Fiche du document numéro 2661

Num
2661
Date
Jeudi 9 mars 1995
Amj
Taille
166173
Titre
Paul Barril : l'ex-supergendarme piégé par les services secrets
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Ancien numéro deux du GIGN et de la cellule élyséenne, Paul Barril
était déjà soupçonné d'être à l'origine des révélations successives
qui alimentent depuis deux ans le dossier du juge d'instruction. Le
rapport d'écoutes réalisé par la DGSE, qui dort depuis juillet 1993
dans un coffre-fort de Matignon, lève bon nombre de doutes.

- Le juge parisien Jean-Paul Valat, qui instruit depuis deux ans
l'affaire des écoutes de la cellule antiterroriste de l'Elysée, pour
« atteinte à l'intimité de la vie privée, attentat à la liberté et à
la Constitution, et forfaiture
 », va peut-être bientôt voir son
dossier s'enrichir d'une pièce maîtresse. Un compte rendu d'écoutes
téléphoniques demandées par la DGSE, le service de renseignement
extérieur de l'armée, dont Libération publie aujourd'hui le
fac-similé, désigne le capitaine Paul Barril, ex-numéro deux du GIGN
(Groupement d'intervention de la Gendarmerie nationale) et membre de
la cellule antiterroriste de l'Elysée en 1982-83, comme l'auteur de
la fuite qui a déclenché toute l'affaire en mars 1993.

Une seconde livraison d'archives est arrivée il y a deux mois sur le
bureau du juge. Comme tombées du ciel, cinq disquettes informatiques
lui sont parvenues dans d'étranges circonstances. Le 12 janvier 1995,
une grande femme brune, les cheveux coupés au carré, la quarantaine
élégante et maquillée, se présente au gendarme de faction à l'entrée
de la galerie d'instruction du Palais de justice de Paris et remet une
enveloppe de papier kraft à l'attention du juge Valat, de la part de
« Me Berger ». Le magistrat instructeur se lance à la poursuite de la
messagère mais la Mata-Hari de service s'est déjà évaporée. Au dos du
pli figure le nom d'un avocat, « Me Berger », qui n'est inscrit à aucun
barreau de France. A l'intérieur, se trouvent cinq disquettes
informatiques avec la mention « back-up » (« sauvegarde », en anglais) sur
les étiquettes. Le juge Valat se demande qui, derrière la mystérieuse
dame brune, alimente ainsi par kilos son dossier sur les écoutes de
l'Elysée.

Le juge Valat n'ignore pas l'écoute de la DGSE. Déjà en mars 1993, à
l'origine de l'affaire, un correspondant anonyme a divulgué à la
presse un premier lot d'archives sur papier, révélant l'interception
par la cellule élyséenne des communications téléphoniques du
journaliste Edwy Plenel, en 1985 et 1986. Le juge Valat n'ignore pas
que l'auteur de cette première fuite a été formellement identifié par
une écoute de la DGSE. Il s'agit de Paul Barril.

Jusqu'à présent, la transcription des propos permettant d'identifier
l'ancien super-gendarme de l'Elysée comme auteur des fuites n'a jamais
été versée au dossier d'instruction. La pièce éloquente dort dans un
coffre-fort de Matignon depuis juillet 1993, avec le reste de
l'enquête administrative effectuée par Paul Bouchet, le président de
la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité
(CNCIS), relative à l'espionnage du journaliste du Monde Edwy
Plenel. Ce dossier de 40 pages est constitué d'auditions des membres
de la défunte cellule élyséenne et d'investigations du Groupement
interministériel de contrôle (GIC), l'organisme chargé de conduire,
avec l'aval de Matignon, des écoutes d'Etat. Si le rapport Bouchet
évoque un « bidouillage » des documents sur papier remis à la presse en
mars 1993, avec un faux tampon « source secrète », il conclut bel et
bien à la réalité des écoutes. Dans les annexes, Paul Bouchet a inséré
une écoute des communications de Paul Barril, effectuée au GIC par le
ministère de la Défense, juste avant la révélation du scandale des
écoutes élyséennes. Le Premier ministre et donc le président de la
CNCIS, Paul Bouchet, ont toujours refusé de communiquer ces pièces au
juge Valat, au nom du « secret défense ».

Libération s'est procuré la transcription de l'écoute classifiée, qui
démontre la manipulation du capitaine Barril. Le 25 février 1993 à
11h43, Paul Barril, affublé du nom de code « Rillon » par le GIC,
appelle la secrétaire de sa société de sécurité privée baptisée
Secrets: « Corinne, dites à Franck qu'il me remette le dossier sur
Plenel à l'entrée du Palais vers 13h15
 » Corinne répond: « D'accord. »
«Rillon» précise le but de la manoeuvre: « Qu'il me mette le dossier
confidentiel de Plenel, qu'on distribuera.
 » Une semaine plus tard,
l'affaire des écoutes élyséennes éclate dans les journaux. Le 4 mars
1993, Libération publie les conversations téléphoniques d'Edwy Plenel
vieilles de huit ans. Par la suite, d'autres écoutes « confidentielles »
de gens de la presse, du spectacle, de la politique et du barreau sont
distribuées au Point et au Nouvel Observateur.

Une lettre à Edouard Balladur. Une écoute de Pierre Novat, ex-avocat
reconverti dans le cinéma, en grande discussion avec Paul Barril pour
un film sur le GIGN, est habilement distillée aux médias, ce qui
permet au capitaine Barril de s'ériger en victime et de déposer
plainte pour atteinte à l'intimité de la vie privée (1). Furieux
d'avoir été piégé par la DGSE, Paul Barril, qui diffuse du « matériel
de détection d'écoutes
 » et utilise un téléphone portable inviolable,
s'insurge contre l'écoute du GIC ­ dont il nie le contenu ­ dans une
lettre à Edouard Balladur du 24 février 1995: « Je ne pense pas
personnellement être un terroriste, un trafiquant d'armes ou une des
personnes susceptibles d'être incriminées dans les catégories
strictement limitées par la loi
(du 10 juillet 1991, ndlr). » C'est
pourtant au nom d'un motif autorisé ­ « sécurité nationale de l'Etat » ­
que la DGSE surveille les lignes de Paul Barril, à cause de ses allées
et venues, et de ses activités à l'étranger, notamment au
Proche-Orient et en Afrique.

Faute d'avoir pu jusque-là récupérer l'écoute entre « Rillon » et sa
secrétaire Corinne Chaput, le juge Valat a cherché à confondre
l'auteur présumé des fuites. Or la parution dans National hebdo, le
journal du Front national, d'une note du 28 mars 1983 du commandant
Christian Prouteau, ex-patron de la cellule élyséenne, à son
subordonné le capitaine Barril, font porter ses soupçons sur le
destinataire. Le magistrat instructeur a interrogé Paul Barril sur la
provenance de la demande de renseignement où Gilles Ménage, alors
directeur adjoint du cabinet du président de la République, a écrit
« il faut que l'on s'occupe sérieusement de l'avocat Me Antoine Comte »
et Prouteau a ajouté «46?», pour signifier une écoute
administrative. Paul Barril prétend qu'il a possédé ce document
jusqu'à une perquisition chez lui en 1985, liée à l'affaire
Greenpeace. Le juge Valat a demandé le scellé de perquisition au
parquet de Créteil et l'a brisé - le 28 novembre 1994 - en présence de
Paul Barril, mais la note de Prouteau/Ménage est absente de
l'inventaire. Le capitaine Barril a sur procès-verbal déclaré « qu'une
enveloppe peut toujours être ouverte et refermée par le côté opposé à
celui où sont apposés les cachets de cire
 ».

La « trahison » de Pierre-Yves Gilleron.



Les doutes du juge Valat ont décuplé avec l'arrivage des
disquettes. Le soir même de la livraison, il a reçu un coup de fil
éclairant. Un interlocuteur anonyme - une voix masculine - voulait
savoir si les disquettes lui étaient bien parvenues. Ce même
interlocuteur précisait que l'écriture des mots « back up » sur les
étiquettes était celle « du p'tit blond ». Or le « p'tit blond » ­ ou
encore « PYVES » sur les relevés d'écoutes ­ désigne Pierre-Yves
Gilleron, l'ennemi juré de Paul Barril.

Après cinq ans de service à la cellule élyséenne, le commissaire
Gilleron de la DST s'est associé en octobre 1987 avec le capitaine
dans l'entreprise Secrets, avant de s'en séparer un an plus tard en
mauvais termes, « à cause de divergences essentielles sur la manière de
travailler
 ». « Popaul » n'a jamais encaissé la « trahison » du « p'tit
blond
 » qui, de surcroît, s'est mis à chasser sur les mêmes
terres. Pierre-Yves Gilleron a d'abord monté, en janvier 1990, une
société concurrente, Iris Analyse (« conseils et audits en veille
technologique
 ») à Paris, avant de décrocher en janvier 1993 le contrat
de sécurité de la présidence de la République du Congo.

Interrogé le 13 février dernier par le juge Valat au sujet des
disquettes, Pierre-Yves Gilleron reconnaît tout à fait son écriture
sur les étiquettes mais réfute tout lien avec ses « activités à la
cellule
 »: « Ces disquettes sont les back up ou sauvegardes des travaux
réalisés lorsque j'ai travaillé à la société Secrets avec Paul
Barril.
 » Pour l'ex-associé du capitaine Barril, il s'agit des
« contrats » de Secrets, des « courriers » et des « résumés de coupures de
presse relatives aux activités de Paul Barril sur
l'Afrique
 ». « Attendons de voir ce que ces disquettes contiennent à
l'heure actuelle
 », ajoute Gilleron. Ce dernier soupçonne Barril d'être
à l'origine de leur divulgation, car depuis leur « divorce » à Secrets
en 1988, il le « poursuit de sa vindicte ».

Soupçonné de recel d'écoutes illégales. Pierre-Yves Gilleron a
aiguillé le juge sur deux pistes pour retrouver la Mata-Hari. Selon
l'ex-associé de Barril, la « description » de la dame brune qui a déposé
les disquettes peut correspondre à « Marie-Noëlle D., une détective
travaillant habituellement pour Paul Barril, à moins que ce ne soit sa
secrétaire Corinne Chaput
 ». Du coup, le capitaine Barril se retrouve
suspecté d'avoir recelé des écoutes illégales. Si l'écoute « secret
défense » concernant « Rillon », alias Barril, tombe dans le dossier
d'instruction, le juge Valat risque de le mettre en examen pour
« conservation de documents ou d'enregistrements obtenus au moyen de
procédés ayant porté atteinte à l'intimité de la vie privée
 ». Paul
Barril se trouve désormais dans la position inconfortable de
l'écouteur écouté...

- (1) Dans le dossier instruit par le juge Valat,
se sont constitués partie civile Edwy Plenel (journaliste au Monde) et
sa compagne Nicole Lapierre, Carole Bouquet (actrice), François
Froment-Meurice (conseiller d'Etat et l'un des dirigeants du CDS),
Joël Gali-Papa (conseiller de Charles Pasqua), Hervé Brusini
(journaliste), Antoine Comte (avocat) et Paul Barril (ancien gendarme
de la cellule élyséenne).

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024