Fiche du document numéro 26815

Num
26815
Date
Jeudi 23 juillet 2020
Amj
Auteur
Taille
2339008
Titre
La Fondation Brazzaville, des bonnes œuvres aux missions spéciales de Sassou-Nguesso
Nom cité
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Lieu cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Jean-Yves Ollivier lors du tournage du documentaire ``Plot for Peace'' qui lui est consacré. © Fondation Brazzaville

Sous l'égide de la Fondation Brazzaville basée à Londres, l’intermédiaire français Jean-Yves Ollivier est devenu l’envoyé spécial de Sassou-Nguesso auprès des acteurs de la crise libyenne. Sa fondation, qui affirme œuvrer « pour la paix et la préservation de l’environnement », est l’une des structures de lobbying du régime.

Les hommes de l’ombre ne sont plus ce qu’ils étaient. Ils veulent de la lumière, et leur quart d’heure de gloire. Alors qu’une nuée d’intermédiaires obscurs s’active toujours autour de l’autocrate Sassou-Nguesso, l’homme d’affaires français Jean-Yves Ollivier, 76 ans, vieux routier de la Françafrique et expert en trading pétrolier, s’est donc hissé au rang de communicant et d’envoyé spécial du président congolais, tout en consolidant ses affaires avec le régime.

Sous couvert d’une « foundation » créée à Londres, la fondation « pour la paix et la préservation de l’environnement », l’intermédiaire français tente ces dernières semaines de s’inviter dans les pourparlers entre les belligérants libyens pour faire valoir l’intérêt d’une médiation du président congolais et de l’Union africaine (UA). En mai 2018, il avait déjà organisé un round de discussions interlibyennes à Dakar.

« Jusqu’à présent, sauf dans le clan Haftar, on accepte de m’entendre au sein de toutes les parties libyennes », a expliqué Jean-Yves Ollivier à Jeune Afrique, le 29 juin. « Je n’ai pas vu Haftar mais je suis sûr que certains de mes amis pourront créer les conditions d’une rencontre », ajoute-t-il. Il assure aussi « passer des messages » à Saïf al-Islam Kadhafi.

S'il déplore ne pas avoir le soutien de la France, Ollivier a d’autres cartes en main, en particulier « des relations » avec la Russie et la Turquie. « Avec les Russes officiellement, détaille-t-il, et je vais avoir des contacts au plus haut niveau avec la Turquie. » Enfin, il assure à Jeune Afrique que « ses interlocuteurs sur le continent sont d’accord pour que sa fondation Brazzaville aide à préparer la conférence de réconciliation » prévue au siège de l’UA, à Addis-Adeba.

En janvier dernier, dans un autre registre, le trader avait réuni plusieurs chefs d’État africains à Lomé, au Togo – le Togolais Faure Gnassingbé et ses homologues sénégalais Macky Sall et ougandais Yoweri Museveni –, autour de la lutte contre le trafic de faux médicaments. Rien de décisif n’en sort, si ce n’est une déclaration d’intention. Ollivier a aussi organisé autour du président congolais plusieurs réunions internationales sur le sujet de l'initiative du Fonds bleu pour le bassin du Congo, une vaste opération régionale de greenwashing, non dénuée d'arrière-pensées financières (voir ici l'article de Mediapart sur la demande d'aide européenne du Congo).

Mais les colloques de la Fondation Brazzaville sont l’occasion pour Ollivier de redorer le blason du régime et d’afficher son réseau. À Lomé, il fait venir – en jet privé – Cécilia Attias, l’ex-épouse de Nicolas Sarkozy, et l’ancien juge anti-terroriste Jean-Louis Bruguière, membres de son conseil consultatif. Et aussi l’ancien ministre de la coopération et pilier de la Françafrique Michel Roussin, l’ancien conseiller Afrique de Manuel Valls Ibrahima Diawadoh N'Jim, aujourd’hui chargé de mission à Évry, ou d’autres invités plus surprenants, comme le général Marc Foucaud, ancien responsable de l’opération militaire Serval.

Michel Roussin, Jean-Yves Ollivier et Jean-Louis Bruguière lors d'une réunion de la Fondation Brazzaville, en septembre 2019. © Fondation Brazzaville

En 2015, comme Mediapart l'avait raconté, la Fondation Brazzaville avait aussi soutenu l’Alma Chamber Orchestra, de la violoniste Anne Gravoin, alors compagne de Manuel Valls, en l’introduisant auprès de la fondation de son ami Ivor Ichikowitz, patron du puissant groupe d’armement sud-africain Paramount, et en lui permettant de se produire en Afrique du Sud. Quelques mois plus tard, Ollivier, qui avait obtenu la légion d’honneur, avait demandé qu'elle lui soit remise par Manuel Valls. Auprès de L’Obs, il certifiait qu’il ne fallait « pas rapprocher » les deux événements, car c’était la première fois qu’il rencontrait le premier ministre français.

Entre 2016 et 2017, le conseil consultatif de la fondation intègre aussi brièvement l’ancien ministre Jean-Paul Delevoye – futur haut-commissaire aux retraites finalement démissionnaire du gouvernement –, qui déclare ensuite avoir « été alerté sur les relations de la fondation avec le président du Congo », et avoir « pris (ses) distances, n'ayant pas assez de certitudes sur l'éthique de la fondation ».

Le réseau historique d’Ollivier se trouve en chiraquie, et compte des personnages moins connus mais aujourd’hui influents comme Bernard Émié, l’actuel patron de la DGSE, venu en ami en 2015 à la projection du documentaire consacré aux missions africaines d’Ollivier aux côtés de Michel Roussin lors de la fin de l’apartheid, Plot for Peace (« Complot pour la paix »), un film financé par Ivor Ichikowitz.

En 2015, Bernard Émié, l'actuel patron de la DGSE en compagnie de Jean-Yves Ollivier © DR

En 2015, alors ambassadeur de France en Grande-Bretagne, Bernard Émié avait félicité Ollivier par un tweet. Ollivier a rencontré Émié en 1985, alors qu’il n’était que secrétaire d’ambassade à Washington. Il précise n’avoir aujourd’hui qu’une « relation cordiale mais intermittente » avec l’ancien conseiller diplomatique de Jacques Chirac. « Nous ne nous sommes pas revus depuis, assure le trader. Il n’y a jamais eu aucune communication d’ordre professionnelle ou liée à mes actions avec lui. »

« Si l’on regarde Jean-Yves Ollivier avec les lunettes de la Françafrique, on est fichu, assure Richard Amalvy, le nouveau directeur de la Fondation Brazzaville. On n’est pas capable de voir le travail qu’il fournit. Il a noué des contacts avec une multitude d’acteurs libyens. Il a un talent de médiateur. On l’a découvert avec les accords de Brazzaville. »

C’est ce que raconte Plot for Peace, le film à la gloire d’Ollivier, sorti en 2013, mais dont la fondation fait encore la promotion : le trader a activement participé aux négociations secrètes qui conduisent en 1987 à l'échange d'un prisonnier sud-africain contre 180 militaires angolais et namibiens, puis à la signature, un an plus tard à Brazzaville, d’un protocole entre l’Afrique du Sud, l’Angola et Cuba, prévoyant un retrait simultané des troupes cubaines d'Angola et des forces sud-africaines de Namibie.

À l’époque, Ollivier est en affaires avec le régime sud-africain, et il viole même l’embargo international visant le pays de l’apartheid. Dans son film, il reconnaît avoir « ignoré les sanctions », « qui isolaient le pays », mais il soutient que ce sont précisément ces affaires et les relations qui en découlent qui lui ont permis de jouer un rôle. « S’il n’enfreint pas l’embargo, il ne peut pas contribuer à l’ouverture de l’Afrique du Sud », juge Richard Amalvy.

Selon le site de la fondation, c’est « à l’occasion du 25e anniversaire de cet accord » régional que Sassou-Nguesso a souhaité en « perpétuer l’esprit », et qu’Ollivier, « inspiré par ce vœu » présidentiel, a créé la fondation.

Capture d'écran du site de la Fondation Brazzaville qui explique sa création © DR

« Je ne suis pas le parrain, bien sûr, mais j'utilise à peu près le même système »



Le président Sassou « n’interfère pas du tout dans le fonctionnement de la fondation », certifie son nouveau directeur. « C’est une légende », assure-t-il, même s’il admet qu’Ollivier et Sassou « sont amis ». Plus qu'amis : questionné par le site Bloomberg sur l’enquête des biens mal acquis qui vise, à Paris, le président congolais, Jean-Yves Ollivier répond : « Je le connais intimement. Denis Sassou-Nguesso ne se soucie pas de l'argent. Il ne dépense pas. Oui, il aime les beaux costumes et les stylos. Mais l'homme mène une vie très simple. Il est dévoué à son pays. »

L’opération libyenne colle en tout cas à l’agenda de la présidence congolaise. Ollivier est entré dans le jeu après l’échec des premières invitations des Libyens par Sassou-Nguesso à Brazzaville. Questionné en février 2018 par Jeune Afrique, sur l’utilité d’une médiation du président congolais, le maréchal Khalifa Haftar avait sèchement répondu : « Nous en avons entendu parler, mais en pratique nous n’avons rien vu. »

« Leur intérêt, à Sassou et à lui, c’est de prendre des positions dans le pétrole libyen », tacle l’ancien eurodéputé Michel Scarbonchi, qui a soutenu les positions du clan Haftar à Paris.

Dans la foulée de ces négociations pas très secrètes, Ollivier s’est rapproché des officiels russes. Il avait déjà collaboré avec la société nucléaire russe Rosatom. En janvier 2019, la Fondation Brazzaville annonce dans un tweet qu’Ollivier a rencontré le ministre des affaires étrangères russe Mikhaïl Bogdanov pour « discuter de la situation politique en Libye ».

L'annonce de la rencontre d'Ollivier avec le ministre russe Bogdanov. © DR

Début juillet, le site Africaintelligence a signalé un récent accord de la fondation d’Ollivier avec l'institut de recherche Dialogue des civilisations (DOC), présidé par l’oligarque Vladimir Yakunin, proche de Vladimir Poutine et visé par des sanctions américaines depuis l’annexion de la Crimée.

Selon le site, ces alliances russes « ont fait fuir plusieurs organisations partenaires de la Fondation Brazzaville dans la lutte contre les médicaments de contrebande », notamment la United States Pharmacopeial Convention (USP). « En mars 2020, le Harvard Global Health Institute (HGHI) avait déjà pris ses distances avec la fondation, tout comme, à la mi-juin, la London School of Hygiene and Tropical Medicine (LSHTM). La King Baudouin Foundation US envisagerait, elle aussi, de réévaluer son partenariat avec la Fondation de Brazzaville », relève Africaintelligence.

Les missions de « médiateur » d'Ollivier pour le compte du président Sassou sont variées, et sont allées jusqu'à inclure des sujets de politique intérieure congolaise. En 2016, il n’hésite pas à rendre visite à l’opposant Jean-Marie Michel Mokoko en résidence surveillée à Brazzaville. Comme l’avait révélé Mediapart, Ollivier enjoint alors Mokoko de « reconnaître sa défaite ».

La fondation, elle, reste financée par l’apport quasi exclusif de Jean-Yves Ollivier, via sa société Fort Consultancy and Development Corporation, basée au Liban. Une société elle-même riche, pour partie, de contrats décrochés à Brazzaville.

« L’apport de la société Fort, c’est une valorisation, justifie le directeur de la fondation Brazzaville, Richard Amalty. La société de Jean-Yves Ollivier le soutient dans son action et met en œuvre sa RSE [responsabilité sociétale des entreprises – ndlr] pour faire du pro domo pour la fondation. Fort, c’est la société de Jean-Yves Ollivier dans sa partie business. Il ne travaille pas qu’avec Sassou-Nguesso et le Congo. Et ce qu’il a fait avec le Congo, c’est quand même positif : il a aidé le Congo à garder sa souveraineté sur ses gisements pétroliers. »

Le président Denis Sassou Nguesso lors d'une conférence consacré au Fonds bleu. © DR

Lors d’une longue interview accordée en 2015 au site Bloomberg, dans sa villa de Marrakech, Jean-Yves Ollivier avait livré les clés de son activité de trader. « Je ne suis pas le parrain, bien sûr, mais j'utilise à peu près le même système », a-t-il avoué. Sa méthode : aider les uns et les autres sans rien demander, jusqu’au jour où l’occasion se présente. Le gain vient plus tard et pour un projet mutuellement bénéfique. « C’est là que j’ai le plus à gagner », a-t-il confié.

Jean-Yves Ollivier confirme son ancrage ancien au Congo, et son travail de « courtier » auprès de la Société pétrolière nationale (SNPC). Son rôle en 2002 dans un prêt d'environ 350 millions de dollars auprès de la Rand Merchant Bank, une banque d’investissement sud-africaine, et destiné à la construction d'infrastructures énergétiques, en association avec le pétrolier Vitol. Ollivier apparaît au fil des ans dans plusieurs dossiers judiciaires relatifs aux dettes de l’État congolais. Et selon Bloomberg, Ollivier a été légalement enregistré dans les archives du ministère de la justice américain en tant qu’agent étranger ayant reçu des fonds du Congo.

En 2009 survient le dossier des gisements octroyés au pétrolier italien ENI qui fait actuellement l’objet d’une enquête anticorruption en Italie. Les dirigeants italiens obtiennent en effet la licence du bloc pétrolifère « Marine XII » à condition de céder 25 % du capital à une société présentée par le gouvernement congolais. Trois mois après la signature, le ministère congolais du pétrole annonce aux Italiens avoir sélectionné une société baptisée « New Age » à laquelle ENI transfère sa participation. Mais l'opération ne s'arrête pas là.

« New Age a attribué à Ollivier une participation de 6,3 % dans le bloc, qu'il a ensuite convertie en une participation directe de 2,4 % dans la société, selon les registres de la société déposés à Jersey, où il est enregistré », souligne Bloomberg. « Où est le conflit d'intérêts ? questionne Ollivier. Vous ne payez pas votre courtier ? Tout le monde gagne. Le Congo gagne un bon partenaire qui me paye en me donnant des actions. »

Dans les comptes de la société Fort, l’investissement détenu au sein de « New Age M12 » est estimé à 50 millions de dollars, au 31 décembre 2012. En mai 2018, lors d'une réunion d'actionnaires d'ENI, la réattribution des parts de « New Age  » à la société d'Ollivier vient sur la table, et la question de ses liens avec le président Sassou-Nguesso est ouvertement posée. Le parquet de Milan a requis le 22 juillet une condamnation de huit ans de prison contre le PDG d'ENI, Claudio Descalzi, dans le volet nigérian de l'affaire. Mais plusieurs enquêtes sont en cours concernant le Congo, où il a dirigé durant de nombreuses années la filiale du pétrolier italien. Son épouse Marie Madeleine Ingoba est elle aussi visée pour de multiples opérations suspectes.

Questionné par Mediapart, Jean-Yves Ollivier n’a pas voulu commenter le dossier italien : « Marine XII est un sujet qui n’a rien à voir avec la Fondation Brazzaville, a-t-il indiqué dans un message. D’où ma réponse : je suis à la disposition de toute demande de la justice italienne ou autre, s’il y a un souhait de m’entendre à ce sujet, ce qui jusqu’à ce jour n’a pas été le cas. »

Contacté par Mediapart au sujet de sa relation avec Jean-Yves-Ollivier, le directeur général de la DGSE Bernard Émié n'a pas répondu. Jean-Yves Ollivier a été joint à plusieurs reprises, mais n'a répondu à nos questions que par mail ou messagerie. Richard Amalvy, le directeur de la Fondation Brazzaville, a accepté un entretien par visioconférence, le 6 juillet.

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