Fiche du document numéro 26494

Num
26494
Date
Mardi Novembre 2011
Amj
Taille
105812
Titre
Comprendre le contexte stratégique, sans anachronisme [Hubert Védrine falsifie l'histoire]
Cote
2011/5 DOI : 10.3917/deba.167.0076
Source
Type
Article de revue
Langue
FR
Citation
le-debat.gallimard.fr

C

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Publié dans la revue Le Débat / Éditions Gallimard
2
pages 76 à 78

ISSN 0246-2346

Article disponible en ligne à l'adresse:

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://le-debat.gallimard.fr/articles/2011-5-comprendre-le-contexte-strategique-sans-anachronisme

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Pour citer cet article :

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Védrine Hubert ,
L, 2011/5 DOI : 10.3917/deba.167.0076

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Hubert Védrine

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Comprendre le contexte stratégique,
sans anachronisme

Je suis un peu étonné du contenu et du
ton des quelques paragraphes que consacrent
Stéphane Audoin-Rouzeau, Jean-Pierre Chrétien et Hélène Dumas à mon article sur le livre
de Pierre Péan, Carnages, paru dans Le Débat.
Mais cela me donne l’occasion de quelques
précisions. Après tout, si j’ai incité à la lecture
de ce livre, ce n’était pas pour revenir une fois
de plus sur les violentes controverses qui continuent d’entourer l’évocation du génocide rwandais de 1994 et de la politique française dans ce
pays, et encore moins pour me mêler à un débat
entre africanistes, n’ayant pas de compétences
particulières pour cela, mais pour dire mon
intérêt pour l’approche plus large de ces questions, géographiquement et historiquement, qui
est celle de Pierre Péan dans cet ouvrage.
Sur le génocide de 1994, les positions des
uns et des autres sont connues. Sur ce point,
l’article des trois auteurs précités n’apporte rien
de nouveau. En ce qui me concerne, ayant été

Hubert Védrine a été ministre des Affaires étrangères
dans le gouvernement dirigé par Lionel Jospin de 1997 à
2002. Il a récemment publié Le Temps des chimères, 20032009 (Fayard, 2009).

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secrétaire général de l’Élysée avant et pendant le
génocide de 1990 à 1994, au début donc du
second septennat de François Mitterrand et
pendant la cohabitation Mitterrand-Balladur à
partir de 1993, évidemment informé de ce que
nous faisions, sans avoir eu pour autant à
prendre personnellement de décision à ce sujet
mais en approuvant nos efforts, je suis bien placé
pour juger odieuses, fausses, et plus encore
absurdes les accusations lancées par certains
groupes depuis plus de quinze ans contre la
politique de la France. C’est trop facile de
rendre rétrospectivement la France responsable
d’une tragédie affreuse qu’elle a au contraire
cherché à prévenir, et de la traiter en bouc émissaire pour masquer le rôle des autres protagonistes, fpr et far! Rappelons que le président
Mitterrand avait jugé, dès le début, en 1990,
que les attaques lancées par le fpr  1 et Paul
1. Il y avait une coquille dans mon papier précédent où
était écrit à tort far au lieu de fpr, ce qui changeait le sens
de la phrase.

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Kagame depuis l’Ouganda, avec son soutien
militaire, pour reconquérir le pouvoir au Rwanda,
allaient fatalement entraîner une guerre civile car
les Hutu, très majoritaires au Rwanda (85 %),
ne se laisseraient pas déposséder sans violents
combats. Il avait décidé que la France devait
tout faire pour empêcher ce scénario terrible de
se réaliser, en menant deux actions complémentaires: 1) aider militairement le Rwanda à tenir
sa frontière avec l’Ouganda et 2) simultanément,
obliger, par de fortes pressions politiques et
diplo­­matiques, Hutu et Tutsi à partager le
pouvoir. Ce qu’il n’aurait pas fait s’il avait
«soutenu» le régime hutu. Il aura fallu trois ans
pour que cette insistance aboutisse aux accords
d’Arusha, Alain Juppé étant alors ministre. Mais
ce compromis fut obtenu contre le gré des Tutsi
de l’extérieur (fpr) qui voulaient bien plus, et
des Hutu extrémistes qui ne voulaient rien
lâcher. Cette signature, ce «succès», permit à la
France, puisque nous pensions avoir trouvé une
bonne solution et conjuré le pire, et à la Belgique,
de retirer l’essentiel de leurs troupes. Malheureusement, l’attentat contre l’avion des présidents du Rwanda et du Burundi en mai 1994
eut raison de cette espérance. On connaît la suite
dramatique qui en découla. Politique française
de prévention, honorable donc à mon sens, mais
un peu irréaliste, et qui a échoué tragiquement.
Elle aurait peut-être pu réussir si la France
n’avait pas présumé de ses forces et si elle avait
obtenu l’accord des États-Unis, dès 1990, pour
convaincre le président Museweni de ne pas
soutenir, ni armer, Kagame, et imposer en
même temps à froid un accord du type des
accords d’Arusha aux Hutu et aux Tutsi. On ne
le saura jamais.
Aujourd’hui, à la lumière de ce qu’ont dit les
juges espagnols sur la déstabilisation délibérée

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du Rwanda à partir de 1990 par le fpr de
Kagame pour se créer des prétextes à intervenir,
et de ce qui est écrit dans le rapport de l’onu sur
la responsabilité directe ou indirecte du Rwanda,
entre autres, dans les quelque quatre millions de
morts au Kivu après 1994 (venant à la suite du
rapport très sérieux de la mission Quilès et de
plusieurs autres), il devrait être enfin possible
de rendre justice à la France, à tout le moins de
décrire honnêtement sa politique, et en tout cas
de cesser de l’attaquer et de la juger a priori, ce
que même Paul Kagame ne demande plus,
comme on l’a vu lors de sa visite officielle à Paris
en septembre dernier. C’est mon souhait.
Mais je confirme surtout ici que ce qui
­ ’apparaît le plus intéressant dans l’ouvrage de
m
Pierre Péan, c’est l’éclairage apporté sur la politique des autres puissances dans cette partie de
l’Afrique: américaine, britannique, israélienne
et belge en particulier. En effet, la plupart des
ouvrages qui paraissent en France sont obnubilés par la seule dimension franco-africaine, en
général pour la stigmatiser, d’où une étroitesse
de vue, et des erreurs flagrantes d’interprétation.
Péan montre à quel point le Soudan est perçu
comme un problème, voire une menace pour
plusieurs de ces protagonistes. À vrai dire, si les
États-Unis et Israël n’avaient pas voulu disposer,
pour diverses raisons, d’une base arrière com­­
mode contre le Soudan, on ne comprendrait pas
bien leur intérêt pour l’Ouganda, leur soutien
au président Museweni, leur indulgence envers
lui (il fut baptisé «bon élève du fmi»), et encore
moins leur caution à l’aide qu’apportait celuici à Kagame dans sa reconquête du Rwanda,
quelles que dussent en être les conséquences,
alors que le Rwanda est sans importance stratégique réelle.
Mais nous sommes en 2011. Le paysage a

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beaucoup changé. Gênés par l’évolution – prévisible – du régime de Kagame, et par le rapport
de l’onu sur le Kivu, les Anglo-Saxons sont
aujour­­d’hui en train de prendre leurs distances
avec Kigali. Kagame, affaibli, change de ton
envers Paris et souhaite une coopération,
prenant ses soutiens français et belges à contrepied. Paris y voit la possibilité de promouvoir
son projet de conférence sur l’Afrique des

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Grands Lacs. Le Sud-Soudan est devenu indépendant, à la grande satisfaction des Occi­
dentaux, et Khartoum est sur la défensive. Il
est donc intéressant de se replonger dans le
contexte des années 1990, pour mieux com­­
prendre et analyser les évolutions actuelles dans
cette région.
Hubert Védrine.

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