Fiche du document numéro 26886

Num
26886
Date
Mardi 10 janvier 2012
Amj
Taille
178196
Surtitre
 
Titre
Les dix-huit ans d’intoxication d’une enquête à sens unique
Soustitre
Le juge Bruguière n’a jamais envisagé d’autres pistes que celle des Tutsis du FPR. Au nom de la raison d’Etat ?
Tres
 
Page
 
Nom cité
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Lieu cité
Cote
 
Résumé
Vade-mecum of the poisonings which poisoned the investigation into the attack of April 6, 1994.
Source
Extrait de
 
Commentaire
 
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
RÉCITLe juge Bruguière n’a jamais envisagé d’autres pistes que celle des Tutsis du FPR. Au nom de la raison d’Etat ?
Il y a l’enquête sur l’attentat mais aussi l’histoire d’une manipulation.«C’est une nouvelle affaire Dreyfus. Un dossier dans lequel les plus hautes instances judiciaires et militaires françaises ont trop souvent négligé la recherche de la vérité, pour la défense d’une raison d’Etat, très subjective»,considère aujourd’hui maître Bernard Maingain, l’avocat belge des officiels rwandais accusés en 2006 par le juge Bruguière. Des accusations désormais mises à mal par les résultats du rapport balistique, soulignant encore plus l’incroyable embrouille dans laquelle se sont fourvoyés bien des responsables et des intellectuels. Maître Maingain et maître Lef Forster, les deux avocats des responsables du FPR, envisageraient d’ailleurs de porter plainte pour «tentative d’escroquerie à jugement, en bande organisée». Petit catalogue des intox qui ont empoisonné cette étrange affaire depuis 1994. Un timing un peu trop parfait ? Les partisans du juge Bruguière ont souvent avancé que le magistrat français est le premier à avoir «osé» mener cette enquête sulfureuse, alors que l’ONU et l’aviation internationale s’étaient défaussées. Pourtant, en revenant à Paris en 1994, les familles de l’équipage français du Falcon 50 abattu sont «fortement découragées de porter plainte» comme l’a rappelé maître Laurent Curt, l’avocat de la femme du pilote… Dès le 7 avril, le lendemain de l’attentat, Bruno Delaye, le conseiller aux affaires africaines de l’Elysée accuse immédiatement, et sans fournir de preuve, les rebelles du FPR, qui ne sont pas vraiment les alliés de la France. Dans une note de synthèse, le général Christian Quesnot, chef d’état-major du président Mitterrand souligne même :«L’hypothèse d’un attentat du FPR devra être confirmée par l’enquête.» Le juge Bruguière va le prendre au mot et instruire uniquement à charge. Il est saisi de l’affaire suite à la plainte que finit par déposer, en août 1997, Sylvie Minaberry, la fille du copilote. Il faudra attendre encore sept mois, le 27 mars 1998, pour que l’instruction soit ouverte. Heureux hasard, elle démarre trois jours après le début des auditions de la mission d’information parlementaire sur le Rwanda, chargée d’évaluer l’implication de la France dans la tragédie rwandaise. Une «coïncidence» qui permet à Paul Barril, l’ex-gendarme de l’Elysée, très impliqué dans cette histoire, de décliner l’invitation des députés, au nom du secret de l’instruction. Huit ans plus tard, Bruguière délivre ses neuf mandats d’arrêt contre des officiels du FPR, mettant en cause, le 21 novembre 2006, leur chef, Paul Kagamé, devenu président du Rwanda. Là encore, ça tombe bien : le missile judiciaire de Bruguière annule aussitôt «pour raisons de sécurité» l’audition de Grégoire de Saint-Quentin prévue le même jour à Arusha au Tribunal pénal international pour le Rwanda. Cet officier français, qui devait être entendu à huis clos, est le seul étranger présent sur le site de l’attentat dès le 6 avril au soir. Il sera entendu plus tard, par vidéo, et affirmera ne jamais avoir trouvé la boîte noire de l’avion. Elle
va réapparaître à la télévision, au journal de 20 heures, le 27 juin 1994. Sauf que celui qui la brandit ce soir-là, ne sait pas que la vraie boîte noire était… orange. Les vraies fausses preuves de Barril C’est un curieux personnage qui présente la fausse boîte noire sur France 2 et au journal Le Monde : l’ex-gendarme du GIGN Paul Barril travaillait pour la sécurité du président Habyarimana depuis 1989. Deux témoins ont affirmé l’avoir vu à l’aéroport de Kigali le 4 avril 1994. Que faisait-il sur le tarmac, deux jours avant l’attentat ? Et où était-il le 6 avril au soir ? Le juge Bruguière, qui le connaît bien, l’auditionnera plusieurs fois sans jamais lui poser cette question. Barril a cependant reconnu avoir fait plusieurs séjours au Rwanda pendant le génocide. Il aurait négocié un contrat d’armement et même l’envoi de mercenaires pour soutenir l’armée rwandaise, impliquée dans les massacres mais incapable de stopper l’avancée des rebelles du FPR qui reprennent le combat au début du génocide. Mais Barril se mêle aussi de l’attentat, affirmant être mandaté par la veuve d’Habyarimana pour enquêter. Malgré ses déclarations, il ne pourra cependant jamais montrer ni les«80 témoignages vidéo» qu’il aurait recueillis et qui incrimineraient le FPR, ni la fameuse boîte noire orange. Celle-ci réapparaît dix ans plus tard, en 2004, dans un placard de l’ONU, à New York. C’est le journaliste Stephen Smith qui le révèle dans Le Monde, suggérant que l’ONU la cache pour faire obstruction à l’enquête. Sauf qu’après analyse, il apparaît que ce n’est pas celle du Falcon 50 mais celle… d’un Concorde d’Air France ! Comment s’est-elle retrouvée en mai 1994 au Rwanda ? Bruguière ne juge pas utile de chercher. D’autant plus que d’autres éléments, servis sur un plateau, viennent conforter sa thèse. Ainsi l’armée rwandaise aurait dès le 25 avril 1994 retrouvé sur la colline de Massaka les deux lance-missiles qui ont servi à l’attentat. Barril affirmera les avoir vus lui aussi et savoir qu’ils ont été vite envoyés de l’autre côté de la frontière, à Goma, dans l’ex-Zaïre de Mobutu. Mais si l’armée rwandaise avait les lance-missiles dont elle fournira même les numéros de série, pourquoi avoir attendu deux ans pour révéler cette preuve capitale ? Ce n’est qu’en 1996 que ces lance-missiles sont évoqués pour la première fois. Et pourquoi Barril investi de sa mission d’enquêteur ne les aurait-il pas gardés et ramenés avec lui ? En réalité, à part les officiers de l’armée rwandaise et Barril, personne ne les a jamais vus. Restent des photos, transmises par le ministère français de la Défense à la mission d’information parlementaire. Mais pourquoi sur les clichés, les lance-missiles ont-ils encore leurs bouchons, comme s’ils n’avaient pas été utilisés ? Les députés français refuseront en tout cas de prendre en compte ces clichés qui auraient été apportés à Paris par l’un des nombreux officiels rwandais de passage pendant les massacres. La France est alors le seul pays occidental à recevoir le gouvernement génocidaire. Témoins et messages sous contrôle Bruguière s’est aussi appuyé sur des témoignages de transfuges du FPR et sur des messages interceptés, dans lesquels le FPR se serait réjoui de l’attentat. En 2009, on découvre que ce sont des faux : l’opérateur qui les transmettait, Richard Mugenzi, révèle au journaliste Jean-François Dupaquier qu’il était chargé de rédiger de faux messages censés venir du FPR. Mugenzi affirme aussi qu’il aurait appris les techniques de la désinformation grâce… à des officiers français présents
aux côtés des officiers rwandais. Quant aux témoins qui auraient participé à l’attentat ou surpris des conversations sur sa préparation, les lieux et les noms cités semblent incohérents ou manquent de crédibilité. Le principal témoin de Bruguière, Abdul Ruzibiza va même se rétracter en 2008. Il révèle comment il avait été contacté par la DGSE après avoir fui le Rwanda où il était accusé de vol et s’être réfugié en Ouganda. Contre la promesse d’un visa pour l’Europe, il aurait accepté de rencontrer Bruguière et de charger ses anciens camarades. Devant le juge Trévidic, il reviendra en partie sur ses propres rétractations, mais expliquera que ses réponses avaient été formulées dans des termes choisis avec l’enquêteur de Bruguière. Un autre «repenti», Emmanuel Ruzingana écrit à Bruguière deux semaines après la publication de l’ordonnance accusant les proches du FPR, réfutant tout ce qu’il lui a été attribué, rappelant au juge : «Mes réponses ont provoqué votre colère, et vous m’avez fait sortir de votre bureau.» Encore plus étrange, les repentis qui affirmaient avoir fait partie du pseudo «network commando» du FPR et d’avoir participé à l’attentat n’ont jamais été mis en examen. «Faudrait-il s’intéresser désormais au network français de cette manipulation ?», s’interroge maître Bernard Maingain.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024