Fiche du document numéro 24951

Num
24951
Date
Mercredi 8 avril 1998
Amj
Auteur
Taille
115614
Titre
L'urgence d'une commission d'enquête
Sous titre
Spécialiste de la région des Grands Lacs, l'universitaire belge Filip Reytjens assure que les deux SAM 16 Gimlet ayant abattu l'avion d'Habyarimana le 6 avril 1994 provenaient de stocks de l'armée française. Ils auraient été saisis en février 1991 en Irak, puis acheminés en France.
Nom cité
Source
Type
Langue
FR
Citation
LA semaine de deuil organisée au Rwanda se conclut sur une nouvelle atrocité. Sept rescapés du génocide de 1994 ont été massacrés lors d'un raid mené par des interahamwe (miliciens de l'ancienne dictature) dans le centre du pays. Commune de Rutobwe, dans la préfecture de Gitarama. Au cours d'une « attaque » de nuit, comme cela est de règle pour éliminer ceux qui peuvent témoigner.

Armés de gourdins et de machettes, les ex-miliciens ont tué quatre femmes, deux hommes et un enfant en bas âge. Trois autres personnes ont été grièvement blessées lors de ce raid terroriste, qui s'est produit aux alentours de minuit. L'armée a lancé une vaste opération de recherche pour retrouver les auteurs du massacre, qui pourraient se cacher dans la forêt voisine de Nidza.

A Paris, la tension ne cesse de monter autour de la proposition de création d'une commission d'enquête parlementaire, déposée par Jean-Claude Lefort et les autres députés communistes, afin de faire la lumière sur les complicités françaises dont auraient bénéficié les organisateurs du génocide. Avant, pendant et même après.

Auditionné par la mission d'information parlementaire (aux pouvoirs mal définis et limitée aux seules questions militaires) constituée à l'initiative de Paul Quilès par la commission de la Défense de l'Assemblée, un universitaire belge citant des sources des renseignements militaires de trois pays a affirmé, mardi, que les deux missiles sol-air ayant abattu, le 6 avril 1994, l'avion du président rwandais provenaient de stocks de l'armée française. Cet attentat avait constitué le coup d'envoi des massacres.

Cet expert, Filip Reyjtens, répondait à une question du président de la mission, l'ancien ministre socialiste de la Défense Paul Quilès, qui lui demandait de préciser ses sources. Il a affirmé que son information, obtenue d'une source des renseignements militaires britanniques et publiée dans un livre sur le Rwanda sorti en 1996, lui avait été depuis confirmée par une source du service des renseignements militaires belges, le SGR, puis par une source des renseignements militaires américains.

« Ayant obtenu deux autres confirmations depuis 1996, je peux affirmer avec plus de fermeté que je ne l'ai fait au début de 1996 que les deux SAM 16 Gimlet (qui ont servi à commettre l'attentat) proviennent d'un lot saisi en février 1991 par l'armée française en Irak et acheminé en France », a-t-il dit.

« Deux sources tout à fait différentes des miennes semblent avoir confirmé cette information au journal le Figaro la semaine dernière. Dès lors, en principe, la France connaît ou peut connaître l'auteur ou les auteurs de l'attentat: en effet, on conçoit mal qu'on puisse prélever des missiles sol-air de stocks militaires sans que ce retrait ne laisse une trace », a observé M. Reyjtens. « Il est donc possible d'établir quand, comment, par qui ces missiles ont été acquis et de remonter ainsi la filière. »

De fait, il est possible de retrouver leurs traces dans les stocks d'armes saisis, lesquels font l'objet de recensements méthodiques. Encore faut-il pour cela accepter de s'en donner les moyens en créant une commission d'enquête dotée de pouvoirs contraignants. Ce que souligne de son côté Jean-Paul Gouteux, auteur du livre « Un génocide secret d'Etat » (Editions sociales): « J'ai évoqué à plusieurs reprises la nécessité d'une commission parlementaire en France pour enquêter sur ce drame et les compromissions françaises. Je crains que la mission d'information qui a été mise en place au Parlement n'ait d'autres fonctions que celle de noyer le poisson et d'éluder toute responsabilité française. La balle est finalement dans le camp de l'opinion publique française: c'est à elle de s'informer, de maintenir la pression et d'exiger que toute la lumière soit faite ».

La commission des Affaires étrangères de l'Assemblée doit faire connaître demain son avis sur la proposition d'une commission d'enquête. Après avoir entendu le rapport du député socialiste Pierre Brana sur la question.

JEAN CHATAIN.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024