Fiche du document numéro 24919

Num
24919
Date
Jeudi 12 janvier 2012
Amj
Taille
153734
Titre
Génocide : l’expertise qui change tout
Sous titre
Le rapport commandé par le juge Trévidic désigne indirectement les extrémistes hutus comme les auteurs de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana.
Nom cité
Source
Type
Langue
FR
Citation
C’est un virage à 180 degrés. Presque dix-huit ans après les faits, les conclusions d’une expertise technique commandée par les juges d’instruction Marc Trévidic et Nathalie Poux ruinent les scénarios échafaudés jusque-là par la justice française sur l’attaque de l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana. Un attentat qui donna, le 6 avril 1994, le signal du génocide des Tutsis et du massacre des Hutus démocrates, planifié de longue date. En établissant que les tirs de missiles ayant abattu le Falcon 50 sont partis du camp de Kanombé, contrôlé par les Forces armées rwandaises (FAR), cette expertise désigne indirectement les extrémistes hutus comme les auteurs de cet attentat.



Le poids des thèses négationnistes



Premier à instruire l’affaire après la plainte des familles des trois Français membres d’équipage qui avaient trouvé la mort dans l’attentat, le juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière avait conclu, sans jamais se rendre sur place et en s’appuyant sur des témoins à la crédibilité douteuse, à la responsabilité d’un commando de rebelles tutsis du Front patriotique rwandais (FPR), alors dirigé par l’actuel président rwandais, Paul Kagame. Commando qui se serait infiltré depuis le Parlement rwandais jusqu’à la colline de Massaka surplombant l’aéroport, pour y tirer les missiles. L’enquête du juge Bruguière était en fait guidée par la thèse selon laquelle les rebelles tutsis auraient perpétré cet attentat et déclenché le génocide en toute connaissance de cause pour légitimer leur prise de pouvoir. Effroyables allégations, relayées, entre autres, par le journaliste Pierre Péan, qui reviennent à désigner les victimes du génocide comme coupables de leur sort ! Au terme de ses « investigations », le juge Bruguière avait lancé, en 2006, des mandats d’arrêt contre neuf proches de Paul Kagame, provoquant la rupture des relations diplomatiques entre Paris et Kigali.



Le juge Trévidic a donné à l’affaire un tour nouveau



Lorsqu’il a repris le dossier, il y a trois ans, le juge Trévidic a donné à l’affaire un tour nouveau, rompant avec les méthodes de son prédécesseur. « Un travail considérable de recherche de la vérité a alors commencé. Il a accepté de reprendre de zéro un dossier sur le point d’être clos. Nous sommes entrés dans un processus de clarification, à charge et à décharge… enfin à décharge », se réjouissait, hier, lors d’une conférence de presse à Paris, Me Léon-Lef Forster, l’un des avocats des Rwandais mis en cause par le juge Bruguière et mis en examen entre 2008 et 2010 à la demande de leurs conseils, pour permettre la levée des mandats d’arrêt.

En avril 2010, les juges Trévidic et Poux désignent cinq experts : géomètre, balistique, explosifs et incendie, acousticien, pour déterminer les lieux des tirs. Experts et magistrats s’étaient ensuite rendus au Rwanda, en septembre 2010, pour une reconstitution. Il en résulte, selon les conclusions présentées mercredi à huis clos aux parties, que la colline de Massaka a été écartée comme lieu possible de départ des tirs. Ce qui « établit avec certitude que le FPR n’est pas en cause », expliquait, hier, Me Forster, en demandant que ses clients bénéficient d’un non-lieu.

« Ce que dit l’expertise, c’est qu’en l’état des constatations, les tirs ne peuvent venir de Massaka », a également rapporté Me Yves Dupeux, avocat des deux enfants du président Habyarimana, qui refuse pourtant de voir dans cette expertise de quoi désigner « le camp d’en face », c’est-à-dire les extrémistes hutus hostiles aux accords de paix d’Arusha et artisans d’une planification méthodique du génocide. L’avocat de la veuve d’Habyarimana, Me Philippe Meilhac, va encore plus loin dans le refus de tirer des conclusions sur le profil des tireurs. Les missiles ayant abattu l’avion présidentiel étaient des SA-16 « de conception soviétique qui nécessitaient, ainsi que nous l’ont dit les experts, une formation technique très précise qui n’a jamais été assurée auprès d’aucun élément de l’armée rwandaise », prétend l’avocat. Ces réserves, pourtant, n’ôtent rien à la portée d’un rapport qui marque un tournant. Dans l’instruction de l’affaire comme dans les relations entre Paris et Kigali. « Il est clair pour tous désormais que l’attentat contre l’avion était un coup d’État mené par des extrémistes hutus et leurs conseillers, se réjouit, dans un communiqué, la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo. Avec cette vérité scientifique, les juges Trévidic et Poux ont fermé brutalement la porte à dix-sept ans de campagne de négation du génocide. »

Reste à dissiper les zones d’ombre entourant encore l’affaire et la première phase de l’instruction. Par exemple, qu’est devenue la boîte noire de l’avion présidentiel ? Pour le compte de qui agissait Paul Barril, le fameux gendarme de l’Élysée, barbouze notoire, qui fit régulièrement intrusion dans le dossier avec la bénédiction du juge Bruguière ? Entre fausses preuves, rétractations de témoins et boîtes noires bidon, l’enquête a longtemps pris des allures « d’enfumage » organisé. Au nom de la raison d’État, au mépris de la recherche de la vérité.

Rosa Moussaoui

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024