Fiche du document numéro 2667

Num
2667
Date
Jeudi 21 mars 1996
Amj
Taille
31469
Titre
Au Rwanda, la disgrâce du « Hutu de service » du FPR
Sous titre
En exil, Seth Sendashonga a échappé à un attentat.
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Il a appris aux combattants tutsis de la diaspora à quoi ressemblait,
réellement, le pays d'où furent chassés leurs parents. Il a rédigé le
programme politique du Front patriotique rwandais (FPR), qui a pris le
pouvoir à Kigali en juillet 1994, au lendemain du génocide. C'est
alors que le porteur de valise et agent de liaison avec l'opposition
interne à l'ancien régime est entré comme ministre de l'Intérieur au
nouveau gouvernement d'union nationale. Un an plus tard, en août 1995,
Seth Sendashonga a été limogé et frappé d'ostracisme par ses camarades
du FPR. Exilé au Kenya, sur le point de rassembler un parti
d'opposition, il vient d'échapper à un attentat commandité par le
nouveau régime. L'épaule traversée d'une balle, il s'avoue n'avoir été
qu'un « Hutu de service » pour le FPR ou, comme disait Lénine de l'allié
libéral, un « idiot utile ».

C'est en 1991 que Seth Sendashonga adhère au FPR, alors une guérilla
laminée, quelques centaines d'hommes grelottant à plus de 4.000 mètres
d'altitude, dans les volcans de la Virunga. Ancien leader estudiantin,
expulsé de l'université nationale sur ordre du général-président
Habyarimana, qui ne pouvait admettre qu'un blanc-bec remît en question
sa « politique d'équilibre ethnique et régionale », Seth Sendashonga
avait quitté le pays pour achever ses études en Belgique. Economiste
diplômé, il s'était ­ déjà ­ installé comme réfugié politique à
Nairobi, travaillant notamment pour un organisme spécialisé des
Nations unies. Fonctionnaire international, il était revenu dans son
pays natal tout en restant installé au Kenya: pour voir sa famille,
mais, aussi, pour aider à structurer l'opposition intérieure.

Au début des années 80, la contestation au Rwanda n'était que
balbutiante. Mais, au lendemain du sommet franco-africain de La Baule,
en juin 1990, François Mitterrand ayant exhorté à la démocratisation
du continent, l'opposition rwandaise se jette à l'eau. Le 1er
septembre 1990, elle publie un appel en faveur du multipartisme,
« l'appel des 33 intellectuels ». Sendashonga est l'un d'eux et, un mois
avant l'attaque lancée depuis l'Ouganda par le FPR, il demande qu'on
pose, aussi, le problème des « réfugiés », de ces centaines de milliers
de Tutsis chassés du pays depuis trente ans. En vain.

Survient la guerre, déclenchée par le FPR. L'opposition à l'intérieur
du Rwanda se retrouve entre le marteau et l'enclume: en s'alliant à la
guérilla, elle affaiblit le régime, mais au risque de préparer la
prise de pouvoir par les armes du FPR. Dans cette phase délicate, Seth
Sendashonga joue un rôle crucial. A la suite de plusieurs voyages en
Ouganda, le sanctuaire du FPR, il a rejoint le mouvement rebelle,
celui-ci ayant accepté qu'il réécrive le préambule historique de son
programme, qui décrivait l'ancien Rwanda, celui d'avant la révolution
hutue de 1959, « comme un paradis où coulaient lait et miel ». Fils de
l'exil, les leaders du FPR ne connaissaient pas le pays tel qu'il
était trente ans après le départ de leurs parents.

Hutu au FPR, le seul à ne pas être un transfuge de l'ancien régime,
Seth Sendashonga a été le passeur entre deux mondes: entre le maquis
des Tutsis de la seconde génération et, à l'intérieur du Rwanda, les
états-majors de l'opposition. C'est lui qui, dans sa valise de
fonctionnaire international, sort du pays le document compromettant
qui identifie le colonel Cholet, un coopérant militaire français,
comme le véritable chef opérationnel de l'armée de l'ancien
régime. C'est encore lui qui, en février 1993, convainc l'opposition
intérieure que la rupture du cessez-le-feu par le FPR n'est pas le
prélude d'une guerre à outrance. Une mission difficile: Seth
Sendashonga n'a lui-même appris qu'à la radio, après coup, l'offensive
du FPR.

Un doute s'installe. Mais il faudra longtemps pour qu'il vienne à bout
d'une fidélité née du rejet de l'ancien régime. D'autant que celui-ci
sombre dans le troisième génocide du siècle, artisanal par ses moyens,
mais effroyable par la vitesse de son oeuvre d'extermination. Délégué
du FPR dans la capitale, Seth Sendashonga est sur place lorsque débute
le massacre des Tutsis à Kigali, le matin du 7 avril. Dans
l'après-midi, le bataillon du FPR cantonné dans l'enceinte du
Parlement (en vertu des accords de paix d'Arusha) sort de son
périmètre assigné. A l'ombre des tueries, la guerre reprend. « Je me
suis vite rendu compte que, de notre côté aussi, on exécutait
délibérément des civils. Quant à la fameuse discipline, il était
difficile d'y croire en voyant les combattants rentrer le soir chargés
comme des mules
 ».

La suite n'est qu'épuisement et impuissance. Evacué avec quelque 3.000
personnes de la capitale le 25 avril 1994, Seth Sendashonga constate
les premières « disparitions » de Hutus opposants. A Byumba, le QG de
guerre du FPR, il implore le général Kagame de « ne pas compromettre
l'avenir en arrêtant nos alliés de demain
 ». Mais, aux assurances
données, succèdent de nouvelles exactions. Après la formation du
gouvernement d'union nationale, le nouveau ministre de l'Intérieur ne
cesse de s'en plaindre et finit par envoyer au général Kagame,
ministre de la Défense et vice-président, des lettres contenant des
faits précis: plus de sept cents en moins d'un an... L'homme fort du
FPR ne répond à aucune d'elles. Le 25 août 1995, lors d'un Conseil des
ministres, Seth Sendashonga provoque l'éclatement: les principaux
ministres hutus quittent le gouvernement. Fouillé pendant six heures à
domicile, l'ancien ministre de l'Intérieur ne reste à Kigali que
pendant six semaines.

L'exil sera peuplé des revanchards de l'ancien régime: dans un
supermarché de Nairobi, le « traître » Sendashonga se retrouve nez à nez
avec le colonel Serubuga, ancien chef d'état-major, alors qu'à l'école
française de la capitale kenyane sa fille aînée fréquente ­ jusque fin
1995 ­ la même classe qu'une fille de l'ex-président
Habyarimana. Puis, le soir du 26 février, viennent les hommes de main
du FPR. Sur les lieux de l'attentat, un membre de l'ambassade
rwandaise est arrêté, pistolet, silencieux et treize cartouches à la
main. Quarante-huit heures plus tard, à Bruxelles, Seth Sendashonga et
d'autres figures de l'opposition, dont l'ancien Premier ministre
Faustin Twagiramungu, devaient fonder un nouveau parti, les Forces
politiques unies (FPU), qui sera finalement lancé ces jours-ci. Son
programme se résume en un double engagement: pas d'ambiguïté sur le
génocide, pas de complaisance à l'égard du nouveau régime.

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