Fiche du document numéro 2492

Num
2492
Date
Mercredi 2 décembre 2009
Amj
Taille
115609
Titre
Félicien Kabuga, l'insaisissable fugitif
Nom cité
Source
Type
Langue
FR
Citation
Le « banquier » du génocide est toujours en cavale. La pression monte
contre Nairobi, accusé d'en faire trop peu pour prouver qu'il a bel et
bien quitté le Kenya.

Stephen Rapp, l'ambassadeur extraordinaire des États-Unis en charge
des crimes de guerre n'y est pas allé par quatre chemins. Il a affirmé
le 16 novembre, à Nairobi, que Félicien Kabuga, l'un des onze suspects
rwandais en fuite et recherchés par le Tribunal pénal international
pour le Rwanda (TPIR), se trouvait au Kenya. Avant lui, ses
prédécesseurs, Pierre-Richard Prosper et Clint Williamson, avaient
tenu le même langage. Pourtant, depuis plusieurs années, les autorités
kényanes répètent que le Rwandais n'est plus sur leur territoire. Ce
qui a conduit le procureur général du TPIR, Hassan Bubacar Jallow, à
saisir, en juin dernier, le Conseil de sécurité de l'ONU afin que ce
dernier force le Kenya à prouver que Kabuga avait réellement quitté le
pays.

Proche d'Habyarimana



Selon un responsable du TPIR qui a requis l'anonymat, « depuis
l'époque de l'ancien président Daniel arap Moi, les Kényans n'ont
jamais joué franc-jeu dans cette affaire. Lorsque Mwai Kibaki est
arrivé au pouvoir, il lui a été demandé de coopérer. Il a accepté,
mais a finalement donné peu d'informations. Les Kényans ne disent pas
toute la vérité ». Officiellement, le TPIR tempère. Le porte-parole
Roland Amoussouga reconnaît que « la coopération du Kenya depuis 1997
a permis d'arrêter une dizaine de personnes », dont Jean Kambanda,
Premier ministre du gouvernement intérimaire pendant le
génocide. L'empressement ne semble pas être le même pour Kabuga...
Poursuivi pour génocide et crimes contre l'humanité, Félicien Kabuga,
âgé aujourd'hui de 74 ans, était jusqu'en 1994 un personnage puissant
du régime rwandais. Riche homme d'affaires lié par alliance à la
famille du président Juvénal Habyarimana, il possédait des plantations
de thé de plus de 300 hectares, une minoterie, des complexes
immobiliers, des entrepôts... Selon l'acte d'accusation du TPIR, c'est à
la fin de l'année 1990, après l'attaque du Front patriotique rwandais
(FPR), qu'il entame l'élaboration d'un « plan dans l'intention
d'exterminer la population civile tutsie et d'éliminer les membres de
l'opposition ». Il prend par la suite les rênes du Comité provisoire
du Fonds de défense nationale et du Comité d'initiative de la
Radiotélévision des Mille Collines (qui va attiser la haine et inciter
au massacre). Mais il demeure surtout le principal financier et
bailleur de fonds du parti présidentiel - le Mouvement révolutionnaire
national pour le développement (MRND) - et de la Coalition pour la
défense de la République et de la démocratie (CDR). Les trop célèbres
machettes utilisées pour tuer auraient été payées de sa poche...
Kabuga serait arrivé au Kenya entre 1997 et 2000, après avoir séjourné
notamment en Suisse et en RD Congo. Grâce à sa fortune, évaluée à
quelque 20 millions de dollars, il investit dans le pays et jouit de
la protection des plus hautes autorités kényanes. À commencer, selon
plusieurs sources, par Daniel arap Moi en personne. Le 11 juin 2002,
les Américains lancent à Nairobi une campagne médiatique destinée à
l'arrestation de Kabuga avec, à la clé, une récompense « pouvant aller
jusqu'à 5 millions de dollars ». Mais l'homme d'affaires continue
d'échapper à la fois aux enquêteurs du TPIR, à ceux du FBI, aux
services de renseignements et à la police kényane... Rapidement, les
Américains soupçonnent un membre du cabinet de Moi, Zakayo Cheruiyot,
d'avoir aidé le Rwandais à disparaître. Ils n'obtiennent aucune
réaction du chef de l'État. Quand Mwai Kibaki arrive au pouvoir en
décembre 2002, il confirme dès le mois suivant les soupçons qui pèsent
sur Zakayo Cheruiyot. L'homme était complice et, pour cette raison, il
ne sera pas repris dans l'équipe présidentielle. Mais la punition
s'arrête là et Kabuga court toujours.

Trop puissant pour tomber ?



Félicien Kabuga est-il toujours au Kenya ? Tout le monde le pense,
même au Rwanda où, en septembre dernier, Amos Wako, le procureur
général de la République, affirmait le contraire. « Si le Kenya
soutient que Kabuga a quitté son territoire, peut-on nous dire quand
cela s'est-il passé et où il s'est ensuite rendu ? », s'interroge un
procureur de Kigali. Au TPIR, on affirme que l'homme a accumulé de
larges intérêts financiers au Kenya et qu'il est, entre autres,
actionnaire d'entreprises comme Hashi Empex Limited, Ndimo Company,
Zadok Transporters et Zadok United. Propriétaire foncier et
immobilier, il posséderait également des appartements le long de
Lenana Road à Nairobi, un immeuble, un hôtel et des fermes disséminées
dans le pays. Trop puissant pour tomber ? Trop généreux auprès de ses
protecteurs kényans pour être dénoncé ?

Les autorités kényanes ont tout de même consenti à geler ses avoirs,
l'an dernier. Et le TPIR n'entend pas relâcher la pression sur
Nairobi, « en utilisant tous les canaux diplomatiques », indique un
responsable.

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