Fiche du document numéro 25668

Num
25668
Date
Lundi 16 décembre 2019
Amj
Auteur
Taille
24384
Titre
Le onzième « oubli » du haut-commissaire
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Dans sa seconde déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, Jean-Paul Delevoye avait reconnu avoir exercé 13 fonctions dans des organismes extérieurs, contre 3 initialement, rectifiant ainsi 10 « oublis ». Il avait pourtant omis de déclarer un 14e poste, celui de membre du conseil consultatif de la Fondation Brazzaville, présidée par une figure de la Françafrique.

Englué dans ses « oublis » à répétition, Jean-Paul Delevoye a donc finalement rendu les armes et démissionné de son poste ministériel, car sa position était devenue indéfendable et il constituait une menace pour le gouvernement tout entier. Sa position était même devenue encore plus indéfendable qu’on ne le pense parce qu’il n’avait pas encore tout dit de ses activités passées.

On pouvait certes penser qu’après avoir rectifié sa première déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), il avait alors tout dit des fonctions qu’il avait occupées au cours des cinq dernières années. Erreur ! Dans sa seconde déclaration à la HATVP, le haut-commissaire chargé des retraites a encore fait un « oubli ». Le onzième en quelques jours. Il n’a pas en effet mentionné qu’il a siégé jusqu’en 2017 comme membre du conseil consultatif de la Fondation Brazzaville.

Ces « oublis » étaient devenus si nombreux qu’on a fini par s’y perdre. Pour résumer, dans sa première déclaration à la HATVP, Jean-Paul Delevoye avait déclaré qu’il avait occupé seulement trois fonctions dans des organismes extérieurs, en qualité d’administrateurs. Dans la presse, pourtant, des révélations successives ont apporté la preuve que le haut-commissaire avait omis de nombreux autres postes. On a donc appris un premier « oubli », puis un deuxième, puis un troisième…

Sentant sans doute que la presse allait finir par tout découvrir, Jean-Paul Delevoye a pris les devants et samedi, dans le journal Le Monde, dans ce qui est apparu comme une opération vérité, il a admis avoir exercé 13 fonctions dans des organismes extérieurs, dont 11 dans lesquelles il est toujours en poste, en dépit de sa charge ministérielle, soit 10 « oublis » au total. Il a aussi réévalué les salaires qu’il a perçus. On a alors eu la confirmation que le haut-commissaire avait violé l’article 23 de la Constitution qui interdit à un ministre d’occuper dans le même temps un emploi rémunéré, public ou privé, puisque pendant près de trois mois, il a usé d’un tel cumul.

Mais enfin, on pouvait penser alors que l’avalanche de révélations était finie. D’autant que le premier ministre a alors apporté son soutien à Jean-Paul Delevoye, estimant que sa bonne foi était totale. Et en boucle, tous les ministres sont venus répéter la bonne parole sur tous les médias audiovisuels : circulez ! Vous savez désormais tout de l’affaire Delevoye !

Eh bien, non ! À cette liste interminable, il faut effectivement ajouter un onzième « oubli ». Jean-Paul Delevoye a en effet été membre du conseil consultatif de la Fondation Brazzaville jusqu’en 2017. Selon nos informations, il aurait occupé cette fonction au moins une année. Sa participation est signalée sur le site même de cette fondation. En effet, dans une revue de presse publiée sur ce site, on peut en particulier lire cet extrait, publié initialement par le Bulletin quotidien, le 31 août 2016 : « M. Jean-Paul Delevoye, ancien président du Conseil économique, social et environnemental, ancien ministre de la fonction publique, de la réforme de l’État et de l’aménagement du territoire, ancien Médiateur de la République, a rejoint le conseil consultatif de la Fondation Brazzaville. Cette fondation est une organisation à but non lucratif dédiée à la résolution des conflits, à la préservation de l’environnement et à la conservation de la nature. Basée à Londres, la fondation est dirigée par un conseil d’administration composé de MM. Jean-Yves Ollivier, [etc.] La Fondation Brazzaville travaille actuellement au développement d’un projet de coopération, notamment environnementale, entre les pays présents autour du bassin du Congo. »

En réalité, cette fondation est l’un des instruments de propagande du dictateur congolais Sassou-Nguesso. Le président de la fondation, Jean-Yves Ollivier, est l’un de ses proches, et l’une des figures les plus connues des réseaux de la Françafrique. Il a souvent joué un rôle d’intermédiaire occulte, aux côté de Michel Roussin, entre de nombreux dirigeants africains et Jacques Chirac. On retrouve d’ailleurs Michel Roussin, devenu depuis un proche collaborateur de Vincent Bolloré, au sein du conseil d’administration de la fondation, ainsi que Cecilia Attias, l’ex-épouse de Nicolas Sarkozy.

Qu’est-ce que Jean-Paul Delevoye est venu faire dans cette fondation ? Dans un article bien informé, publié le lendemain de l’élection présidentielle, le 7 mai 2017, le magazine Jeune Afrique détaillait les « connexions africaines » d’Emmanuel Macron et faisait un temps d’arrêt sur les différents « parrains » du chef de l’État. Parmi eux figurait Jean-Paul Delevoye, au sujet duquel le magazine écrivait : « L’ancien ministre de Jacques Chirac n’est pas seulement le tout-puissant sélectionneur des candidats d’En Marche! aux prochaines législatives. Depuis son passage à la tête du Conseil économique, social et environnemental, il sillonne l’Afrique. Il y a un an, il a rejoint la Fondation Brazzaville, dirigée entre autres par Jean-Yves Ollivier, un proche du président Sassou-Nguesso. »

Président de la commission d'investiture de la République En Marche pour les législatives de 2017, Jean-Paul Delevoye a-t-il apporté d'autres soutiens à Emmanuel Macron du fait de ces « connexions africaines » ? Le magazine n’en disait pas plus.

Joint par Mediapart, courant septembre, Jean-Pierre Delevoye assurait avoir rejoint la fondation pour ses activités « de médiation internationale », mais la mention dans la presse des liens étroits de Jean-Yves Olivier avec le président Sassou Nguesso l'avait conduit à rapidement démissionner, expliquait-il. « Je n'ai participé qu'à un dîner et à une réunion, a certifié M. Delevoye à Mediapart. J'ai été alerté sur les relations de la fondation avec le président du Congo, et j'ai pris mes distances n'ayant pas assez de certitudes sur l'éthique de la fondation, alors qu'elle est composée de membres extrêmement sérieux. Mon passage a été bref: le doute l'a emporté. »

C’est maintenant la HATVP qui va devoir examiner le bien fondé de toutes ces collaborations accumulées. Pourquoi ne l’a-t-elle pas fait avant ? Grave question, car l’autorité administrative savait déjà, bien avant toutes ces révélations, que Jean-Paul Delevoye avait notamment violé l’article 23 de la Constitution qui interdit à un ministre d’occuper dans le même temps une fonction rémunérée. Elle a donc tardé, sans que l’on en comprenne les raisons. Mais, mercredi, elle devrait se prononcer sur le dossier Delevoye et décider si elle en saisit la justice. On passerait alors de l’éthique au pénal…

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024