Fiche du document numéro 26779

Num
26779
Date
Vendredi 3 juillet 2020
Amj
Taille
841354
Titre
Attentat contre l’avion du président rwandais en 1994 : la justice française confirme le non-lieu
Sous titre
Cette décision de la cour d’appel de Paris entraîne l’abandon des poursuites contre neuf proches de l’actuel chef de l’Etat, Paul Kagame.
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Les restes de l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana, abattu le 6 avril 1994 à Kigali. GERARD GAUDIN / AFP
Les chemins qui mènent à la vérité sont parfois aussi longs et sinueux que ceux qui parcourent les vertes collines du Rwanda. Il arrive aussi qu’ils se terminent en cul-de-sac. Après vingt-deux années d’instruction, la justice française a rendu un non-lieu dans l’enquête sur l’attentat perpétré le 6 avril 1994 à Kigali contre le président rwandais Juvénal Habyarimana. Vendredi 3 juillet, les magistrats de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris ont confirmé la décision des juges antiterroristes qui avaient ordonné l’abandon des poursuites contre neuf proches de l’actuel président rwandais, Paul Kagame. L’arrêt de ce délibéré, qui fait une soixantaine de pages, sera rendu lundi.

« Une étape fondamentale s’est achevée et c’est une forme de soulagement, a estimé Léon Lef-Forster, avocat des personnes poursuivies. Je verrai avec mes clients, accusés depuis trop longtemps, si des suites doivent être données à cette affaire pour aboutir enfin à la clarification de la vérité. » Ce dossier a été « une parodie de justice, une véritable mascarade qui n’aurait jamais dû voir le jour » a réagi sur Twitter Johnston Busingye, ministre rwandais de la Justice.


Personne n’ignore les circonstances dans lesquelles est mort Juvénal Habyarimana. Le 6 avril 1994 en fin d’après-midi, le président embarque de Dar es-Salaam, en Tanzanie, où il vient de lever les derniers obstacles nécessaires à un accord de paix dans son pays. A bord de l’avion présidentiel offert par la France ont également pris place Cyprien Ntaryamira, président du Burundi, des ministres et trois membres d’équipage français. Ils n’atterriront jamais à Kigali. Alors que le Falcon immatriculé 9XR-NN est en phase d’approche au-dessus de l’aéroport de la capitale, il est abattu à 20 h 22 par deux missiles tirés du sol. L’attaque ne laisse aucun survivant.

Quelques dizaines de minutes plus tard, les premiers barrages se mettent en place dans Kigali. Tous les habitants, hommes, femmes ou enfants, qui portent la mention « Tutsi » sur leur carte d’identité sont exterminés par les miliciens Interahamwe et les Forces armées rwandaises (FAR). A la cadence infernale de 447 morts par heure, le génocide va se poursuivre pendant trois mois, jusqu’en juillet 1994 et la libération du pays par le Front patriotique rwandais (FPR), un mouvement politico-militaire venu d’Ouganda dirigé par Paul Kagame.

Deux hypothèses s’opposent



« Il y a une chape de plomb dans ce dossier qui comporte une connotation politique évidente », a déclaré Philippe Meilhac, avocat d’Agathe Habyarimana, veuve du président assassiné, qui a décidé de se pourvoir en cassation : « Ces derniers jours, le président rwandais est monté au créneau dans la presse en laissant entendre que, pour le maintien de la coopération entre la France et le Rwanda, il ne valait mieux pas que la justice française fasse de nouvelles investigations. »

Sur fond de débat quant aux responsabilités françaises pendant le génocide, l’affaire de l’avion du président Habyarimana a empoisonné les relations diplomatiques entre Paris et Kigali. Dans les esprits et devant les tribunaux, deux hypothèses s’opposent : l’une évoque la responsabilité des Tutsi du FPR, l’autre celle des extrémistes hutu. Les premiers auraient tiré sur l’avion présidentiel pour relancer une guerre civile et s’emparer du pouvoir les armes à la main ; les seconds dans le but d’accuser faussement leurs ennemis d’avoir tué leur président afin de justifier leur extermination.

En 1998, une instruction est ouverte en France à la demande de la fille d’un des pilotes français de l’avion. La même année, une mission d’information parlementaire dirigée par Paul Quilès est lancée pour faire la lumière sur la politique de la France au Rwanda. Celle-ci estime que l’attentat contre Juvénal Habyarimana a servi les intérêts des extrémistes hutu : « Sur le plan politique, il est évident que la décision prise par le président d’appliquer les accords d’Arusha ne pouvait qu’aboutir à la mise à l’écart de certains des membres les plus extrémistes de l’Akazu [le premier cercle des extrémistes]. Dès lors que le président avait cessé de résister à la logique d’Arusha pour s’y rallier, son élimination physique pouvait devenir indispensable pour quiconque souhaitait éviter tout partage du pouvoir. » Une note de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) rédigée en septembre 1994, soit deux mois après le génocide, soutient également cette hypothèse. Mais sur le plan judiciaire, l’enquête va prendre la direction opposée.


Le juge Jean-Louis Bruguière privilégie la théorie d’un attentat commis par un bataillon du FPR sur la colline de Masaka. Le magistrat ne se rend pas au « pays des mille collines » et ne recueille aucun élément matériel. Pour instruire cette enquête menée à charge, il se fie à Paul Barril, ancien gendarme de l’Elysée devenu mercenaire. Il choisit comme traducteur Fabien Singaye, le gendre de Félicien Kabuga. Recherché par la justice internationale pour sept chefs d’inculpation (dont cinq pour génocide), ce dernier a été arrêté le 16 mai en région parisienne après une cavale de vingt-six ans.

En 2006, Jean-Louis Bruguière délivre des mandats d’arrêt pour « assassinat en relation avec une entreprise terroriste » contre des proches de Paul Kagame. Mais quelques mois plus tard, deux témoins importants se rétractent. L’un d’eux va même jusqu’à affirmer qu’il n’a pas vu les tirs contre l’avion présidentiel, contrairement à ce qu’il avait prétendu. Il n’empêche que sur le terrain diplomatique, les relations entre la France et le Rwanda sont rompues.

« Le constat d’un échec patent »



L’élection de Nicolas Sarkozy, qui se rend aux commémorations du génocide à Kigali en avril 2010 sous l’impulsion de Bernard Kouchner, va relancer l’enquête. Les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux, qui succèdent à Jean-Louis Bruguière, mènent des investigations à Kigali en compagnie de plusieurs experts et spécialistes en balistique, aéronautique, explosifs, acoustique… « Nous sommes allés au Rwanda pour prendre connaissance de la géographie des lieux, des spécificités du relief, de l’aéroport, de la piste d’atterrissage, de la trajectoire d’approche des avions, mais aussi pour examiner les débris restants de l’épave et en tirer des enseignements », écrivent les juges en conclusion de leur rapport.

Leurs investigations permettent de localiser la position exacte de l’avion présidentiel au moment de l’impact du missile (un seul des deux projectiles a atteint sa cible), mais aussi de réaliser des relevés topographiques. Selon leur rapport de 338 pages, le missile a percuté le réservoir gauche de l’avion alors qu’il était à une altitude de 1 646 mètres, avec une marge d’erreur de 40 mètres. « Le faisceau de points de cohérence nous permet de privilégier comme zone de tir la plus probable le site de Kanombe », concluent-ils.

En 1994 étaient logés dans ce camp militaire des coopérants français et belges, des unités d’élite des FAR, un détachement de la garde présidentielle… « C’est un endroit où il était pratiquement impossible à un commando du FPR de pénétrer, ce qui conduit à attribuer l’assassinat du président Habyarimana aux officiers hutu extrémistes, dont le camp de Kanombe était le fief », affirment François Graner et Raphaël Doridant dans L’Etat français et le génocide des Tutsis au Rwanda (éd. Agone, 2020).

Mais qui a appuyé sur la détente pour propulser les missiles SA-16 contre l’avion de Juvénal Habyarimana ? Le capitaine Paul Barril, dont le rôle au Rwanda reste très opaque, a été soupçonné, mais il a toujours nié les faits. « Des équipes avec le niveau d’entraînement nécessaire pour effectuer un tir double la nuit étaient disponibles en Europe de l’Est à cette époque », a assuré au Monde Guillaume Ancel, ancien lieutenant-colonel et auteur de Rwanda, la fin du silence (éd. Les Belles Lettres, 2018) : « Après la chute du mur de Berlin, de telles unités pouvaient être recrutées assez facilement dans l’ancien bloc soviétique. »

Les commanditaires et les exécutants de l’assassinat du président, déclencheur du dernier génocide du XXe siècle, sont-ils toujours vivants ? « L’arrêt qui vient d’être rendu est le constat d’un échec patent de la justice française, qui, après vingt ans d’instruction, est incapable de le dire », a déploré Emmanuel Bidanda, avocat de la famille de Jean-Marie Perrine, un des membres de l’équipage du Falcon présidentiel.

Pierre Lepidi

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024