Fiche du document numéro 25760

Num
25760
Date
Mardi 16 avril 2019
Amj
Taille
0
Surtitre
 
Titre
Colloque de l'AFPCU sur la compétence universelle et le génocide des Tutsi au Rwanda [15 sons]
Soustitre
En partenariat avec l'Ordre des avocats du Barreau de Paris.
Tres
 
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Extrait de
 
Commentaire
Some speakers at this colloquium support negationist theses.
Type
Enregistrement sonore
Langue
FR
Citation
9h40, le colloque débute par des mots d’accueil prononcés par Maître Elise LE GALL, Avocat au barreau de Paris et Présidente de l’AFPCU.

Maître LE GALL évoque ainsi le contexte de création de l’AFPCU (2015), composée de jeunes avocat(e)s trentenaires, ses missions et le choix de faire une première grande conférence portant sur « La compétence universelle et le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 ».

Me LE GALL, après avoir fait état du mécanisme de compétence universelle en France et en Europe, énonce les récentes révélations, qui font qu’aujourd’hui 25 ans après, la France semble avoir encore des leçons à tirer.

« Sur le plan juridique : les interrogations soulevées concernant le manque de moyens de la justice pour la conduite de procès de grande ampleur, l’égalité des armes entre les diverses parties aux procès, l’accompagnement des victimes, le suivi de ces procès par les citoyens français… A ce jour, la compétence universelle n’a été appliquée en France que dans le cadre du génocide rwandais, dans trois affaires : SIMBIKANGWA (2016), NGENZI & BARAHIRA (2018).

Sur le plan législatif : les questionnements autour de la loi portant adaptation du droit français au statut de Rome créant la Cour pénale internationale, l’existence de « verrous » dans la mise en œuvre et l’exercice de la compétence universelle, les insuffisances en termes de coopération avec les juridictions pénales internationales et la question des extraditions.

Et enfin sur le plan politique : les récentes révélations et les témoignages d’anciens officiers déployés au Rwanda dans le cadre de l’opération turquoise dite « humanitaire », concernant la possible responsabilité de la France dans des livraisons d’armes pendant le génocide des Tutsis au Rwanda, et l’annonce ce vendredi 5 avril, par le Président Macron d’une commission qui aura pour mandat d’analyser les archives afin de déterminer le rôle joué à l’époque par la France. ».

Rappelant que la mémoire doit perdurer, qu’il faut apprendre des manquements, des erreurs, Me LE GALL évoque que seul le dialogue est le terreau de toute construction de paix solide et partagée par tous à chacun, et que c’est dans cette optique que l’AFPCU a souhaité mettre en place une formation transversale réunissant sur une journée à la fois un panel judiciaire, un panel législatif et un panel diplomatique et qui soient composés de praticiens, d’experts qui étaient sur place au moment des faits, et/ou ont été des acteurs de premiers plans dans l’exercice de leurs métiers.

Enfin des mots de remerciements sont adressés à l’Ordre des avocats du Barreau de Paris qui a accueilli favorablement ce projet et proposé son partenariat. Des remerciements appuyés à Monsieur Le vice bâtonnier Ader, Madame le vice bâtonnier Attias, ainsi qu’à Madame Laurence Le tixerant pour son aide précieuse dans la mise en place de ce partenariat et de cette journée ainsi qu’à Madame Lara Baljak pour la création de la belle affiche du colloque et des supports de communication.

Sont également remerciés l’équipe de l’AFPCU qui a participé avec énergie solaire, fidélité, à la mise en œuvre de cette journée : Me Laureen Bokanda-Masson, Mesdames Fiana Gantheret, Rozenn Coïc, Cassandre Amah, Sarah Akis, Me Matthieu Bagard.

C’est ensuite au tour de Madame le Vice-Bâtonnier Maître Dominique ATTIAS de prendre la parole.

Cette dernière prononce un discours de nouveau fort en émotions. D’après Madame ATTIAS : « Le génocide est un crime causé à l’humanité tout entière et cela fonde le principe de compétence universelle ».

Madame le Vice-Bâtonnier introduit par ses propos les problématiques qui seront évoquées tout au long de ce colloque, à savoir la place des droits de la défense et de l’égalité des armes face à l’accusation, la question de l’aide juridictionnelle et des verrous de la loi portant adaptation de la loi française au Statut de Rome.

« Il existe de légitimes interrogations sur la responsabilité de l’Etat français. »

Place à la phase introductive de ce grand colloque, portant sur l’état des procès de compétence universelle en France, modérée par Madame Fiana GANTHERET, juriste au sein de la Cour Pénale Internationale.

Parmi les intervenants, nous retrouvons Julien SEROUSSI, agrégé de sciences sociales, ancien assistant Pôle « Génocide, crimes contre l’humanité et crimes et délits de guerre », du Tribunal de Grande Instance de Paris, Laureen BOKANDA-MASSON, Avocat au Barreau de Paris et Olivier LEURENT, Magistrat, directeur de l’ENM (Ecole Nationale de la Magistrature).

Monsieur Julien SEROUSSI, ouvre cette conférence en retraçant l’historique de la compétence universelle, de son origine à son introduction dans le droit positif français.

Selon lui, la France est très en retard dans la mise en place de la compétence universelle. En effet, d’après Monsieur SEROUSSI, l’affaire PINOCHET marque le premier exemple de l’utilisation de la compétence universelle, en Espagne en 1998. En France, « il a fallu attendre la loi du 9 août 2010 pour la poursuite de personnes étrangères pour des faits commis à l’étranger sur des étrangers ». En 2012, un Pôle « Génocide, crimes contre l’humanité et crimes et délits de guerre » est créé. Grâce à ce pôle spécialisé, le Code pénal a été modifié en intégrant la protection des témoins. Il est désormais possible en France de juger des crimes ayant été commis sur des territoires étrangers, par des étrangers sur des étrangers.

Monsieur SEROUSSI conclura son propos en évoquant notamment la frustration ressentie par les juges et les professionnels du droit travaillant sur ces dossiers. Une frustration féroce face à des procédures lentes et complexes, des procès chers et aléatoires, nécessitant dès lors le concours de toutes les parties.

Maître Laureen BOKANDA-MASSON relate quant à elle les procès de compétence universelle s’étant déroulés en France et ayant été suivis par l’AFPCU.

Pour le moment, seuls des cas sur le génocide rwandais ont pu être jugés en France, et ce grâce à l’entraide des autorités rwandaises.

Monsieur Olivier LEURENT intervient en dernier en sa qualité de magistrat et de directeur de l’ENM. Ce dernier est soumis au secret et à l’obligation de réserve du magistrat et ne peut donc témoigner de son expérience en tant que Président de Cour d’Assises.

Néanmoins, il rappelle la difficulté à examiner ce type de dossiers du fait de l’oralité des débats mais aussi du fait de la légitimité des actions menées au titre de la compétence universelle. Selon lui, « la coopération multilatérale [entre les Etats] est nécessaire » surtout au moment de l’enquête. Il soulèvera également la question de la composition des cours d'assises (jury populaire ou magistrats professionnels) au regard de la complexité des dossiers.

La fin de ces interventions est marquée par des débats portant notamment sur la question de la crédibilité des témoins, pouvant être subordonnés, comme cela a aussi pu être le cas devant les juridictions pénales internationales.

D’après Monsieur Julien SEROUSSI, les témoins restent nécessaires à la manifestation de la vérité malgré l’évolution de leurs récits.

Après une courte pause, place au VOLET JUDICIAIRE permettant à Maître Fabrice EPSTEIN (Avocat au Barreau de Paris, défense de Monsieur SIMBIKANGWA et Monsieur NGENZI en appel), Maître Françoise MATHE (Avocat au Barreau de Paris, défense de Monsieur NGENZI en première instance), Maître Safya AKORRI (Avocat de Survie et de la FIDH, ONG parties civiles) et Maître Vincent COURCELLE-LABROUSSE (Avocat au Barreau de Paris) de débattre sur la question de l’exercice de la profession d’Avocat devant les tribunaux appliquant le mécanisme de la compétence universelle.

Maître EPSTEIN et Maître MATHE se rejoignent dans leurs argumentations en soutenant que les droits de la défense sont mis à mal dans les procédures d’application de la compétence universelle.

Maître EPSTEIN déplore être « systématiquement traité de négationniste par les parties civiles ou le Parquet », chaque fois que la Défense tente de réfuter des preuves à charge. « Cela empêche un débat sein ».

Quant à Maître MATHE, elle affirme « notre procédure pénale n’est pas adaptée aux procès de compétence universelle ». D’après elle, en plus des problématiques liées à un déséquilibre du procès pénal, la difficulté fondamentale réside dans le fait de « juger si loin, si tard, des choses commises par des gens que l’on ne connait pas, par des gens qu’on ne comprend pas ».

Maître AKORRI livre son témoignage en sa qualité d’Avocat des ONG parties civiles lors de ces procès. Selon elle, « le déséquilibre au sein du procès existe évidemment, mais la question est encore plus forte dans les procès de terrorisme, ce n’est pas un particularisme du procès pour génocide ». Par ailleurs, et de façon percutante, Maître AKORRI revient sur les critiques adressées aux ONG : "Sans les ONG, les preuves ne seraient que testimoniales, les ONG ont réalisés un travail avant, pendant, et après le génocide pour réunir un certain nombre de preuves".

Enfin, Maître COURCELLE-LABROUSSE clôture le débat en livrant la liste des ingrédients qui selon lui mine l’exercice de la compétence universelle. « Comment démontrer que l’on est innocent dans un procès de compétence universelle en France ? »

L’après-midi reprend avec le VOLET JUDICIAIRE sur la compétence universelle et la question de l’amélioration de la loi portant adaptation du droit français au Statut de Rome.

Monsieur Jean-Pierre SUEUR, Sénateur du Loiret, débute en exposant les 4 verrous ne permettant pas une application effective de la compétence universelle. En 2013, Monsieur SUEUR a déposé une proposition de loi visant à supprimer ces 4 verrous à savoir :

Le monopole du Parquet,

La nécessité de la double-incrimination,

La nécessité pour la CPI de se dessaisir de sa compétence,

La question de la résidence habituelle en France.

Grâce à sa ténacité, il obtiendra l’adoption à l’unanimité de sa proposition de loi au Sénat d’un texte supprimant ces verrous à l’exception du monopole du Parquet. Toutefois, la proposition de loi ne fut par la suite jamais inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Cependant, selon Monsieur SUEUR, le combat n’est pas terminé, puisqu’il a pu par le dépôt d’un amendement dans le projet de réforme de la justice remettre la question à l’ordre du jour. Néanmoins, « il ne faut pas désespérer, il faut mener le combat d’idées ».

À ce jour le verrou de la nécessité pour la CPI de se dessaisir de sa compétence a sauté, ainsi que le principe de double incrimination mais seulement pour le génocide et non pour les crimes contre l’humanité. Un point sur lequel, il faut encore se battre, tonne le sénateur.

Pour Maître Simon FOREMAN, Avocat au Barreau de Paris et ancien Président de la CFCPI, au-delà des obstacles législatifs, il existe de nombreux obstacles à la compétence universelle eu égard aux extraditions.

« Ce qui est clair cependant, c’est l’obligation de coopération des États pour les crimes heurtant la conscience de l’humanité tout entière. »

Pour terminer cette conférence, Maître LE GALL modèrera le VOLET DIPLOMATIQUE, POLITIQUE et MILITAIRE.

Monsieur Bernard KOUCHNER, ancien Ministre des affaires étrangères, Monsieur Guillaume ANCEL, ancien officier de l’opération Turquoise, Monsieur Patrick DE SAINT-EXUPERY, journaliste et Monsieur Johan SWINNEN, ancien ambassadeur de Belgique au Rwanda en 1994 débâteront sur les interrogations autour de la responsabilité de l’Etat français lors de l’opération Turquoise et l’ouverture des archives au public.

Monsieur KOUCHNER commence en évoquant [sa] frustration de l’impossibilité de communiquer sur ce qu’il a vécu, il s’est tu pendant 4 ans, désarmé devant la surdité volontaire : « ce n’est pas vrai ».

Puis, il rappelle la violence du génocide au Rwanda, « il y avait une telle massivité, ce fut un génocide collectif des enfants de la même classe qui se finissaient à la machette ».

Il soulève les débats quant à la responsabilité de l’Etat français durant le génocide au Rwanda : « Je n’ai jamais dit que la France était co-responsable ou responsable du génocide lui-même, des assassinats massifs, j’ai dit que la France était responsable d’une énorme faute politique ».

Il reprend une anecdote : « J’ai eu un fameux coup de téléphone avec François Mitterrand, je lui disais que ce n’était pas les Américains qui poussaient les Tutsi, mais qu’on tuait tous les enfants. Réponse de Mitterrand : « Oh Kouchner, je vous connais, vous exagérez toujours ».

Il y avait selon lui « une cécité sur la réalité, un refus de voir la réalité de ce pays » et ce serait la raison pour laquelle l’armée française n’a rien pu faire.

Monsieur ANCEL prend alors la relève en développant sur le rôle de cette armée française au sein même du génocide avec l’opération Turquoise.

Monsieur ANCEL raconte méthodiquement comment une opération à visée militaire est devenue humanitaire, sous la pression médiatique. Pour lui, il y a eu deux opérations Turquoise. Il déplore l’hypocrisie de cette intervention puisque la « zone humanitaire sûre permet aux génocidaires de se replier sans crainte du FPR… ». De plus, il l’affirme avoir assisté à une livraison d’armes : « nous avons livré des armes à des génocidaires dans un camp de réfugiés sous embargo humanitaire ».

Celui-ci termine son propos en expliquant les raisons de son témoignage : « 1 - Question de démocratie (savoir quelles actions sont portées au nom de la France) 2 - Question de dignité d’officier. 3 - Question de décence (reconnaître la réalité pour honorer décemment la mémoire du million de victimes que nous aurions dû empêcher).

Le journaliste Monsieur DE SAINT-EXUPERY revient sur l’enquête en trois volets publié par le journal Le Monde en mars 2019, portant sur le financement du génocide rwandais, qu’il qualifie de caricatural. Selon lui, « le génocide était une organisation sophistiquée, réalisée au grand jour », et qui dès lors, ne peut être appréhendé par des raisonnements simplistes.

Enfin, Monsieur SWINNEN prend la parole et rapporte le contexte socio-politique en amont du génocide rwandais et estime que l’Europe a échoué dans la mise en œuvre des Accords d’Arusha de 1992-1993 et insiste sur la nécessité de nuance dans les débats portant sur le Rwanda avant et après 1994.

Ce volet suscitera de nombreuses questions par l’assemblée. Alors que le débat s’amplifie sur la notion de responsabilité et la question de l’assassinat du Président Habyarimana est au cœur des discussions.

Monsieur Dov JACOBS, professeur de droit et assistant-conseil auprès de la CPI (Cour Pénale Internationale), vient clôturer ce colloque riche en dialogues. Il commence son propos en faisant référence à la citation suivante « Mal nommé un objet, c’est ajouté au malheur de ce monde » (A. Camus)

En effet, Monsieur Dov Jacobs énonce que l’obligation de bien nommer un objet s’applique en premier lieu au génocide rwandais. Il est nécessaire de faire la lumière sur tous les acteurs. Selon lui, il faut accepter la complexité de l’environnement, des prises de décision, etc., comme ce fût le cas pour la Shoah.

Selon Dov Jacobs, Bien nommer, c’est aussi refuser que l’invocation du génocide mette un voile sur le régime actuel (influence sur les témoins), la réalité du génocide est une chose, son utilisation politique en est une autre.

Selon lui, il n’y a pas d’obstacles juridiques réels à la mise en œuvre de la CU par les Etats, seulement des obstacles politiques. Et d’ajouter que la vocation de la compétence universelle ne change rien à la question des immunités. Il précisera, par ailleurs, que les difficultés de l’exercice des droits de la défense dans le cadre des procès de CU français se retrouvent devant les TPI.

Enfin, concernant la JPI, Monsieur Dov Jacobs évoquera qu’ il n’y a d’échec de la JPI que parce que l’on vend la JPI comme un outil de réparation, ou une façon d’amener la paix sociale / la réconciliation. Selon lui, il faut arrêter de vendre du rêve : « On attend d’un procès international qu’il apporte la vérité. Mais ce n’est pas la fonction du procès pénal. Le procès pénal n’est pas adapté à l’exigence d’émergence d’une vérité historique. Un avocat n’est pas là pour dire que cela ne s’est pas passé, mais pour dire que le Procureur ne rapporte pas la preuve que cela s’est passé. Ce n’est pas du négationnisme ».

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