Fiche du document numéro 24775

Num
24775
Date
Mercredi 20 novembre 1996
Amj
Taille
110261
Sur titre
Livraison d'armes à l'ancienne dictature rwandaise. Les sociétés misent en cause répondent
Titre
Rwanda : deux documents mettent la France en accusation
Source
Type
Langue
FR
Citation
CE sont les pièces d'un puzzle qui, lentement, se mettent en place.
Deux sociétés françaises, la SOFREMAS et Luchaire, auraient livré des
armes à l'ancienne dictature rwandaise, et aux milices hutu
responsables du génocide au Rwanda, en 1994, qui fit un million de
morts. Des documents ont été retrouvés dans un autobus au Zaïre par des
journalistes, et exhibés, pour ce qui concerne la SOFREMAS, lundi par
la chaîne de télévision britannique Channel Four.

Ces éléments viennent étayer les informations publiées à plusieurs
reprises dans 'l'Humanité' depuis deux ans, montrant l'implication de
la France dans la tragédie rwandaise. Si celles-ci étaient confirmées,
notre pays aurait la lourde responsabilité d'avoir soutenu et aidé la
dictature rwandaise, d'avoir réarmé les milices hutu dans leur retraite
zaïroise et d'avoir fermé les yeux quand des centaines de milliers de
réfugiés étaient pris en otage par des bandes de tueurs.

Toutefois, la France n'est pas la seule en cause dans cette série de
sinistres découvertes. La Grande-Bretagne, où une enquête a été
ouverte, a également livré des armes aux milices hutu par
l'intermédiaire d'une société britannique, la Mil-Tec Corporation.

Le trésor de guerre constitué par une masse de papiers a été laissé sur
place, dans les camps de réfugiés, par les Interahamwe et ex-militaires
rwandais après l'intervention des rebelles zaïrois la semaine dernière.
Les documents se rapportant à la SOFREMAS ont été trouvés entre Zake et
Mugunga, au Zaïre, non loin de Goma, dans un bus abandonné, ayant
probablement servi pendant deux ans comme centre d'archives militaires
pour l'ancienne armée rwandaise.

Il laisse apparaître que la SOFREMAS, société française d'exploitation
de matériels et systèmes d'armement contrôlé par l'Etat, a rompu
l'embargo des Nations unies sur les livraisons d'armes au Rwanda,
décrété le 17 mai (quatre semaines après le début du génocide) et entré
en vigueur le 26 juin 1994, a indiqué Channel Four. Ce sont des
factures en français, à en-tête de la SOFREMAS, qui ont été montrées
par cette chaîne de télévision. De son côté, Nicolas Poincaré pour
France Info a fait état hier de bordereaux de livraisons et de factures
émanant de la société Luchaire, dépendant maintenant à 100% de GIAT
Industries.

Les entreprises concernées ont démenti ces informations (voir
ci-dessous). Le gouvernement français a affirmé pour sa part qu'aucune
société française n'avait passé de contrats d'armement ou livré des
armes au Rwanda ou aux milices hutu rwandaises depuis avril 1994,
c'est-à-dire avant l'embargo décrété par l'ONU. Il y a eu 'un arrêt
complet des livraisons et des agréments dès avril 1994', a assuré le
porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Jacques Rummelhardt,
dans une justification quelque peu embarrassée. A propos des documents
exhumés par la presse, il a déclaré qu''il s'agit d'une offre du 5 mai
1994 non suivie d'effets'. Quant à la société Luchaire, 'la dernière
livraison date du début 1994', a encore affirmé M. Rummelhardt.

Malgré toutes les affirmations officielles, c'est un secret de
Polichinelle dans toute la région des Grands Lacs que les étroites
relations de Paris avec le régime de Kigali (par le truchement
notamment de la DGSE et du ministère de la Coopération relevant du
gouvernement de cohabitation de Balladur) se sont poursuivies jusqu'à
la veille de l'opération Turquoise, au début de juillet 1994. La
commission française Justice et Paix notait ainsi, dans une étude de
novembre 1994: 'Officiellement le Quai d'Orsay disait appliquer
l'embargo depuis le 17 mai. Mais, en privé, le ton était moins
affirmatif. En effet, selon un ancien correspondant de la DGSE, au
début de juin 1994, alors que la guerre faisait rage, des contacts
avaient été pris par les forces gouvernementales rwandaises avec la
France pour qu'elle fournisse des munitions, soit 3.500 obus pour les
chars, des roquettes pour hélicoptères, 10.000 munitions de 20 mm
fabriquées par GIAT Industries, 1.000.000 de munitions pour fusils et
mitrailleuses et du matériel de transmission radio fabriqué par Thomson
CSF.' L'ordre ayant été donné de couper le contact avec les
intermédiaires rwandais, cette commande n'aurait pas été honorée.

Le fait que la plupart des livraisons d'armes aient été acheminées au
Zaïre a permis aux pourvoyeurs de contourner l'embargo, sans
techniquement le violer. Cela a été particulièrement vrai pour la série
de livraisons de Mil-Tec Corporation entre avril et juillet 1994 et
portant sur des transactions de plus de 27 millions de francs. Cette
société opérait depuis le paradis fiscal de l'île de Man. Les avions
ayant assuré en secret le transport de plusieurs tonnes d'armes et de
munitions provenaient notamment d'Israël et d'Albanie. Pour le plus
grand drame de tout un peuple.

BERNARD DURAUD.

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