Fiche du document numéro 24812

Num
24812
Date
Jeudi Décembre 2022
Amj
Taille
1300335
Surtitre
Introduction au thème
Titre
La querelle franco-rwandaise (1994-2022)
Type
Article de revue
Langue
FR
Citation
« Le Rwanda, une passion française ». C’est par ce titre, en 2012, que deux journalistes1 du Monde, Christophe Ayad et Philippe Bernard, décrivent la controverse médiatique, intellectuelle, judiciaire et militante sur le rôle de la France au Rwanda entre 1990 et 1994 :

« C’est l’une de ces zones d’ombre de l’histoire récente de la France, l’une de ces plaies mal refermées qui nourrissent guerres idéologiques et anathèmes. Une de ces passions françaises qui enflamment régulièrement intellectuels, politiques et militants. Elle tient en une question, simple et terrible à la fois : la France porte-t-elle une part de responsabilité dans le génocide rwandais qui fit 800 000 morts en un mois ?

Bientôt dix-huit ans après, la question reste le sujet de violentes controverses qui en disent au moins autant sur les fractures politiques et intimes de la France que sur le génocide de 1994 lui-même.

Quel événement récent suscite des positions aussi tranchées, des haines aussi personnelles, ou déclenche pareille fureur verbale ? Ni la Bosnie ni le Kosovo. Il faut probablement remonter à la guerre d’Algérie – ou se référer, dans une moindre mesure, à la question palestinienne – pour trouver des accusations d’une telle gravité, un tel fossé entre deux camps, que l’on pourrait caricaturer sous les traits de “l’anti-France” contre la “France éternelle2”. »

Concernant l’Afrique subsaharienne, ni les interventions françaises au Tchad ou en Centrafrique des années 1970 à nos jours, ni même la crise en Côte d’Ivoire (1999-2011), ni encore l’engagement français au Mali n’ont provoqué une telle guerre des mémoires et une polarisation extrême du débat public en France. Il y a donc une singularité du cas rwandais, qui tient sans doute plus à l’ampleur historique de l’événement génocide qu’au degré de l’engagement français entre 1990 et 1994 en lui-même. Ce « petit » pays à peine présent dans la carte mentale des imaginaires français sur l’Afrique avant les années 1990 y fait une entrée tonitruante et tragique en 1994. Depuis, il n’a pas quitté cette première place dans les controverses sur la « Françafrique ».

De fait, comparé aux autres interventions évoquées, l’engagement français au Rwanda a été plutôt intensivement scruté dans la sphère publique française : une mission d’information parlementaire3 (MIP, 1998), une commission d’enquête citoyenne4 (2004), une commission historienne mandatée par l’Élysée5 (2019), des dizaines d’ouvrages, des centaines d’articles dans la presse généraliste, des milliers de documents d’archives consultées, une rupture des relations diplomatiques et une cinquantaine de procédures judiciaires en France. L’ensemble de ces événements et de ces prises de position constitue en lui-même une configuration ou un champ de controverse qui attend ses historiens et sociologues6. La question initiale sur le rôle de la France au Rwanda est en effet également devenue au fil des années une question sur l’étendue et l’intensité de la controverse qui s’est nouée autour de cette interrogation originale. Comment expliquer sa magnitude ? Son degré de polarisation ? Sa durée et sa capacité à faire surgir de nouveaux acteurs et objets polémiques ? Autant de questions qui méritent qu’on s’attarde sur l’évolution et les vecteurs autant que sur le contenu de cette controverse au long cours.

« Plus sensible que le Rwanda comme dossier, je n’en ai jamais vu » pouvait dire le journaliste Pierre Péan, lui-même acteur majeur de la controverse médiatique à partir de 20057. Le constat est le même chez les universitaires spécialistes du dossier, même si l’attribution de responsabilité sur l’intensité de la polémique fait elle-même l’objet de controverse. Claudine Vidal, par exemple, rejette la responsabilité principale sur les militants critiques du rôle de la France et leur « passion dénonciatrice8 », quand Jean-Pierre Chrétien la renvoie plutôt dans le camp des défenseurs de la France, faisant feu de tout bois dans leurs initiatives visant à la dédouaner9. Dossier miné donc que celui de l’interrogation sur le rôle de la France en France, qui a pu en faire hésiter plus d’un dans le champ académique. Cette toile de fond de controverse n’est pas sans effet sur l’écriture académique de l’histoire du rôle de la France, comme le rappelle François Robinet, qui parle d’« histoire piégée » par l’ingérence du politique, la force du discours du déni et les difficultés d’accès aux archives10. « Histoire piégée », et par conséquent aussi « histoire délaissée11 ». Dans un premier temps, certains textes de Jean-Pierre Chrétien, Gérard Prunier, Claudine Vidal, Marc le Pape ou Jean-François Bayart ont certes abordé la question, balisant un premier moment d’interrogation dans l’immédiat après génocide ou lors de la MIP de 199812. Par la suite, d’autres chercheurs, comme David Ambrosetti en France ou Olivier Lanotte en Belgique, ont apporté des pièces au dossier, mais ont depuis travaillé sur d’autres objets13. Dans les années 2000, aucun chercheur français n’en fait son sujet de recherche principal14. Il faut attendre l’arrivée de nouveaux acteurs extérieurs au champ « africaniste15 », comme Stéphane Audoin-Rouzeau à partir de 2009 ou François Robinet à partir de 2014, pour repositionner cette thématique dans le champ académique français16. Mais il n’existe pas de dynamique de recherche collective sur cette question. Est-ce le signe d’un certain malaise ? Ou de la difficulté à positionner cette question dans des collectifs de recherche consacrés au génocide des Tutsi ?

Au-delà même de la question singulière sur le rôle de la France, Florence Bernault faisait le constat, dès 1997, que la communauté académique africaniste se mettait « prudemment en retrait » et tendait désormais à éviter de prendre position publiquement sur une crise « jugée trop compliquée, trop glissante et trop politisée17 ». Le relatif silence académique sur le rôle de la France a pu contribuer à la vivacité de la controverse médiatique, faute de savoirs académiques plus ou moins consensuels. Toutefois, on ne peut ignorer les fractures internes au champ académique lui-même, qui vont à la fois s’accentuer à la faveur de la polarisation à l’œuvre dans les autres champs (médiatiques et associatifs) et, parfois, indirectement y contribuer, du fait du multi-positionnement de certains acteurs académiques. De fait, les spécialistes du Rwanda formaient initialement un champ spécialisé réduit et fortement polarisé (ceci expliquant aussi sans doute cela), auquel s’ajoutait un désintérêt des non-spécialistes (augmentant lui aussi à mesure que la polarisation interne du champ spécialisé s’accroît et décourage les « entrées » dans le champ18).

C’est dans ce contexte de polarisation persistante que la commission Duclert est mise en place en 2019 par la volonté du président Macron d’examiner à nouveau le rôle de la France au Rwanda entre 1990 et 1994 à partir des archives administratives françaises. La commission Duclert marquant une étape importante dans cette controverse au long cours, voire se donnant comme objectif de pouvoir la dénouer, ou du moins la pacifier, un dossier de Politique africaine s’imposait pour questionner différentes facettes de la querelle franco-rwandaise, entendue à la fois comme controverse franco-française et comme relation franco-rwandaise. Ce dossier s’est construit avec l’idée de donner à voir et à penser différentes perspectives possibles de cette relation française au Rwanda telle qu’elle peut intéresser les sciences sociales. Il réunit ainsi des textes de nature différente, reflétant la volonté de la revue de participer à documenter divers points de vue possibles sur cette relation. Plutôt que de prétendre apporter des réponses définitives sur une question qui fait polémique, il s’agit plus modestement de prendre cette querelle pour objet pour en faire un objet de savoir, c’est-à-dire d’interrogations.

La commission Duclert elle-même est au cœur du dossier, à travers l’entretien réalisé avec son président Vincent Duclert, qui revient sur sa méthode, ses apports, ses conclusions, certains des défis rencontrés et ses prolongements possibles, mais aussi sur les liens entre histoire et mémoire ou justice et vérité sous-jacents à toutes les commissions de ce type. Vincent Duclert défend ici une conception de l’exercice historien qui aurait ses effets propres, c’est-à- dire la capacité de l’établissement historique des faits (la « vérité historique ») de « réparer » la relation entre États, sur le modèle d’une « nouvelle éthique relationnelle19 ». L’article de Mathilde Beaufils réinscrit la création de cette commission, sa composition et ses stratégies de légitimation dans le champ de controverse préexistant dont elle visait expressément à s’extraire. L’auteure montre comment la réception de l’annonce de la commission reflète des positions dans le champ académique et quels effets les choix opérés quant à sa composition ont pu avoir sur l’interprétation historique. En sociologue attentive aux effets de domination dans le champ et aux « coups » qui ont émaillé l’histoire de la commission, elle interroge les clivages mais aussi les réalignements entre acteurs et réseaux aux dotations en capital académique, symbolique ou institutionnel contrastées, à l’interface entre savoirs « généralistes » et savoirs « spécialisés ».

Les relations entre savoirs africanistes et politique étrangère française forment un autre point d’interrogation que nous avons voulu explorer, car il apparaît dans le rapport Duclert, qui souligne combien l’État français disposait de savoirs et d’analyses qui auraient pu orienter différemment la politique française, mais qui ont été activement marginalisés par les tenants d’une ligne dure. Ce sentiment d’impuissance des africanistes français, sur le Rwanda comme sur d’autres conflits, que Florence Bernault qualifiait de si typiquement français20, est-il vraiment propre au champ africaniste, ou ne révèle-t-il pas plutôt des évolutions politiques et sociales plus profondes qui tendent à dévaluer l’expertise scientifique ? Les chercheurs eux-mêmes n’ont-ils pas tendance à bouder ce genre d’exercice ? Autant de questions abordées dans l’entretien avec Jean-François Bayart, à partir d’un témoignage personnel, en tant que membre du Centre d’analyse et de prévision (CAP) du ministère des Affaires étrangères français, et sur l’évolution plus générale des relations entre chercheurs français, diplomates, politiques et militaires depuis les années 1980. Le constat qu’il propose est sans illusions : les chercheurs sont sollicités par les pouvoirs publics moins pour apporter des outils intellectuels que pour attester du fait que l’expertise existe, et celle-ci est par ailleurs « prise dans un champ de forces qui la rend inaudible ». Sur le Rwanda comme sur d’autres crises, le chercheur pèse peu face aux diplomates, à la raison d’État, aux lobbies militaires ou aux médias.

Jusqu’à la création de la commission Duclert, le créneau sur le rôle de la France a donc été occupé, depuis le rapport de la MIP en 1998, plutôt par des journalistes et des associations militantes, qui ont construit une bibliothèque, mis en ligne des archives21, rendu publics un des documents, utilisé des matériaux issus de procédures judiciaires, construit des savoirs et formulé les questions avec un temps d’avance sur la recherche. En un sens, ces acteurs ont largement débroussaillé un terrain déserté par les chercheurs, mais avec leurs propres méthodes, priorités et agendas22. Le point de vue de Thomas Borrel, membre et porte-parole de l’ONG Survie, a été sollicité pour faire le bilan de deux décennies de mobilisations et de mise sur agenda, en France, de la question du rôle de la France dans le génocide des Tutsi. Cette chronologie permet de retracer des compagnonnages entre chercheurs et monde associatif qui ont jalonné ces mobilisations, loin de l’image de deux univers étanches, mais aussi de souligner les divergences persistantes, sur le régime de la preuve ou le recours aux procédures judiciaires par exemple.

Enfin, la relation de la France au Rwanda peut être analysée au prisme de la scène judiciaire française particulièrement dense sur cette question. L’article de Timothée Brunet-Lefèvre prend ainsi comme scène ethnographique une arène judiciaire très particulière et encore trop peu étudiée23, celle d’un des procès aux assises de génocidaires rwandais en France. Il souligne combien la compréhension de l’univers du génocide, saisi ici dans ses dimensions locales dans la localité de Kabarondo, est compliquée pour des cours d’assises françaises si éloignées, dans le temps, l’espace, la culture et la langue, de la scène de crime. Bien qu’en théorie préservés de la querelle franco-rwandaise, ces procès n’échappent pas entièrement aux aléas de la relation franco-rwandaise : coopération judiciaire entre les deux pays qui dépend de la nature des relations diplomatiques, lenteur ou rapidité des procédures observées en France selon l’implication du pouvoir politique, témoins ou experts de l’accusation ou de la défense qui se retrouvent face à face dans d’autres procès, franco-français cette fois, constituant l’autre versant de la scène judiciaire française consacrée au Rwanda.

Ceci amène à interroger l’intrication entre la querelle franco-française et la relation franco-rwandaise. Certes, la controverse autour du rôle de la France ne se déroule pas qu’en France24, mais ce n’est pas s’aventurer trop loin que d’affirmer que l’intensité des débats tient en grande partie à la centralité de ces désaccords franco-français. Cette querelle française a des incidences importantes sur la relation interétatique franco-rwandaise dont elle est, selon les périodes, le thermomètre ou le thermostat. Mais elle conserve aussi une certaine autonomie vis-à-vis d’elle, contrairement à l’idée trop simple qui ferait de cette controverse le simple produit d’opérations d’influence hostiles entre autorités rwandaises et françaises. Les regains polémiques qui ont ressurgi pendant et après la commission Duclert semblent en effet confirmer le fait que la composante francofrançaise de la polémique demeure la plus complexe à dénouer, plus compliquée en réalité que la relation diplomatique bilatérale avec laquelle elle ne se confond donc pas. Le propos de cette introduction n’est pas de restituer la généalogie exhaustive de la controverse et de la relation franco-rwandaise, mais de retracer quelques moments clés de périodisation de leur évolution depuis 1994 jusqu’à la création de la commission Duclert afin de mieux cerner les enjeux qui se dévoilent dès lors qu’on entreprend de penser une configuration politique, médiatique, intellectuelle et diplomatique si conflictuelle.

Trente ans de controverses en France



Depuis le début de l’engagement militaire français en octobre 1990, des désaccords existent sur le sens et les conséquences de cette implication. Dans la sphère publique, associations ou experts font part de leurs critiques, notamment en 1993, puis au printemps 1994 pendant le génocide25. À huis clos, au sein de l’appareil présidentiel, gouvernemental et administratif, des désaccords font également rage, reflets d’oppositions préexistantes entre ministères ou entre services, accentués par le climat de cohabitation et de préparation de la présidentielle de 1995, mais dont peu filtre à l’extérieur. Toutes ces concurrences bureaucratiques ou luttes d’influence, parfois très personnalisées, sont désormais bien documentées pour la période entre 1990 et 199426. L’évolution de la controverse publique après 1994 est plus difficile à suivre car elle dépend d’actualités médiatiques, judiciaires et diplomatiques distinctes par leurs temporalités propres mais entremêlées dans leurs logiques et leurs effets. On peut toutefois distinguer au moins cinq périodes au sein de cette controverse au long cours nouant enjeux franco-français et relations diplomatiques franco-rwandaises.

1994-1998 : du déni à l’examen de conscience

Une première période de 1994 à 1998 voit se confirmer l’enracinement d’une controverse en France sur le rôle de la France de 1990 à 1994, alors que dans la région des Grands Lacs les positions françaises connaissent un retrait marqué après le départ des dernières troupes de l’opération Turquoise à la fin de l’été 1994. La relation bilatérale est quasi inexistante avec le nouveau régime rwandais sur l’échec duquel la France parie volontiers, tandis que le soutien français au régime vacillant de Mobutu au Zaïre, finalement balayé par la rébellion de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo) soutenue militairement par l’Ouganda et le Rwanda, restreint les marges de manœuvre de la France27. À l’inverse, trois ans après « l’année zéro » du génocide, le Rwanda est devenu un acteur régional de premier plan bien décidé à ne rien concéder à la France. La publication d’une série d’articles critiques de Patrick de Saint-­Exupéry dans Le Figaro à partir de janvier 1998 sur l’engagement français au Rwanda, suivie de la mobilisation d’associations et d’intellectuels28, aboutit à la création de la mission d’information parlementaire (MIP) dite « mission Quilès ». Ses travaux se tiennent au printemps de la même année dans un contexte politique de nouvelle cohabitation et alors que de nombreux acteurs français de la période 1990-1994 sont encore en poste. La controverse est à la fois publique ­(tribunes dans la presse, comptes-rendus d’auditions publiques) et feutrée (auditions à huis clos, notamment des militaires, analyses et notes dans les ministères). La publication du volumineux rapport de la MIP ne clôt pas la polémique, mais génère au contraire de nouveaux malentendus. Pour les pouvoirs publics, cet effort de transparence devait mettre fin à la controverse et les conclusions du rapport, qui soulignaient des « erreurs d’appréciation de la France », notamment une « coopération militaire trop engagée », « la sous-estimation du caractère autoritaire, ethnique et raciste du régime rwandais » et des « dysfonctionnements institutionnels », devaient constituer le dernier mot sur ce sujet29. Mais pour des associations comme l’ONG Survie, qui se lancent dans l’exégèse du rapport, de ses annexes et des sources produites pour en souligner toute la richesse, les conclusions apparaissent au mieux décevantes, au pire politiques. L’ONG tente alors d’approfondir la question à partir de ce nouveau matériau pour mettre au jour de nouveaux sujets polémiques (livraisons d’armes, rôle de mercenaires, etc.), sans grand impact médiatique néanmoins30.

1998-2004 : oubli médiatique, enquêtes parallèles

De fait, de 1998 à 2004, le Rwanda n’est plus un sujet polémique présent dans l’espace médiatique. Cependant, à bas bruit, deux « enquêtes » parallèles progressent : tandis que les associations militantes travaillent à l’approfondissement des travaux de la MIP, un juge antiterroriste bien connu, Jean-Louis Bruguière, enquête depuis mars 1998 sur l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, le 6 avril 1994, suite au dépôt de plainte des familles des pilotes français tués avec lui31. Il suit en particulier, puis bientôt exclusivement, la piste de la responsabilité du FPR, appuyé notamment par un réseau de fidèles de l’ancien régime Habyarimana, la figure controversée de Paul Barril, et des transfuges du FPR. Ces enquêtes, invisibles du grand public, vont finalement devenir centrales dans la controverse qui redouble d’intensité à partir de 2004. À partir de ce tournant, les stratégies de médiatisation vont contribuer à brouiller les registres : l’enquête judiciaire Bruguière et ses relais dans la presse prennent des tours militants contre le gouvernement rwandais, tandis que l’enquête militante d’associations françaises recherche des débouchés judiciaires contre des officiels français.

2004-2007 : incandescence et rupture des relations diplomatiques

Fin mars 2004, à l’approche des 10 ans du génocide, c’est encore le journaliste Patrick de Saint-Exupéry qui fait l’actualité du côté de la critique de l’engagement français avec la publication de L’inavouable. La France au Rwanda32, ouvrage qui affirme que le Rwanda a été pour l’armée française un terrain d’expérimentation de la doctrine de la « guerre révolutionnaire » et que le génocide contre les Tutsi fait partie des effets collatéraux de ce laboratoire politico-militaire33. Concomitamment, un collectif d’associations, dont Survie, crée une Commission d’enquête citoyenne (CEC) sur le rôle de la France au Rwanda dans le but explicite de prolonger le travail de la MIP de 1998 et de faire le point sur les connaissances acquises depuis lors. Ses conclusions vont radicaliser la critique sur le rôle de la France et constituer un moment militant important, annonçant des mobilisations plus médiatiques pour faire connaître le sujet hors des cercles militants habituels, malgré une couverture médiatique de la CEC elle-même plutôt réduite34. Surtout, à la suite de la CEC, les associations investissent le terrain judiciaire par le biais d’un dépôt de plaintes contre des officiels français35. Au sein du champ académique, la CEC est accueillie de façon très contrastée, confirmant les chemins divergents pris depuis les conclusions de la MIP en 1998 : Jean-Pierre Chrétien et Gérard Prunier sont invités aux activités de Survie puis auditionnés par la CEC en 2004, quand, d’un autre côté, André Guichaoua et Filip Reyntjens ont été sollicités par l’enquête Bruguière36. Cette période voit également l’association Ibuka (« Souviens-toi » en kinyarwanda), chargée de perpétuer la mémoire des victimes du génocide, de soutenir les rescapés et de poursuivre en justice les auteurs des crimes, se structurer en France, après la création de son antenne française en 2002 et les commémorations du 10e anniversaire du génocide en 200437. La thématique du rôle de la France trouve aussi de nouveaux canaux de diffusion, sous le format du documentaire38 ou dans des ouvrages écrits hors de France39.

Face à ce renouvellement de la critique sur le rôle de la France au Rwanda, apparaissent, à partir de ce même mois de mars 2004, des initiatives en sens radicalement inverse dans le camp des défenseurs du rôle de la France, centrées sur la question des responsabilités dans l’attentat contre l’avion du président Habyarimana. Plutôt qu’une simple défense du rôle de la France, comme celle-ci a pu se manifester lors des auditions de la MIP par exemple, il s’agit désormais de dénoncer celui du FPR, érigé en deus ex machina de tous les événements s’étant produits au Rwanda, et en particulier de l’attentat, présenté comme le nœud explicatif de l’ensemble des événements. Le 10 mars 2004, deux semaines avant le début de la CEC et la publication du livre de Saint-Exupéry, et alors que le président rwandais Paul Kagame entame une visite diplomatique en Belgique, le journaliste Stephen Smith révèle dans Le Monde une partie des conclusions de l’instruction du juge Bruguière, incriminant le FPR et au premier chef Paul Kagame lui-même40.

À l’automne 2005, paraissent coup sur coup deux ouvrages qui prolongent cette thèse. Le livre Rwanda, l’histoire secrète, du lieutenant Abdul Ruzibiza, ancien membre de l’APR (Armée patriotique rwandaise) présenté comme l’un des témoins clés de l’enquête Bruguière, est publié en octobre. Les universitaires André Guichaoua et Claudine Vidal, pourtant pourfendeurs de « l’histoire-complot » prêtée au camp d’en face, apportent une caution académique à son propos par une préface et une postface41. Dans son témoignage, l’auteur affirme notamment avoir fait partie d’un commando ayant abattu l’avion. Puis le mois suivant paraît l’ouvrage de Pierre Péan, Noires fureurs, blancs menteurs42, qui synthétise pour le grand public ce qui a pu être qualifié d’« histoire sainte » de l’engagement français au Rwanda, et qui relativise parallèlement le génocide contre les Tutsi43. La notoriété de Pierre Péan assure une médiatisation inhabituelle pour ce genre de sujet. Dans les mois qui suivent émerge l’association France Turquoise, qui vise à défendre l’honneur des militaires français engagés dans l’opération éponyme, et plus largement l’ensemble des opérations militaires françaises au Rwanda. Présidée par le général Lafourcade, ancien commandant de l’opération Turquoise, cette association relaie les écrits de Péan et la thèse de Bruguière, ainsi que des témoignages écrits par d’anciens officiers français44.

Avec ces initiatives, la focalisation n’est plus sur le génocide contre les Tutsi mais sur l’attentat, présenté comme l’élément décisif et déclencheur du génocide. Cela a pour effet de mettre au second plan le génocide, devenu simple produit dérivé et « réactif » d’un attentat cristallisant toutes les attentions et imputations de responsabilité, mais aussi le coup d’État des extrémistes hutu après l’attentat, relégué à une simple improvisation d’acteurs désemparés face à un FPR qui aurait tout planifié – et qui dans certaines variantes de ce discours deviendrait co-responsable, voire même principal responsable, du génocide. Selon une curieuse logique de jeu à somme nulle, cette réévaluation de la responsabilité supposée du FPR permettrait surtout d’amoindrir celle d’acteurs français sur l’ensemble de la période 1990-1994 et de valider le statut d’ennemi du FPR que la France aurait donc bien eu raison de combattre entre 1990 et 199345. C’est dire combien la médiatisation opérée autour de l’enquête sur l’attentat sert aussi à faire dire d’autres choses à cet événement et à déplacer l’épicentre de la controverse sur le rôle du FPR plutôt que sur celui de la France46.

Entre « guerre secrète » de la France au Rwanda d’un côté et « histoire secrète » du FPR de l’autre, les prétentions au dévoilement d’agendas cachés ne pouvaient aboutir qu’à un durcissement de la controverse, en un engrenage pernicieux qui a conduit à des accusations et excommunications que les deux bords, qui se constituent en véritables « camps retranchés47 », se renvoient. Pour les uns, critiquer le rôle de la France au Rwanda serait faire le jeu du FPR, voire en être le « complice », l’« idiot utile », ou un « blanc menteur ». Pour les autres, critiquer le rôle du FPR reviendrait à faire le jeu des extrémistes hutu et à relativiser ou à nier le génocide. Ainsi, progressivement, « l’affaire rwandaise devient un révélateur d’antagonismes qui la dépassent48 », à mesure que les passions géopolitiques alignent le clivage sur d’autres polarisations géopolitiques préexistantes en France, en particulier Israël/Palestine ou atlantisme/souverainisme, ou dénonciation de l’impérialisme américain contre dénonciation de la Françafrique49. La ligne de partage des réseaux d’acteurs associatifs, journalistiques, politiques et intellectuels se dessine par exemple avec netteté lors du procès contre l’ouvrage de Pierre Péan en 2008 (et du procès en appel en 2009). Lors de ce procès intenté par les associations SOS Racisme et Ibuka contre Pierre Péan pour « diffamation et incitation à la haine raciale » à cause de ses passages sur une supposée « culture du mensonge » chez les Tutsi, la liste des témoins de l’accusation et de la défense livre la cartographie d’une grande partie des acteurs de la controverse50. Dès la parution du livre de Péan en 2005, les positions médiatiques s’étaient d’ailleurs précisées : Libération, Jeune Afrique, Le Nouvel Obs et Le Monde l’avaient critiqué51, mais il avait en revanche été encensé dans Valeurs Actuelles et Marianne.

Le déplacement opéré dans la controverse vers l’attentat et la responsabilité supposée du FPR n’est évidemment pas sans effet sur la relation bilatérale. Dès la publication de l’article de Stephen Smith, en mars 2004, le président rwandais Paul Kagame porte des accusations contre la France dans plusieurs entretiens, accusations réitérées lors des commémorations à Kigali le 7 avril devant le secrétaire d’État Renaud Muselier, qui avance alors son départ du pays. Les relations se détériorent encore plus fin 2005 suite à la publication des ouvrages de Ruzibiza et de Péan. Mais le point de non-retour n’est véritablement atteint qu’à la fin du second mandat de Jacques Chirac, le 23 novembre 2006, lorsque survient l’annonce du lancement des mandats d’arrêt internationaux du juge Bruguière contre 9 membres de l’entourage de Paul Kagame, lui-même non poursuivi en raison de son immunité présidentielle, mais clairement visé52. Le lendemain, le gouvernement rwandais annonce la rupture des relations diplomatiques avec la France puis la fermeture de l’ambassade de France à Kigali trois jours plus tard53. Dans la foulée, le Rwanda annonce la création d’une « Commission nationale indépendante chargée de rassembler les preuves montrant l’implication de l’État français dans le génocide perpétré au Rwanda en 1994 », en gestation depuis 2005 mais qui n’entamera ses travaux qu’en 2007. Connue sous le nom de commission Mucyo, du nom de son président, ses travaux aboutiront en août 2008 au « rapport Mucyo » mettant en cause 13 personnalités politiques françaises et 20 militaires français54. Le gouvernement rwandais annonce se réserver le droit de poursuivre 23 d’entre eux. Puis le Rwanda nomme une seconde commission, cette fois sur l’attentat du 6 avril 1994, pour répondre à l’enquête Bruguière55. Celle-ci va d’ailleurs connaître un destin particulier suite au départ du juge Bruguière, qui se lance en politique sous les couleurs de l’UMP. En mars 2007, les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux reprennent en effet la direction de l’investigation à nouveaux frais. Les annonces des changements dans l’orientation du dossier n’interviendront néanmoins qu’à partir de 2010.

2007-2017 : premier rapprochement et normalisation inachevée

La relation bilatérale au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy en 2007 est donc au plus bas, prise dans une impasse judiciaire. Un rapprochement, justifié par la place prise par le Rwanda dans la géopolitique de l’Afrique centrale et par l’argument économique, est néanmoins très vite annoncé comme une priorité de l’Élysée et du ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner. En décembre 2007, le président Sarkozy rencontre le Président Kagame à Lisbonne et évoque la volonté de la France de réfléchir à ses « erreurs ». De son côté, le ministre ­Kouchner se rend à Kigali en janvier 2008 « après avoir récusé à Paris la thèse du juge Bruguière56 ». Ce rapprochement n’est guère apprécié par les défenseurs du rôle de la France, qui y voient une capitulation devant les exigences de Kigali et qui demandent au pouvoir politique, à l’instar de l’association France ­Turquoise, de défendre le rôle de l’armée face aux accusations du rapport Mucyo. Dès février 2009, Pierre Péan publie un nouveau pamphlet, Le monde selon K.57, biographie à charge contre le ministre Kouchner dont une partie importante – et disproportionnée par rapport à ce sujet dans la trajectoire du ministre – est ­consacrée au Rwanda, avec semble-t-il le but de déstabiliser le ministre et d’entraver le rapprochement en cours. Ce dernier se poursuit néanmoins. Ainsi, en novembre 2009, Claude Guéant rencontre Paul Kagame et les deux pays annoncent leur volonté de rétablir des relations diplomatiques. En février 2010, ce rétablissement est acté par le président Nicolas Sarkozy lors de sa visite à Kigali en compagnie de Bernard Kouchner. Il souligne des « erreurs d’appréciation, des erreurs ­politiques » et une « forme d’aveuglement » du côté français entre 1990 et 1994. Un nouvel ambassadeur, Laurent Contini, proche du ministre, est nommé. À la fin de l’année, les mandats d’arrêts internationaux contre les officiels rwandais incriminés dans l’ordonnance Bruguière sont levés.

Le remplacement de Bernard Kouchner par Alain Juppé aux Affaires étrangères à l’été 2011 va cependant de nouveau affecter la relation bilatérale, les autorités rwandaises dénonçant les positions du ministre français sur le rôle de la France. La nouvelle ambassadrice proposée par la France, Hélène Le Gal, est récusée par Kigali, dans une décision qui semble viser symboliquement plus le ministre que l’ambassadrice elle-même58. Si la reprise diplomatique patine, une évolution notable s’observe cependant dans le domaine judiciaire, en réponse aux critiques sur les lenteurs de la justice française dans les plaintes contre des Rwandais accusés de crime de génocide. En janvier 2012, un pôle « génocides et crimes contre l’humanité » est créé au Tribunal de grande instance de Paris, qui permet de centraliser les procédures et d’organiser à partir de 2014 les premiers procès en France consacrés au génocide contre les Tutsi.

Sous le quinquennat Hollande, la relation bilatérale stagne. Plusieurs rencontres sont organisées mais des blocages persistent, le président français semblant jouer la prudence59. Après plusieurs mois d’imbroglio, la France parvient finalement à faire accepter son nouvel ambassadeur à Kigali60. Il y restera trois ans mais sera persona non grata aux commémorations de 2014, et aucun successeur ne lui sera ensuite trouvé61. Sans que les relations diplomatiques ne soient officiellement de nouveau rompues, la France n’a ainsi plus d’ambassadeur au Rwanda à partir de 2015, et ce jusqu’en 2021. En revanche, une initiative présidentielle est annoncée sur le plan documentaire, consistant en une déclassification partielle des archives de l’Élysée62. Surtout, alors que la relation bilatérale fait du surplace, c’est sur le front judiciaire et éditorial que se jouent et se rejouent les « coups » de la controverse franco-française. En juin 2013, l’ONG Survie, la FIDH (Fédération internationale pour les droits humains) et la LDH (Ligue des droits de l’Homme) portent plainte contre Paul Barril pour complicité de génocide au Rwanda en raison d’un contrat d’assistance de sa société de sécurité avec le gouvernement intérimaire rwandais en plein génocide63. En juin 2017, le CPCR (Collectif des parties civiles pour le Rwanda), Ibuka et l’association Sherpa déposent une plainte contre la banque française BNP Paribas pour « complicité de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité » dans un dossier de ventes d’armes livrées en juin 1994 au Zaïre pour le gouvernement intérimaire rwandais64. En sens inverse, le marathon judiciaire engagé contre le journaliste Patrick de Saint-Exupéry par sept militaires français prend fin après appel et cassation. Sur toute la période, les médias continuent de s’opposer en des clivages connus : Libération, Mediapart et Jeune Afrique informent sur les évolutions de la nouvelle enquête sur l’attentat et sur les procédures en cours en France65. D’un autre côté, Valeurs Actuelles et Marianne se font l’écho de nouvelles publications qui prolongent les thèses de Bruguière et Péan66. Sur le plan académique, la publication d’un « Que sais-je ? » consacré au génocide des Tutsi sous la plume de Filip Reyntjens donne lieu à une bataille de tribunes dans Le Monde à propos de son analyse particulière du génocide des Tutsi qui reprend la ligne Bruguière-Péan, rappelant au passage combien le rapprochement des positions au sein du champ académique est encore impossible67.

En raison de ses errements et de ses volte-face, l’enquête hors norme de la justice française sur l’attentat est à elle seule un bon baromètre de l’évolution de la controverse en France et un fil rouge de la relation franco-rwandaise. Outre qu’elle a servi de détonateur pour la rupture des relations diplomatiques en 2006, elle touche au cœur de la controverse en donnant lieu à des accusations croisées d’instrumentalisations. L’enquête dans sa phase Bruguière sous les mandats Chirac pointant la responsabilité du FPR dans l’attentat a été critiquée par les associations et les journalistes en pointe sur la dénonciation du rôle de la France, pour sa thèse uniquement à charge contre le FPR. Le fait que l’enquête ait été nourrie entre autres par Paul Barril et d’anciens membres des services du régime Habyarimana ou Mobutu, ainsi que par des témoins transfuges du FPR récupérés par la France, a notamment été dénoncé. Après le départ du juge Bruguière, les accusations se sont inversées sous les mandats Sarkozy, Hollande puis Macron. Ainsi, les juges Trévidic et Poux ont récusé la thèse du juge Bruguière et orienté l’enquête plutôt vers la piste des extrémistes hutu après des expertises balistiques et acoustiques, sans pour autant conclure68. Les défenseurs du rôle de la France, et parallèlement farouches critiques du régime FPR, ont alors dénoncé le tour pris par l’enquête, suggérant qu’elle était orientée par le pouvoir politique à des fins de réconciliation avec le Rwanda, et critiqué le recours à des experts britanniques pour l’expertise balistique. En 2018, les poursuites ont finalement été abandonnées puis, en février 2022, un arrêt de la Cour de cassation a mis fin à la procédure en confirmant le non-lieu. Après 24 ans de procédure, la justice française a donc reconnu n’avoir identifié avec certitude ni coupable ni commanditaire. Au fil des années, le constat s’est imposé que le dénouement de la controverse passera difficilement par une vérité judiciaire.

2017-2022 : le dégel par l’histoire ?

Au début de son premier quinquennat, le Président Macron se donne pour objectif de dégeler la situation sur deux fronts distincts mais reliés : d’une part reprendre les relations diplomatiques avec le Rwanda, d’autre part dénouer la controverse en France sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsi de 1994. Ce second objectif est pensé comme devant faciliter le premier, c’est-à-dire comme un préalable démontrant la bonne foi et la volonté d’avancer des nouvelles autorités françaises.

Le rapprochement commence sur le terrain diplomatique avec le soutien apporté par la France à la candidature puis à l’élection de la ministre des Affaires étrangères rwandaise, Louise Mushikiwabo, à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie en janvier 2018. Le Rwanda et la France conviennent qu’ils ont besoin l’un de l’autre en Afrique, et que l’impasse diplomatique entre les deux pays entrave leurs marges de manœuvre respectives. Le Rwanda vise aussi à diversifier ses partenaires non africains, dont certains sont devenus plus critiques sur les violations des droits de l’homme. La France, elle, tente de se défaire de son image négative sur le continent sur ce dossier rwandais.

Autre évolution majeure, la création de la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi présidée par l’historien Vincent Duclert est annoncée en avril 2019. 21 ans après la MIP, la commission Duclert examine à nouveau l’engagement français au Rwanda entre 1990 et 1994. Ce n’est pas l’apparition de faits nouveaux qui justifie publiquement sa création, mais plutôt la volonté de clore la controverse, ou du moins de la déplacer, afin qu’elle n’entrave plus la réconciliation franco-rwandaise souhaitée de part et d’autre. Pour avancer, le pari est fait du moment historien et de l’ouverture massive par dérogation générale des archives à ses membres, ainsi que du choix d’un président pour la commission qui n’est pas déjà partie prenante de la controverse académique sur le sujet69. Cette politique des rapports visant à apaiser – ou à neutraliser – des champs de controverse par la recherche n’est pas propre au cas du Rwanda. En effet, quelques mois plus tôt, Felwine Sarr et Bénédicte Savoy ont remis leur rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain et, l’année suivante, un rapport sera commandé à Benjamin Stora70 sur les moyens d’apaiser la guerre des mémoires autour de la colonisation et de la guerre d’Algérie71. En pleine pandémie de Covid-19, la commission Duclert produit, après deux années de travail, un volumineux rapport publié en avril 2021. À partir des seules archives administratives françaises, le rapport ausculte avec précision la chaîne de décisions et de responsabilités françaises, et aboutit à des conclusions plus sévères que celles de la MIP en qualifiant de « responsabilités lourdes et accablantes » les actions d’acteurs français (en particulier l’état-major particulier à l’Élysée) dans l’engrenage ayant abouti au génocide contre les Tutsi. Symétriquement, ou « en même temps », le rapport conclut à l’absence de toute complicité intentionnelle d’acteurs français et rétablit certains faits à propos de l’opération Turquoise. Ce positionnement équilibré établit un socle de connaissances central dans le champ dans le sens où il coupe l’herbe sous le pied aux interprétations maximalistes de chaque camp : ni complicité française intentionnelle, ni diabolisation outrancière du FPR.

Cette position centrale a eu plusieurs effets : d’une part une libération de la parole de militaires peu à l’aise avec le récit verrouillé sur l’engagement français promu jusque-là par l’association France Turquoise72, d’autre part la possibilité pour les acteurs militants de s’approprier son contenu et de relativiser certaines accusations antérieures que le rapport ne vient pas confirmer, pour le cas de Bisesero par exemple. Enfin, l’objectif diplomatique est atteint car la réconciliation avec Kigali est actée par le voyage du président Macron au Rwanda le 27 mai 2021, deux mois après la publication du rapport Duclert, et matérialisée par la nomination d’un ambassadeur français à Kigali, Antoine Anfré, diplomate justement réhabilité par le rapport Duclert73. Fidèle à sa tactique consistant à se préserver une marge de manœuvre en mettant en œuvre ses propres commissions et ses propres rapports, le Rwanda a lui-même commissionné un cabinet d’avocats américain pour écrire son propre rapport sur le rôle de la France, le rapport Muse, dont les conclusions, malgré une méthodologie différente, rejoignent en grande partie celles du rapport Duclert74. Signe du dégel, ce n’est plus rapport contre rapport, comme dans l’affrontement entre l’enquête Bruguière et le rapport Mucyo entre 2004 et 2010, mais deux rapports qui sont largement c­ompatibles75. Faut-il alors refaire « l’hypothèse d’un grand marchandage fondé sur l’oubli des incriminations réciproques », comme l’écrivait Jean-Pierre Chrétien en 2009 à propos du premier rapprochement sous le quinquennat Sarkozy76, ou considérer que ces rapports sont au contraire des antidotes à l’oubli, qui feront date ?

Si les relations diplomatiques ont repris et la « réconciliation » avec le gouvernement rwandais est actée, la pacification du champ de la controverse en France est plus fragile, malgré les avancées importantes permises par la commission Duclert. Après le quasi-consensus initial de la part de la classe politique et des médias, des brèches sont en effet apparues77 et la polémique n’a pas tardé à ressurgir. D’une part à l’initiative de certains – mais pas tous – défenseurs du rôle de la France qui ont assez rapidement diffusé des éléments de langage sur l’idée d’un « rapport partiel et partial78 ». La critique porte moins sur les faits rapportés, difficilement contestables, que sur l’interprétation de l’intentionnalité des acteurs français, sur la présentation insuffisamment critique selon eux de la stratégie du FPR ou sur le thème du « que pouvait-on faire d’autre ? ». D’autre part à l’initiative de l’association Survie qui a souligné ses désaccords avec le rapport sur la question de la qualification de la complicité et sur les angles morts du rapport (rôle des mercenaires et livraisons d’armes)79. Chaque camp semble ainsi rester dans un répertoire connu : association France Turquoise et Hubert Védrine contre association Survie, avec comme juge de paix un rapport Duclert dans lequel chacun pioche ce qui conforte ses positions et dénonce ce qui y est contraire ou, surtout, absent.

Si la controverse n’est pas éteinte, on observe malgré tout un changement significatif. Avant le rapport Duclert, le débat ne permettait pas de prise de parole centrale, capable de répondre aux deux côtés à la fois. Or la commission, et singulièrement son président, cherche à jouer ce rôle depuis la publication du rapport en répondant aux deux camps, extrayant la controverse d’un affrontement bipolaire pour une configuration plus complexe, à trois joueurs. En outre, il permet aux autorités politiques d’adopter une voix officielle et lestée de l’aura académique, alors qu’auparavant prévalaient le silence, l’embarras ou le déni. En ce sens, l’existence en toile de fond d’une controverse ne paralyse plus la parole et l’action politique, qui dispose désormais de sa propre boussole.

Et après ? Prolongements académiques, militants et judiciaires



La critique académique s’est aussi fait entendre, entérinant le fait qu’il y aurait désormais un avant et un après rapport Duclert dans l’historiographie sur le rôle de la France, mais soulignant aussi les divergences d’interprétation possibles80. Le débat historien persistera, c’est la loi du genre. Une partie de la commission Duclert s’est d’ailleurs transformée en équipe de recherche animant des projets scientifiques sur le génocide contre les Tutsi du Rwanda – et non plus spécifiquement sur le rôle de la France –, dont une série de colloques au Rwanda et en France et de publications à venir81. On assiste ainsi à la tentative d’émergence d’un nouveau pôle d’animation de la recherche sur le génocide contre les Tutsi, fortement doté en capital symbolique, issu de la commission. Ce nouvel acteur entrant dans le champ, « par le haut », en position dominante donc, entend ­néanmoins fonctionner en collaboration avec les équipes de recherches existantes tant à l’EHESS qu’au sein du projet RwandaMAP202082. Cette « entrée » dans le champ s’inscrit aussi dans un moment de renouvellement générationnel qui pourrait contribuer à modifier les contours de la controverse telle qu’elle s’est déroulée depuis 1998. La génération des chercheurs comme Jean-Pierre Chrétien, Gérard Prunier, José Kagabo, Claudine Vidal, André Guichaoua ou Filip Reyntjens est progressivement remplacée par une nouvelle génération de chercheurs français, belges et rwandais ayant soutenu leur thèse depuis une dizaine d’années : Jean-Paul Kimonyo (2003), Thomas Riot (2011), François Robinet (2012), Hélène Dumas (2013), Léon Saur (2013), Ornella Rovetta (2013), Benjamin Chemouni (2016), Aymar Nyenyezi Bisoka (2016), Philibert Gakwenzire (2017), Florence Rasmont (2019), Dantès Singiza (2019), Rémi Korman (2020), Amélie Faucheux (2019), Florent Piton (2020), Liberata Gahongayire (2022) et Violaine Baraduc (2022)83. Ce passage de génération n’exclut pas des filiations intellectuelles84, mais il est intéressant de constater que la génération précédente n’a pas encadré les thèses de la seconde, dont les directeurs et directrices étaient souvent extérieurs au champ africaniste, ou alors à la région des Grands Lacs en Afrique85. Cette nouvelle génération a fait émerger des dynamiques collectives de recherche, souvent, là encore, positionnées en dehors du champ « africaniste » stricto sensu86. Au-delà du sujet circonscrit du rôle de la France, la question du génocide des Tutsi entre d’ailleurs de moins en moins en dialogue avec le champ africaniste et de plus en plus avec les genocide studies, nourrissant la comparaison avec la Shoah, le génocide des Arméniens, les guerres dans l’ex-Yougoslavie, le Cambodge. En un sens, ce constat actuel renforce celui posé par Florence ­Bernault en 1997 sur l’absence des revues africanistes dans la discussion sur le génocide contre les Tutsi de 1994, qui ne s’est pas réellement démenti depuis : c’est bel et bien en dehors des deux principales revues africanistes (Politique africaine et Cahiers d’études africaines) que des numéros spéciaux ont vu le jour ces trente dernières années87.

Africanistes et commission Duclert : un dialogue manqué puis renoué ?

Le présent dossier de Politique africaine s’inscrit néanmoins dans un effort
éditorial récent de plusieurs revues africanistes, dont deux nouvellement créées, Sources et la Revue d’histoire contemporaine de l’Afrique, visant à relancer les publications sur le Rwanda, ce qui permet de nuancer le désintérêt des spécialistes de l’Afrique pour ce sujet88. Politique africaine propose même avec ce dossier son deuxième numéro spécial consacré au Rwanda en deux ans89. L’entretien avec Vincent Duclert pose la question du dialogue entre africanistes et commission Duclert, en revenant sur le choix de la commission de ne pas partir de l’historio­graphie existante. Outre les enjeux de méthode de la discipline historique, ce parti pris soulève la question de l’importance respective de la maîtrise du contexte historique et politique rwandais et de la bonne connaissance des rouages administratifs français pour la réalisation d’un travail qui devait d’abord être, selon Vincent Duclert, une « histoire de l’État et de la République » français90. Il faut à cet égard souligner que les controverses initiales qui ont surgi à propos de la composition de la commission Duclert91 ont peut-être surtout été le fruit de malenten­dus. En effet, sur la question précise de l’engagement français au Rwanda, la commission venait opérer dans un relatif « vide » académique car, comme on l’a vu, cette question avait en partie été délaissée, faute d’accès aux sources. Plus que l’occupation d’un créneau académique déjà pris, ­l’inconfort manifesté par certains tenait à l’accès privilégié aux archives accordé aux membres de la ­commission et à l’apparente mise à distance volontaire des savoirs spécialisés. Ces savoirs ont en réalité inévitablement nourri la réflexion de la commission et, au terme du processus, le dialogue avec certains spécialistes du génocide des Tutsi a été renoué. Au point, note Mathilde Beaufils, que la c­ommission a pu sembler, quoique travaillant sur le rôle de la France, ratifier telle ou telle interprétation historique du génocide, de son degré de préparation, de ses causes lointaines et proches, dans un déplacement intéressant qui fait désormais de la commission un acteur majeur non seulement de l’écriture de l’histoire sur le rôle de la France, mais aussi de l’organisation de la recherche sur l’histoire du génocide lui-même (à partir néanmoins des seules sources françaises et de l’effet du rôle de la France dans l’engrenage aboutissant au génocide). Au-delà de ces dialogues manqués ou renoués entre commission Duclert et spécialistes du Rwanda, la question du rapport entre savoirs académiques et savoirs militants méritait d’être reposée.

Chercheurs et militants : un compagnonnage compliqué ?

En effet, les initiatives associant monde de la recherche et associations militantes autour du rôle de la France depuis 1994 n’ont pas manqué92. S’il est fréquent de prendre intellectuellement ses distances avec l’association Survie dans les milieux académiques (approche trop « déterministe » ou « simpliste », monocausalité, « outrance », sous-estimation de l’agency des acteurs africains et surestimation de celle des acteurs français, etc.), la recherche s’appuie souvent sur ces savoirs et matériaux militants, en particulier dans un contexte où l’accès aux archives pertinentes était extrêmement limité jusqu’à la commission Duclert. De fait, les avancées en matière de connaissance sur le sujet ont été permises par le climat de mobilisations militantes sur la question, que ce soit avec la MIP en 1998, la CEC en 2004, les enquêtes judiciaires initiées par des plaintes des associations, ou avec la commission Duclert elle-même, comme le reconnaît son président dans l’entretien dans ce numéro. Les confrontations d’approches peuvent s’avérer fructueuses, comme par exemple lors du débat proposé par la Revue d’histoire contemporaine de l’Afrique avec le chercheur François Graner membre de Survie sur la question des archives93, ou de la tentative dans ce numéro autour du livre collectif L’Empire qui ne veut pas mourir. Les malenten­ dus n’en sont pas pour autant tous dissipés, l’essentiel étant qu’il soit possible d’en débattre94. Les relations entre la commission Duclert et l’ONG Survie n’ont pas été particulièrement harmonieuses par exemple, l’ONG évoquant une ­collaboration inexistante et voyant la création de la commission comme une forme de reprise en main académique et politique du sujet après des années de mobilisations militantes95. Difficile pourtant pour l’ONG de dénoncer trop ouvertement une commission qui a permis un accès important aux archives et une confirmation académique de nombreux faits qu’elle a elle-même mis en avant. Ces désaccords, bien réels, sont néanmoins sans commune mesure avec ceux qui se donnent à voir sur la scène judiciaire franco-rwandaise.

Le Rwanda dans les prétoires en France

Trois types de procédures composent cette scène judiciaire franco-rwandaise. Il s’agit tout d’abord des procédures judiciaires intentées en France contre des présumés génocidaires rwandais exilés en France, qui ont été lancées dès la fin des années 1990 par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), Survie, la FIDH, Ibuka France et d’autres associations. Sous les mandats Chirac, ces procédures caractérisées par une certaine lenteur ont rarement abouti. Le processus, on le rappelle, s’est accéléré à partir du quinquennat Sarkozy avec la création d’un pôle spécialisé au Tribunal de grande instance de Paris, aboutissant à l’ouverture de procès sous les quinquennats Hollande et Macron. Avec un total de 34 plaintes déposées et de 27 procédures judiciaires en cours, ainsi que des arrestations emblématiques opérées ces dernières années96, la France est désormais, en un contraste saisissant, le pays européen où se tient et devrait se tenir le plus grand nombre de procès aux assises contre des ressortissants rwandais pour leur participation ou leur complicité dans le génocide contre les Tutsi. Quatre affaires ont déjà été jugées à ce jour, avec les procès du capitaine Pascal Simbikangwa en 2014 (appel en 2016), des bourgmestres Tito Barahira et Octavien Ngenzi en 2016 (appel en 2018), du chauffeur Claude Muhayimana en 2021 et du préfet Laurent Bucyibaruta en 2022. Tous ont été condamnés à des peines allant de 14 ans de prison à la perpétuité97. Dans le présent dossier, les questions que pose Timothée Brunet-Lefèvre à propos d’un de ces procès, celui des bourgmestres de Kabarondo à l’est du Rwanda, sont importantes car elles interrogent les effets de la constitution de cette nouvelle scène judiciaire française : comment faire revivre la scène locale du génocide ? Comment annuler ou réduire la distance ? Comment combiner nécessaire imprégnation culturelle et contextuelle sans tomber dans les pièges du culturalisme souvent mobilisé à des fins de défense des accusés ? Autant de défis pour ces cours d’assises françaises ordinaires, rendus plus complexes encore peut-être par la toile de fond de la controverse en France qui vient parfois obscurcir la compréhension des faits et des enjeux ou quand il s’agit, par exemple, de mobiliser des experts de contexte plus ou moins consensuels98. Mais plus encore, cette justice française désormais en pointe n’arrive-t-elle pas presque trop tard ? « [L]e génocide devient-il inaccessible », s’interroge Timothée Brunet-Lefèvre dans ce numéro, « dans ces procès qui se tiennent trois décennies plus tard, alors que certains témoins disparaissent et que les faits s’éloignent davantage » ?

Un second type de procédures judiciaires regroupe les procès intentés à des acteurs français par d’autres acteurs français et nous replonge dans la controverse franco-française. Il s’agit d’une part des plaintes déposées par des associations contre des acteurs ou des institutions français pour « complicité de génocide » ou contre des journalistes défenseurs du rôle de la France pour « incitation à la haine raciale » ou « contestation de génocide », et d’autre part des plaintes déposées par des personnalités politiques ou des militaires français contre des journalistes, chercheurs ou militants pour « diffamation » ou « injure publique ». Un décompte complet de ces procédures est impossible mais il se chiffre à plusieurs dizaines de dossiers, et révèle à quel point cette « passion française » alimente régulièrement les cours de justice françaises, mais entrave aussi la sérénité des débats du fait de leur judiciarisation croissante. Enfin, le dernier type de procédure est à mettre à part. Il s’agit du dossier de l’attentat contre l’avion présidentiel rwandais du 6 avril 1994, déjà mentionné, confié à la justice antiterroriste et dont les développements au long cours (1998-2022) ont pesé sur la relation franco-rwandaise.

Qu’en sera-t-il des procédures judiciaires contre des acteurs français après le rapport Duclert ? Celles qui sont déjà en cours se poursuivent et le rapport Duclert sert déjà de matériau dans des procédures99. Pour Vincent Duclert, cependant, après le travail des historiens, les perspectives de poursuites judiciaires contre des acteurs français pour complicité de génocide devraient logiquement dis­ paraître. Dans l’entretien pour ce numéro, il fait en effet valoir que cet effort de vérité est déjà un jugement, un « verdict de l’histoire » qui se suffirait à lui-même.

Autrement dit, « la vérité rend justice100 », selon un modèle de vérité visant la réconciliation plus que la judiciarisation du passé. L’effort de transparence, la connaissance publique des faits commis, la reconnaissance de « fautes lourdes et accablantes » fonctionneraient comme un mea culpa qui doit clore le processus de la controverse et les menaces de poursuites judiciaires. Dans la perspective militante de l’ONG Survie, il en va pourtant tout autrement. Ainsi, les procédures judiciaires sont encore un objectif important du travail militant selon Thomas Borrel, afin d’accéder à des éléments d’informations ou à des pièces encore inconnues, comme par exemple dans la plainte contre le mercenaire Paul Barril101. Du point de vue des associations de rescapés du génocide, telle Ibuka102, on peut se demander aussi si l’on considérera que la vérité historique seule rendra justice ? Le débat, à n’en pas douter, se prolongera.

Plus intrigant peut-être, il est un débat qui n’a pas vraiment eu lieu, suite au rapport Duclert. C’est celui sur les pistes de réforme de la prise de décision en matière de politique étrangère et des interventions armées sous le régime politique de la Ve République, singulièrement en Afrique, que soulevait déjà la MIP en 1998. Quelles leçons institutionnelles peuvent être tirées de cet échec français au Rwanda, et quelles évolutions envisager dans le fonctionnement quotidien de « l’État et de la République », pour reprendre les propos de Vincent Duclert, afin que d’autres errements soient évités ? C’est aussi la question qui est posée dans notre entretien avec Jean-François Bayart et qui émerge en conclusion des articles de Mathilde Beaufils ou de Thomas Borrel. C’est celle aussi que posait un général, Patrice Sartre, ancien de l’opération Turquoise, ou l’historien François Robinet un an après le rapport Duclert103. Mais curieusement, alors qu’un relatif consensus pourrait émerger sur ce point, les pouvoirs publics sont restés plutôt silencieux, comme si le devoir d’histoire opéré ne concernait que le passé et n’avait rien à nous dire sur le présent.

Étienne Smith
Sciences Po Bordeaux,
Les Afrique dans le monde (LAM)

POLITIQUE AFRICAINE ET LE RWANDA : UN BILAN



D’un point de vue strictement quantitatif, les articles sur le Rwanda n’ont pas manqué dans Politique africaine depuis 1994, même s’ils n’ont pas été très nombreux au regard de l’importance de l’événement qu’a constitué le génocide des Tutsi : une vingtaine d’articles y ont ainsi été publiés, quand par exemple les Cahiers d’études africaines en ont publié une dizaine. Très peu de ces textes ont cependant porté sur le génocide lui-même, et encore moins sur la question du rôle de la France au Rwanda, aucune des deux revues « africanistes » n’ayant consacré de dossier à l’un ou l’autre de ces sujets depuis 1994. Il est difficile de ne pas y voir le signe d’un malaise. Aussi un retour chronologique sur le traitement du Rwanda dans la revue Politique africaine permet de documenter cet évitement relatif.

En août 1994 déjà, Alain Ricard, directeur de la revue, proposait un rapide regard rétrospectif sur le traitement du Rwanda depuis sa création104. Il recensait alors 7 textes en 15 ans d’existence, déplorant cette « disette de travaux » sur ce pays. Avant le génocide, trois auteurs signent les articles sur le Rwanda : le juriste Filip Reyntjens105, l’historien Jean-Pierre Chrétien106 et la journaliste Danielle Helbig107. Reyntjens et Helbig sont Belges, et Jean-Pierre Chrétien est de fait le seul africaniste français à avoir publié sur le Rwanda dans Politique africaine avant 1993. C’est à lui qu’on doit l’accent mis sur l’intégrisme ethnique et l’idéologie raciste comme enjeux fondamentaux, et donc à la revue de ne pas être passée à côté de développements inquiétants du régime Habyarimana.

En 1993, alors que le FPR accentue son offensive et que l’engagement français se fait plus pressant, la revue éclaire le rôle des acteurs en jeu, avec un article de Gérard Prunier sur l’histoire du FPR108 et un article sous pseudonyme brossant un portrait sans concession de l’engagement français109. On ne trouve pas d’analyse du régime Habyarimana ou de l’opposition hutu démocrate, bien que des travaux aient été menés sur ces questions. Survient ensuite le génocide qui donne lieu à une seule réaction « à chaud », celle de Jean-Pierre Chrétien sous la forme d’un éditorial paru dans le numéro de juin 1994, soutenu par la direction de la revue110. Mais au total, en cette année 1994, les articles sont plutôt rares malgré l’énormité de l’événement : à l’automne, un seul article est publié111.

À partir de 1995, une nouvelle période s’ouvre, qui voit le Rwanda traité sous différents angles et par des auteurs aux positions assez diverses, mais où la relation franco-rwandaise n’est jamais l’objet principal des réflexions. D’abord paraît à l’automne 1995 un article rédigé au printemps 1994 par le sociologue Jean-Pierre Pabanel qui propose un bilan du régime Habyarimana et de ses contradictions112, puis, le mois suivant, une courte interrogation sur l’africanisme belge est publiée sous la plume de Gauthier de Villers, politologue spécialiste du Congo/Zaïre113. L’auteur propose d’expliquer les positions de chercheurs, de journalistes, de religieux ou de coopérants belges (et curieusement de Jean-Pierre Chrétien ajouté dans la liste et directement visé dans l’article) selon leurs « sensibilités » à la cause « hutu » ou à la cause « tutsi », sensibilités rapportées à d’autres clivages préexistants (progressiste/conservateurs, francophones/flamands, libres penseurs/religieux, etc.).

Deux ans plus tard, dans une tout autre veine, l’historienne Florence Bernault développe une réflexion sur le cas français : comment expliquer l’absence d’un agenda de recherche collectif en France sur « les problèmes intellectuels et théoriques autour de la crise rwandaise114 » ? L’auteure souligne que l’action collective « se cantonn[e] à l’action humanitaire, politique et citoyenne » car le génocide contre les Tutsi est d’abord perçu comme un « défi politique » plutôt qu’épistémologique par la communauté africaniste française115. C’est un double défi, tant la question du génocide est énorme au sens épistémologique et vive au plan politique en France. Plus largement, le relatif silence de la recherche africaniste française est mis sur le compte de la marginalisation croissante des études africaines en France et des relations peu institutionnalisées avec le pouvoir politique.

L’article de Florence Bernault s’inscrit justement dans un dossier de Politique africaine, dirigé par André Guichaoua et Claudine Vidal, sur les politiques internationales dans la région des Grands Lacs, dont une partie importante est consacrée aux conséquences du génocide de 1994, replacé dans le contexte régional, plus large, de la reconstruction de l’État116, des enjeux humanitaires117, des droits de l’homme118 et des réfugiés119. Si ce dossier n’est pas identifié « Rwanda » en tant que tel car il adopte délibérément une focale régionale, Politique africaine n’a ainsi, trois ans après le génocide, pas tout à fait manqué le rendez-vous éditorial qui s’imposait. Demeure néanmoins un sentiment d’inachevé du fait de l’absence de travaux publiés dans la revue sur l’événement lui-même, sa genèse, sa mécanique. La diffusion de connaissances sur ces éléments centraux se fait bel et bien ailleurs, sous forme d’ouvrages, ou alors dans les écrits de journalistes ou de militants bien plus nombreux que ceux des chercheurs.

À partir de 1997, deux actualités s’imposent dans la revue, les premiers débats sur la justice internationale avec les premiers procès au TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda)120, puis la création en 1998 de la Mission d’information parlementaire (MIP) sur « les opérations militaires menées par la France, d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994 ». C’est alors qu’émergent dans la revue les questionnements sur le rôle de la France, initiés par Jean-Pierre Chrétien en juin 1994, mais sans article de fond sur cette question depuis. C’est bien l’agenda associatif, journalistique et militant, et désormais parlementaire, qui donne le tempo. La revue publie une initiative collective de chercheurs et d’associatifs à l’automne 1998, établissant une liste de questions et de points à éclaircir pour la MIP121. Les rapports parlementaires belges et français sont également commentés122. Puis l’intérêt académique pour cette question du rôle de la France semble entrer dans un sommeil durable.

Entre 1999 et 2004, le thème de la justice redevient le principal angle à travers lequel le pays est traité123, auquel s’ajoute désormais la politique étrangère. La géopolitique des Grands Lacs connaît une actualité particulièrement dense et l’intérêt pour les conflits s’est déplacé vers la République démocratique du Congo124. Aucun texte n’est consacré au contexte intérieur rwandais, comme s’il ne s’y passait rien. En 2004, à l’occasion des 10 ans du génocide, le télégramme du 11 janvier 1994 du général Dallaire au siège de l’ONU est présenté à l’entame du numéro, mais aucun article ne propose par exemple un bilan historiographique dix ans après le génocide125.

Entre 2005 et 2009, alors que l’actualité éditoriale, médiatique, judiciaire et diplomatique sur le génocide est riche en France, aucun article ne paraît sur le Rwanda, qui est en revanche bien traité dans la rubrique « Revue des livres » ou « Autour d’un livre ». Ceci reflète une productivité éditoriale importante initiée ailleurs sur le pays et fait écho aux débats en cours dans la discipline historique ou sur la question des violences de masse126. La revue prend du recul et reste ainsi, par son silence, à distance des polémiques extrêmement vives qui font rage d’une part sur le rôle de la France et sur la nature du nouveau régime rwandais. Difficile de ne pas voir dans ce silence aussi le témoignage indirect des effets de la polarisation du champ qui compliquent les propositions de dossier sur le sujet à la revue et à son comité. Les propositions de dossiers n’ont, semble-t-il, pas manqué mais, faute de consensus sur la coordination ou la problématique, elles sont restées lettres mortes.

En 2009, finalement, Jean-Pierre Chrétien fait le point sur cette actualité franco-rwandaise dense des années précédentes, repositionnant ainsi Politique africaine sur ce sujet déserté par la revue depuis 1998127. À partir de 2010, une nouvelle génération de chercheurs publie dans la revue, dont les travaux ne portent pas sur le génocide lui-même, alors que des chercheurs travaillant sur le génocide publient dans d’autres revues, généralistes ou d’histoire. L’histoire coloniale, l’histoire culturelle, l’anthropologie des techniques du corps et la disciplinarisation du corps social sont ainsi traitées128. Pendant cette décennie, les thématiques les plus absentes sautent toujours aux yeux : la « boîte noire » du régime FPR et son évolution, les relations franco-rwandaises depuis 2009, les transformations économiques et sociales, la politique pénale. Il faut attendre le numéro spécial coordonné par Benjamin Chemouni pour voir apparaître le tout premier dossier de Politique africaine consacré au Rwanda depuis la création de la revue129 et qui traite justement de certaines de ces thématiques.

Ce dossier sur « l’État depuis le génocide », bien qu’il ne porte pas sur le génocide contre les Tutsi mais se concentre sur l’après 1994, n’a pas été non plus épargné par les polarisations existantes, dont l’intensité mais aussi, dans une certaine mesure, la légitimité avaient alors échappé à la rédaction en chef. C’est le signe que dans les années 2020, près de trente ans après, le dossier Rwanda demeure particulièrement sensible, interrogeant les possibilités d’écriture et de dialogue au sein d’une communauté de pairs dont la délimitation même pose question.

Étienne Smith

[Notes :]



1. Je remercie Séverine Awenengo Dalberto, Boris Samuel, Christine Deslaurier, Florent Piton, Mathilde Beaufils, Hélène Dumas, Timothée Brunet-Lefevre, François Robinet et Benjamin Chemouni pour leurs précieux retours sur cette introduction.

2. C. Ayad et P. Bernard, « Rwanda, une passion française », Le Monde Afrique, 26 janvier 2012.

3. Mission d’information parlementaire sur le Rwanda, Paris, Assemblée nationale, 1998.

4. L. Coret et F.-X. Verschave (dir.), L’horreur qui nous prend au visage. L’État français et le génocide au Rwanda. Rapport de la Commission d’enquête citoyenne, Paris, Karthala, 2005.

5. Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi, La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994). Rapport remis au Président de la République le 26 mars 2021, Malakoff, Armand Colin, 2021.

6. Voir l’habilitation à diriger des recherches (HDR) à venir de François Robinet (Université Paris Saclay) et la thèse de doctorat en cours de Mathilde Beaufils à l’ISP (Institut des sciences sociales du politique, Université Paris Nanterre). Pour des bilans d’étapes de la controverse au mitan et à la fin des années 2000, mais avec des perspectives opposées, voir C. Vidal « La politique de la France au Rwanda de 1990 à 1994. Les nouveaux publicistes de l’histoire conspirationniste », Les temps modernes, n° 642, 2007, p. 117-143 et J.-P. Chrétien, « France et Rwanda : le cercle vicieux », Politique africaine, n° 113, 2009, p. 121-138. Pour des bilans plus récents, voir F. Robinet, « Le rôle de la France au Rwanda : les journalistes français au cœur d’une nouvelle guerre de mémoire (1994-2015) », Le temps des médias, n° 26, 2016, p. 211-230 ; A. Gabet et S. Jahan, « “Les faits sont têtus” : vingt ans de déni sur le rôle de la France au Rwanda (1994-2014). Deuxième partie : lâchetés politiques et complicités médiatiques », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 129, 2015, p. 153-173 ; J. Hubrecht, « La difficile introspection de la France au Rwanda », Esprit, n° 7-8, 2019, p. 199-205.

7. Pierre Péan lors de son procès en appel, 11e chambre de la Cour d’appel de Paris, audience du 9 septembre 2009.

8. « Ce furent les associations militantes qui contribuèrent le plus efficacement à lancer et relancer les attaques contre les autorités françaises, car elles menèrent sans relâche des campagnes recourant à toutes sortes de techniques mobilisatrices (appels à signatures, organisation de colloques, diffusion de bulletins). Si elle aboutit à cristalliser la thèse de la “complicité” de la France dans le génocide des Rwandais tutsis, cette énergie dénonciatrice eut aussi pour effet l’installation d’un climat passionnel, fertile en excommunications et d’autant plus intolérant que bien des militants ne dédaignaient pas les bénéfices procurés par l’avantageuse posture du défenseur des opprimés face à un pouvoir criminel. » C. Vidal, « Du soupçon civique à l’enquête citoyenne : controverses sur la politique de la France au Rwanda de 1990 à 1994 », Critique internationale, n° 36, 2007, p. 73-74.

9. « Les thèmes dominants de ces conférences, fiévreusement répercutés ensuite sur des sites spécialisés du Net, sont bien ficelés : dans la guerre civile rwandaise, les “massacres interethniques” ont fait des victimes des deux côtés et ce que le monde appelle “génocide” n’en serait qu’un épisode ; la colère “spontanée des Hutu” serait compréhensible (et, ici, l’argumentaire va jusqu’à suggérer que la vulgate raciste d’un autre temps sur “la fourberie tutsi” ne serait pas fausse) ; la justice internationale serait partiale ; en dernière instance, le FPR [Front patriotique rwandais] serait le responsable du génocide des Tutsi et il couvrirait en fait un complot anglo-saxon de domination de l’Afrique centrale ; enfin, ceux qui ne partagent pas cette vision ne seraient que des valets du FPR ou des États-Unis. On assiste au retour d’un discours sur “l’anti-France”. » J.-P. Chrétien, « France et Rwanda… », art. cité, p. 131-132.

10. F. Robinet, « Le rôle de la France au Rwanda : l’Histoire piégée ? » [en ligne], Revue d’histoire culturelle, n° 2, 2021, , consulté le 12 août 2022.

11. Ibid.

12. J.-P. Chrétien, « Le Rwanda et la France : la démocratie ou les ethnies ? », Esprit, n° 190, 1993, p. 190195 ; J.-P. Chrétien, « Rwanda. La responsabilité de la France », Politique africaine, n° 54, 1994, p. 2-6 ; G. Prunier, Rwanda : le génocide, Paris, Dagorno, 1995 ; J.-F. Bayart, « Rwanda : les ambiguïtés d’une intervention », Esprit, n° 204, 1994, p. 187-189 ; J.-F. Bayart et G. Massiah, « La France au Rwanda. Entretien », Les temps modernes, n° 583, 1995, p. 216-227 ; M. Le Pape, « Les engagements français au Rwanda », Politique africaine, n° 71, 1998, p. 172-179 ; M. Le Pape, « Les engagements français au Rwanda (2) », Politique africaine, n° 73, 1999, p. 171-175 ; J.-P. Chrétien, « Les responsabilités politiques du génocide, vues de Bruxelles et de Paris », Politique africaine, n° 73, 1999, p. 159-164.

13. D. Ambrosetti, La France au Rwanda. Un discours de légitimation morale, Paris, Karthala, 2001 ; O. Lanotte, La France au Rwanda (1990-1994). Entre abstention impossible et engagement ambivalent, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2007.

14. Pour un point bibliographique, voir S. Audoin-Rouzeau Une initiation. Rwanda (1994-2016), Paris, Seuil, 2017, p. 53-68 ; F. Robinet, « Le rôle de la France au Rwanda : l’Histoire piégée ? », art. cité.

15. Le terme « africaniste » est utilisé ici au sens institutionnel, c’est-à-dire en fonction des institutions de rattachement et de l’insertion dans des réseaux de socialisation scientifique (revues spécialisées, associations professionnelles, groupes de recherches). On ne revient pas ici sur légitimité ou les (més)usages du terme.

16. S. Audoin-Rouzeau, « La responsabilité de la France vue du Rwanda. Le rapport Mucyo : une lecture historienne », Esprit, n° 364, 2010, p. 122-134 ; F. Robinet, « L’empreinte des récits médiatiques : mémoires françaises du génocide des Tutsi du Rwanda », Les temps modernes, n° 680, 2014, p. 166-188.

17. F. Bernault, « La communauté africaniste française au crible de la crise rwandaise », Politique africaine, n° 68, 1997, p. 114.

18. L’origine de la polarisation de la recherche académique sur le Rwanda et le Burundi dès avant 1994 n’est pas notre sujet ici car elle ne concerne pas le rôle de la France, mais il est intéressant de noter que certains aspects de la controverse, qui portait à l’origine plutôt sur le Burundi que sur le Rwanda (poids à accorder à l’ethnicité, appréciation sur le régime Habyarimana au Rwanda ou les régimes de Bagaza puis Buyoya au Burundi, qualification des violences de masse…), se sont retraduits dans la nouvelle controverse sur le rôle de la France à partir de 1994 en raison de la présence de certains des mêmes protagonistes (Reyntjens versus Chrétien) et parce que certaines questions se recoupent à partir du moment où des acteurs politiques, diplomatiques ou militaires français ont endossé ou récusé telle ou telle position académique ou parce que ces chercheurs ont pris position dans l’espace public.

19. Référence faite par Vincent Duclert au rapport Felwine Sarr et Bénédicte Savoy. F. Sarr et B. Savoy, Rapport sur la restitution du patrimoine africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle [en ligne], Paris, 2018, p. 26, , consulté le 10 septembre 2022.

20. F. Bernault, « La communauté africaniste française… », art. cité, p. 114.

21. Voir la base de données en ligne constituée par Jacques Morel et son équipe : , consulté le 5 septembre 2022.

22. Voir, entre autres, F.-X. Verschave, Complicité de génocide ? La politique de la France au Rwanda, Paris, La Découverte, 1994 ; P. Krop, Le génocide franco-africain. Faut-il juger les Mitterrand ?, Paris, JC Lattès, 1994 ; M. Ba, Rwanda, Un génocide français, Paris, L’esprit frappeur, 1997 ; M. Mas, Paris-Kigali 1990-1994. Lunettes coloniales, politique du sabre et onction humanitaire pour un génocide en Afrique, Paris, L’Harmattan, 1999 ; J.-P. Gouteux, La nuit rwandaise : l’implication française dans le dernier génocide du siècle, Paris, L’esprit frappeur, 2002 ; J. Morel, La France au cœur du génocide des Tutsi, Paris, L’esprit frappeur/Izuba éditions, 2010 ; L. de Vulpian et T. Prugnaud, Silence Turquoise : Rwanda 1992-1994. Responsabilités de l’État français dans le génocide des Tutsi, Paris, Don Quichotte, 2012 ; B. Collombat et D. Servenay, « Au nom de la France ». Guerres secrètes au Rwanda, Paris, La Découverte, 2014 ; F. Graner, Le sabre et la machette. Officiers français et génocide tutsi, Mons, Tribord, 2014 ; J.-F. Dupaquier, Politiques, militaires et mercenaires français au Rwanda. Chronique d’une désinformation, Paris, Karthala, 2014 ; L. Larcher, Rwanda : ils parlent. Témoignages pour l’histoire, Paris Seuil, 2019 ; R. Doridant et F. Graner, L’État français et le génocide des Tutsis au Rwanda, Marseille, Agone, 2020.

23. Pour une réflexion sur les enjeux autour du procès Simbikangwa, voir S. Lefranc, « Des “procès rwandais” à Paris. Échos locaux d’une justice globale », Droit et société, n° 102, 2019, p. 299-318.

24. Comme le souligne François Robinet, la France est triplement concernée par le génocide des Tutsi : « au sens où les choix de l’État français et de certains de ses responsables ont pesé sur le destin des Rwandais ; au sens où résident sur notre sol, dans notre immédiate proximité, des hommes qui ont fait partie des assassins ; au sens enfin où vivent aujourd’hui en France un certain nombre de descendants et d’héritiers de cette histoire rwandaise ». F. Robinet, « Le rôle de la France au Rwanda : les journalistes français… », art. cité, p. 225. Au-delà du cas français objet de ce dossier, il serait intéressant d’étudier les développements de la controverse sur le rôle de la France au Rwanda même, dans la région des Grands Lacs, dans le reste de l’Afrique, mais aussi en Belgique ou au Canada.

25. Voir le texte de Thomas Borrel dans ce numéro.

26. Voir notamment la mission d’information parlementaire (Mission d’information parlementaire sur le Rwanda, op. cit.) et surtout le Rapport Duclert : Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi, La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi…, op. cit.

27. J.-P. Chrétien, « France et Rwanda… », art. cité, p. 126.

28. Voir par exemple « Pour une commission d’enquête parlementaire sur le rôle de la France entre 1990 et 1994. Au Rwanda, quelle France ? », Libération, 3 mars 1998.

29. Mission d’information parlementaire sur le Rwanda, op. cit., « Conclusions », p. 355-367. Des leçons institutionnelles semblent avoir été retenues malgré tout. Sous le gouvernement Jospin, la suppression du ministère de la Coopération, ainsi que la doctrine « ni indifférence ni ingérence » s’éclairent aussi à l’aune de ce retour critique sur l’engagement au Rwanda. Voir J. Meimon, « Que reste-t-il de la Coopération française ? », Politique africaine, n° 105, 2007, p. 34.

30. Voir l’article de Thomas Borrel dans ce dossier. Un aspect moins remarqué de ce tournant de 1998 est que la relative unanimité qui avait prévalu dans la communauté académique africaniste française sur le génocide des Tutsi en 1994 se fissure également sur cette appréciation des responsabilités françaises. Les réactions aux conclusions de la MIP révèlent ces fractures entre chercheurs, qui existent aussi au sein du Parti socialiste français.

31. Outre le président rwandais et les trois membres de l’équipage français, l’attentat coûta la vie au président du Burundi Cyprien Ntaramira et à plusieurs ministres et membres de l’entourage des deux présidents.

32. P. de Saint-Exupéry, L’inavouable. La France au Rwanda, Paris, Les arènes, 2004.

33. La thèse sera reprise dans G. Périès et D. Servenay, Une guerre noire. Enquête sur les origines du génocide rwandais (1959-1994), Paris, La Découverte, 2007.

34. L. Coret et F.-X. Verschave (dir.), L’horreur qui nous prend au visage…, op. cit.

35. Sur ces initiatives, voir l’article de Thomas Borrel dans ce numéro.

36. Pour sa part, Claudine Vidal a publié un article avec des passages très critiques sur la CEC : « Du soupçon civique à l’enquête citoyenne… », art. cité.

37. Ibuka avait été créé en Belgique dès 1994, puis a développé des antennes en Suisse et au Rwanda en 1995. Voir .

38. Voir par exemple Tuez les tous, de Raphaël Glucksmann, David Hazan et Pierre Mézerette, diffusé par France 3 en novembre 2004 ; Opération Turquoise, téléfilm d’Alain Tasma, 2007 ; Jean-Christophe Klotz, Retour à Kigali. Une affaire française, diffusé sur France 2 le 25 avril 2019. Et plus récemment, Rwanda : le silence des mots, de Gaël Faye et Michael Sztanke, diffusé sur Arte en avril 2022.

39. La traduction française de l’ouvrage de l’ancien commandant de la Minuar (Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda), Roméo Dallaire, est publiée à la toute fin 2003. R. Dallaire, J’ai serré la main du diable. La faillite de l’humanité au Rwanda, Montréal, Libre expression, 2003. L’ouvrage
est sévère sur le rôle de la France et le général canadien sera dès lors régulièrement critiqué par certains militaires français. Voir aussi A. Wallis, Silent Accomplice: The Untold Story of France’s Role in the Rwandan Genocide, Londres, I.B. Tauris, 2006 ; L. Melvern, Complicités de génocide. Comment le monde a trahi le Rwanda, Paris, Karthala, 2010.

40. S. Smith, « Révélations sur l’attentat qui a déclenché le génocide rwandais », Le Monde, 10 mars 2004 ; S. Smith, « Le récit de l’attentat du 6 avril 1994 par un ancien membre du “network commando” », Le Monde, 9 mars 2004. Sur le timing de ces révélations, voir J.-P. Chrétien, « Dix ans après le génocide des Tutsis au Rwanda. Un malaise français ? », Le temps des médias, n° 5, 2005, p. 71.

41. A. J. Ruzibiza, Rwanda. L’histoire secrète, Paris, Éditions du Panama, 2005.

42. P. Péan, Noires fureurs, blancs menteurs. Rwanda 1990-1994, Paris, Fayard, 2005.

43. J.-P. Chrétien, « France et Rwanda… », art. cité, p. 121. L’ouvrage passe également un cran dans la controverse en s’en prenant entre autres, en des termes violents, à l’association Survie et à l’historien Jean-Pierre Chrétien.

44. Sur ces témoignages, voir É. Smith, « Les derniers défenseurs de l’empire : quand l’armée française raconte ses Rwanda », Les temps modernes, n° 680-681, 2014, p. 66-100 ; F. Robinet, « Le rôle de la France au Rwanda : l’Histoire piégée ? », art. cité, § 21.

45. Parallèlement, la thèse d’une responsabilité des extrémistes hutu est vivement combattue dans ce milieu des défenseurs du rôle de la France, alors qu’en soi elle n’implique pas la France. Sur ce plan, les deux « camps » de la controverse tiennent des positions qui ne sont pas symétriques. Pour les milieux critiques du rôle de la France, une responsabilité FPR dans l’attentat ne changerait rien aux griefs contre le soutien français aux extrémistes hutu, puisque l’attentat n’est pas considéré comme le facteur principal dans le processus menant au génocide. La validation de l’hypothèse des extrémistes hutu serait, elle, vue comme la confirmation de l’agenda de ces extrémistes pour qui préparation du génocide et élimination d’Habyarimana seraient allées de pair.

46. La fixation de la controverse sur l’attentat explique aussi en grande partie le malaise des chercheurs. En effet, contrairement au génocide, sur la connaissance duquel les chercheurs ont pu apporter des contributions décisives, l’attentat et la procédure judiciaire qui en est issue relèvent d’autres compétences et de sources inaccessibles pour le monde de la recherche.

47. Expression utilisée par Claudine Vidal. « Les publicistes critiques rencontrèrent bien quelques adversaires, mais ces derniers ou bien défendaient à outrance la politique française menée au Rwanda, ou bien découvraient, eux aussi, des complots, mais fomentés par des puissances étrangères. Bref, dénonciateurs et défenseurs entraient dans une logique de camps retranchés. » C. Vidal, « Préface », in O. Lanotte, La France au Rwanda, op. cit., p. 16.

48. J.-P. Chrétien, « France et Rwanda… », art. cité, p. 133.

49. Ou, comme le résume Jean-Pierre Chrétien, une folle alternative entre « génocide made in France » et « génocide made in USA ». Ibid., p. 137.

50. Pierre Péan sera relaxé. Parmi ses soutiens (pour se limiter aux principaux acteurs français ou belges) : l’universitaire Filip Reyntjens, les hommes politiques Bernard Debré et Hubert Védrine, les militaires Jean-Claude Lafourcade, Michel Robardey et Marin Gillier, les journalistes Christophe Nick, Charles Onana et Stephen Smith. Pour SOS Racisme et Ibuka : Christiane Taubira, Raphaël Glucksman, Yves Ternon, Esther Mujawayo, Marcel Kabanda.

51. Stephen Smith a quitté Le Monde au début de l’année 2005, modifiant sensiblement la couverture du dossier Rwanda par le journal.

52. Tribunal de grande instance de Paris, Cabinet de Jean-Louis Bruguière, Délivrance de mandats d’arrêts internationaux. Ordonnance de soit-communiqué, 17 novembre 2006, 64 p. Sur les discussions concernant l’émission des mandats d’arrêts, voir P. Bernard, « France-Rwanda : l’enquête Bruguière était suivie de près à l’Élysée », Le Monde, 10 décembre 2010.

53. Sur cet épisode, voir le témoignage de l’ambassadeur de France Dominique Decherf, Couleurs. Mémoires d’un ambassadeur de France en Afrique, Paris, Pascal Galodé éditions, 2012, p. 243-248.

54. Parmi ses membres figuraient l’historien franco-rwandais de l’EHESS José Kagabo et l’historien rwandais Jean-Paul Kimonyo, auteur notamment de Rwanda. Un génocide populaire, Paris, Karthala, 2008.

55. « Commission d’enquête sur les causes, les circonstances et les responsabilités de l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion présidentiel rwandais Dassault Falcon 50 N°9XR-NN », dite commission Mutsinzi. Elle comprend des experts britanniques et un comité d’experts balistiques. Elle rendra ses conclusions en 2010, concluant à la responsabilité des extrémistes hutu, en particulier Théoneste Bagosora et Anatole Nsengiyumva.

56. J.-P. Chrétien, « France et Rwanda… », art. cité, p. 136.

57. P. Péan, Le monde selon K., Paris, Fayard, 2009.

58. « Paris rappelle son ambassadeur au Rwanda dans un contexte tendu », Libération, 20 février 2012 ; F. Soudan, « Rwanda : ça coince toujours au sujet du nouvel ambassadeur de France à Kigali », Jeune Afrique, 20 février 2012.

59. C. Boisbouvier, Hollande l’Africain, Paris, La Découverte, 2015.

60. Entre-temps, Hélène Le Gal est devenue conseillère Afrique du président Hollande.

61. « Rwanda : l’ambassadeur de France persona non grata aux cérémonies des 20 ans du génocide », Le Point Afrique, 7 avril 2014 ; « Rwanda : la France n’a plus d’ambassadeur à Kigali », RFI, 1er octobre 2015.

62. « L’Élysée déclassifie ses archives sur le Rwanda », Libération, 8 avril 2015. L’accès restera cependant limité (80 documents en tout). Voir F. Robinet, « L’archive retrouvée. Enquêter sur le rôle de la France au Rwanda », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 69, n° 1, 2022, p. 50.

63. Sur les activités de Paul Barril en lien avec le Rwanda, voir par exemple J.-P. Perrin, « Barril, “l’affreux” », Revue XXI, avril-mai-juin 2020, p. 52-61.

64. C. Ayad, « La BNP visée par une plainte pour complicité de génocide au Rwanda », Le Monde, 29 juin 2017.

65. Deux ouvrages déconstruisant l’enquête Bruguière, l’un en France, l’autre en Belgique, paraissent à cette période : J.-F. Dupaquier, Politiques, militaires et mercenaires français…, op. cit. ; P. Brewaeys, Rwanda 1994. Noirs et Blancs menteurs, Bruxelles, Racine, 2013. L’un des premiers témoignages de militaire proposant une lecture différente de l’opération Turquoise paraît également. Voir G. Ancel, Vents sombres sur le lac Kivu, The Book Editions, 2014 (remanié en Rwanda, la fin du silence. Témoignage d’un officier français, Paris, Les Belles Lettres, 2018).

66. Notamment l’ouvrage de la journaliste canadienne Judi Rever, In Praise of Blood, New York, Random House, 2018.

67. Pour une critique qui dénonce un « brûlot politique » et la banalisation du génocide opérée par Reyntjens, voir A. Kalisky, R. Doridant, Y. Ternon, P. de Saint-Exupéry, V. Duclert, H. Dumas et S. Audoin-Rouzeau, « Rwanda : le “Que sais-je ?” qui fait basculer l’Histoire », Le Monde, 25 septembre 2017. Pour une défense de Reyntjens, voir M. Le Pape et C. Vidal, « Réponse à un procès sans instruction contre le “Que sais je ?” de Filip Reyntjens » [en ligne], Blog Mediapart, 30 septembre 2017,, consulté le 15 septembre 2022 ; M. Le Pape, « Génocide des Tutsi : “La mise en cause de l’historien Filip Reyntjens est une tentative d’intimidation” », Le Monde, 20 octobre 2017. Malgré cette opposition frontale, il faut rappeler que chaque bloc n’est pas monolithique et que les luttes de classement peuvent relever de stratégies individuelles comme de désaccords disciplinaires ou méthodologiques, sans parler des sensibilités politiques. Dans un premier « camp », si Claudine Vidal et Filip Reyntjens, par exemple, font bloc dans la critique de la stratégie politique du FPR, ils divergent en revanche sur la qualification des violences commises et sur les ouvrages qui prétendent en faire l’inventaire, tout comme sur l’appréciation portée sur le régime Habyarimana. Dans l’autre « camp », la juriste Rafaëlle Maison, a pu critiquer des historiens travaillant sur le génocide des Tutsi, comme Hélène Dumas et Stéphane Audoin-Rouzeau, à propos de leur supposée réticence à examiner le rôle de la France ou de leur option historiographique mettant l’accent sur la dimension « vicinale » du génocide au détriment, selon elle, des grandes logiques étatiques et géopolitiques (et donc du possible rôle de la France). Voir R. Maison, « Quand les historiens s’éveilleront. La France et le génocide des Tutsi du Rwanda » [en ligne], La vie des idées, 11 septembre 2015, , consulté le 13 mai 2022.

68. Plutôt que la piste de la colline de Masaka comme lieu présumé des tirs de missile suivie par le juge Bruguière, l’enquête pointe désormais la bordure du camp militaire de Kanombe. Des extrapolations sont ensuite faites par les acteurs de la controverse sur l’identité des tireurs selon la localisation retenue pour le départ des tirs.

69. On note qu’en 2014 Vincent Duclert, avait participé à une tribune d’un collectif de chercheurs (« Rwanda, cette histoire qu’on ne veut pas voir », Libération, 27 juillet 2014) appelant les autorités françaises à prendre clairement position sur la question du rôle de la France au Rwanda, ainsi qu’à la tribune en 2017 contestant le « Que sais-je ? » consacré au génocide des Tutsi rédigé par Filip Reyntjens évoquée précédemment.

70. Benjamin Stora, Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie, Rapport, Paris, Présidence de la République, 2021.

71. Dans le même esprit, en juillet 2022, le président Macron annonce une nouvelle ouverture d’archives et une commission d’historiens pour faire la lumière sur la guerre contre l’UPC au Cameroun (1955-1971). Voir P. Ricard, « Emmanuel Macron ouvre un nouveau chantier mémoriel au Cameroun », Le Monde, 27 juillet 2022.

72. P. Smolar, « Pour le général Jean Varret, le rapport Duclert sur le Rwanda permet de “sortir de vingt-six ans de débats stériles” », Le Monde, 29 mars 2021 ; P. Sartre, « Général Patrice Sartre sur le Rwanda : “Le rapport Duclert rend justice aux soldats de l’opération Turquoise” », Le Monde, 30 mars 2021 ; « René Galinié : J’ai dit : “attention on va au massacre !” », AFP, 31 mars 2021.

73. Voir le discours du président Macron au Mémorial de Gisozi : « Discours du Président Emmanuel Macron depuis le Mémorial du génocide perpétré contre les Tutsis en 1994 » [en ligne], 27 mai 2021, , consulté le 9 octobre 2022.

74. Contrairement au rapport Duclert le rapport Muse revendique l’usage des entretiens (250), la diversité des sources écrites au-delà des archives françaises et de s’intéresser à la période après 1994 pour les actions en France consistant à influencer les perceptions sur le génocide. A Forseeable Genocide: The Role of the French Government in Connection with the Genocide of the Tutsi in Rwanda, Washington D. C., Levy Firestone Muse LLP, 19 avril 2021, p. 2, , consulté le 8 octobre 2022.

75. On note que, dans ce contexte de réchauffement diplomatique, le gouvernement rwandais a préféré s’appuyer sur le rapport Muse, plutôt que sur le rapport Mucyo de 2008, nettement plus offensif car mandaté en riposte aux mandats d’arrêt du juge Bruguière. Le rapport Muse utilise néanmoins certains éléments du rapport Mucyo comme source.

76. J.-P. Chrétien, « France et Rwanda… », art. cité, p. 132.

77. Chez les politiques, alors qu’Alain Juppé salue le rapport Duclert et appelle à reconnaître les erreurs commises (« Alain Juppé sur le Rwanda : “Nous n’avons pas compris qu’un génocide ne pouvait supporter des demi-mesures” », Le Monde, 7 avril 2021), Hubert Védrine, après un premier accueil plutôt favorable du rapport, critique ensuite avec virulence ses conclusions dans plusieurs interviews. L’Institut François Mitterrand, dirigé par Hubert Védrine, a parallèlement relayé exclusivement des textes critiques sur le rapport Duclert : .

78. Voir par exemple J.-B. Naudet, « Général Christian Quesnot, ex-chef d’état-major de Mitterrand : “Le rapport sur le Rwanda est partiel et partial” », L’Obs, 16 mai 2021, ou les textes de Bernard Lugan et Jacques Hogard relayés par l’association France Turquoise sur son site internet. Pour une confrontation entre le général Quesnot et le général Varret, voir J.-B. Naudet, « Rwanda : le baroud d’honneur des généraux français », L’Obs, 25 juillet 2021.

79. Voir le texte de Thomas Borrel dans ce numéro.

80. Les clivages au sein du champ académique n’ont pas sensiblement évolué. On retrouve Filip Reyntjens, Claudine Vidal, Marc Le Pape, André Guichaoua et Serge Dupuis dans la position de critiques du FPR que le rapport Duclert aurait trop épargné, tout en reconnaissant, à des degrés divers, ses apports. Voir S. Dupuis, J. Gasana, A. Guichaoua, M. Le Pape, J. Swinnen et C. Vidal, « Réflexions sur le rapport Duclert » [en ligne], Fondation Jean Jaurès, 2022, , consulté le 19 octobre 2022 ; S. Dupuis, « Ce que dit et ne dit pas le rapport Duclert » [en ligne], Fondation Jean Jaurès, 24 février 2022, , consulté le 19 octobre 2022. De l’autre côté, François Robinet et Stéphane Audoin-Rouzeau retiennent les éléments du rapport qui confirment certaines des hypothèses des travaux antérieurs et discutent les zones d’ombre qui persistent. F. Robinet, « Rwanda 1994 : un rapport pour l’Histoire ? », Études, n° 7-8, 2021, p. 7-18 ; F. Robinet, « La France, le Rwanda, et les historien‧nes : enjeux politiques, mémoriels et scientifiques » [en ligne], Contretemps, 29 avril 2021, , consulté le 31 octobre 2022 ; S. Audoin-Rouzeau, « Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi », Revue d’histoire de la Shoah, n° 214, 2021, p. I-V ; la table-ronde du 10 octobre 2021, « L’Etat français et le génocide des Tutsi » organisée par le Mémorial de la Shoah. Sur la réception académique du rapport Duclert, voir aussi les dossiers de la Revue d’histoire contemporaine de l’Afrique (C. Evrard, M. Gomez-Perez, M. Mourre, F. Piton, N. Powell et R. Tiquet (dir.), « Au-delà du rapport Duclert. Décentrer l’histoire du génocide des Tutsi », 2021) et de la revue Esprit (A. Garapon, J. Hubrecht et E. Laurentin (dir.), « Leçons rwandaises », n° 478, 2021), ainsi que l’article de Mathilde Beaufils dans ce numéro.

81. La première session du « Colloque international sur le génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda », organisé par l’équipe de recherche issue de la commission Duclert, s’est tenue du 11 au 19 septembre 2022 au Rwanda.

82. La première équipe de recherche (Cespra/EHESS) est réunie autour de Stéphane Audoin-Rouzeau et Hélène Dumas ; l’équipe de RwandaMAP2020 () est coordonnée pour la partie française par François Robinet, Violaine Baraduc et Rémi Korman (et rattachée notamment au Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines de l’université
Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines).

83. On s’en tient ici aux thèses en sciences sociales soutenues en français en France, Belgique ou Canada, incluant des terrains au Rwanda. Au sein de cette génération, on note deux thèses soutenues à Sciences Po Paris (Ceri), dont les auteurs n’ont pas continué dans la voie académique : P.-A. Braud, L’ordre de la violence : ordre politique, historicité des violences et gestion des conflits au Rwanda et au Burundi dans les années 1990, Paris, Institut d’études politiques, 2005 et E. Viret, Les habits de la foule : techniques de gouvernement, clientèles sociales et violence au Rwanda rural (1963-1994), Paris, Institut d’études politiques, 2011, mais dont les auteurs n’ont pas continué dans la voie académique.

84. L’héritage intellectuel de Jean-Pierre Chrétien est à cet égard central. Voir J.-P. Chrétien, S. AudoinRouzeau et H. Dumas, « Un historien face au génocide des Tutsi », Vingtième siècle, n° 122, 2014, p. 23-35.

85. À l’exception de Florent Piton dont la thèse a été soutenue au Cessma (Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques) et encadrée par des africanistes, et dont l’insertion institutionnelle emprunte aux canaux africanistes classiques (Association des chercheurs de Politique africaine, revue RHCA, etc.), sans s’y limiter. On lui doit d’ailleurs l’ouvrage de synthèse de référence F. Piton, Le génocide des Tutsi du Rwanda, Paris, La Découverte, 2018.

86. On note que les équipes du Cesspra et de RwandaMAP2020 ne se sont pas structurées dans les laboratoires « africanistes » historiques.

87. C. Vidal et M. Le Pape (dir.), « Les politiques de la haine : Rwanda-Burundi, 1994-1995 », Les temps modernes, n° 583, 1995 ; S. Audoin-Rouzeau et A. Garapon (dir.), « France-Rwanda : et maintenant ? », Esprit, n° 364, 2010 ; J. Kagabo (dir.), « Le génocide des Tutsi, 1994-2014. Quelle histoire ? Quelle mémoire ? », Les temps modernes, n° 680-681, 2014 ; S. Audoin-Rouzeau et H. Dumas (dir.), « Le génocide des Tutsi rwandais, vingt ans après », Vingtième siècle, n° 122, 2014 ; A. Garapon et al. (dir.), « Leçons rwandaises », Esprit, op. cit. Sur le cas de Politique africaine, voir l’encadré ci-après.

88. Voir l’éditorial commun des deux revues en 2021 annonçant cette initiative, « Éditorial : collaboration trans-revues RHCA et Sources sur l’histoire du génocide des Tutsi du Rwanda » [en ligne], https://oap.unige.ch/journals/rhca/announcement/view/15>, consulté le 2 octobre 2022 ; C. Evrard et al. (dir.), « Au-delà du rapport Duclert… », op. cit. ; P. Rutayisire, C. K. Mulinda, P. Gakwenzire et F. Piton, « Écrire l’histoire du génocide des Tutsi au Rwanda à partir de sources locales. Entretien avec Paul Rutayisire, Charles Kabwete Mulinda et Philibert Gakwenzire », Sources, n° 3, 2021, p. 257-281.

89. B. Chemouni (dir.), « Rwanda. L’État depuis le génocide », Politique africaine, n° 160, 2020.

90. Cette question peut se poser pour l’étude de toutes les interventions militaires françaises en Afrique, quand les luttes bureaucratiques parisiennes s’avèrent souvent plus déterminantes que le contexte local dans lequel se déroule l’intervention. Pour une enquête collective récente sur le cas de l’intervention française au Mali, voir G. Daho, F. Pouponneau et J. Siméant-Germanos (dir.), Entrer en guerre au Mali. Luttes politiques et bureaucratiques autour de l’intervention française, Paris, Rue d’Ulm, 2022.

91. On se réfère ici aux polémiques générées par la non-inclusion d’Hélène Dumas et Stéphane Audoin-Rouzeau, et non à la polémique ultérieure, et de nature différente, sur la présence de Julie d’Andurain. Sur ces événements, voir l’article de Mathilde Beaufils dans ce dossier.

92. Voir l’article de Thomas Borrel dans ce numéro.

93. M. Mourre, F. Piton et N. Powell, « Enquêter sur la France au Rwanda en contexte militant. Entretien avec François Graner », Revue d’histoire contemporaine de l’Afrique, 2021, p. 102-117.

94. L’univers militant lui-même est tout sauf monolithique. Des désaccords et débats parfois vifs ont existé (en témoigne la CEC de 2004 elle-même) et existent encore entre l’ONG Survie (elle-même parfois divisée) et des collectifs au positionnement plus radical (comme par exemple Izuba/La nuit rwandaise).

95. Voir l’article de Thomas Borrel dans ce numéro.

96. La plus médiatisée fut sans conteste celle de Félicien Kabuga, activement recherché par la justice internationale, en mai 2020 en région parisienne. Sur les procédures, voir le décompte opéré par le CPCR et le témoignage de son président, Alain Gauthier, « Le témoignage au service de la justice. L’expérience du collectif des parties civiles pour le Rwanda en France », Les temps modernes, n° 680-681, 2014, p. 238-247.

97. L’appel est en cours pour les deux derniers procès cités.

98. La défense dans ces procès peut par exemple mettre à profit le climat de controverse en France (qui n’existe pas dans d’autres pays) pour tenter de brouiller les perceptions des faits de génocide.

99. P. Smolar, « En France, les avocats s’emparent du rapport Duclert sur le Rwanda », Le Monde, 23 avril 2021.

100. G. Minassian et P. Lepidi, « Vincent Duclert : “Le dossier rwandais a été contaminé par le mensonge, la manipulation et la passion” », Le Monde, 26 mars 2021.

101. F. Arfi, « Génocide des Tutsis : une juge cherche la clé d’une mission secrète dans les archives de l’Élysée », Mediapart, 3 septembre 2022.

102. Le point de vue de l’association Ibuka a été sollicité pour ce dossier mais l’entretien n’a finalement pas pu être réalisé.

103. P. Sartre, « La décision politique dans les engagements militaires de la France », Études, n° 12, 2021, p. 17-28 ; F. Robinet, « Rwanda 1994 : un rapport pour l’Histoire ? », art. cité, p. 17.

104. A. Ricard, « Nécessité du travail de mémoire », Politique africaine, n° 55, 1994, p. 111-115.

105. F. Reyntjens, « Cooptation politique à l’envers : les législatives de 1988 au Rwanda », Politique africaine, n° 34, 1989, p. 121-126 ; F. Reyntjens, « Le gacaca ou la justice du gazon au Rwanda », Politique africaine, n° 40, 1990, p. 31-41.

106. J.-P. Chrétien, « Le défi de l’intégrisme ethnique dans l’historiographie africaniste. Le cas du Rwanda et du Burundi », Politique africaine, n° 46, 1991, p. 71-83 ; J.-P. Chrétien, « “Presse libre” et propagande raciste au Rwanda. Kangura et “les 10 commandements du Hutu” », Politique africaine, n° 42, 1991, p. 109-120.

107. M. Elias et D. Helbig, « Deux mille collines pour les petits et les grands. Radioscopie des stéréotypes hutu et tutsi au Rwanda et au Burundi », Politique africaine, n° 42, 1991, p. 65-73 ; D. Helbig, « Rwanda : de la dictature populaire à la démocratie athénienne », Politique africaine, n° 44, 1991, p. 97-101.

108. G. Prunier, « Éléments pour une histoire du Front patriotique rwandais », Politique africaine, n° 51, 1993, p. 121-138.

109. J.-C. Ferney [pseudonyme], « La France au Rwanda : raison du prince, déraison d’État », Politique africaine, n° 51, 1993, p. 170-175. L’écriture sous pseudonyme témoigne déjà du caractère sensible du sujet dès cette période.

110. J.-P. Chrétien, « Rwanda. La responsabilité de la France », art cité.

111. J.-C. Willame, « Diplomatie internationale et génocide au Rwanda », Politique africaine, n° 55, 1994, p. 116-131. L’article revient sur les critiques portées contre la Belgique, la France et l’ONU.

112. J.-P. Pabanel, « Bilan de la deuxième République rwandaise : du modèle de développement à la violence générale », Politique africaine, n° 57, 1995, p. 112-123, daté d’avril 1994.

113. G. de Villers, « L’“africanisme” belge face aux problèmes d’interprétation de la tragédie rwandaise », Politique africaine, n° 59, 1995, p. 121-132.

114. F. Bernault, « La communauté africaniste française… », art. cité, p. 112.

115. Ibid., p. 112-113.

116. A. Guichaoua, « La réaffirmation des pouvoirs d’État dans la région des Grands Lacs », Politique africaine, n° 68, 1997, p. 40-50.

117. J.-H. Bradol et C. Vidal, « Les attitudes humanitaires dans la région des Grands Lacs », Politique africaine, n° 68, 1997, p. 69-77.

118. É. Gilet, « Les droits de l’homme et la justice pour fonder l’avenir », Politique africaine, n° 68, 1997, p. 61-68.

119. L. Cambrézy, « Un aspect méconnu de la crise rwandaise, les réfugiés de Nairobi », Politique africaine, n° 68, 1997, p. 134-141.

120. J.-P. Getti, « Un tribunal pour quoi faire ? Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) et la poursuite des crimes contre l’humanité », Politique africaine, n° 68, 1997, p. 51-60 ; M.-A. Pérouse de Montclos, « Les séquelles d’un génocide : quelle justice pour les Rwandais ? », Politique africaine, n° 69, 1998, p. 109-118.

121. « Questions aux membres de la “Mission d’information sur les opérations militaires menées par la France, d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994” », Politique africaine, n° 72, 1998, p. 194202. Les signataires sont ACF, Amnesty, Agir ici, CCFD, FIDH, LDH, MSF, OPCF, Survie, Jean-François
Bayart, Rony Brauman, André Guichaoua, Elikia M’Bokolo Yves Ternon et Claudine Vidal.

122. « Rwanda. Réflexions sur les rapports parlementaires de la Belgique et de la France », Politique africaine, n° 73, 1999, p. 159-176 (contributions de J.-P. Chrétien, J.-C. Willame et M. Le Pape).

123. J.-P. Chrétien et E. Gatari, « Le TPIR en question : deux témoignages », Politique africaine, n° 87, 2002, p. 185-191 ; D. de Lame, « Deuil, commémoration, justice dans les contextes rwandais et belge. Otages existentiels et enjeux politiques », Politique africaine, n° 92, 2003, p. 39-55.

124. B. Leloup, « Tentatives croisées de déstabilisation dans l’Afrique des Grands Lacs. Le contentieux rwando-ougandais », Politique africaine, n° 96, 2004, p. 119-138.

125. « Il y a dix ans, le génocide au Rwanda », Politique africaine, n° 93, 2004, p. 4.

126. Voir notamment « Autour d’un livre. Vansina (Jan), Le Rwanda ancien. Le Royaume nyiginya, Paris, Karthala, 2001, 289 pages », Politique africaine, n° 83, 2001, p. 151-160 (contributions de D. Newbury, J.-P. Chrétien et D. de Lame) ; « Autour d’un livre. Jacques Sémelin, Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Paris, Seuil, coll. “La couleur des idées”, 2005, 485 pages », Politique africaine, n° 101, 2006, p. 195-208 (contribution de P.-A. Braud, É. Claverie et S. Straus) ; J.-P. Chrétien et M. Kabanda. « Chronique bibliographique. Débats sur le Rwanda quinze ans après », Politique africaine, n° 115, 2009, p. 211-220.

127. J.-P. Chrétien, « France et Rwanda… », art. cité.

128. T. Riot, « Les politiques de “loisir” et le génocide des Tutsi rwandais. Du racisme culturel aux donjons de la mémoire (1957-2013) », Politique africaine, n° 133, 2014, p. 131-151 ; T. Riot, N. Bancel et P. Rutayisire, « Un art guerrier aux frontières des Grands Lacs. Aux racines dansées du Front patriotique rwandais », Politique africaine, n° 147, 2017, p. 109-134 ;M. Sundberg, « Par le corps et pour l’État : l’itorero et les techniques réflexives du corps au Rwanda », Politique africaine, n° 147, 2017, p. 23-43.

129. B. Chemouni (dir.), « Rwanda. L’État depuis le génocide », op. cit.

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