Fiche du document numéro 2673

Num
2673
Date
Mardi 9 septembre 1997
Amj
Taille
26374
Titre
L'argent, nerf des réseaux français. Pourquoi Paris a soutenu le régime Mobutu jusqu'au bout
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Jusqu'au dernier moment d'un règne dictatorial de trente-deux ans,
Paris a soutenu Mobutu. Pourquoi, à l'instar des « parrains » belges et
américains du maréchal-président, la France ne l'a-t-elle pas lâché,
lorsqu'il devint évident qu'il allait être balayé par le mouvement
rebelle de Laurent-Désiré Kabila? Parce que les « réseaux Foccart » et,
notamment, leur cheville ouvrière sur le tard, Me Robert Bourgi,
avaient intérêt à le maintenir au pouvoir. Voici un extrait du
livre-enquête d'Antoine Glaser et de Stephen Smith qui paraîtra, le 20
septembre chez Calmann-Lévy, sous le titre Ces Messieurs Afrique. Des
réseaux aux lobbies.

Autre chef d'Etat en perte de vitesse, dont l'éjection finale coûtera
politiquement aussi chère à la France qu'elle aura, en attendant,
rapporté gros à ses missi dominici qui la retardent par tous les
moyens: le maréchal Mobutu Sese Seko du Zaïre. Au début, l'avocat
Bourgi aide surtout les enfants à Paris du maréchal-président, sa
fille Ngawali et son fils Nzanga, à assurer depuis Paris l'intendance
du « grand léopard » paternel. C'est dans la bonne tradition
foccartienne. En 1970, à la suite du voyage au Zaïre de Jacques
Foccart ayant amorcé le lévirat colonial français dans l'ex-colonie
belge, Mobutu avait inscrit deux de ses filles dans un pensionnat à
Reims. Pour créer un climat de confiance, rien ne vaut un gage
familial. Aussi, en 1992, alors que son mari reste « tricard » selon
l'expression de l'avocat-conseil, Robert Bourgi facilite la venue dans
la capitale française de « Mama la présidente ». Bobi Ladawa en profite
pour aller déjeuner chez Lasserre, l'une des deux cantines à Paris du
maréchal. Le vieux René Lasserre offre une bouteille de Dom Perignon à
Madame, avec un petit mot d'amical souvenir pour Monsieur. Mais le
Zaïre est encore un grand pays, du moins pour ceux qui en sortent et,
aussi, pour les « amis » à l'étranger chargés d'évaluer son
déclin. Pendant que Robert Bourgi se rend indispensable à la famille
présidentielle, Michel Aurillac et Pierre Moussa vérifient les
finances du pays en procédant à un audit de la Banque du Zaïre
(1). Ils ont obtenu un contrat de 1,4 million de francs pour éplucher
les comptes de l'institut d'émission.

Dès l'été 1993, le duo Foccart-Bourgi a persuadé les conseillers
Afrique de François Mitterrand, Bruno Delaye et Dominique Pin, que la
France avait une carte à jouer au Zaïre avec Mobutu qui, à les
entendre, n'aspirait plus qu'à se retirer. C'est à cette époque,
aussi, que Paris a appris la « maladie incurable » du
maréchal-président, atteint d'un cancer de la prostate depuis
1989. Des rencontres secrètes ont alors eu lieu à Bruxelles entre des
émissaires français et le Premier ministre pressenti, Léon Kengo Wa
Dondo. La France a garanti au maréchal que, s'il acceptait Kengo et ne
s'occupait plus des finances, le Premier ministre ne toucherait ni à
sa famille, ni à ses biens et, au contraire, lui assurerait une « liste
civile » royale (2). Les intermédiaires poussaient le soin jusqu'à
mettre en place un circuit financier entre le Premier ministre et le
président zaïrois, dont ils n'étaient pas absents. En contrepartie,
avec l'accord de François Mitterrand qui acceptait de le recevoir le
16 octobre 1993 à l'île Maurice, en marge du sommet francophone,
Mobutu s'est offert un premier retour en scène, quoique toujours
indésirable en Occident. Sa réhabilitation s'est heurtée à de vives
résistances. En France, celles-ci se sont cristallisées autour du
« visa humanitaire » que cherchait à obtenir Madame Mobutu, dont l'un
des fils, Bangembo Nyiwa, était alors soigné dans le service du
professeur Crickx à l'hôpital Bichat. En fait, atteint du sida, il s'y
mourait lentement. Tous les relais du maréchal à Paris ont rivalisé
d'interventions pour permettre à Bobi Ladawa de se rendre à son
chevet: Charles Pasqua et son « représentant » à Kinshasa, Me Jean-Paul
Lanfranchi, Valéry Giscard d'Estaing et son homme auprès de Mobutu,
Hubert Lassier, qui disparaîtra le 18 décembre 1995 au Niger dans un
accident d'avion aux côtés du leader touareg Mano Dayak, et, bien sûr,
Jacques Foccart et Robert Bourgi, qui finissent par régler le
problème. Cette mobilisation des amis du maréchal serait émouvante, si
le gestionnaire du « patrimoine liquide » à la cour du président
zaïrois, à l'époque le Français Albert-Henri Buisine, chef de la
« maison civile » avec rang de ministre, n'assurait pas que 400 000
dollars (plus de deux millions de francs) ont été distribués afin de
« débloquer » le visa humanitaire pour la France.


L'argent a également joué un rôle non négligeable dans l'éphémère
résurrection de Mobutu qui, sur fond de génocide au Rwanda et de la
« crise des réfugiés » subséquente, est redevenu fréquentable comme « ami
de l'Occident ». Cet objectif, qui a été atteint, aura été celui d'un
trio de choc belgo-franco-américain (3). La réhabilitation du
maréchal-président zaïrois n'a donc pas été, exclusivement, une oeuvre
française. Cependant, malgré l'étonnant mélange des genres du côté
américain, il est révélateur que les promoteurs belges et américains
de Mobutu ont travaillé dans les couloirs, encaissé l'argent, exercé
leur influence mais ne sont pas parvenus à « faire » la politique de
Bruxelles ou de Washington. C'est toute la différence entre réseau et
lobby. Dès lors que la diplomatie américaine, puis la diplomatie belge
ont estimé qu'il n'était plus dans leur intérêt de soutenir Mobutu et,
au contraire, qu'il fallait s'en défaire urgemment, elles ont laissé
tomber leur ancien allié, et le groupe de pression en sa faveur n'y a
rien changé. Mais, à l'Elysée, prenant d'une main l'argent de Mobutu
et faisant de l'autre la politique de la France, le réseau Foccart a
assuré un soutien officiel jusqu'au-boutiste au maréchal-président. Ce
dernier est, toujours, « l'ami de la France » lorsque, depuis plusieurs
mois déjà, il n'est plus « l'ami de l'Occident ». Seulement coparrain de
Mobutu et, au Zaïre, plutôt « petit Satan » par rapport aux Belges et
Américains, Paris payera les pots cassés pour tout le monde.


(1)Respectivement l'ex-ministre RPR de la Coopération et l'ancien
patron de Paribas.

(2) La « liste civile » est passée de 50 millions de dollars par mois en
1991 à 5 millions en 1994, l'incitant à piller des comptes bancaires
zaïrois à l'étranger, et à injecter de la fausse monnaie dans son
pays...

(3) Il s'agit de Me Robert Bourgi, de l'ancien vice-secrétaire d'Etat
américain chargé de l'Afrique, Herman Cohen, et de Max-Olivier Cahen,
lobbyiste et fils d'un ambassadeur belge longtemps très proche de
Mobutu. Ce trio a signé en mars 1994 un contrat de « communication
politique » avec Mobutu portant sur 600 000 dollars.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024