Fiche du document numéro 2427

Num
2427
Date
Mardi 4 février 2003
Amj
Auteur
Taille
119302
Titre
L'enfant fou de Gahini
Lieu cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
« Il n'y a plus de diables en enfer ; ils sont tous au Rwanda  », cri de
désespoir d'un prêtre belge rapatrié sur Bruxelles en avril 1994, alors
que la tuerie planifiée par les autorités de Kigali battait son plein.
Elle avait commencé dans la nuit du 6 au 7 de ce mois, quelques heures à
peine après que l'avion transportant le chef de l'État, Habyarimana, eut
été abattu par deux mystérieux missiles. Le lendemain matin, Agathe
Uwilingiyimana, premier ministre issu de l'opposition démocratique Hutu,
était assassinée avec son époux. Suivait une cascade de massacres visant
les démocrates Hutu et leurs familles. Crimes politiques ciblés,
aussitôt noyés dans le génocide des Tutsi qui se poursuivra jusqu'en
juillet.

La garde présidentielle et les milices interahamwe (littéralement : « ceux qui frappent ensemble »), deux formations entraînées et armées par
des « conseillers » militaires français, ont fait un million de martyrs
en un peu plus de trois mois. Dans des conditions de préméditation
rappelant les précédents génocides perpétrés au XXe siècle : celui des
Arméniens en Turquie, la Shoah et les Tziganes sous le nazisme... Les
listes des futures victimes avaient été méticuleusement dressées par
l'appareil d'État, avec la complicité active de la hiérarchie catholique
et la complaisance - pour ne pas dire plus - de la « cellule africaine »
de l'Élysée. Trois mois qui furent ponctués par une alternance de
massacres racistes et de combats entre les forces du génocide et les
combattants du Front patriotique rwandais, jusqu'à la victoire de ces
derniers et la formation d'un gouvernement d'union nationale regroupant
le FPR et les survivants des partis d'opposition à la dictature.

L'initiative du « Jardin de la mémoire » contribue à dissiper le silence
qui a permis et accompagné le génocide et se heurte de plein front aux
campagnes négationnistes qui l'ont aussitôt suivi. Là encore ce n'est
pas nouveau : les autorités turques continuent de nier le génocide des
Arméniens et les « révisionnistes » abondent en ce qui concerne celui
des juifs et des Tziganes ; mais le mensonge concernant le Rwanda a ceci
de particulier qu'il est presque contemporain du crime lui-même. Le
devoir de mémoire s'accompagne dans son cas de ce qu'il faut bien
appeler un devoir de révélation, tant la négation apparaît en passe de
l'emporter dans les médias sur le fait lui-même.

Confronté à l'horreur, une image l'emporte toujours, condensant à sa
façon toutes les autres. Pour moi, celle d'un enfant de deux, trois ans,
découvert dans un hôpital FPR de Gahini fin avril 1994. Tétanisé et les
yeux braqués sur le vide. Maladroitement, je lui caresse la tête, geste
qui le plonge dans une véritable convulsion. Une adolescente se rue sur
le gosse et l'emmène toujours hurlant. Un combattant FPR me raconte
alors : « Vous avez vu Rukara (commune proche où un millier de cadavres
laissés par les milices pourrissaient sur la place de l'église),
l'enfant était le seul survivant dans une maison où il y avait bien
trente morts. On l'a retrouvé agrippé au cadavre de sa mère. Depuis il
est comme ça...
 »

Jean Chatain

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