Fiche du document numéro 24769

Num
24769
Date
Dimanche 12 décembre 2010
Amj
Taille
215377
Titre
Rwanda : « 6 millions de morts en RDC ? Extravagant ! » selon Aldo Ayello
Nom cité
Nom cité
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Lieu cité
RDC
Mot-clé
Source
Type
Interview
Langue
FR
Citation
RWANDA : « 6 millions de morts en RDC ?
Extravagant ! » selon Aldo Ayello
François Molyneux
Afrikarabia, 12 décembre 2010
Les 9 et 10 décembre derniers se tenaient à Kigali une conférence
internationale sur le génocide au Rwanda. Deux jours de travaux qui ont
regroupé des chercheurs, des hommes politiques, des diplomates et des
écrivains. Parmi eux, le diplomate italien Aldo Ayello, pour qui
« l’extravagance du chiffre de 6 millions de morts au Congo devrait suffire à
discréditer l’ensemble du pré-rapport « mapping » de l’ONU ». Voici son
interview réalisée à Kigali pour Afrikarabia.
Entre 1992 et 1994, le diplomate italien Aldo Ayello a été envoyé par les Nations
Unies au Mozambique pour ramener la paix. Puis jusqu’en 2007 il a représenté
l’Union européenne en Afrique centrale pour rapprocher les belligérants. Réputé
excellent connaisseur de la région des Grands lacs, il porte un regard sévère sur le
pré-rapport « mapping » du Haut-commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU
sur les allégations de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, voire de
« génocide » commis en République démocratique du Congo (ex-Zaïre) et dont la
responsabilité incomberait essentiellement à l’Armée patriotique rwandaise.
Quant au chiffre de 6 millions de victimes, il le qualifie de « tout simplement
extravagant ».
Monsieur Aldo Ayello, vous vous trouvez en ce moment au Rwanda pour
participer à un colloque organisé par la Commission nationale contre le
génocide au sujet du « Mapping report » de la Commission des droits de
l’Homme de l’ONU sur des allégations de crimes de guerre, voire de génocide
au Congo entre 1996 et 1998. Ce rapport a fait grand bruit. Qu’en pensez-vous ?
Aldo AYELLO : – J’ai passé 15 ans en Afrique dont Tanzanie dans la région des
Grands Lacs, j’en ai donc une expérience directe et je connais bien le contexte sur
lequel le rapport de la commission de l’ONU fait une curieuse impasse. La sortie
de ce rapport m’a profondément étonné. Pour ce que j’en ai lu, il contient
beaucoup de contradictions et d’incohérences. Mais le pire est à mon avis la
véritable amnésie qui semble toucher les auteurs du rapport sur le contexte des
événements qu’ils prétendent décrire et analyser. Et le chiffre extravagant de
victimes.
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Que voulez-vous dire en parlant du contexte ?
Aldo AYELLO : – Il s’agit de la définition même du supposé « mapping ». Pour
comprendre et apprécier les événements qui se sont produits dans la région des
Grands Lacs entre 1993 et 2003, il ne suffit pas de se fier à des témoins dont
beaucoup semblent apporter des informations de deuxième ou de troisième main,
mais aussi de comprendre l’ensemble du conflit, sa genèse, ses raisons profondes.
Or le rapport ne le fait pas. Il ne définit pas le cadre, et d’abord le génocide. Je
parle du vrai génocide, celui commis en 1994 au Rwanda contre les Tutsi. Le
rapport de la commission de l’ONU ignore complètement cet événement décisif.
Cette façon de mettre entre parenthèses le génocide des Tutsi et le massacre
concomitant des Hutu démocrates empêche de comprendre ce qui s’est passé
avant, pendant et après.
Avant ?
Aldo AYELLO : – Il est indispensable de se rappeler que le génocide de 1994
contre les Tutsi a été scientifiquement planifié. Comment les auteurs du rapport
peuvent-ils oublier par exemple le témoignage et les télégrammes du général
Roméo Dallaire, commandant en 1993 et 1994 la force des Nations unies
(MINUAR) au Rwanda ? Les télégrammes étaient on ne peut plus précis,
notamment celui du 11 janvier, et pointent la faillite de l’ONU à prévenir le
génocide, jusqu’au lâche retrait de l’essentiel des effectifs de la MINUAR. C’est
grâce au secrétaire général Boutros Boutros Ghali qu’une présence minimum a
permis que la communauté internationale conserve un droit de regard sur ce qui
se produisait. Peut-être que cette petite présence a sauvé quelques vies humaines.
Peut-être a-t-elle dans certains cas, imposé un minimum de retenue aux auteurs
du carnage. Je suis vraiment étonné que les auteurs du rapport fassent l’impasse
sur tout ça. Et qu’ils oublient également que l’ONU a ensuite toléré que les camps
de réfugiés – qui ont accueilli la population hutu obligée de fuir son pays sous la
pression des génocidaires – puissent s’installer à quelques mètres seulement de la
frontière du Rwanda. Voilà qu’elle a été l’origine des tragédies qui ont suivi.
Qu’aurait dû faire l’ONU après le génocide et l’exil forcé de millions de
Rwandais ?
Aldo AYELLO : – Les règles internationales concernant l’accueil de populations
réfugiées sont claires. Notamment, les camps doivent être installés à une grande
distance de la frontière du pays quitté pour des raisons évidentes de sécurité. Or
l’ONU a toléré que certains camps soient installés à quelques mètres seulement
de la frontière du Rwanda. Ces camps étaient encadrés par les mêmes autorités
qui venaient de diriger le génocide. L’ONU a toléré que les anciennes Forces
armées rwandaises (FAR) puissent s’installer au milieu de ces réfugiés avec leurs
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armes et leurs munitions. L’ONU a toléré que les ex-FAR puissent se réorganiser
et compléter leurs effectifs dans l’intention clairement affichée d’attaquer le
Rwanda pour reprendre le pouvoir et, dans l’intervalle, de déstabiliser les autorités
par une série d’incursions armées. Je rappelle que les organisations nongouvernementales et le Haut-Commissariat aux réfugiés n’avaient pas le contrôle
des camps. Qu’elles n’avaient même pas le droit d’y pénétrer pour recenser le
chiffre réel de réfugiés. Que les autorités rwandaises en exil trichaient
effrontément sur le nombre de réfugiés pour obtenir des stocks d’équipements et
de rations alimentaires qu’elles revendaient à la population zaïroise pour se
procurer davantage d’armes et de munitions. L’intention déclarée de ces gens était
« de continuer le travail qui n’avait pas été terminé », c’est-à-dire de revenir au
Rwanda pour parachever l’extermination des Tutsi.
Les auteurs du pré-rapport n’évoquent pas cette situation ?
Aldo AYELLO : – Précisément. J’ai cherché dans le rapport le rappel des causes
de la crise que les rapporteurs prétendent expliquer et analyser. Je n’ai pas trouvé
un seul paragraphe sérieux sur tout ça, rien sur la responsabilité de la communauté
internationale qui a laissé violer ses propres règles en tolérant l’installation à la
frontière du Rwanda des forces préparant la reconquête du pays en s’appuyant sur
le financement des camps par le détournement massif de l’aide de la communauté
internationale, notamment de l’Union européenne. Faut-il rappeler que le
financement de cette population forcée à l’exil coûtait un million de dollars par
jour, dont la moitié financée par l’Union européenne ? Quelques mois seulement
après avoir fui le Rwanda, les ex-FAR avaient reconstitué leur effectif d’environ
50 000 militaires. Elles avaient réussi à transférer au Zaïre l’essentiel de leurs
armes lourdes et de leurs véhicules ainsi que la plus grande partie de leurs armes
légères. Elles ont racheté le reste aux militaires zaïrois avec l’argent pillé au
Rwanda avant leur fuite et l’argent détourné des budgets destinés à l’aide aux
réfugiés.
Pour reprendre la guerre perdue en juillet 1994 ?
Aldo AYELLO : – En 1995 et 1996, le Rwanda était soumis à des incursions
armées et à des attaques pratiquement quotidiennes. Il ne se passait pas de semaine
sans que des rescapés soient assassinés par des commandos venus du Zaïre. Je
rappelle que la route stratégique entre Kigali et Gisenyi, à la frontière du Zaïre, é
tait fréquemment minée. L’insécurité était telle qu’on ne pouvait plus l’emprunter
la nuit, et le jour, il fallait organiser des cortèges de véhicules, escortés par de
puissants effectifs militaires.

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Comment les auteurs du pré-rapport ont-ils pu faire l’impasse sur cette
situation ?
Aldo AYELLO : – C’est bien le problème. Entre 1994 et 1996, le Rwanda était
un pays assiégé, et l’inconséquence, l’incohérence, la lâcheté de la communauté
internationale contribuaient très lourdement à cette situation. Les autorités de l’exgouvernement « intérimaire » qui avaient préparé puis encadré le génocide
voulaient imposer une négociation au gouvernement rwandais pour partager le
pouvoir en faisant l’impasse sur l’épouvantable carnage qu’ils avaient provoqué.
À cette époque, j’ai rencontré à plusieurs reprises le président du Rwanda Pasteur
Bizimungu et le vice-président et ministre de la défense Paul Kagamé. Tous deux
se plaignaient amèrement de l’incurie de l’ONU qui laissait se préparer une
nouvelle tragédie.
Que disaient-ils précisément ?
Aldo AYELLO : – À plusieurs reprises, Paul Kagamé m’a dit : « Il faut que
l’ONU permette aux Rwandais pris en otage par les génocidaires de revenir dans
leur pays, sinon nous serons forcés de le faire nous-mêmes. » J’ai rapporté ses
paroles à mes interlocuteurs de l’ONU, mais ils n’en ont pas tenu compte. Aucun
pays européen n’était prêt à envoyer des militaires dans les camps de réfugiés pour
soustraire la population à la terreur de l’encadrement génocidaire. Personne ne
voulait s’occuper de rétablir des règles normales en matière d’accueil et
d’administration des populations réfugiées. Personne n’était prêt à consacrer des
ressources pour déplacer les camps ou pour protéger les Rwandais qui voulaient
rentrer dans leur pays et qui était assassinés par les forces génocidaires dès qu’ils
en manifestaient l’intention. Je conserve un souvenir précis des demandes des
autorités de Kigali, répétées mille fois, de concourir au rétablissement d’une
situation normale en matière de réfugiés. Il est étrange que ce problème qui a
dominé la scène politique rwandaise pendant les années 1994 à 1996 ait été
complètement ignoré par les auteurs du rapport de la commission de l’ONU.
Comment cela est-il possible ?
Aldo AYELLO : – Je me pose la question. Je n’étais pas le seul à qui le président
de la République du Rwanda et son vice-président posait le problème. Tous les
représentants des gouvernements étrangers qui rencontraient les nouvelles
autorités du Rwanda entendaient le même refrain. La question a été la base des
négociations de Lusaka. J’entends encore les réponses de certaines autorités
gouvernementales occidentales : « Ce serait trop risqué, trop dangereux, trop
coûteux ». Comment pouvaient-ils présenter de tels arguments alors que le coût
du maintien des camps de réfugiés était d’un million de dollars par jour !

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C’était la volonté politique qui manquait ?
Aldo AYELLO : – Exactement. L’opération aurait incombé à des militaires des
pays développés qui ne voulaient pas s’engager. J’entends encore Paul Kagamé,
qui était alors vice-président de la république me dire : « Si les occidentaux ne
veulent pas rétablir l’ordre dans les camps, empêcher les ex-FAR de préparer une
attaque armée générale contre le Rwanda et faciliter le retour des réfugiés, alors
nous serons obligés de le faire nous-mêmes. » J’ai relayé ces propos aux
responsables de l’Union européenne, à des hauts responsables des États-Unis, à
toute une série de membres de la communauté internationale. Je me suis heurté à
une fin de non-recevoir.
Considérez-vous que l’attaque menée par l’armée patriotique rwandaise et les
troupes de Kabila à la fin de 1996 constituait un acte de légitime défense ?
Aldo AYELLO : – Appelons les choses par leur nom. L’accueil complaisant par
les autorités du Zaïre des responsables du génocide, l’autorisation qu’il aura été
donnée de reconstituer une force armée considérable, à se fournir en armes et
munitions, la tolérance dont ils ont bénéficié pour terroriser les camps de réfugiés,
et enfin la préparation d’une attaque générale contre le Rwanda qui était prévue
au tout début 1997, tout ceci a entraîné un acte de légitime défense des autorités
du Rwanda.
Car si l’armée patriotique rwandaise n’avait pas attaqué fin 1996, peut-être qu’elle
n’aurait pas résisté à l’invasion armée massive qui était programmée par les exFAR quelques semaines plus tard, et le génocide aurait été parachevé.
Que pensez-vous des observations du rapport de l’ONU qui laisse entendre que
des actes de génocide contre les Hutu auraient été commis au Zaïre par l’APR
et les forces de Kabila ?
Aldo AYELLO : – Parler de génocide commis au Zaïre contre les réfugiés
rwandais demande beaucoup d’imagination et de fantaisie. Je vous renvoie à
l’article 6 du traité de Rome, ce qu’on appelle la convention sur le génocide. Il
s’agit « d’actes commis dans l’intention de détruire en totalité ou en partie un
groupe national, ethnique, religieux, etc. ». À la suite de l’attaque du Zaïre fin
1996, les autorités rwandaises ont créé un couloir humanitaire qui a permis de
rapatrier au Rwanda des millions de personnes libérées de l’étreinte de la terreur
dans les camps. Ces gens n’ont pas été exterminés, mais bien au contraire
protégés. Il s’agissait encore une fois d’un acte de légitime défense de la part d’un
pays assiégé et en faveur de millions de réfugiés soumis à la propagande qui avait
conduit au génocide, et dont la plupart se félicitaient de pouvoir rentrer dans leur
propre pays sous la protection de l’APR.
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Mais d’autres réfugiés se sont enfuis… ?
Aldo AYELLO : – Je n’ignore pas que des centaines de milliers de réfugiés ont
été repoussées plus profondément dans le territoire zaïrois sous l’effet de la
panique ou sous la contrainte des militaires des ex-FAR qui s’en servait comme
d’un bouclier humain. Dans la plupart des cas, même lorsque ces réfugiés avaient
parcouru à pied des centaines de kilomètres à l’intérieur du Zaïre jusqu’à
Tingi=Tingi ou Kisangani, ils ont pu être ramenés au Rwanda. Dans d’autres cas,
il y a eu des pertes humaines, notamment lorsque ces réfugiés ont été utilisés
comme boucliers humains par les ex-FAR et les forces armées zaïroises qui leur
apportaient leur concours pour tenter d’éviter la défaite. Que des dizaines de
milliers de réfugiés aient perdu la vie dans ces terribles circonstances, du fait que
des combats, de la maladie, de l’épuisement, voire de « dommages collatéraux »,
est une évidence. Citer le chiffre de 6 millions de victimes provoquées par l’armée
patriotique rwandaise et les autres pays qui ont participé aux opérations militaires
dans le Zaïre jusqu’à la chute de Mobutu est tout simplement extravagant et
devrait suffire à discréditer l’ensemble du rapport.
Pourquoi ce chiffre qui est répété à l’envie sur la « Toile » ?
Aldo AYELLO : – Il ne repose sur rien de concret. On voit bien l’effet de
propagande qui est recherché. Il s’agit d’atteindre un chiffre comparable au
nombre des Juifs exterminés par les nazis, pour attirer l’attention de l’opinion
publique internationale, jouer sur le registre de l’émotion, de l’indignation, de la
passion. Ou pire encore, souffler sur les braises de la haine. Encore une fois, tout
ceci n’a rien à voir avec la réalité.

Propos recueillis à Kigali par François MOLYNEUX

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