre avril et juillet 1994, le Rwanda est le
théâtre d’un génocide qui emporte près d’un
million de personnes. Les Tutsis sont la cible
désignée des tueries. Les Hutus partisans
d’une solution de paix négociée avec le Front
patriotique rwandais (FPR) ou simplement
opposés à la logique meurtrière connaissent
eux aussi un sort fatal. Lorsque le FPR prend le
pouvoir en juillet 1994, le pays est confronté à
une situation de chaos absolu. Au choc
produit par le génocide s’ajoute l’exil de
deux millions de Hutus, poussés sur les routes
du Zaïre par les cadres de l’ancien régime
impliqués dans les massacres.
Quinze ans après, comment vivre ensemble,
comment apaiser la société… ?
_Hélène Dumas, doctorante à l’École des hautes études
de sciences sociales
COURRIER DE L’ACAT—AVRIL-MAI 2009
Quinze ans après le génocide, le Rwanda demeure en
butte à de nombreux enjeux sociaux, historiographiques,
mémoriels et judiciaires. Cet ensemble de questions se
trouve résumé dans la notion de réconciliation nationale,
formule souvent invoquée aussi bien par les autorités que
par les acteurs sociaux eux-mêmes ; et rarement explicitée
quant à ses attendus intellectuels et moraux.Malgré des
appréhensions variées, cette réconciliation à venir passe
par lamiseendébatdel’histoireetdelamémoiredugénocide.
Exercicedifficiles’ilenest tantcesdeuxnotions, souventcontradictoires,
recouvrentunetensionmajeureentre
les impératifs politiques du vivre-ensemble et la dimension
conflictuelle du passé. En effet, comment réconcilier
ceux-làmêmes que l’on somme de révéler la violence du
génocide ? Comment apaiser une société en commémorant
le crime ?Comment conjuguer l’effacement de toute
référence ethnique au souvenir d’un crime qui s’en est
nourri ?Voilà quelques-unes des interrogationsmajeures
auxquelles leRwanda fait face aujourd’hui. Ilne s’agitpas
ici d’apporter des réponses à ces défis majeurs mais bien
plutôt d’observer et d’analyser comment le pays tente de
s’y confronter à travers des exemples précis : la politique
de lamémoire et les 20 juridictions gacaca.
Le difficile chemin
de la réconciliation
Déplacement vers un camp de réfugiés. © AP
COURRIER DE L’ACAT—AVRIL-MAI 2009—21
Au Rwanda, les sites mémoriaux du génocide correspondent
àplusieurs logiquesde conservation,qui relèvent
à la fois du volontarisme politique et de pratiques
sociales plus informelles. En effet, ils sont pris en charge
par un dispositif institutionnel, une direction administrative
duMIJESPOC relayée depuis 2008 par la Commission
nationale de lutte contre le génocide,mais aussi
par des initiatives privées.Cette diversité correspond aux
particularités du pays dont l’espace, on pourrait même
dire la géographie, est fortementmarqué par le souvenir
dugénocide.Laproximité entrehistoire etmémoire synthétisée
par le lieu se double en outre d’une seconde singularité.
Celle-ci réside dans la transformation d’enceintes
familières comme les églises (1), les collines ou les
écoles en lieux désormais sacralisés par l’entreprise d’extermination.
Ces lieux se définissent dès lors, comme l’écrit
PierreNora, en « lieux mixtes, hybrides et mutants, intimement
noués de vie et de mort, de temps et d’éternité ; dans une
spirale du collectif et de l’individuel, du prosaïque et du sacré, de
l’immuable et du mobile. (2)» L’ambivalence ainsi soulignée
commande une analyse complexe prenant en considération
les variations d’échelles et de significations aux fins
d’esquisser une possible typologie de ces lieux de
mémoire au Rwanda.
La mémoire nationale. En premier lieu, on repère une
mémoirenationale,incarnéedanslacommémorationofficielle,
dans l’érection des sites mémoriaux, et dans l’ensembledesinitiativesgouvernementalestendantàinscrire
le génocide dans la mémoire collective. Une entreprise
qui révèle toute une série d’ambiguïtés politiques. En
effet, pour la première fois depuis 1995, date de la première
commémoration du génocide, la dénomination du
crimementionne les principales victimes, c’est-à-dire les
Tutsis. Les banderoles, les discours officiels et lesmémoriaux
inaugurés en 2008 rappellent qu’il s’est agi en 1994
du génocide des Tutsis – Jenoside y’Abatutsi en kinyarwanda.
Jusque-là, les discours publics et les mémoriaux
mentionnaient « le génocide d’avril » ou « de 1994 ».Cette
occultation de la référence aux victimes peut être éclairée
par deux hypothèses. Comme le soulignait déjà José
Kagabo dans son intervention àKigali lors de la dixième
commémoration du génocide en 2004, comment rappeler
qu’il s’est agi d’un génocide contre les Tutsis sans
renvoyer ipso facto à l’identité de ceux qui l’ont commis, et
partant, ouvrir la voie à la collectivisation du crime ? En
outre, cette notion d’ethnie se révèle politiquement
embarrassante.Commentd’unepart ennier lapertinence
scientifique, historique et culturelle, tout en reconnaissant
par ailleurs sa puissance idéologique et politique qui
a conduit au génocide ? Les paradoxes soulignés ici semblent
avoir été surmontés par l’adoption de l’expression
« Jenoside y’Abatutsi ». Comment rendre compte de cette
évolution?Àce stade, onpeut émettreunehypothèse.En
effet, l’inflation des discours négationnistes depuis 2005
apeut-êtremotivél’adoptiond’uneformuledénuéed’ambiguïté.
Certains auteurs négationnistes se sont en effet
emparés de la formule « génocide rwandais » pour nier la
réalité du massacre des Tutsis et le noyer dans un flot de
tueriesspontanées,sansprofondeurpolitiqueethistorique,
nourrissant ainsi le cliché éculé de la « barbarie africaine ».
La mémoire personnelle. Aux côtés de la pompe commémorative
officielle, la mémoire personnelle du génocide
fait appel àdesmanifestationsplurielles.Laplus évidente
d’entre elles correspond au souvenir quotidien des êtres
chers disparus, entretenu notamment par la présence des
tombeaux dans l’enceinte des concessions familiales. La
mémoire personnelle trouve d’autres supports de transmissiondans
les chants enregistrés etvendusdans le commerce
mais également dans les messes et veillées mortuaires.
Pendant la commémoration, un grand nombre
de ces veillées funèbres sont organisées. Elles créent un
espace de parole particulier pour les rescapés. Ils peuvent
laisser libre cours à leur émotion et à leur douleur. Cette
explosion émotionnelle ressort d’une catharsis populaire
singulièredansuncontexte social ordinairementmarqué
par une grande retenue.Car, au-delà des cris et des pleurs
s’exprime un fort potentiel de violence que les autorités
s’efforcent de canaliser par le recours à une politique de
réconciliation nationale. Le discours de la raison politique
etde lapacificationsociale estmis entreparenthèses
lors de cesmoments de recueillement.Toutefois, on peut
également s’interroger sur la brutalité émotionnelle de
ces cérémonies où les témoignages rappellent demanière
très crue les souvenirs du génocide.Cettemodalité si singulière
du témoignage en période de commémoration
provoquedesexpressionstraumatiquesimpressionnantes
chez les rescapés présents. Beaucoup tombent en syncope
et sont évacués par desmembres de la Croix-Rouge.
Établir la vérité. Les commémorations annuelles et les
sitesmémoriaux ne constituent pas les seuls espaces où le
génocide est remémoré. En effet, exclusivement consacrées
à l’instruction et au jugement des dossiers relatifs
au génocide, les juridictions gacaca ont pour vocation
essentielle d’établir la vérité. La portée punitive de la justice
se double d’une visée réconciliatrice.>
COURRIER DE L’ACAT—AVRIL-MAI 2009
> Depuis leur créationpar la loi organiquedu26janvier
2001 −modifiée par une série de lois organiques en
2004, 2007 et 2008 − elles ont toute compétence pour
instruire, constituer et juger le contentieux du génocide.
Lesprocès se sontdéroulés sur l’ensembledupays àpartir
de mars 2005. Les derniers procès sont actuellement en
cours d’achèvement. Le processus gacaca a pris en charge
l’ensemble des personnes soupçonnées d’avoir participé
au génocide, depuis l’exécutant jusqu’au responsable
administratifouàl’auteurprésumédeviolencessexuelles.
Selon la secrétaire exécutive du Service national des juridictions
gacaca, Domitilla Mukantaganzwa, plus d’un
million de dossiers ont été jugés entre juillet 2006 et la
fin décembre 2007. Si les chiffres présentés ici peuvent
fournir la base d’un jugement quantitatif, une appréciationqualitativedemeure,
quant à elle,biendifficile à établir.
En effet, sur les dizaines demilliers de tribunaux, la
pratique n’est guère uniforme et la bonne marche des
procès repose en grande partie sur la qualité du tribunal
et, singulièrement de son président. En outre, un bilan
du travail des juridictions gacaca est pertinent en fonction
des questions que l’on pose. Néanmoins, on peut
retracer l’évolution du système à l’aune des opinions
émises par les acteurs concernés au premier chef : les rescapés
et les accusés. D’abord accueillies avec une bienveillante
circonspection par les associations de rescapés,
les juridictions gacaca ont ensuite fait l’objet de virulentes
critiques. Les soupçons de corruption ou de partialité
des juges ont vu le jour dans de nombreux rapports.
Cependant, les représentants de rescapés reconnaissent
dans lemême tempsque les aveux ontpermisde retrouver
des corps et d’entamer un processus de deuil dans la
dignité. Cependant, l’incorporation, en juin 2008, des
planificateurs et surtout des présumés responsables de
violences sexuelles dans le processus gacaca a réveillé les
craintes des rescapés, notamment celles relatives à la
confidentialité et autraumatisme.Pour les exécutantsdu
génocide, le processus gacaca,mais surtout les vagues de
libérations successives de prisonniers en 2003 et 2005,
ont éveillé leur bienveillance.
À suivre…Difficile de conclure sur la situation ô combien
complexe duRwanda, quinze ans après le génocide
des Tutsis. La volonté de conclure sur la façon dont le
Rwanda tente de cheminer avec son histoire et de construire
samémoire ne relèverait-elle pas d’une prétention
un peu simpliste ? Et ce d’autant plus que les phénomènes
décrits ici ne sont guère achevés. La seule chose
que l’on peut dire avec certitude, c’est que la dernière
page du livre de la douloureuse histoire du Rwanda est
loin d’être refermée.
1. La transformation de certaines églises enmémoriaux du génocide ne s’est
pas faite sans tension entre les représentants des rescapés et ceux de l’Église
catholique. Voir sur ce point l’analyse de Jean-Pierre Chrétien et Ubaldo
Rafiki, « L’église deKibeho auRwanda, lieu de culte ou lieu demémoire du
génocide de 1994 ? »,Revue d’histoire de la Shoah, n°181, 2004, pp. 277-290.
2. PierreNora, « Entremémoire et histoire. La problématique des lieux »,
Les lieux de mémoire, Paris,QuartoGallimard, 1997, p. 38. 22
]Rwanda
Vêtements de victimes, musée du génocide, Murambi. DR
COURRIER DE L’ACAT—AVRIL-MAI 2009—23
Le 12 octobre 2000, le parlement rwandais
votait la loi créant les « juridictions gacaca »(1)
chargées de juger la presque totalité des
auteurs présumés du génocide perpétré contre
les Tutsis et les massacres de Hutus modérés en
1994 (2). Il s’agissait de répondre à un immense
défi : comment garantir à la fois la justice et la
reconstitution du tissu social au Rwanda.
_Jean-François Dupaquier, journaliste
Les « juridictions gacaca » s’inspirent à la fois des
populaires commissions Vérité et Réconciliation et des
anciennes assemblées villageoises, démembrées lors de la
colonisationduRwanda : des « hommes intègres » réglaient
les querelles de voisinage, mais aussi les crimes de sang.
Ces nouvelles juridictions gacaca sont susceptibles de
prononcer toute l’échelle des sanctions, jusqu’à la réclusion
criminelle à perpétuité, la peine la plus lourde au
Rwanda après l’abolition de la peine demort en 2007.
Conçues pour « purger » l’immense contentieux du
génocide que les cours pénales se révélaient incapables de
traiter (3) dansdesdélais raisonnables (entre800000etun
million de tués, des centaines demilliers de femmes violées
et de blessés, etc.) les juridictions semi-traditionnelles
ont toujours été présentées comme une institution
provisoire. Leur disparition est programmée fin juin
2009 selon le calendrier du Service national des juridictions
gacaca (SNJG). À cette date, les derniers procès en
appel et en révision auront été jugés. Les affaires encore
pendantes seront reprises par les juridictions pérennes.
À l’issue d’une nouvelle campagne demobilisation de
la population, ces juridictions gacaca ont commencé à
fermer. La clôture se fait par secteur administratif, au fur
et àmesure que les travaux sont bouclés. Des « cérémonies
de convivialité » sont prévues avec remise de certificats de
mérite et demédailles aux juges gacaca.
Lebilansera annoncé endécembre2009avec laprésentation
d’un rapport officiel général permettant une évaluationglobaledusystème.
Si lesbailleursdefondsconfirment
leurs derniers engagements (« au moins cinq millions
de dollars », estime Domitille Mukantaganzwa, la secrétaire
exécutive du SNJG), on verra s’ouvrir un centre de
documentation sur les gacaca. Les greffiers des tribunaux
semi-traditionnels ont en effet consigné tous les témoignages,
une masse documentaire de grand intérêt sur le
génocide. Il est envisagéde rassembler cesprocès-verbaux
sur un site internet en kinyarwanda et en anglais (depuis
la rupturedes relationsdiplomatiques, la langue française
est en voie d’abandon auRwanda).
Les quelque 10 000 juridictions gacaca composées
chacune de vingt-quatre « personnes intègres », ont
examiné 1 400 000 dossiers depuis 2006, selon D.
Mukantaganzwa(3). Ont-elles contribué à la manifestation
de la vérité et dissipé le climat de suspicion
dans la société rwandaise ? Il est impossible de rendre
compte dans ce bref article des déchaînements de passion
et des critiques qu’ont inspirés ces tribunaux
populaires. On a stigmatisé la corruption de certains
juges, la subornation de témoins, le clientélisme,
enfin un encadrement politique de la population qui
n’est pas exempt de dérives et de manipulations.
Des modèles de dignité. Certains procès semblent avoir
été tenus dans des conditions plus que discutables.Mais
ceux auxquels nous avons assisté étaient desmodèles de
dignité. Et face à l’oeuvre de ces juges bénévoles, souvent
très pauvres, qui ont pris une part considérable de
leur temps pour accomplir leur devoir civique, peut-on
opposer commemodèle le Tribunal pénal international
pour le Rwanda (TPIR) d’Arusha ? Institué en 1994, il
n’est parvenu à juger définitivement qu’une trentaine
de prévenus au prix d’un milliard de dollars.
Beaucoupdes contempteursdes juridictionsgacaca
ont semblé surtout soucieux, depuis le génocide de
1994, de disqualifier tout processus judiciaire, au
nom d’une réconciliation sans repentance et sans
aveux. Ce serait la pire carence envers un peuple pris
en otage par l’instrumentalisation de haines politiques,
la culture de l’impunité et la « conspiration du
silence », peuple qui s’efforce de reconstituer son tissu
social et qui s’en est donné les moyens.
1. Les assemblées villageoises réglaient des différends, assises sur un
parcage d’herbe tendre (« gacaca » en langue kinyarwanda).
2. Les gacaca peuvent juger tous les présumés auteurs du génocide de
1994, sauf « les planificateurs du génocide au niveau national et provincial ».
La compétence temporelle des juridictions gacaca couvre la période du
1er octobre 1990 au 31 décembre 1994.
3. Au 30 novembre 2008, il restait environ 5 000 dossiers à juger.
Les juridictions gacaca
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« De nombreux Hutus ont refusé de tuer les
Tutsis, d’autres ont caché les fugitifs, beaucoup
ont péri avec eux. Cela je ne l’oublie pas…
Quant à me réconcilier avec celui qui a lancé
une grenade sur ma mère la nuit du 7 avril 1994
avant de l’achever le lendemain à coups de
machette… » Témoignage d’Yvonne Mutimura,
rescapée du génocide des Tutsis au Rwanda (1).
Un soir de 1973, un papier fut glissé sous la porte de
notre maison. Je demandai à ma mère qui avait l’air
paniquée ce qu’elle y lisait. Elle le relut à haute voix. Le
message disait : « Vous les Falacha retournez d’où vous êtes
venus enAbyssinie ou sinon nous vous enverrons nous-mêmes làbas.
Vous n’avez pas votre place ici (2)».« Est-ce vrai que nous
venons d’ailleurs ? » ai-je demandé à ma mère.
La nuit fut courte et dominée par la peur, la panique,
le désarroi. Le jour suivant, nos voisins, des Hutus, sont
arrivés en hurlant ; ils ont pillé, puis brûlé lamaison sous
nosyeux.Nous sommes allésnous réfugier chez lebourgmestre
de la commune, Boniface Munyampirwa. Ma
mère, sa tante, mon cousin et ma grand-mère pensaient
qu’iln’oseraitpas assumernotre assassinatdans la courde
samaison…Il nous chassa le lendemain.Des réunions se
tenaient chez lui, c’était lui qui donnait l’ordre de chasser
et de tuer les Tutsis.
Au crépuscule du troisième jour,mamère reçut un
message l’avertissant que nous serions tués cette nuitlà.
C’est alors que nous sommes partis, grimpantBweramvura,
la colline d’en face, pour nous réfugier chez
une famille hutue qui nous a cachés le temps nécessaire.
D’aprèsma grand-mère, la familleKanyarutoki
Innocent Gakwerere, responsable de l’Association des infirmes du district, juin 2005, Rwanda.www.pierreyvesginet-photos.com. © Rapho / Pierre-Yves Ginet .
Le pardon impossible ?
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COURRIER DE L’ACAT—AVRIL-MAI 2009—25
avait fait la même chose en 1959, puis en 1963. Elle
en fut incapable cette fois-ci, car elle était considérée
comme « ibyitso » (« complices ») des « ennemis » : nous.
Ànotre retour dans ce qu’il restait de notremaison,
personne n’osait s’approcher de nous sauf quelques
rares voisins hutus qui n’étaient pas d’accord avec
cette injustice. Ils nous apportaient à manger en
cachette la nuit, prenaient soin de ma mère qui était
enceinte, nous renseignaient et faisaient preuve de
solidarité avec nous. C’étaient de bons amis, de bons
voisins, fidèles aux valeurs traditionnelles rwandaises.
En dépit d’une très brève période d’espoir, l’arrivée
d’Habyarimana au pouvoir n’a pas fait cesser la politique
ethniste du pays, bien au contraire. Durant
toutes ces années, nous avons appris à connaître nos
ennemis, mais encore mieux nos amis.
Après legénocidedesTutsis en1994et, surtout, après
la libération massive des prisonniers ayant avoué leurs
crimes et « demandé pardon (3)» , en 2003, leRwanda s’est
trouvé avec une situation inédite : la cohabitation dans
unmême pays des personnes ayant commis un génocide
et de celles qui ont survécu à ce génocide. Le gouvernement
rwandais décida d’importer d’Afrique du Sud le
concept de « réconciliation ».
Le site de la Commission nationale d’unité et de
réconciliation (4) est un bijou de langue de bois : rien n’est
vraimentdit, tout est suggéré.Que comprendre ?Que les
survivants du génocide doivent se réconcilier avec ceux
qui ont exterminé leur famille ? Ce serait inhumain au
sens propre du terme, et dénoterait un mépris pour les
victimesdecegénocide.QuelesTutsisdoiventseréconcilier
avec lesHutus ? Ce serait assimiler tous lesHutus à
ceuxqui ont commis legénocide,une erreurqui, à terme,
serait très dangereuse pour l’avenir duRwanda.
Une politique imposée. Cette politique de réconciliation
estmassivement rejetée par les rescapés du génocide,
et peu suivie par les autres Rwandais. Elle est donc
imposée (5). À partir de 2002, des « camps de solidarité »
(Ingando) ont regroupé des survivants et des prisonniers.
Pourtant, un tel programme serait légitime s’il
concernait les problèmes liés aux différences culturelles
entre Rwandais, différences héritées des vagues d’exil
forcé vers les pays limitrophes ou les pays occidentaux.
Ignoré des Occidentaux, le laborieux brassage entre
Rwandais d’origines diverses est pourtant un véritable
défi pour le Rwanda, au moins aussi important que
celui qu’on qualifie aujourd’hui d’« ethnique ».
Réconciliation. Pardon. De beauxmots. Desmots
très chrétiens.Car ce sont bien les Églises chrétiennes
qui, sans attendre que nous ayons enterré dignement
nos morts, ont, les premières, prononcé ces mots à
l’intention des Rwandais (6). Pourtant, ces Églises
n’ont pas encore reconnu l’échec de leur enseignement
dispensé pendant un siècle, elles n’ont pas désavoué
leurs « pasteurs » dont beaucoup trop se sont
rendus coupables du crime de génocide.
Je me souviens aussi, tandis que l’armée française
était militairement présente dans le sud-est du pays,
queM. Léotard, alorsministre français de laDéfense,
conseillait au Rwanda « une réconciliation nationale à
Kigali avec une présence hutue importante au sein du gouvernement
et dans les institutions rwandaises », sous peine
d’une…« nouvelle épreuve militaire (7)».
Pendant le génocide, de nombreux Hutu ont refusé
de tuer les Tutsis, d’autres ont caché les fugitifs, beaucoup
ont péri avec eux. Cela, je ne l’oublie pas. C’est
pourquoi je n’ai nul besoin de me réconcilier avec ces
héros. Quant à me réconcilier avec celui qui a jeté ma
cousinedehuitansdans les latrines justeavantmagrandmère,
ou celui qui a lancé une grenade sur ma mère la
nuit du 7 avril 1994 avant de l’achever le lendemain à
coupsdemachetteetdegourdin, seulun«déséquilibré»
en serait capable.
1. Yvonne Mutimura est aujourd’hui employée par le Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie. Les opinions exprimées ci-dessus
n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement les opinions
du Tribunal international ou des Nations unies en général.
2. Allusion à la fantaisiste théorie hamitique de Gobineau enseignée par
les Pères Blancs au Rwanda.
3. Par décret présidentiel du 01/01/2003, environ 40 000 prisonniers qui
avaient confessé leur crime ont été libérés.
4. http://www.nurc.gov.rw/
5. C.Kayitesi : « Ils ont coupé à s’en casser les bras, en plein jour. Leur pardonner
ne signifie rien d’humain. Ce peut être la volonté de Dieu, mais pas la nôtre » ;
I.Rwiliza : « Au fond, qui parle de pardon ? Les Tutsis, les Hutus, les prisonniers
libérés, leurs familles ? Aucun d’eux, ce sont les organisations humanitaires.
Elles importent le pardon au Rwanda, et elles l’enveloppent de beaucoup de dollars
pour nous convaincre » dans La stratégie des antilopes, p. 23-25, J. Hatzfeld,
éd. du Seuil.
6 .« La position de l’Église catholique du Rwanda sur la réconciliation
nationale », C. Musila, Revue Dialogue, 1999.
7. « M. Léotard veut “réconcilier” les victimes et leurs bourreaux »,
L’Humanité, 26/07/1994.
COURRIER DE L’ACAT—AVRIL-MAI 2009
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Vérité, justice et mémoire
]Rwanda
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Rescapée du génocide avec ses trois filles,
Esther Mujawayo est devenue thérapeute
spécialisée dans les traumatismes psychiques
liés au génocide. Dès juillet 1994, elle a co-fondé
une association Avega (1) qui tente d’apporter
une aide aux femmes rescapées. Depuis
l’Allemagne où elle est réfugiée, elle nous livre
sa réflexion sur les questions de vérité, justice,
mémoire et réparation, dans une perspective
de respect des survivants.
J’utilise très peu l’expression « réconciliation des Rwandais
».Que voulons-nous dire par réconciliation ?Qui se
réconcilie avecqui ?C’estpareilpour lepardonoul’oubli,
que l’on entend très facilement de la part des institutions
religieuses, gouvernementales etONG.
Jusqu’ici,deuxpersonnesm’ontdemandésincèrement
pardon – je vous rappelle en passant que plus de 200 personnes
de ma famille ont été tuées, plus de nombreux
amis. La première personne quim’a demandé pardon est
un ami hutu, très engagé dans les droits humains, pour
ce que ses frères hutus avaient fait. Bien sûr, je lui ai
répondu tout de suite sincèrement que je n’avais rien à
pardonner car il n’avait rien fait.
La deuxième personne est l’un des tueurs dema soeur
Stéphanie, tuée avec ses trois enfants, son mari, et ceux
qui habitaient chez eux. Il s’appelle Pierre. Il y a trois ans
lorsqu’il est sortideprison–accuséd’autresmeurtres,pas
de celui dema soeur – il est venu nous dire : « J’ai entendu
que vous essayez de savoir où ont été jetés les cadavres de votre soeur
et de sa famille, je suis vraiment désolé de ce que nous avons fait,
je sais qu’il n’y a aucune réparation possible, mais au moins je
peux vous dire la vérité et vous pourrez les enterrer. »
Il nous a raconté, dans sesmenus détails, comment
ils avaient été tués, par qui et dans quelle fosse commune
ils avaient été jetés. Nous avons effectivement
retrouvé les corps des nôtres. La carte d’identité de
Stéphanie était encore lisible… À Pierre, j’ai vraiment
pardonné ; petit à petit, je pense que je pourrais
me réconcilier avec lui…et encore !
C’est pourquoi je préfère utiliser plutôt lemot « cohabitation
», ce qui est possible et, de toute façon, nous n’avons
pas le choix. L’idéal serait, comme l’a faitPierre, que
la vérité soit vraiment dite, mais souvent elle n’est pas
dite, ou juste pour sortir de prison ; mais un regret sincère
est très rare. Beaucoup avouent mais rejettent les
responsabilités sur les autres.
Des mesures indispensables. Les vérités des Gacaca ont
servi à localiserdes charniers et ontpermis aux survivants
d’enterrer dignement leurs proches, de leur redonner un
visage d’humanité et d’apaiser la douleur due à leur déshumanisation
lors de leur fin atroce. Ceci est une condition
pour qu’un rescapé se réconcilie avec lui-même et
avec les siens, envers qui il se sentait coupable de ne pas
leur avoir donné une sépulture digne.
Certaines mesures concrètes, comme lui octroyer un
chez soi, permettent à un survivant de se remettre dans
une vie plus oumoins normale. Avant le génocide, nous
avions une petite ou grandemaison selon lesmoyens des
uns et des autres. Je trouve inadmissible de parler de
réconciliationlorsqu’ilyadessurvivantsn’ayantpasd’endroit
où vivre, alors que les voisins, la plupart du temps
ceux-là même qui ont tué les tiens, démoli ta maison et
tout pillé, vivent toujours chez eux !
Nombreux survivants ont des handicaps physiques
terribles, ils sont en attente de soins, sans lamoindre possibilité
de se faire soigner. Il est inacceptable de parler de
réconciliation tant qu’ils ne sont pas pris en charge. De
même, il faut parler des femmes systématiquement violées
et infectées du sida.
Une réparationéconomique estnécessairepour les rescapés
âgés,que les tueursont refuséde tuer enleurdisant :
« Sans tes enfants et tes petits enfants tu mourras de chagrin et
de faim. » Ceci est aussi vrai pour les enfants restés seuls :
une réparation concrète leur permettrait de vivre décemment
sans se sentirmendiants !
Les lieux de mémoire et les cérémonies commémoratives
sont très importants car beaucoup nient ou relativisent
le génocide des Tutsis. Ils servent à rappeler en permanence
aux Rwandais et aumonde entier que cela a eu
lieu et aurait pu être évité, et surtout que cela ne devrait
plus se reproduire – PLUS JAMAIS !
D’ailleurs, cecime rappelle que la réparation concrète
devrait aussi venir de la communauté internationale qui
a sa part de responsabilité.
1. Voir le reportage photo sur www.pierreyvesginet-photos.com
Quelle analyse portez-vous sur l’implication française
dans le génocide ?
L’implication de la France dans le génocide a fait
l’objet de nombreuses enquêtes d’organisations internationales
(ONU, OUA), de parlementaires (en Belgique
en 1997, en France en 1998), d’ONG (Human Rights
Watch, FIDH, Survie…), d’universitaires, de journalistes
ou encore de « simples » citoyens. Plus récemment,
une commission rwandaise a également publié un rapport
accablant sur le rôle de la France.
À l’étude de ces documents, il apparaît que notre pays
a fait bien plus que commettre des erreurs. Il s’est en fait
rendu « complice » du génocide en donnant les moyens à
ses auteurs de le commettre. Si cette accusation peut choquer,
il faut savoirqu’ellereposesur ladéfinitionjuridique
de la « complicité de génocide » du Tribunal pénal international
pour leRwanda (TPIR) chargé de juger les responsables
du génocide. Selon ce dernier : « […] Un accusé est
complice de génocide s’il a sciemment et volontairement aidé ou
assisté ou provoqué une ou d’autres personnes à commettre>
COURRIER DE L’ACAT—AVRIL-MAI 2009—27
L’implication de la France
Faire la lumière sur l’implication de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda est, pour
Olivier Thimonier, secrétaire général de Survie(1), un engagement citoyen. Entretien.
_Propos recueillis par Clément Boursin, responsable des programmes Afrique
Opération Turquoise, 1994. DR
COURRIER DE L’ACAT—AVRIL-MAI 2009
]Rwanda
>le génocide, sachant que cette ou ces personnes commettaient
le génocide, même si l’accusé n’avait pas lui-même l’intention
spécifique de détruire en tout ou en partie le groupe national, ethnique,
racial ou religieux, visé comme tel (2).»
Rappelons également qu’en vertu de la loi du 22mai
1996 qui donne compétence aux tribunaux français pour
appliquer les statuts du TPIR, c’est cette définition de la
complicité de génocide qui s’applique en droit français.
Dans les faits, sur quoi repose donc cette accusation de
« complicité » dans le génocide ?
Tout d’abord, il convient de dire que si « la France »
s’est rendue complice de génocide, en fait ce sont principalement
ses représentants, politiques et militaires, qui
assument cette responsabilité.Cette accusation porte sur
deux faits principaux : premièrement la France savait ;
deuxièmement elle a aidé à la commission du génocide.
Avant le génocide d’abord, l’Élysée était informé par
de nombreuses correspondances diplomatiques, des
confidences de dirigeants rwandais et des rapports
d’ONG qu’un massacre de grande ampleur des Tutsis
du pays se préparait. Le mot « génocide » était plus que
présent dans la vie politique rwandaise.Desmassacres à
caractère génocidaire impliquant l’armée rwandaise en
1991 et en 1992 avaient été organisés, sans que la France
et son armée (qui fournissait et formait les militaires
rwandais) réagissent à cequi est apparucommedes répétitions
du génocide à venir. Dans ce genre de cas, le
silence et la continuation de la coopération sonnent
comme un blanc-seing, voire un encouragement.
Pendant le génocide ensuite, les autorités françaises
ont continué à collaborer avec le gouvernement génocidaire.
Plusieurs de ses représentants tels le lieutenantcolonel
Kayumba (chargé des achats d’armes) ou le
colonel Rwabalinda (adjoint du chef d’État-major des
Forces armées rwandaises)ont été reçus enFrance.Cedernier
en est reparti avec des téléphones cryptés fournis par
la France pour assurer la protection des communications.
Des livraisons d’armes ont également été effectuées pendantl’opérationAmaryllisd’évacuationdesressortissants
européens, puis via la ville deGoma au Zaïre.
La liste est longue des faits qui montrent un soutien
français aux génocidaires. Celui-ci aura été politique et
militaire mais aussi financier, les versements de la
Banque nationale du Rwanda pour les achats d’armes
ayant été faits sur un compte de la BNP à Paris (3).
Malgré ces graves accusations, il semble que ce soit la
raison d’État qui prévale. Dans ce contexte quel rôle peut
jouer la société civile et quels sont les objectifs de Survie ?
Survie n’est pas la seule à soulever ces graves questions.
Le rapport de laMission d’information parlementaire
de 1998 en France a, par exemple, montré que de
grosses zonesd’ombresplanaient sur l’engagement français
auRwanda.Mais le travail des députés n’est pas allé
assez loin.Certaines personnalités importantes n’ont pas
été entendues, et il n’y a pas eu de véritable débat contradictoire
sur certainspoints très sensibles.Aussi, laperspectiveactuelled’unrapprochementdiplomatique
entre
Paris etKigali risque de renvoyer dans les archives de la
realpolitik le contentieux franco-rwandaisquiporteprincipalement
sur l’implication de la France dans le génocide.
Dans ce contexte, la perspective de voir des démarches
judiciaires intentées par l’État rwandais contre la
France s’estompe.
Restent donc les initiatives de la société civile et des
citoyens, afin que cette affaire ne tombe pas dans les
limbesde l’Histoire.Pour Survie, le travailde véritédoit
être poursuivi par des enquêtes ainsi qu’une information
constante des citoyens français sur ce qui a été fait au
Rwanda en leur nom. En effet, il n’est pas concevable de
rester indifférent à un crime qui concerne l’humanité
tout entière. Ce travail de vérité doit permettre que les
responsables de la complicité française soient jugés et
que cesse l’impunité. Il doit permettre également de
pointer du doigt les dysfonctionnements de nos institutions,
qui font que la politique étrangère de la France, et
particulièrement en Afrique, relève du domaine réservé
de l’Élysée, au-delà de tout contrôle parlementaire et de
toute transparence. Il en va donc également de la démocratie
française, et de la politique que notre pays entend
mener sur la scène internationale : soutenir des dictatures,
ou promouvoir le respect des droits de l’Homme,
la démocratie et la bonne gouvernance (4).
1. Survie est la principale association française dénonçant l’implication
de la France dans le génocide au Rwanda et milite pour une réforme de
la politique française en Afrique. (http://survie.org/)
2. Bagilishema (Chambre de première instance), 7 juin 2001, par. 71.
3. L’ensemble des faits de complicité ont été listés dans L’horreur qui nous
prend au visage. L’État français et le génocide auRwanda (L’Harmattan, 2005),
Rapportde laCommissiond’enquête citoyenne initiéepar Survie en2004.
4. Lire à ce sujet leLivre blanc pour une politique de laFrance enAfrique responsable
et transparente (L’Harmattan,2007),publiépar laPlateforme citoyenneFrance-
Afrique – qui regroupe une douzaine d’ONGfrançaises, dont Survie. 28
COURRIER DE L’ACAT—AVRIL-MAI 2009—29
Les planificateurs ou les exécutants qui ont pu fuir
le pays, avec parfois la complicité et le soutien
de puissances extérieures, sont jugés au TPIR
(Tribunal pénal international pour le Rwanda) sis
à Arusha en Tanzanie. Mais tous ne relevant pas
de cette instance, il revient aux pays d’« accueil »
de participer à l’oeuvre de justice.
_Alain Gauthier, président du CPCR, Collectif des parties civiles
pour le Rwanda (www.collectifpartiescivilesrwanda.fr)
C’est la Suisse qui la première a jugé et condamné un
militaire rwandais, mais c’est surtout la Belgique qui a
ouvert la voie à ce qui devrait être réalisé dans les pays
occidentaux.Auprintemps2001eneffet,aprèsunprocès
de plus de deux mois, quatre génocidaires ont été
condamnés à des peines allant de douze à vingt ans de
prison. Parmi eux, deux religieuses, un universitaire et
un industriel ancienministre.Depuis, ce pays a organisé
deux autres procès et en prépare un quatrième. Seul
inconvénient, la Belgique n’a condamné aucun inculpé
pourgénocide, cettequalificationn’ayantpuêtre retenue
parlesystèmejudiciairedecepays.Depuis,seulleCanada
a suivi cette voie et juge en cemoment un Rwandais.
Qu’en est-il de la situation en France ? Il faut bien
reconnaître que la justice de notre pays, probablement
pour des raisons politiques, traîne les pieds pour juger
les présumés génocidaires rwandais présents sur le sol
français. Les plaintes les plus anciennes, dont celle visant
l’abbéWenceslasMunyeshyaka, prêtre du diocèse d’Evreux,
en charge de la paroisse deGisors, datent de 1995.
Réclamé en 2007 par le TPIR, le tribunal international
a finalement décidé de demander à la France de le juger,
tout comme un ancien préfet, Laurent Bucyibaruta.
Cettedemanden’apour l’instant été suivied’aucuneffet,
malgré les demandes réitérées de tous ceux qui demandent
que justice soit rendue aux victimes.
D’autres plaintes ont été déposées, certaines très
récemment, par les associations (FIDH, LDH, Survie et
le CPCR) qui se sont données comme objectif de faire
juger les présumés génocidaires rwandais présents sur le
sol français. L’inertie dont fait preuve la justice française
révèle un mépris inacceptable pour les victimes. Dix
plaintes sont aujourd’hui sur le bureau des juges parisiens,
dont une à l’encontre de Mme Agathe Habyarimana.
Ces juges se plaignent de ne pas avoir lesmoyens
de faire leur travail. Bien que leur nombre ait été porté
à quatre depuis la fin de l’année dernière, il faut bien
reconnaître que les choses n’avancent pas. Tout aussi
grave, le refus de la justice de notre pays d’extrader vers
le Rwanda quatre présumés génocidaires rwandais qui,
après avoir purgé quelques jours de prison, ont tous
retrouvé la liberté, à l’exceptiondePascal Simbikangwa,
détenu àMayotte pour trafic de faux-papiers.On aurait
pu espérer que le Parquet décide de les poursuivre,mais
il n’en est rien. Le CPCR a donc décidé de préparer de
nouvelles plaintes afin que ces présumés génocidaires ne
continuent pas à vivre en toute impunité avec le soutien
de leurs protecteurs. Le plus choquant, c’est lorsqu’on
apprend, comme à propos de Claver Kamana, que c’est
une congrégation religieuse d’Annecy qui l’héberge.
C’était aussi le cas de Dominique Ntawukuriryayo qui,
avant son extradition vers le TPIR en juin dernier, était
membre du service de la Pastorale des migrants dans le
diocèsedeCarcassonneetmembreduSecourscatholique!
La justice est pourtant une des voies indispensables à
la réconciliation au Rwanda. La justice, en désignant le
crime et le bourreau, permet à ce dernier de réintégrer la
communauté des hommes dont il s’est volontairement
séparé. En désignant clairement la victime, la justice lui
permet de retrouver sa dignité bafouée par la violence
inouïe des coups demachettes et des viols systématiquement
perpétrés pour transmettre le sida. « La justice pas
la vengeance » : nous faisons nôtre cette ligne de conduite
de SimonWiesenthal.Mais il y a urgence, car le temps
joue en faveur des bourreaux,même si le crime de génocide
est imprescriptible.
À la poursuite des génocidaires
dans les pays « d’accueil »
Tous les génocidaires ne relèvent pas du
Tribunal pénal international pour le Rwanda
actuel bureau du TPIR à Kigali. DR.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024