Fiche du document numéro 26617

Num
26617
Date
Mercredi 3 juin 2020
Amj
Taille
109634
Titre
Accusé d'incitation au génocide, le Rwandais Félicien Kabuga ne sera pas jugé en France
Nom cité
Nom cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
La Cour d'appel de Paris a décidé mercredi de transférer l'ex-homme
d'affaires à la justice internationale qui le réclame depuis 1997. Mais
l'épilogue de cette longue cavale devra attendre encore le pourvoi en
cassation annoncé par la défense.

Il n’y a eu ni effusion ni cris de joie. Ni, non plus, de protestations de
la part de ses proches, nombreux dans la salle d’audience, lorsque la Cour
d’appel de Paris ce mercredi a prononcé sa décision : Félicien Kabuga sera
transféré à la justice internationale, et ne sera pas jugé en France comme il le souhaitait. La décision lue par la présidente du tribunal, Michelle
Belin, marque pourtant un moment historique. La fin d’une longue cavale et
une victoire pour la justice internationale qui le traquait depuis tant
d’années.

Arrêté le 16 mai en banlieue parisienne,
celui qui fut le fugitif le plus recherché de la planète est, depuis 1997,
sous le coup d’un mandat d’arrêt, plusieurs fois amendé, émis par le
Tribunal international pour le Rwanda (TPIR), chargé de juger les
principaux responsables du génocide des Tutsis, qui s’est déroulé dans ce
petit pays de l’Afrique des Grands Lacs en 1994.

Désormais âgé de 85 ans selon la justice, ou 87 selon ce qu’il affirme
aujourd’hui, Félicien Kabuga est considéré l’un des derniers «gros
poissons» que souhaite juger ce tribunal qui a fermé ses portes en
décembre 2015. Mais une institution a été créée, le Mécanisme des tribunaux
pénaux internationaux,
communément appelé « le Mécanisme », afin de gérer les dossiers encore
ouverts pour ces crimes contre l’humanité, par définitions imprescriptibles
(c’est également le cas pour l’ex-Yougoslavie).

Son siège se trouve toujours à Arusha, en Tanzanie, où était basé le TPIR,
même s’il dispose également d’une division à La Haye, aux Pays-Bas. Lors
d’une précédente audience, le 27 mai, les avocats de Kabuga avaient fait
valoir que la santé fragile de leur client ne lui permettrait pas d’être
jugé dans la petite ville tanzanienne au pied du Kilimandjaro.

Légalité et ADN



L’argument a été balayé par la présidente du tribunal ce mercredi qui a
considéré que l’état de santé du prévenu « n’était pas incompatible avec sa
détention ou son transfert
 ». De la même façon, Michelle Belin a retoqué,
une par une, toutes les objections présentées par la défense, depuis les
questions de constitutionnalité jusqu’à la légalité de l’ADN prélevé lors
de son arrestation à Asnières-sur-Seine, alors qu’il avait lui même d’abord
prétendu être Antoine Tounga, citoyen congolais. Au fond l’argumentaire de
la Cour d’appel pourrait se résumer à cette formule énoncée par Michelle
Belin : « L’acceptation par la France de la compétence du Mécanisme et la
confiance accordée à cette autorité requérante.
 » Fermez le ban.

Le déroulé de la lecture de la décision a été parfois interrompu par les
raclements bruyants de gorge du prévenu, suivis d’expulsions dans un
mouchoir. Comme lors de la précédente audience du 27 mai. Kabuga est un
vieil homme. Il se tient face à la Cour dans une chaise roulante, choyé par
les regards et les encouragements de ses nombreux enfants et petits-enfants
à sa droite. Lui ne montre aucune émotion derrière son masque porté, comme
par toute l’assistance, pour cause de Covid-19. Il l’enlève cependant au
moment de signer le document de la décision de la Cour, laissant apercevoir
un visage renfrogné.

Apprenant qu’on le transfère à la justice internationale, il demande
juste : « Pour
où ?
 » La question mérite d’être posée. Serge Brammertz, le procureur du
Mécanisme, avait assuré qu’il serait d’abord envoyé à La Haye, en raison de
la pandémie du Covid-19 qui limite les liaisons aériennes, notamment avec
la Tanzanie.

Mais depuis l’audience du 27 mai, William Sekule, juge de permanence
siégeant à Arusha, a rejeté cette requête du procureur. Il a rappelé que
seul un juge peut modifier le mandat (qui exige a priori d’envoyer Kabuga
non à La Haye mais directement à Arusha) et estimé que « compte tenu de la
durée de la procédure en France
 », il n’est pas certain que l’argument de
la pandémie soit encore valable. Il est vrai que le départ de Kabuga n’est
pas pour demain.

Lenteurs



Ses avocats vont se pourvoir en cassation, ils ont dix jours pour le faire.
Une nouvelle audience aura donc lieu dans un délai de deux mois. La justice
est souvent une machine lente : Pétain a été jugé à 89 ans, Papon à 88 ans,
et certains gardiens de camps de concentration nazis étaient déjà
nonagénaires lorsqu’ils ont dû affronter leurs juges.

Que peut-il donc se passer pendant ces deux mois, entre la décision de la
Cour d’appel et le renvoi en cassation ? Depuis la précédente audience,
maître Laurent Bayon, l’avocat de Kabuga, a écrit au procureur du
Mécanisme. Il lui a demandé de se dessaisir du dossier au profit de la
France, prétextant que c’est la justice française qui instruit
l’implication de la banque BNP Paribas dans des ventes d’armes au régime
génocidaire rwandais, alors que cette même banque a gelé les avoirs de son
client. La requête a peu de chance d’aboutir.

Pétition



Depuis une semaine, la famille nombreuse de Kabuga (il a eu 11 enfants), a
également lancé une pétition en ligne pour clamer son innocence et exiger
un procès en France. « Félicien Kabuga est une bombe qui veut faire éclater
la vérité
 », peut-on lire dans ce plaidoyer qu’on trouve sur un site
célèbre, entre la pétition « Justice pour Georges Floyd » et une autre
pour « sauver l’hôpital public ».

En guise de « bombe », une vidéo circulait dernièrement sur les réseaux
sociaux : on y voit Kabuga lors d’une réunion au Rwanda, en 1993 ou 1994,
prendre la défense de la radio des Mille Collines, dont il était l’un des
fondateurs. Une radio considérée comme le principal instrument de
propagande raciste, avant comme pendant le génocide. A l’époque, Félicien
Kabuga, souvent désigné comme « le financier » de cette solution finale, avait l’air bien plus en forme.

Quelque temps plus tard, les routes et les collines de son pays natal
seront couvertes de cadavres. Près d’un million de morts en seulement trois
mois. Kabuga a attendu la fin des massacres pour prendre la fuite. Elle
s’est achevée vingt-six ans plus tard, un matin de mai à Asnières-sur-Seine.

Maria Malagardis

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024