Fiche du document numéro 24946

Num
24946
Date
Jeudi 11 avril 2019
Amj
Auteur
Taille
116067
Titre
Rwanda. Une mémoire élyséenne à éclipses
Source
Type
Langue
FR
Citation
Un document longtemps classé « secret-défense » contredit la thèse d’une large partie des autorités politiques et judiciaires françaises sur l’attentat du 6 avril 1994 contre le président rwandais Juvénal Habyarimana.

Le 7 avril 1994, le génocide commençait à se déchaîner à partir de la capitale rwandaise. Un million de martyrs en une centaine de jours. Vingt-cinq ans plus tard, de nombreuses questions demeurent sans réponse. En particulier, celles concernant le rôle joué par la France non seulement lors du génocide lui-même, mais auparavant, durant toute la période de la guerre civile (octobre 1990-août 1994). Dans cette matinée du 7 avril, les meurtres ciblés se multiplient : assassinat par la garde présidentielle des deux candidats d’opposition à la présidence de l’Assemblée de transition, du président de la Cour constitutionnelle, de la première ministre hutue du gouvernement de transition, Agathe Uwilingiyimana, les dix casques bleus belges affectés à sa protection livrés au lynchage… Des crimes politiques aussitôt noyés dans une folie de sang « ethnique », celle qui, en trois mois, fera un million de morts dans la population portant sur la carte d’identité la mention Tutsi. La veille en soirée, l’avion du président rwandais, Juvénal Habyarimana, avait été abattu par deux missiles à son arrivée sur Kigali, fournissant le signal des tueries. Milices racistes et garde présidentielle se tenaient visiblement prêtes depuis de longues semaines. Des tractations pour la formation d’un gouvernement intérimaire commencent simultanément, qui se déroulent dans les locaux de… l’ambassade de France au Rwanda ! Un souvenir que Paris déteste encore aujourd’hui se faire rappeler. Quatre présidents après Mitterrand, Paris juge toujours malséante toute curiosité concernant son rôle historique au Rwanda. Un motif, toujours le même, est avancé pour refuser d’y répondre : le secret-défense… En quoi celui-ci peut-il être opposé à une question concernant par exemple l’opération « Turquoise », théoriquement une opération humanitaire déclenchée en juin 1994 ? C’est comme ça et défense d’insister r! De même pour ce qui concerne d’autres documents tels ceux relatifs à l’attentat contre le Falcon présidentiel.

Comme la loi du silence risque à terme d’avoir des effets inverses à ceux désirés, il faut bien de temps à autre faire semblant d’accomplir un geste en levant le secret-défense sur une pincée de documents soigneusement sélectionnés. La déclassification demeure plus que partielle, mais permet un effet de posture sans véritablement permettre de faire la lumière sur le fond des problèmes. Pour limitée qu’elle soit, elle peut néanmoins avoir des effets cruels. Un exemple : le courrier adressé le 15 juin 1998 par le général Jean Rannou, chef d’état-major de l’armée de l’air, au général Mourgeon, chef de la cellule « Rwanda » au cabinet du ministre de la Défense ; déclassifié par décision n° 009560 du 9 octobre 2015 du ministre de la Défense. Une fiche datée du 22 septembre 1994, soit environ à peine deux mois après la fin du génocide, figure dans ce courrier et a pour titre : « Hypothèse du service sur les responsabilités de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana ».

« Le réseau Zéro, des radicaux hutus, originaires du Nord »



Le premier paragraphe est à citer intégralement : « Le 12 juillet 1994, le service avait déjà émis une hypothèse qui, deux mois plus tard, lui semble toujours la plus plausible. Cette hypothèse, appuyée sur les témoignages d’une personnalité hutue modérée, tendrait à désigner les colonels Bagosora, ancien directeur de cabinet du ministre de la Défense, et Serubuga, ancien chef d’état-major des Forces armées rwandaises, comme les principaux commanditaires de l’attentat du 6 avril 1994 ». Quelques lignes plus loin, il était souligné que « tous deux natifs de Karago, à l’instar du défunt président Habyarimana, ils se sont longtemps considérés comme les héritiers légitimes du régime ». Et que leur mise à la retraite en 1992 par Habyarimana « a été à l’origine d’un lourd ressentiment et d’un rapprochement remarqué auprès de Mme Agathe Habyarimana, veuve du président et considérée souvent comme l’un des principaux cerveaux de la tendance radicale de l’ancien régime ». Plus bas, cette définition du « réseau Zéro », regroupant des membres du clan de cette dernière : « Constitué de radicaux hutus, originaires du Nord, civils et militaires, (il) est soupçonné d’être au centre du complot qui a abouti à l’attentat du 6 avril 1994 et d’être responsable de la planification systématique des exactions. »

L’existence de tels documents gardés sous le coude n’empêcha pas dans les années suivantes des magistrats comme le juge Bruguière ou politiciens type l’ex-ministre Bernard Debré (1) de présenter comme évidente la culpabilité du dirigeant Front patriotique rwandais Paul Kagamé, maintenant président du Rwanda. Ce que d’aucuns continuent de répéter comme vérité d’évangile…

(1) Le Retour du Mwami, Bernard Debré, Ramsay, 1998. On jugera du sérieux de l’ancien ministre de la Coopération en ajoutant que dans un autre livre, la Véritable Histoire des génocides rwandais, p. 187 (Jean-Claude Gawsevitch éditeur, 2006), le même nous révèle que Joseph Kabila est le… frère de son prédécesseur, Laurent-Désiré Kabila !

Jean Chatain

Le Casque bleu accuse



Le commandant de la force internationale de maintien de la paix des Nations unies au Rwanda (la Minuar), le général canadien Roméo Dallaire, rapporte dans son ouvrage (1) avoir appris que, dans la période précédant le génocide, «  la France avait écrit au gouvernement canadien pour demander mon retrait du commandement de la Minuar. Il était évident que quelqu’un n’avait pas apprécié que je mentionne clairement la présence des soldats français au sein de la garde présidentielle, une instance qui entretenait des liens étroits avec les milices de l’Interahamwe » (2). Il conclut en disant qu’il avait alors «  pris note du fait qu’il lui faudrait surveiller attentivement les Français du Rwanda et enquêter sur la présence des conseillers militaires français au sein des unités d’élite de l’armée gouvernementale rwandaise et leur implication possible dans l’entraînement de l’Interahamwe » .

(1) J’ai serré, la main du diable, Roméo Dallaire, Libre Expression, Québec, 2003.

(2) Littéralement « Ceux qui combattent ensemble », milice fondée par le parti présidenttiel MRND.

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