Fiche du document numéro 24810

Num
24810
Date
Jeudi Décembre 2022
Amj
Taille
1723947
Titre
Les bourgmestres de Kabarondo devant la cour d’assises de Paris : la justice française face au génocide des Tutsi au Rwanda
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
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Résumé
Under France’s universal jurisdiction, two former Rwandan burgermeisters were brought to trial before the Cour d’Assises in Paris for taking part in the genocide of the Tutsi in Rwanda. The trial before the lower Court was held in 2016, and the appeal in 2018. Members of a dislocated community, killers and survivors alike, were reunited more than twenty years after the fact. This article uses the filmed recordings of the trial to analyse the narratives of the genocide delivered to the public and its repercussions before figures of the French judicial system who were strangers to the local world that was summoned before the Court, and investigates how a trial on the genocide of the Tutsi unfolded in France.
Type
Article de revue
Langue
FR
Citation
Aux lendemains du génocide des Tutsi au Rwanda, des juridictions locales
et internationales ont été mises en place afin de juger les auteurs du dernier
génocide du XXe siècle. Cette histoire judiciaire dense constitue un objet majeur
pour les sciences sociales, alors que de nombreux chercheurs se sont penchés sur
ces procédures à différentes échelles. Au Rwanda, les procès dans les gacaca ont
constitué une tentative de réponse à la participation massive de la population
rwandaise au génocide. Hélène Dumas a décrit au ras de la scène judiciaire ces
tribunaux de proximité qui ont traité, entre 2002 et 2012, près de 2 millions de
dossiers. Installées au cœur des collines et animées par des juges élus au sein
de la population locale, les audiences gacaca ont réinvesti la proximité intime
et sociale dans laquelle les massacres ont été commis1. À la même période, le
Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) s’affaire depuis sa création, le
8 novembre 1994, à juger les responsables politiques, militaires et administratifs
du génocide des Tutsi. Jusqu’à sa fermeture en 2015, il a mis en accusation
93 suspects. 75 d’entre eux ont été jugés, 59 ont été condamnés pour génocide et
14 ont été acquittés. L’effort judiciaire du TPIR a contribué à la reconnaissance
internationale du génocide contre les Tutsi et ces procès constituent une source
majeure pour l’écriture de l’histoire, comme l’a montré Ornella Rovetta à partir
du procès du bourgmestre Jean-Paul Akayesu, premier accusé jugé devant
le TPIR2. D’autres recherches ont notamment interrogé le travail d’une Cour
internationale face à l’événement historique du génocide3.
Des juridictions nationales ont aussi mené les poursuites de suspects de
génocide, comme en Europe en vertu des lois de compétence universelle4 et par
refus d’extrader les suspects vers le Rwanda. Le premier jugement en compétence
universelle relatif au génocide des Tutsi est rendu le 30 avril 1999 par le Tribunal
militaire de Lausanne, qui condamne à la perpétuité l’ancien bourgmestre de
Mushubati Fulgence Niyonteze. Deux ans plus tard, les « Quatre de Butare »,
un ancien industriel, un universitaire et deux religieuses, comparaissent aux
assises de Bruxelles du 18 avril au 8 juin 20015, procès qui reflète l’investissement
de la justice belge dans ces dossiers rwandais depuis la fin de l’année 1994,
et qui contraste avec les lenteurs de la justice française. La Cour européenne
des droits de l’homme a ainsi condamné la France le 8 juin 2004 pour nonrespect du droit à un procès dans un délai raisonnable6. Pendant plus de 15 ans,
ces « dossiers rwandais » ont stagné malgré la mobilisation des parties civiles
et la multiplication des plaintes7, certaines ouvertes dès 1995, par des plaignants
individuels et des associations comme la FIDH (Fédération internationale
pour les droits humains), la Licra (Ligue internationale contre le racisme
et l’antisémitisme) et Survie. L’année 2001 marque un tournant avec la création
du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) par Alain et Dafroza
Gauthier8, mobilisés depuis 21 ans pour déférer devant la justice des individus
réfugiés en France soupçonnés d’avoir participé au génocide des Tutsi. À ce
jour, le CPCR a déposé 29 plaintes et s’est constitué partie civile dans 5 affaires
ouvertes avant sa création. La majorité de ces poursuites sont en cours : des
suspects ont fait appel de leur mise en examen, d’autres sont dans l’attente
des réquisitions du parquet, alors que quatre non-lieux ont déjà été requis9.
L’instruction de ces affaires s’est accélérée à partir de 2012 avec la création en
janvier de la même année du « Pôle Crime contre l’Humanité » au Tribunal de
grande instance de Paris ; ce nouvel élan résulte du rapprochement entre la
France et le Rwanda amorcé deux ans plus tôt par le président Nicolas Sarkozy10.
L’effort en matière de justice s’est donc inscrit, au regard du politique, dans le
cadre du processus de réconciliation entre les deux pays. À l’heure actuelle, cinq
Rwandais accusés de génocide et de complicité de génocide ont été jugés devant
des cours d’assises françaises. C’est le cas d’Octavien Ngenzi et de Tito Barahira,
les deux anciens bourgmestres de la commune de Kabarondo dans la préfecture
de Kibungo, dans l’Est du Rwanda. Les deux co-accusés ont été condamnés à
deux reprises à la perpétuité devant les assises de Paris, en première instance
en 2016, puis en appel en 201811.
Ces nombreuses affaires en Europe et en France, encore en cours à l’heure
actuelle, ont été peu étudiées. Citons les contributions de Minna Kimpimäki,
interrogeant la tenue d’un de ces procès en Finlande en 201412, et de Sandrine
Lefranc, qui s’est penchée sur l’exercice de cette justice globale dans le contexte
d’une scène locale à partir du procès de Pascal Simbikangwa13. À l’appui de ces
réflexions, et dans le sillon des recherches précédemment citées, cet article se
penche sur la scène judiciaire de ce procès du génocide des Tutsi en France. Plutôt
que d’interroger les divergences entre la vérité judiciaire et la vérité historique
à partir de cette affaire14, le choix a été fait de recentrer notre analyse sur la
scène judiciaire en elle-même, comme lieu du droit et de la justice en acte, le
point d’orgue d’années d’instruction et d’enquêtes15. C’est sur cette scène que,
pendant deux séquences de neuf semaines, une Cour d’assises, composée de
magistrats et d’un jury populaire, a débattu d’une affaire lointaine de génocide
plus de 20 ans après les faits, en première instance du 10 mai au 6 juillet 2016,
puis en appel du 2 mai au 6 juillet 2018. Des moyens inédits ont été mobilisés par
la justice française afin d’assurer la venue d’une centaine de témoins originaires
du Rwanda, la plupart kinyarwandophones16, appelés à témoigner du massacre
des Tutsi dans leur commune d’origine. En somme, deux audiences hors normes
se sont tenues dans une Cour d’assises ordinaire appelée à juger le crime des
crimes. Les parties et la Cour ont longuement débattu de la culpabilité de deux
anciens bourgmestres, qui sont finalement reconnus responsables du génocide
et condamnés à deux reprises à la perpétuité17. Les membres d’une communauté
locale en partie disloquée ont été réunis dans un tribunal français, dont les acteurs
étaient plus ou moins familiers avec l’histoire du génocide des Tutsi. Toutes les
séances des procès en première instance et en appel ont été intégralement filmées
en vertu de la loi Badinter du 11 juillet 1985 permettant l’enregistrement des
procès dits « historiques18 ». Les 500 heures de films du procès Ngenzi-Barahira,
uniquement consultables sur dérogation pour des travaux de recherche, sont
mises à notre disposition par le département des archives audiovisuelles des
Archives nationales19. Aucune retranscription n’accompagne ces films, répartis
dans une centaine de fichiers découpés en fonction des suspensions et des
reprises d’audience. Le visionnage de cette archive s’appuie de surcroît sur notre
observation partielle du procès en appel et sur les comptes-rendus d’audience
produits par le CPCR20.
Les caméras placées dans la salle d’audience offrent une perspective inédite sur
le procès – elles font voir les témoins de face alors qu’ils sont de dos pour le public.
Le montage est effectué en direct, le réalisateur a pour indication de respecter
le fil de la parole, de placer une des caméras sur celui ou celle qui s’exprime. En
appel, ces règles formelles ont été assouplies grâce à l’intervention de l’historien
et réalisateur Christian Delage et de Martine Sin-Blima Barru, responsable du
département des archives audiovisuelles aux Archives nationales, qui ont soumis
au tribunal un amendement du cahier des charges permettant au réalisateur
d’effectuer des plans serrés sur les témoins et les accusés, des champs-contre-champs et des plans larges. L’enregistrement du procès en appel produit
un objet plus vivant et dynamique que celui de la première instance, alors que
les plans serrés font apparaître plus nettement le langage corporel des acteurs
et saisissent de plus près les échanges. Ce matériau exceptionnel permet
au chercheur de redécouvrir le procès en dehors des limites imposées par
l’immédiateté des débats, et de s’arrêter sur un témoignage, de le reprendre en
détail et le retranscrire. On voit aussi les témoins incarner leur récit : les gestes
et les émotions apparaissent, comme on peut déceler les échanges non verbaux,
les regards et les réactions. Si cette archive nous plonge au cœur du procès, elle
nous en éloigne sur d’autres points : les membres du public, acteurs omniprésents
dans ces deux procès, n’apparaissent qu’en arrière-plan, quand ils ne sont pas
exclus du champ. Les suspensions de séance n’étant pas filmées, des moments
importants du procès n’apparaissent pas dans l’enregistrement, d’où l’importance
de l’observation immédiate du celui-ci.
En somme, cette archive permet d’observer de manière extensive l’événement du
procès, pendant lequel une Cour d’assises a été saisie d’une affaire extraordinaire
de génocide. Contrairement aux gacaca et au TPIR, c’est dans une Cour d’assises
ordinaire, et non pas dans un tribunal spécialisé ou créé à cette occasion, qu’ont
été jugés ces suspects rwandais. S’opère donc sur la scène judiciaire la rencontre
entre un tribunal français et les acteurs d’une affaire rwandaise lointaine, dans
le temps comme l’espace. À travers le procès d’Octavien Ngenzi et Tito Barahira,
nous pouvons observer le passage d’un dossier d’instruction écrit à l’audience21,
et les défis spécifiques qui se sont posés à la Cour et aux parties pour juger et
plaider dans cette affaire. La réussite de ce procès en compétence universelle a
dépendu de la capacité du tribunal à « neutraliser » la distance qui la séparait de
son objet afin de conférer à son jugement une légitimité entière22. Cet enjeu est
redoublé par le contexte politique et judiciaire qui entoure ces affaires portant
sur le génocide des Tutsi rwandais en France, après une longue décennie de
lenteurs, suivies d’une relative accélération amorcée en 2010. Au final, nous
souhaitons interroger ce que cette rencontre entre une procédure française en
Cour d’assises et une affaire liée au génocide des Tutsi produit sur la scène
judiciaire, alors que des magistrats français se sont retrouvés confrontés aux
multiples acteurs d’un monde local étranger, réunis au tribunal. Comment cette
procédure pénale française, strictement délimitée, a fait émerger sur la scène
judiciaire une communauté locale rwandaise qui a rendu compte du génocide,
malgré ces distances réelles ou supposées ?
La justice française en prise avec le génocide des Tutsi
L’affaire Ngenzi-Barahira: évolutions de la justice française
face aux «dossiers rwandais»
En 2016 et en 2018, deux Rwandais ont donc été jugés en France pour leur
participation au génocide des Tutsi. Dès le 7 avril 1994, les massacres se multiplient sur les collines de la commune de Kabarondo, peuplée de 36 000 habitants
dont 3 000 Tutsi. D’une colline à l’autre, les interahamwe23 s’en prennent à leurs
voisins tutsi avec l’accord d’Octavien Ngenzi. Cet ancien agronome originaire
de la commune succède à Tito Barahira en 1986. Ce dernier détenait encore une
grande influence auprès de la population, alors qu’il est élu quelques mois avant
le génocide président du MRND dans la commune. Les deux hommes sont forts
de leur autorité dans une région marquée par l’influence du colonel Pierre-Célestin Rwagafilita, chef d’état-major de la gendarmerie rwandaise jusqu’en
1992, qui participe activement à la préparation et à l’exécution du génocide dans
la préfecture24. Les jours suivants, les massacres se propagent jusqu’au cœur de
la commune, où les Tutsi pourchassés trouvent refuge dans l’église de l’abbé
Oreste Incimatata, qui tente de les protéger des tueurs. Au matin du 13 avril, les
quelque 3 000 Tutsi réfugiés25 dans l’église sont attaqués par les interahamwe et
les militaires venus en renfort, à la demande du bourgmestre, du camp militaire
de Kibungo situé à 15 kilomètres au sud de Kabarondo. En fin de journée, les
tueurs font sortir les survivants de l’édifice et les achèvent sur l’ordre de Tito
Barahira. Du 13 au 17 avril, les deux hommes poursuivent, avec les miliciens et
les militaires, la traque des Tutsi cachés dans la commune et les transportent au
camp militaire afin de les faire assassiner. Devant l’arrivée imminente des troupes
du FPR le 20 avril26, Octavien Ngenzi et Tito Barahira fuient la région avec leurs
administrés et prennent la direction du camp de Benako en Tanzanie. Le premier
rejoint le Kenya en septembre 1996, puis Mayotte sous une fausse identité. Le
second rejoint sa famille à Toulouse en 2004 après huit années passées au Kenya.
Ici, le récit du génocide à Kabarondo se transforme en récit d’une affaire
judiciaire et de son cheminement. Et ces deux affaires ont clairement bénéficié
du renforcement des moyens accordés à la justice à partir de 2012. Le réchauffement diplomatique entre la France et le Rwanda a non seulement permis
la collaboration judiciaire entre les deux pays, mais, surtout, l’État français a
accordé à la justice des moyens supplémentaires pour prendre en charge ces
affaires difficiles à mener à terme du fait de la nature des faits et de leur complexité, ainsi que de leur double éloignement géographique et temporel. Outre
le pôle d’instruction des crimes contre l’humanité, ont été créés un parquet
dédié à ces affaires de crimes contre l’humanité, ainsi qu’un nouveau service
au sein de la ­Gendarmerie nationale consacré à la poursuite des suspects de
génocide et crimes contre l’humanité, l’Office central de lutte contre les crimes
contre l’humanité (OCLCH) en 2013. Les enquêtes visant Octavien Ngenzi et
Tito Barahira ont grandement bénéficié de ce renfort matériel et humain. Suite
au rejet de sa demande d’asile en mars 2010 par l’Ofpra (Office français de
protection des réfugiés et apatrides), Octavien Ngenzi, qui fait l’objet depuis
avril 2009 d’un mandat d’arrêt international émis par le procureur général
du Rwanda, est mis en examen en mai 2010 par le parquet de Mamoudzou à
Mayotte, puis placé en détention provisoire au mois de juin. Au même moment,
le CPCR dépose une plainte avec constitution de parties civiles contre l’ancien
bourgmestre, puis contre Tito Barahira un an plus tard. Dans ce cas comme
dans le précédent, la mobilisation du CPCR a constitué une étape fondatrice de
l’affaire : Alain et Dafroza Gauthier se sont rendus au Rwanda afin de recueillir
les premiers témoignages des plaignants rescapés du génocide à Kabarondo.
Après les premiers déplacements des gendarmes de la section de recherche et
des magistrats instructeurs au Rwanda entre 2011 et 2012, Tito Barahira est mis
en examen à son tour en avril 2013 et écroué. Des centaines d’auditions, en collaboration avec les services de la police judiciaire rwandaise, sont menées sur
place jusqu’en 2014. Une ordonnance de jonction des deux dossiers est rendue en
juillet 2013, du fait de la proximité des faits jugés autour de la commune. Ainsi,
au printemps 2014, Octavien Ngenzi et Tito Barahira sont renvoyés devant les
assises de Paris. Cette double affaire témoigne donc de l’impact du renfort des
moyens de la justice à partir de 2012, contrairement aux affaires antérieures qui
ont accusé un retard parfois impossible à rattraper, alors que certains suspects
visés par des enquêtes et des témoins importants sont décédés27.
De l’affaire au «dossier»: un savoir circonscrit aux faits
Le procès des deux bourgmestres est l’aboutissement de ce travail d’enquête
et d’instruction rassemblé dans le dossier. L’ordonnance de mise en accusation
(OMA), achevée à la clôture des investigations, atteste du long et conséquent
effort de recherche produit par les enquêteurs et les magistrats. Ce document,
qui établit un premier récit judiciaire du génocide à Kabarondo, énumère les
témoignages recueillis sur place et opère un découpage du génocide dans la
commune en différents épisodes et multiples scènes de crimes. Il constitue en
somme un résumé du dossier qui structure les débats devant la Cour. L’audience
en suit la trame, à laquelle les jurés et les deux juges assesseurs n’ont pas accès,
contrairement aux présidentes, au ministère public et aux parties28. L’OMA
est ainsi lue au premier jour du procès par la présidente. Ensuite, les témoins
experts, les psychologues et les enquêteurs de personnalité mandatés par la Cour
pour se pencher sur le profil des accusés se succèdent à la barre. Ces derniers
sont interrogés avant les témoins de contexte, dont la venue traduit la présence
dans le dossier d’instruction d’éléments qui permettent une compréhension
plus générale de l’événement historique dans lequel s’inscrit l’affaire. Le dossier
est ainsi composé d’un volet « contexte », qui rassemble un corpus de rapports,
d’ouvrages historiques ou d’articles. Sur ce point, les témoins en question n’ont
pas de réel statut juridique29 et peuvent être appelés par les parties, le parquet et
la Cour. 16 sont venus témoigner en première instance et 18 en appel. Parmi eux,
on compte des historiens, des journalistes, des témoins du génocide présents au
Rwanda en 1994, ou encore des militants et des hommes politiques, acteurs de
l’époque. Leur convocation a alimenté un débat dans le débat, en lien avec les
polémiques françaises qui entourent le génocide des Tutsi30. Viennent ensuite,
jour après jour, les différents témoins qui évoquent ces multiples scènes du génocide dans la commune. Parmi ces témoins des faits rwandais, on peut distinguer
trois groupes, victimes directes, victimes indirectes et acteurs des massacres :
17 rescapés, qui résidaient à Kabarondo en 1994 et dans ses environs, ont été
entendus ; 12 opposants au bourgmestre, notamment des Hutu ayant tenté de
sauver des Tutsi, ont témoigné ; 26 individus ayant participé aux massacres ont
été appelés à la barre (6 d’entre eux ont déposé en visioconférence depuis leur
prison)31. Une dizaine d’autres habitants de Kabarondo ont été entendus. À
partir de ces témoignages, entendus préalablement pendant la procédure, les
enquêteurs et le magistrat instructeur ont retenu trois séquences majeures dans
le massacre de Kabarondo. Tout d’abord, les témoins ont relaté les massacres
commis sur les collines du 7 au 12 avril 1994. La Cour a entendu les tueurs, qui ont
pour la plupart purgé leur peine. Des opposants au bourgmestre et des proches
de ce dernier ont aussi été appelés pour raconter l’étouffement des résistances
locales et l’assassinat de notables tutsi influents. Ensuite, les témoins du massacre de l’église le 13 avril ont été appelés à la barre. La plupart des rescapés et
des parties civiles dans le dossier se sont exprimés à cette occasion, notamment
l’abbé Oreste Incimatata, curé de l’église de Kabarondo en 1994. Enfin, la Cour
s’est intéressée à la poursuite du génocide à Kabarondo après le massacre de
l’église du 13 avril et jusqu’à la fuite des accusés vers le 20 avril. Les complices
du bourgmestre ont été appelés pour parler de l’ensevelissement des cadavres
de l’église le 15 avril, puis les témoins ont raconté comment Octavien Ngenzi,
Tito Barahira et des militaires sont venus perquisitionner leur domicile afin de
rechercher des Tutsi.
Le procès fait entendre un éventail de récits qui résument les grandes étapes
du massacre dans la commune : les quatre groupes décrits plus haut, réunis
autour de critères expérientiels, permettent d’approcher le génocide au niveau
communal dans sa globalité. L’ordonnancement des témoins et des faits répond
certes à une logique d’ordre pénale, mais il conserve une pertinence historique
qui permet de comprendre le déroulement du génocide à Kabarondo et comment
les voisins ont été enrôlés dans les massacres : les notables extrémistes et les
groupes de miliciens aguerris se sont déplacés de collines en collines, des zones
reculées de la commune vers son centre, afin d’inciter la population à se joindre
à eux pour massacrer les Tutsi, en s’appuyant sur des extrémistes du cru faisant
figure d’intermédiaires locaux. L’accusation a très justement insisté en première
instance sur la dimension politique de la diffusion des massacres. Suite à une
question de l’avocat général Philippe Courroye, un conseiller de secteur opposé
au génocide a expliqué comment un homme d’affaires proche d’Octavien Ngenzi
et de Tito Barahira l’a violemment démis de ses fonctions et remplacé par un
notable extrémiste32. Si la responsabilité des deux accusés était au cœur des
débats, les témoins ont évoqué les réseaux au sein desquels s’inséraient les deux
notables, et comment ces derniers fraternisaient avec leurs complices dans les
cabarets de la commune, lieu privilégié de socialisation et d’échanges pour ces
élites extrémistes régionales33. Cependant, les débats se sont tenus dans un cadre
restreint. Les récits du génocide à Kabarondo se sont fait entendre dans la limite
des éléments retenus « au dossier », pour reprendre une formule maintes fois
entendue. Les faits jugés sont nettement distingués du contexte, présenté dans
le dossier et à l’audience comme en arrière-plan de l’affaire. Pourtant, l’action
des deux bourgmestres apparaît indissociable de celle des autres autorités de la
préfecture avec lesquels ils collaboraient, d’autant plus que l’action des tueurs
déborde le cadre communal sur lequel le procès s’est concentré : un des témoins
clé dans cette affaire, le chef des interahamwe Emmanuel Habimana, chauffeur
de profession, a raconté à la Cour comment lui et ses collaborateurs ont sillonné
tout l’Est du pays du 7 au 20 avril dans le but d’organiser le massacre des Tutsi
dans toute la préfecture34. On remarque lors de l’audience le soin avec lequel
les magistrats font respecter l’ordre du dossier : il est ainsi proscrit d’aborder
les déclarations d’un témoin entendu lors de l’instruction avant qu’il ne soit
entendu. Les magistrats ont aussi veillé à ramener les débats vers leur objet
final, les deux accusés. L’organisation du procès répond à ce resserrement sur le
dossier, clos sur lui-même, et l’évocation de nouveaux éléments s’est heurtée à
cette étanchéité de la procédure. Plusieurs témoins ont ainsi raconté comment un
notable proche du bourgmestre a ordonné que soient « épargnées » les femmes
tutsi après le massacre de l’église. Ces paroles rapportées ont été au cœur d’une
série de malentendus. La présidente, Madeleine Mathieu, n’a pas tout de suite
compris qu’il n’était pas question de leur assurer une protection mais de les
« épouser », un euphémisme qui évoque les viols commis dans la commune.
Ces viols, clairement abordés par certains témoins, devant la Cour et ailleurs35,
n’apparaissent pas dans le dossier, si l’on en croit la présidente en appel répétant à
de multiples reprises que ces faits n’y figuraient pas36. Marcel Kabanda, historien
et président de l’association Ibuka en France, s’en est étonné devant la Cour,
rappelant le caractère systématique des violences sexuelles lors du génocide37.
Aucun des témoins appelés à la barre n’aurait mentionné ces faits à l’occasion
des multiples auditions menées au long de l’instruction. Et leur mention en
première instance n’a pas influé sur le contenu du dossier, la première instance
étant considérée comme non avenue lors de l’appel. Les témoins ré-entendus
devaient ainsi s’exprimer comme s’il s’agissait de la première fois, alors que
nombre d’entre eux ont renvoyé les magistrats et les parties au témoignage fourni
deux ans plus tôt.
Des zones d’ombre sont demeurées du fait des limites imposées par le dossier,
alors que les témoins à la barre devaient réitérer les témoignages donnés antérieurement afin d’en évaluer la crédibilité38. Le génocide des Tutsi à Kabarondo
est ainsi passé par le filtre de l’instruction et de son caractère hermétique, fragmenté par les points aveugles de l’enquête ou les silences initiaux des témoins.
L’audience en Cour d’assises présente toutefois un paradoxe. Si les débats sont
limités au dossier, l’audience a pour objectif assumé par la Cour de faire émerger
ce qui n’a jamais été énoncé : le prétoire est le lieu où les faits et les témoignages
s’animent et s’incarnent par rapport à la somme livresque que constitue le dossier39. La procédure pénale autorise en grande partie l’expression relativement
libre des témoins, notamment dans le cas présent, sur la façon dont ils ont vécu
le génocide, mais aussi sur leur vie dans la commune avant les faits, aux côtés
d’accusés qu’ils connaissaient bien. Parfois en marge du jugement, ces récits ont
longuement occupé les deux audiences. Cette souplesse semble caractériser les
scènes de Cour d’assises, moins étudiées que les tribunaux de la justice pénale
internationale40 – la scène judiciaire du TPIR étant, par ailleurs, très différente41.
Ces différences de procédure influent sur les récits donnés par les témoins : dans
le cas présent, les habitants de Kabarondo ont pu faire le récit de leur vie dans
la commune avant le génocide, de leur traversée du printemps 1994, et décrire
en détail les liens qui les unissaient et les unissent encore aux accusés. De ce
point de vue, la scène judiciaire française se démarque : des récits, longtemps
cantonnés au dossier et encadrés par les questions posées par les enquêteurs,
se sont dépliés devant la Cour. On retrouve dans ces témoignages les faits visés
par l’instruction, mais aussi des évocations exhaustives de l’avant 1994, les
témoins expliquant plus largement ce qu’était la vie dans la commune avant le
génocide. Au cœur du procès, et souvent en marge de l’affaire, les liens affectifs
et sociaux qui unissaient les membres de cette communauté réunis au procès
ont occupé les débats.
Les habitants de Kabarondo entre eux
et devant la Cour d’assises
Les retrouvailles d’une communauté locale
Observons plus en détail le déroulement du procès, dans cette tension entre le
cadrage du dossier et la parole accordée aux témoins. Convoqués à la barre, les
anciens habitants de Kabarondo ont retrouvé leurs semblables devant la Cour.
D’autres ont croisé leurs voisins actuels dans un autre contexte. Leur venue à
Paris a renforcé la promiscuité difficile de l’après-génocide, notamment dans
les milieux ruraux où la coexistence entre victimes et bourreaux n’a jamais
cessé. Dans la navette faisant le voyage entre l’aéroport Charles de Gaulle et la
Cour d’assises, des rescapées se sont ainsi retrouvées assises à côté des tueurs
de leurs proches42. Ce ne sont pas seulement des acteurs réunis par une même
affaire qui arrivent au tribunal, mais des individus issus d’une même communauté. Ces retrouvailles, qui reforment la société rurale de Kabarondo en creux,
constituent un fil rouge dans le procès, alors que cette même proximité est un
élément central du génocide.
Des scènes profondément locales se sont fait entendre durant les audiences,
alors qu’ont resurgi quotidiennement des « fragments de groupes amicaux
et familiaux43 », comme le note très justement Sandrine Lefranc. Les témoins
énumèrent les différents liens de proximité qui les unissaient aux accusés et aux
habitants de la commune, d’autant que ce tissu social a été réinvesti par les tueurs
pendant le génocide : ces derniers ont très souvent tué en groupe, entre amis ou
même en famille44. Pour raconter cette vie d’avant, les témoins décrivent à la Cour
les réalités concrètes de ces relations de proximité. Ils évoquent leur quotidien
ordinaire mais aussi les rituels qui ponctuent la vie sociale, souvent inscrits dans
le fait religieux. Un rescapé, ami d’enfance d’Octavien Ngenzi, explique ainsi
que son grand frère était le parrain du bourgmestre et le sien, faisant d’eux des
« frères dans la chrétienté45 ». Ces rappels d’une vie commune passée laissent
entrevoir la profondeur de ces liens affectifs, qui dépendaient aussi du statut
social des témoins par rapport aux accusés. Ces hiérarchies sociales perdurent
jusqu’à l’audience46, comme l’illustre le contraste entre la comparution du prêtre
Incimatata, notable qui s’exprime dans un français irréprochable, et celle d’un
paysan n’ayant jamais quitté sa colline, portant une veste trop grande prêtée par le parquet de Kigali47. Les victimes saisissent aussi cette occasion pour charger
les accusés en racontant leur trahison. Âgé de 72 ans lors de son témoignage en
première instance, Osée Karekezi, un ancien fonctionnaire opposé au massacre,
explique avoir été le « père spirituel » d’Octavien Ngenzi. Au début des années
1970, il accorde au futur bourgmestre une place dans l’école secondaire dont il
était le directeur. Malgré leur amitié, explique le témoin ému, Octavien Ngenzi
perquisitionne violemment son domicile le 17 avril 1994 à la recherche de sa fille,
soupçonnée d’être liée au FPR48. Pour autant, ce bouleversement des liens sociaux
et affectifs dans le génocide ne semble pas avoir aboli les liens antérieurs de
proximité. Ainsi, lors des suspensions de séances, plusieurs témoins, dont Osée
Karekezi, ont échangé avec les accusés, ainsi qu’avec leurs familles présentes
sur les bancs du public. Un rescapé indiquait de la même manière avoir croisé
à l’audience un tueur récemment sorti de prison et lui avoir malgré tout serré la
main, « en bons voisins49 ».
Le rôle joué par les acteurs sociaux lors du génocide n’efface pas leur identité
sociale, ni leur place dans ces relations affectives. En effet, un tueur était souvent
un voisin ou un proche, de même qu’un rescapé était un ami d’enfance, un
témoin de mariage, un proche voisin. Ils le sont restés pendant le génocide et
dans son après-coup, parfois malgré la distance qui les séparait. 22 et 24 ans
après les faits, des trajectoires très différentes transparaissent à l’audience : d’un
côté, les habitants de Kabarondo restés sur leur colline, qu’ils soient rescapés
ou tueurs ; de l’autre, des accusés en exil depuis le génocide et leurs proches,
ainsi que des survivants ayant reconstruit leur vie en Europe. La Cour devient
ainsi un espace où convergent ces acteurs locaux délocalisés et relocalisés à l’issue
du génocide. Des rescapés ont souhaité interpeller les accusés eux-mêmes, à
l’instar d’une habitante de Kabarondo qui, au début de sa déclaration spontanée
en appel, leur demande où se trouve la dépouille de ses proches. Les rescapés
ont raconté leur recherche entamée à partir de 1994, rappelant à la barre la série
de procès gacaca qui se sont tenus à Kabarondo, ainsi que les commémorations
lors desquelles les témoins ont entendu le récit d’autres rescapés qui leur ont
appris ce qui était arrivé aux leurs50. Ces récits ne sont pas sans rappeler que la
distance expérientielle qui sépare les acteurs du génocide s’est considérablement
creusée entre 1994 et 2016, puis 2018. La majorité des victimes sont restées chez
elles, à Kabarondo, sur les terres de leur famille décimée, alors que les deux
accusés ont pu fuir et retrouver leurs familles respectives. Les rescapés ont
longuement insisté sur le contraste qui oppose leurs cellules familiales à celles
des deux accusés, accompagnés des leurs même après leur fuite. Une rescapée
dont les enfants ont péri dans l’église prend ainsi à témoin la Cour : « J’avais
des enfants aussi. S’ils n’avaient pas été tués, ils seraient de l’âge de ceux de
Ngenzi aujourd’hui. Ngenzi et Barahira ont des petits-enfants, moi je n’ai rien51. »
Ces échanges nourrissent une confrontation d’autant plus vive que les deux
anciens bourgmestres ne reconnaissent pas toujours – ou font mine de ne pas
reconnaître – leurs anciens voisins. En appel, la présidente Xavière Simeoni
demande à Octavien Ngenzi s’il reconnaît Christine Muteteri, une rescapée
venue témoigner. L’intéressé répond par la négative. Décontenancée, Christine
Muteteri s’en indigne devant la Cour :
Le témoin: «Il ne me reconnaît pas ? C’est mon voisin! D’ailleurs, j’ai moi-même enterré sa
mère, elle s’appelle Mukabisangwa, nous sommes voisines comme ici et là [le témoin écarte
ses mains de part et d’autre de la barre pour signifier la proximité des deux foyers], sa mère
était une grande amie à moi, et d’ailleurs, quand elle est décédée, j’étais présente.
»
La présidente: «Il vient de dire qu’il ne vous connaît pas.
»
Le témoin: «Mais moi, je le connais, sa mère aussi
!
» [le témoin rit en direction de l’accusé
et le regarde].
La présidente: «Vous le reconnaissez là, vous le reconnaissez aujourd’hui
?
»
Le témoin: «Je l’ai reconnu. Oui, je l’ai reconnu. De chez moi à chez lui, il n’y a même pas
un kilomètre […]. Comment peut-il dire qu’il ne me reconnaît pas
?» [le témoin pointe du
doigt l’accusé]52.
À l’image de cet échange houleux, ce sont de véritables face-à-face auxquels
on peut assister à l’audience. Invité par son avocat, un rescapé qui fut un ami
d’enfance d’Octavien Ngenzi s’adresse directement à l’accusé : « Ngenzi, que ton
cœur puisse te conseiller. Pose-toi la question, à la fin de ta vie sur cette terre,
penses-tu que Dieu va te pardonner ? […] Dis à tes enfants ce que tu as fait et
laisse-les aller au Rwanda, qu’ils viennent vivre avec nous53. » Alors que le témoin
s’exprime, le réalisateur a effectué un plan serré sur le visage d’Octavien Ngenzi,
impassible à travers le box. À la fin de la déclaration du témoin, l’accusé laisse
échapper un sourire réprobateur et secoue la tête en direction de la Cour. Les
enregistrements permettent de saisir avec finesse le langage corporel des acteurs
de l’audience, pour qui les gestes adressés aux accusés ou aux autres témoins,
parfois anodins, renvoient à ces retrouvailles. Un témoin raconte comment, à la
suspension de l’audience, Octavien Ngenzi lui fait signe pour le saluer. Le témoin
reste perplexe face à ce geste mais, surtout, devant sa propre réaction : « Et moi,
innocemment, je lui réponds, mais je l’ai très vite regretté. Je me suis demandé
pourquoi je lui avais dit bonjour54. »
Le tribunal face aux Rwandais : dépasser la distance ?
Les repères partagés par cette communauté locale se sont fait entendre, à
l’image du fréquent renvoi au jugement divin qui reflète l’importance du fait
religieux chrétien dans la société rwandaise. En appel, l’avocate de Tito Barahira a d’ailleurs repris un témoin qui jurait sur Dieu, rappelant à la Cour que
la procédure devait rester laïque55. Cet épisode, pris parmi d’autres, traduit les
décalages entre l’univers social et culturel des témoins de Kabarondo et celui de
la Cour et des parties. Est venue s’ajouter aux habituels défis judiciaires d’une
Cour d’assises cette impression d’étrangeté, redoublée par la complexité des
faits et par leur éloignement dans l’espace et dans le temps. L’écart de plus de
15 ans entre les faits et l’instruction a obligé les enquêteurs et les magistrats à
rassembler les premiers savoirs judiciaires produits par les autorités rwandaises,
la police mais aussi les gacaca, et par d’autres enquêtes internationales sur des
affaires de génocide aux alentours de Kabarondo ; de nombreuses pièces citées
au dossier se réfèrent ainsi à des témoignages délivrés dans les gacaca, mais aussi
lors d’autres procès au TPIR et en Belgique56. Arrivée en dernière, l’instruction
française intervient au bout d’une longue chaîne impliquant tant la justice locale
qu’internationale.
L’important travail d’investigation des gendarmes et des magistrats a produit
une archive conséquente. Toutefois, la documentation qui figure au dossier est
restée incomplète, notamment sur la question de l’espace de la commune. En
première instance, un plan du centre de Kabarondo a été tendu à un rescapé afin
qu’il indique l’emplacement du Centre de santé, lieu important des massacres. Ce
sur quoi le conseil d’Octavien Ngenzi, un avocat des parties civiles, et l’Avocat
général ont quitté leur place pour rejoindre le témoin à la barre et scruter avec
lui cette carte topographique 1/50 000e difficilement lisible pendant de longues
minutes57. Les parties et les magistrats n’ont pas pu s’appuyer sur une carte
administrative de la commune précisant les délimitations des différents secteurs
et cellules auxquels ont fait référence les témoins. Ce manque d’éléments matériels
s’est d’autant plus fait ressentir dans un dossier où l’essentiel de la preuve reposait
sur des témoignages oraux, pour la majeure partie en kinyarwanda traduit.
Selon les magistrats, la présence certes indispensable des interprètes a constitué
un « écran » entre les témoins et la Cour, ôtant aux échanges leur spontanéité
et leur naturel58. À l’inverse, les témoins francophones ont été accueillis avec
soulagement, en atteste la réaction de la présidente en appel devant un témoin
qui, à sa surprise, lui répond en français :
La présidente: «Faites entrer le premier témoin […]. Bonjour, Monsieur.
»
Le témoin [en français]: «Bonjour, Madame.
»
La présidente: «Ah! vous parlez français
?
»
Le témoin: «Oui.
»
La présidente: «Eh bien, en voilà une bonne nouvelle
!» [Les jurés et les assesseurs rient]59.

Omniprésents aux côtés des autres témoins, les interprètes ont dû intervenir
à de nombreuses reprises afin de clarifier des ambiguïtés linguistiques. Un
témoin a ainsi expliqué qu’elle avait supplié Octavien Ngenzi de l’aider mais
que c’était comme « gucurangira abahetsi », une expression que l’interprète traduit
littéralement par « chanter pour les hommes qui portent le malade ». L’interprète
s’est ensuite adressé à la Cour et au ministère public pour en clarifier le sens :
« Ça veut dire qu’elle [le témoin] perdait son temps pour rien60. »
Grâce aux enregistrements, on peut observer comment, du fait de leur seule
venue, certains témoins rwandais ont décontenancé les acteurs de la justice. Leur
comportement ou leur apparente gêne, parfois considérés comme inhabituels,
ont nourri une impression d’étrangeté auprès des magistrats et des membres du
tribunal. Au moment de jurer, de nombreux témoins ont tendu le bras très haut
sans le baisser avant qu’on ne leur demande, suscitant les réactions amusées des
acteurs du procès et du public61. Pour expliquer leurs hésitations ou encore les
malentendus qui se sont produits à l’audience, certains, notamment les avocats
de la Défense, ont privilégié des explications d’ordre culturel. Ils ont apposé des
discours culturalistes sur une distance culturelle bien réelle pour décrédibiliser
les témoins. Le conseil de Tito Barahira en appel a ainsi affirmé que les Rwandais
venus témoigner prétendaient avoir vu des choses qu’ils n’avaient pas vues. Un
aspect naturel, ajoute-t-elle, du rapport des Rwandais à la vérité, incompatible
avec celui d’une Cour d’assises française62. En outre, les avocats d’Octavien
Ngenzi ont soutenu l’idée que le mensonge est une propension naturelle
de leur culture. À ce titre, ils ont appelé à la barre le journaliste Pierre Péan
comme témoin de contexte, affirmant que le mensonge est « culturel depuis des
siècles » au Rwanda, tout particulièrement chez les Tutsi63. Ces discours s’insèrent
dans une stratégie de défense, mais ces jugements et hypothèses portant sur
une « culture rwandaise » essentialisée n’ont pas seulement été évoqués par les
avocats de la Défense : certains témoins de contexte appelés par le ministère
public ont attribué à des causes prétendument culturelles les contradictions ou les silences de certains témoins. Ainsi, pour expliquer la pudeur dont les
victimes ont fait preuve pour exprimer leurs émotions et décrire des faits d’une
extrême violence, un officier de gendarmerie française ayant participé à l’enquête
a suggéré que les Rwandais avaient une propension générale à la retenue, là
où, à l’inverse, des témoins français seraient plus prompts à se déverser64. Un
autre officier de gendarmerie, chargé de l’enquête entre 2010 et 2014, a expliqué
à la Cour qu’il était possible, la plupart du temps, de distinguer les Hutu et les
Tutsi physiquement, les uns présentant un « physique de type congolais » et les
autres une morphologie « plutôt éthiopien[ne] »65, reprenant ainsi les distinctions
somatiques héritées des sciences coloniales66.
La complexité des faits et la difficulté à traiter du génocide face à ceux qui
l’ont vécu ont mis les magistrats dans une position inédite. Ces derniers se sont
interrogés sur la manière d’interroger un rescapé du génocide ou, a contrario, un
tueur ayant participé à un crime de masse, issus d’un pays étranger, à l’histoire
et aux normes culturelles différentes et lointaines. Ici, la question n’est pas la
distance socio-culturelle bien réelle qui sépare la Cour et les témoins, mais
plutôt la distance que les acteurs du procès ont eux-mêmes perçue et ressentie
par rapport aux témoins. Interrogée sur son expérience du procès en appel,
la présidente Xavière Simeoni revenait en 2021 sur une question qu’elle avait
posée à une rescapée :
« J’ai gardé en mémoire notamment – je crois qu’elle faisait partie des femmes qu’on a
­entendues tardivement un soir – une femme qui avait perdu son époux et ses enfants, et
je lui ai demandé si elle avait refait sa vie […]. Elle a été en quelque sorte offusquée par ma
question, en me disant : “Mais comment voulez-vous que je refasse ma vie, avec l’âge qui
était le mien ?” Et j’ai compris que je n’aurais pas dû la poser, cette question, je ne voulais
pas la blesser67. »
Le visionnage de cet extrait, dont Xavière Simeoni a gardé un souvenir très
précis, permet d’appréhender les difficultés qu’ont rencontrées les membres de
la Cour, mais aussi les parties, pour aborder ces échanges douloureux, euxmêmes embarrassés ou touchés par la souffrance des rescapés et la violence des
faits décrits. Cette réaction de la présidente reflète la progressive découverte
par la Cour de l’ampleur du génocide et de la spécificité de ses dégâts, alors que
se présentaient notamment des rescapés, qui ont pour certains montré les
cicatrices qu’ils portent depuis 1994. Plus que la découverte d’un univers local
étranger, la Cour a été confrontée aux acteurs et aux victimes du génocide des
Tutsi, incarnés devant elle. Et c’est, au final, cette distance entre ceux qui ont
traversé le génocide et ceux qui ne l’ont pas connu qui est apparue au tribunal68. Avocat d’origine rwandaise des parties civiles, Maître Richard Gisagara a
demandé à une rescapée pourquoi elle avait employé la formule « baratwishe » (« ils
nous ont tués ») pour parler des victimes et d’elle-même, qui a pourtant survécu.
Le témoin, infirme depuis 1994, a répondu par l’intermédiaire de l’interprète :
« On m’avait tuée également, je ne sais pas si vous m’avez vraiment regardée69. »
Ce sur quoi la Cour, le ministère public et les parties ont gardé le silence.
Un procès entre la France et le Rwanda
Cette affaire a fait émerger devant la Cour une communauté d’antan décimée et disséminée par le génocide au-delà des seuls accusés. Bien que focalisé
sur ces derniers, le procès s’est ouvert sur une histoire plus large, celle d’une
commune où les autorités locales et les voisins se sont retournés contre des
victimes qu’ils connaissaient bien. En questionnant ses membres, la Cour n’a
pas seulement été confrontée aux subtilités d’une affaire locale issue d’un pays
étranger, mais aux enjeux même du génocide des Tutsi et de ses conséquences,
au plus près du retournement des liens de proximité. Le dossier Ngenzi-Barahira
a exigé des membres du tribunal qu’ils étendent le champ de leur investigation
au-delà du dossier, à un génocide encore actuel dans ses conséquences et dans
les communautés de deuil qui se sont construites à partir de 1994. Les émotions
décrites un peu plus haut ont traversé la Cour mais aussi le public, presque totalement absent de l’archive. Pourtant, les spectateurs du procès sont eux aussi des
acteurs de l’audience : on a pu noter pendant l’appel la souffrance manifeste de
certaines parties civiles ou de proches des victimes, certains quittant la salle
pendant le récit des témoins, d’autres indignés à l’écoute d’anciens tueurs70. Les
questions de la Défense ou le comportement des accusés ont aussi provoqué
l’ire des parties civiles et, inversement, l’approbation des familiers des deux
anciens bourgmestres. En effet, quelques jours avant la fin de l’audience en
appel, ­Octavien Ngenzi a déclaré que le verdict du procès Simbikangwa avait
été annoncé à la radio au Rwanda avant qu’il ne soit rendu à Paris. Une partie
du public a laissé éclater sa colère, alors que les proches d’Octavien Ngenzi,
assis sur la même rangée, ont défendu vocalement les propos de l’accusé71. Ces
réactions sont pourtant à peine audibles dans les films. Les bancs clairsemés du
public étaient presque uniquement occupés par des individus liés, de près ou de
loin, à l’histoire du génocide à Kabarondo. Ils n’étaient pas de simples spectateurs
extérieurs et désengagés, mais des acteurs mobilisés dans ces procès, vivant pour
beaucoup entre la France, la Belgique et le Rwanda72.
Aussi, cette scène judiciaire française n’est pas restée imperméable à l’actualité
et aux débats qui, en France, entourent le génocide des Tutsi, notamment à propos
des responsabilités françaises. Lors de son procès entre le 24 novembre et le
16 décembre 2021, Claude Muhayimana, citoyen français depuis 2010, a déclaré
avoir servi d’intermédiaire aux soldats français de l’opération Turquoise à partir
de la fin juin 1994. Le général Patrice Sartre a ainsi été appelé à la barre afin de
préciser ces liens établis avec des « guides » hutu sur le terrain, et pour expliquer
la lettre qu’il avait adressée à l’Ofpra pour soutenir la demande d’asile de l’accusé.
À cette occasion, l’ancien commandant du RICM (régiment d’infanterie chars de
marine) au sein de l’opération française a été interrogé sur le rôle ambigüe des
militaires français au Rwanda, huit mois après la publication du rapport de la
commission Duclert73. Les prochaines affaires donneront sans doute à voir les
conséquences du rapprochement entre Kigali et Paris, confirmé par le discours
d’Emmanuel Macron le 27 mai 2021 et sa réception par Paul Kagame. Alors
que la question judiciaire est considérée comme centrale dans le processus de
réconciliation, l’ambassadeur de France au Rwanda a déclaré que l’objectif était
d’organiser un procès de suspects de génocide en France tous les six mois74.
Évoluant au rythme des transformations politiques et médiatiques françaises par rapport au Rwanda, ces procès donnent à entendre des récits incarnés
du génocide, à l’échelle des témoins et des communautés qui l’ont traversé.
À l’instar des autres affaires liées au génocide des Tutsi jugées en France, le procès d’Octavien Ngenzi et Tito Barahira constitue plus qu’un moment judiciaire
« historique ». Il a pour enjeu la transmission de l’Histoire du dernier génocide
du XXe siècle devant la société française, et ce malgré l’écart temporel qui se
creuse entre les faits jugés et les procès. Du 9 mai au 12 juillet 2022, l’ancien préfet
de Gikongoro, Laurent Bucyibaruta, a comparu à son tour devant la Cour
d’assises de Paris. Cet ancien politicien de 78 ans, accusé d’avoir organisé les
massacres dans les paroisses de Kibeho, de Kaduha et à l’école technique de
Murambi, était visé par une plainte de la Fédération internationale des droits de
l’Homme (FIDH) depuis janvier 2000. « Le temps a fait son œuvre75 », a déploré
Maître Jean-Marie Biju-Duval en ouverture d’audience, soulignant que plusieurs
témoins clés de la Défense sont décédés entre-temps. Les avocats des parties
civiles ont rappelé qu’il en était de même pour les victimes : beaucoup d’entre
elles ne pourront jamais faire valoir leur droit devant la Cour.
Lors de ces procès qui se tiennent trois décennies plus tard, alors que certains
témoins disparaissent et que les faits s’éloignent davantage, le génocide devient-il
inaccessible ? Appelée à déposer comme témoin de contexte le 13 mai 2022,
l’historienne Hélène Dumas a commenté les photos prises par la religieuse
allemande Milgitha Kösser aux lendemains du massacre de la paroisse de
Kaduha, le 21 avril 199476. Ces images, capturées au cœur de l’événement, ont fait
intrusion sur la scène judiciaire et rappelé l’effroyable matérialité du massacre.
Le président Jean-Marc Lavergne a demandé qu’un gros plan soit fait sur l’une de
ces photos, sur le visage d’une femme tutsi agonisante saisie par Sœur Milghita
quelques minutes avant qu’elle soit achevée par les interahamwe. Un long silence
s’est installé dans la salle d’audience. À cet instant, le prétoire est redevenu un
lieu pour l’Histoire du génocide des Tutsi rwandais77
Timothée Brunet-Lefèvre
Cespra (Centre d’études sociologiques et politiques Raymond Aron),
EHESS

[Notes :]
1. H. Dumas, Le génocide au village. Le massacre des Tutsi au Rwanda, Paris, Seuil, 2014. Sur d’autres
perspectives sur les gacaca, notamment en sciences politiques, voir P. Clark, The Gacaca Courts, PostGenocide Justice and Reconciliation in Rwanda: Justice without Lawyers, Cambridge, Cambridge University
Press, 2010 ; B. Ingelaere, Inside Rwanda’s Gacaca Courts: Seeking Justice after Genocide, Madison,
University of Wisconsin Press, 2016.
2. O. Rovetta, Un génocide au tribunal. Le Rwanda et la justice internationale, Paris, Belin, 2019.
3. N. Eltringham, « “We Are not a Truth Commission”. Fragmented Narratives and Historical Record
in the ICTR », Journal of Genocide Research, vol. 11, n° 1, 2009, p. 55-79.
4. La compétence universelle permet à une juridiction nationale de juger un étranger pour des crimes commis
à l’étranger contre des étrangers à partir du moment où le suspect en question réside sur le territoire national
de ladite juridiction.
5. Le déroulement du procès a été retracé par la journaliste Laure de Vulpian, Rwanda. Un génocide
oublié ? Mémoire d’un procès, Bruxelles, Éditions Complexe, 2004.
6. CEDH, affaire Mutimura C. France, requête n°46621/99, Arrêt définitif, 8 juin 2004.
7. Sur l’historique de ces retards pris par la justice française, voir le récent article de J. Hubrecht, « Une
longue errance. La justice française et la “complicité de génocide” au Rwanda », Esprit, n° 478, 2021,
p. 72-74.
8. Voir A. Gauthier, « Le témoignage au service de la justice. L’expérience du collectif des parties
civiles pour le Rwanda en France », Les temps modernes, n° 680-681, 2014, p. 238-247.
9. Voir le tableau récapitulatif de ces plaintes sur le site du CPCR : rwanda.fr/tableau-des-plaintes-du-cpcr/>, consulté le 18 mai 2022.
10. « Sarkozy au Rwanda : “La France doit réfléchir à ses erreurs” », Le Monde, 25 février 2010.
11. Avant eux, l’ancien officier du Service central du renseignement rwandais, Pascal Simbikangwa,
a été condamné à 25 ans de réclusion criminelle le 14 mars 2014. Ce verdict a été confirmé en appel
le 3 décembre 2016 par la Cour d’appel de Bobigny. Plus récemment, Claude Muhayimana, chauffeur
dans la région de Kibuye à l’ouest du Rwanda pendant le génocide, a été condamné à 14 ans de
réclusion criminelle pour complicité de génocide par la Cour d’assises de Paris le 15 décembre 2021.
Ce dernier a fait appel de sa condamnation.
12. M. Kimpimäki, « Genocide in Rwanda: Is it Really Finland’s Concern? », International Criminal Law
Review, vol. 11, n° 1, 2011, p. 155-176.
13. S. Lefranc, « Des “procès rwandais” à Paris. Échos locaux d’une justice globale », Droit et société,
n° 102, 2019, p. 299-318.
14. Y. Thomas, « La vérité, le temps, le juge et l’historien », Le débat, n° 102, 1998, p. 17-36.
15. Cette analyse de la scène judiciaire s’inscrit dans le cadre d’un renouvellement de l’historiographie
des procès internationaux pour crime contre l’humanité. Voir G. Mouralis, « Le procès de Nuremberg :
retour sur soixante-dix de recherche », Critique internationale, n° 73, 2016, p. 169. Elle s’inscrit aussi à
la suite d’ethnographies judiciaires plus large, à l’image de C. Besnier, La vérité côté cour. Une ethnologue
aux assises, Paris, La Découverte, 2017, p. 23-49.
16. La majorité des témoignages cités dans cet article correspondent aux traductions des interprètes,
sauf quand il est précisé que les témoins s’expriment en français.
17. Une part de notre travail sur le procès interroge l’articulation entre une dynamique étatique et
une collaboration horizontale au niveau de la commune dans les massacres, au plus près des relations
de proximité des acteurs sociaux et des rapports de force politiques. Notre démarche s’inscrit dans
l’horizon dessiné par les travaux d’Hélène Dumas, mais aussi de Jean-Paul Kimonyo sur la préfecture
de Butare, dont les spécificités politiques sont très différentes du rapport de force à Kibungo. Voir
H. Dumas, Le génocide au village…, op. cit. ; J.-P. Kimonyo, Rwanda. Un génocide populaire, Paris, Karthala,
2008.
18. Entre 1987 et 2018, huit procès ont été filmés : ceux de Klaus Barbie (1987), de Paul Touvier (1984)
et de Maurice Papon (1998), celui de la dictature chilienne (2010), et les procès en première instance
et en appel des Rwandais accusés de génocide.
19. Nous remercions Martine Sin Blima Barru de nous permettre de consulter ces archives inédites.
20. Le CPCR a produit des comptes-rendus du procès avec le résumé des témoignages et des débats,
à partir des notes prises quotidiennement par Alain Gauthier. Voir le site du CPCR, collectifpartiescivilesrwanda.fr/proces-ngenzi-barahira/>, consulté le 16 mai 2022. Très fréquemment,
l’auteur commente les audiences et fait part de son indignation face à la Défense des accusés ou aux
lenteurs de la justice. Ces comptes-rendus, qui permettent aux adhérents et aux sympathisants du
CPCR de suivre les audiences, sont aussi destinés à un public plus large : ils visent à attirer l’attention
sur ces procès et à en expliquer le contenu (Alain Gauthier reproduit des documents de contexte et
insère des notes afin d’expliquer les termes et les événements qui font référence au génocide).
21. Voir A. Garapon, Bien juger. Essai sur le rituel judiciaire, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 17-20.
22. J. Seroussi, « Si loin, si proche : la légitimité de l’enquête dans les affaires de compétence
universelle », Critique internationale, n° 36, 2007, p. 22.
23. Les interahamwe (ceux qui travaillent ensemble) sont les membres de la milice du Mouvement
révolutionnaire national pour le développement (MRND), parti unique jusqu’à l’avènement du
multipartisme en juillet 1991, qui devient alors le Mouvement républicain national pour la démocratie
et le développement. Ces militants violents jouent un rôle de premier plan dans le génocide.
24. À la fin de l’année 1990, le colonel Rwagafilita déclare au général Jean Varret, directeur de la
coopération militaire française au Rwanda de 1990 à 1993, que le plan de l’armée rwandaise est de
« liquider » les Tutsi. Voir le témoignage de J. Varret, Général, j’en ai pris pour mon grade, Paris, Les
éditions Sydney Laurent, 2018, p. 156. Mis à la retraite en 1992, Rwagafilita reste à la tête de
2 000 réservistes des Forces armées rwandaises (FAR) répartis dans la région pour participer à
l’« autodéfense civile », à savoir l’entraînement d’éléments civils en vue de la guerre contre le FPR et
du génocide. Décédé en 1995, l’ombre du haut gradé plane sur le procès. Sur le contexte politique en
1994 dans la préfecture de Kibungo, voir le travail important mené par P. Rutayisire et P. Rutazibwa,
Génocide à Nyarubuye. Monographie sur l’un des principaux sites du génocide des Tutsi de 1994 au Rwanda,
Kigali, Éditions rwandaises, 2007. Voir aussi le rapport de la Commission nationale de lutte contre
le génocide (CNLG) rédigé par J. Hitimana, Le génocide commis contre les Tutsi dans la préfecture de
Kibungo de 1990 à 1994, Kigali, CNLG, 2021.
25. Ce chiffre, retenu par la Cour pendant les débats, a pour origine la première enquête menée par
un officier de police judiciaire à Kabarondo. Cette estimation pour la commune a été établie par
l’association de rescapés Ibuka. Les officiers de gendarmerie français ont repris ce chiffre dans leurs
investigations.
26. Le FPR met fin aux massacres dans la préfecture le 27 avril avec la prise de la ville de Rwamagana.
27. On peut citer les cas de Claver Kamana et de Michel Bakuzakundi, décédés en 2017 et en 2021
alors que leurs dossiers étaient en cours d’instruction. Voir le tableau récapitulatif des plaintes
du CPCR : , consulté
le 16 mai 2022.
28. En première instance, la présidente d’audience est Madeleine Mathieu. En appel, il s’agit de la
magistrate Xavière Simeoni.
29. L’article 331 du Code de procédure pénale prévoit que les témoins doivent être uniquement
entendus sur les faits reprochés à l’accusé ou sur sa personnalité. Les témoins de contexte dérogent
à cette règle et constituent une exception propre à ces procès pour crime contre l’humanité.
30. Sur cette question, inscrite depuis les années 1980 dans les procès ayant trait à des crimes contre
l’humanité ou aux crimes de génocide, voir, dans le cas d’un procès lié au génocide des Tutsi,
S. Audoin-Rouzeau, « Chercheurs dans le prétoire : retour sur le procès Simbikangwa (2014). Un
dialogue magistrat-historien », Grief, n° 3, 2016, p. 175-182.
31. En appel, ces chiffres ont très peu varié : un témoin rescapé s’est constitué partie civile entre 2016
et 2018 et s’est exprimé. La liste des témoins est, à quelques exceptions près, la même.
32. Audience du 14 juin 2016, audition d’Étienne Gakwaya, 22h15.
33. H. Dumas, Le génocide au village…, op. cit., p. 85.
34. Audience du 17 juin 2016, audition d’Emmanuel Habimana alias Cyasa, 10h01.
35. Voir audience du 7 juin 2016, témoignage de Jean-Damascène Rutagungira, 15h16. Le témoin
explique très clairement que les tueurs ont mis à l’écart certaines femmes Tutsi pour les violer. Voir
aussi le témoignage d’un orphelin rescapé du massacre de Kabarondo, cité par H. Dumas, Sans ciel
ni terre. Paroles orphelines du génocide des Tutsi (1994-2006), Paris, La Découverte, 2020, p. 95-98.
36. Audience du 28 juin 2018, interrogatoire du témoin de contexte Marcel Kabanda, 11h15.
37. Ibid., 11h20.
38. S. Lefranc, « Des “procès rwandais” à Paris… », art. cité, p. 312-313.
39. Entretien réalisé avec une des présidentes d’assises, juin 2021.
40. Voir l’importante somme d’O. Rovetta, Un génocide au tribunal…, op. cit. Mentionnons, pour le TPIY
(Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie), les articles d’Élisabeth Claverie sur le procès du
leader nationaliste croate Vojislav Šešelj et l’analyse du procès du résistant bosniaque Naser Oric par
Rafaëlle Maison : É. Claverie, « Bonne foi et bon droit d’un génocidaire », Droit et société, n° 73, 2009,
p. 635-664 ; R. Maison, Coupable de résistance ? Naser Oric, défenseur de Srebrenica, devant la justice
internationale, Paris, Armand Colin, 2010.
41. Le fonctionnement de la justice pénale internationale et ses règles sont hérités de la jurisprudence
et de la pratique historique du droit international dans la répression des crimes de masse. Au TPIR
comme au TPIY et à la CPI (Cour pénale internationale), les procès fonctionnent sur le mode
accusatoire inspiré par la Common Law, à l’image des juridictions anglo-saxonnes. Le Procureur mène
l’accusation contre la Défense, devant des juges qui ont fonction d’arbitre dans la confrontation, qui
veillent à l’égalité des armes et au respect de la procédure.
42. Note d’audience, 8 juin 2018. Cet élément a été révélé par Hélène Dumas, qui a assisté à l’intégralité
du procès, après un échange avec les parties civiles.
43. S. Lefranc, « Des “procès rwandais” à Paris… », art. cité, p. 310.
44. Ont ainsi comparu deux frères et leurs cousins. Voir audience du 30 mai 2016, témoignages
d’Augustin Nsabimana puis de son frère, Eliezer Ngendahimana.
45. Audience du 15 juin 2016, témoignage de Jovithe Ryaka, 11h35.
46. S. Lefranc, « Des “procès rwandais” à Paris… », art. cité, p. 309.
47. De nombreux témoins ont reçu une paire de chaussures ou un costume avant leur départ à Paris.
Audience du 28 mai 2018, témoignage de Félicien Kamana, 12h26.
48. Audience du 16 juin 2016, questions de l’Avocat général à Osée Karekezi [en français], 16h59.
49. Entretien réalisé par J.-P. Allinne, S. Humbert et D. Salas, « Kabarondo. Les rescapés », Histoire de
la justice, n° 28, 2018, p. 215.
50. Voir audience du 14 juin 2018, témoignage de Jean-Ides Kayihura Ndiyeze.
51. Audience du 1er août 2018, témoignage de Marie Mukamunana, 19h15.
52. Audience du 1er juin 2018, 15h38-15h41.
53. Audience du 8 juin 2018, témoignage de Jovithe Ryaka, 11h18.
54. J.-P. Allinne et al., « Kabarondo… », art. cité, p. 211.
55. Audience du 14 juin 2018, interrogatoire d’Osée Karekezi, 16h28.
56. Le jugement de Sylvestre Gacumbisti, bourgmestre de la commune de Rusumo au sud de
Kabarondo, a été cité à l’audience. Les procédures visant deux hommes d’affaires de Kibungo en
Belgique, Étienne Nzabonimana et Samuel Ndashyikirwa, ont été communiquées aux magistrats
français pendant l’instruction de l’affaire Ngenzi-Barahira.
57. Audience du 16 juin 2016, questions au témoin Félicien Kayinga, 21h09.
58. Entretien réalisé avec une des présidentes d’assises, juin 2021.
59. Audience du 19 juin 2018, audition de David Tanaziraba, 20h34.
60. Audience du 23 juin 2016, audition de Jacqueline Muguyeneza, 12h32.
61. Audience du 9 juin 2016, audition de François Habimana, 11h55.
62. Audience du 5 juillet 2018, plaidoirie de Maître Bourgeot, 10h44.
63. Ses propos font écho à son ouvrage Noires fureurs, blancs menteurs. Rwanda 1990-1994, Paris, Fayard,
2005. Pierre Péan a été poursuivi pour incitation à la haine raciale et relaxé en novembre 2008.
64. Audience du 22 mai 2018, témoignage de Sandrine Clamagirand, 15h03.
65. Audience du 24 mai 2018, témoignage d’Olivier Griffoul, 10h52.
66. Jean-Pierre Chrétien a longuement décrit ces entreprises d’assignation raciales par les sciences
coloniales, notamment dans les travaux du scientifique belge Jean Hiernaux qui cherchaient à
confirmer la validité des distinctions biologiques entre ethnies rwandaises, et ce à partir de
mensurations recueillies sur quelques centaines d’individus rwandais qui correspondaient aux
traits recherchés. Voir J.-P. Chrétien, Le défi de l’ethnisme. Rwanda et Burundi, Paris, Karthala, 2012,
p. 24.
67. Xavière Simeoni, webinaire « Filmer les procès » animé par Christian Delage et Martine Sin-Blima
Barru, Cycle « Être acteur de la justice » [en ligne], jeudi 29 avril 2021, 1h01, com/watch?v=J_M6Bc2Tdjs>, consulté le 16 mai 2022.
68. Distinction qui rappelle la condition des rescapés du génocide des Tutsi, formulée par ces derniers
dans la formule « ijoro rwiraba uwariraye » (« seul celui qui traverse la nuit peut la raconter »), citée par
H. Dumas, Sans ciel ni terre…, op. cit., p. 9.
69. Audience du 1er juin 2018, audition de Marie Mukamunana, 19h23.
70. Notes d’audience, 30 mai 2018. De nombreuses parties civiles ont été prises d’émotion en écoutant
le récit qu’a livré le père Oreste Incimatata de l’attaque de l’église le 13 avril 1994.
71. Notes d’audience, 21 juin 2018.
72. Un aspect de ces procès qu’a très bien relevé Marie-France Collard dans son documentaire KigaliBruxelles (Belgique, 2011), dans lequel elle a filmé le procès d’Ephrem Nkezabera à Bruxelles en 2009.
La réalisatrice a posé sa seule caméra quelques mètres derrière la barre et décidé à plusieurs reprises
de tourner son objectif vers le public. Elle a ainsi remarqué que la salle était scindée en deux, entre
d’un côté les partisans de l’accusé, et de l’autre les victimes et les proches des rescapés.
73. Notes d’audience, 25 novembre 2021. Voir Commission de recherche sur les archives françaises
relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi, La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi. Rapport remis
au Président de la République le 26 mars 2021, Malakoff, Armand Colin, 2021.
74. Voir « Antoiné Anfré : la réconciliation franco-rwandaise s’est jouée en 4 actes » [en ligne], MHG
Partners, 15 janvier 2022, , consulté le 16 mai 2022.
75. Notes d’audience, 9 mai 2022.
76. Voir H. Dumas, « “Afin de mettre une marque en ce temps”. Kaduha, avril 1994 : un album de
l’attestation », Sensibilités, n° 10, 2021, p. 28-45.
77. Notes d’audience, 13 mai 2022.

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