Fiche du document numéro 24905

Num
24905
Date
Mercredi 9 juin 2004
Amj
Auteur
Taille
114647
Sur titre
Le jeu de la mort
Titre
Les enfants soldats
Sous titre
En à peine dix ans, leur effectif aurait augmenté de moitié à travers le monde, révèle un rapport de l'agence de l'ONU sortant ces jours-ci.
Nom cité
Source
Type
Langue
FR
Citation
La prise de conscience de l'ampleur du drame des enfants soldats est récente. Une dizaine d'années tout juste. C'est en effet en 2004 que fut publiée l'étude de l'ancienne ministre de l'Éducation au Mozambique, Graca Machel, Conséquences des conflits armés sur les enfants, premier rapport du genre à tirer la sonnette d'alarme et qui reste encore aujourd'hui document de référence. Un dossier réalisé par Henri Leblanc, administrateur de l'UNICEF France (1), est paru ces jours-ci, confirmant que non seulement le fléau n'a rien perdu de sa réalité, mais qu'il a encore gagné en importance, au rythme des guerres de ces dix dernières années.

L'année 2003 et les premiers mois de 2004 nous lèguent un constat sans appel sur un phénomène croissant, souligne d'emblée le rapporteur, chiffrant à une vingtaine le nombre de pays où se pratique l'utilisation de mineurs dans un conflit armé. On recenserait aujourd'hui 300 000 enfants soldats à travers le monde, contre 200 000 en 1996 (évaluation alors rendue publique par les Nations unies). L'Afrique subsaharienne à elle seule compterait autour de 120 000 enfants soldats, principalement au Soudan, au Burundi, en République démocratique du Congo, en Côte d'Ivoire, au Liberia et en Somalie. L'Asie est également touchée : l'Afghanistan, les Philippines, Sri Lanka et surtout la Birmanie (où, selon Human Rights Watch, il y aurait 70 000 enfants soldats dans les seules troupes gouvernementales). Mais aussi la Colombie, où groupes armés d'opposition et milices pro-gouvernementales rivalisent de zèle en ce domaine. Le rapport précise que l'Europe n'est pas épargnée par le drame : lors du conflit avec Belgrade, les
indépendantistes kosovars de l'UCK ont recruté de nombreux enfants, au Kosovo même, en Albanie, mais aussi en Macédoine.

S'il ne faut donc pas masquer le caractère mondial du phénomène, force est de constater que c'est l'Afrique subsaharienne qui offre depuis la fin de la guerre froide de nouveaux systèmes de conflits où combats riment avec enfants soldats. Systématiquement. Au point d'amener Henri Leblanc à parler de lien consubstantiel entre les nouveaux conflits africains et le recours aux enfants soldats. Qu'il s'agisse du Soudan, de l'Afrique de l'Ouest ou de la région des Grands Lacs, ces guerres sont trop souvent et trop rapidement ramenées à des haines ancestrales entre communautés alors que les divisions ethniques et religieuses servent à camoufler, habiller des objectifs de pouvoir absolu, de pillage ou d'accaparement des richesses locales : au Soudan, le traditionnel discours sur l'antagonisme entre musulmans du Nord et chrétiens animistes du Sud fournit le paravent à une lutte pour le contrôle des régions pétrolifères (que Karthoum a tenté de vider de leurs populations traditionnelles) ; en Ituri, à l'est de la RDC, ce fut à l'origine un conflit foncier qui a dégénéré en violences entre Lendus et Hemas avec, sous-jacente, une volonté de prédation des richesses naturelles de la zone (coltan, minerais précieux, bois) mettant en jeu des pays voisins comme l'Ouganda et le Rwanda, mais aussi d'autres appétits, localisés hors de la sous-région, voire du continent. L' ethnisme est moins la cause de la guerre que sa caisse de résonance, une tactique d'instrumentalisation pour attirer dans son camp une fraction entière de la population, enfants compris.

La première forme de recrutement est l'enrôlement forcé. En Ouganda, l'Armée de résistance du Seigneur (groupe armé lié à une secte chrétienne intégriste et longtemps soutenu par le pouvoir islamiste soudanais en lutte contre Kampala) aurait enlevé plus de 8 000 enfants durant l'année 2003. Forcés ou volontaires, les recrutements frappent majoritairement les populations les plus fragiles, celles déjà indiquées par Graca Machel voici dix ans : enfants séparés de leurs familles ou provenant d'une famille brisée (les groupes de déplacés errant à travers le pays ainsi que les camps de réfugiés forment un objectif de choix) ; enfants des rues, coupés du système d'éducation ; enfants présents au cour de la zone de conflits. Concernant l'enrôlement volontaire, une réalité passe trop souvent inaperçue : les guerres modernes faisant l'essentiel de leurs victimes chez les civils, les combattants sont sinon protégés, du moins relativement moins vulnérables que le reste de la population. En Ituri, l'enfant milicien, indissociablement victime et bourreau, dispose de conditions de survie dont l'enfant civil et sa famille sont privés. Lendus et Hemas confondus.

Jean Chatain

(1) Enfants soldats, UNICEF France (3, rue Duguay-Trouin, 75006 Paris).

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024