Fiche du document numéro 2420

Num
2420
Date
Mardi 12 janvier 1999
Amj
Auteur
Taille
114469
Titre
Rwanda : une coopération militaire française « trop engagée »
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
DANS ses conclusions relatives aux « opérations militaires menées par
la France, d'autres pays et l'ONU au Rwanda entre 1990 et 1994
 », la
mission d'information parlementaire caractérise la politique alors
menée par Paris comme entachée d'« erreurs d'appréciation » et de
« dysfonctionnements institutionnels ».

Carences et erreurs de l'ONU



Deux dimensions sont mises en avant : une « coopération militaire trop
engagée
 » ; une « sous-estimation du caractère autoritaire, ethnique et
raciste du régime rwandais
 ». Mais, rappelant que les forces françaises
avaient quitté le pays lorsque, à partir du 7 avril 1994, se déchaîna
le génocide, les conclusions soulignent surtout, en ce qui concerne
les responsabilités internationales, les « carences » et les « erreurs »
de l'ONU, conséquence, selon elles, de « l'obstruction des Etats-Unis »
redoublée par celle d'une « Belgique traumatisée ». Cette façon de
minimiser les responsabilités propres à la France pour ne retenir que
des « erreurs » d'analyse et de mise en oeuvre d'une politique aux
intentions humanitaires est-elle convaincante ? La lecture attentive
du rapport et de ses annexes (dans les 1.500 pages) conduit à en
douter. Cela d'autant plus que, contrairement aux engagements formulés
durant l'été dernier, ces documents sont loin d'être exhaustifs. 40%
des procès-verbaux ont été gardés sous le coude. Près de deux sur
trois, en ce qui concerne les militaires auditionnés. Une dérobade qui
vient encore entacher la crédibilité des conclusions présentées. Ainsi
de l'audition du colonel Bernard Cussac (mercredi 6 mai 1998), non
reproduite dans le document final. Or cet officier de gendarmerie
était entendu à plusieurs titres : ancien attaché de Défense et ancien
chef de la Mission technique militaire au Rwanda (juillet 1991-avril
1994), ancien commandant de l'opération Noroît (juillet 1991-décembre
1993, hormis la brève période de février-mars 1993). On conçoit qu'une
telle lacune ait suscité une certaine défiance et l'irritation de
Kigali. Le nom du colonel Cussac y est évoqué comme celui d'un
officier français n'ayant pas hésité à interroger personnellement des
prisonniers détenus dans les geôles du régime Habyarimana. Egalement
comme l'organisateur de « commandos d'action et de recherche en
profondeur
 » en territoire rwandais. Enfin comme le promoteur d'un
système d'écoutes sophistiquées au profit, certes, des services
français, mais aussi de la dictature alors en place à Kigali. De
telles accusations ont-elles été infirmées ou confirmées lors de son
audition par la mission présidée par l'ancien ministre Paul Quilès ?
Cela dit, pour partiel qu'il soit, le contenu du rapport est loin
d'être négligeable. Et force est de constater que son examen conduit
souvent à relativiser les conclusions le clôturant. Un exemple à ce
propos. Selon ces conclusions, la présence militaire française n'a
jamais visé une intervention directe dans la guerre civile opposant, à
partir d'octobre 1990, les FAR (Forces armées rwandaises) au FPR
(Front patriotique rwandais). Comment, dès lors, interpréter le
témoignage, entre autres, du lieutenant-colonel Gilbert Canovas,
envoyé officiellement au Rwanda, le 11 octobre 1990, pour aider les
autorités militaires rwandaises à améliorer la capacité opérationnelle
de leur armée ? Mission prolongée quelques semaines plus tard à la
demande expresse du président Habyarimana et avec l'accord du
président Mitterrand. A compter du 24 janvier 1991, le
lieutenant-colonel Canovas ajoutait un nouveau titre à sa panoplie :
conseiller du chef d'état-major des FAR, poste qu'il occupera jusqu'en
juin de la même année.

Découpés à la machette



De tels faits sont
légion. Amenant les auteurs du rapport à reconnaître : « Il est plus
que probable qu'en l'absence du renfort de la France, le FPR aurait
remporté, en février 1993,
(plus d'un an avant le début du génocide,
NDLR) une victoire militaire décisive. Ajoutant : « Février-mars 1993
constitue une période ``bascule'', pour reprendre les termes du général
Christian Quesnot qui a considéré que la France avait à ce moment
atteint les limites d'une stratégie indirecte. Du 20 février au 20
mars 1993, la présence militaire française au Rwanda a franchi un cap
qu'elle n'aurait pas dû passer.
 » Il avait sans doute été franchi
auparavant. Ce que les Hutu « modérés » (selon le terme en vigueur dans
la terminologie française pour désigner les opposants hutu à la
dictature clanique) avaient déjà déploré. Un courrier adressé par le
MDR (Mouvement démocratique rwandais, principale composante de
l'opposition légale) à l'ambassade de France, le 5 février 1992,
constatait : « Un militaire français, le lieutenant-colonel Chollet,
commandant des forces françaises venues assurer la sécurité de leurs
compatriotes, dit-on, vient de recevoir le pouvoir illimité de diriger
toutes les opérations militaires de cette guerre... Voilà que
maintenant nos armées sont commandées par un Français.
 » A notre
connaissance, l'ambassade n'a pas jugé utile de répondre à cette
lettre du MDR. Présent en avril-mai 1994 dans les régions de Byumba et
Kibungo (ouest du pays), j'ai entendu à maintes reprises cette phrase
: « Sans les Français, ``ça'' n'aurait pas eu lieu »... Une accusation
d'autant plus brutale que, la première fois, elle me fut assénée par
un survivant du massacre de Rukara, non loin de Kibungo. Il
s'exprimait sur la place de l'église de cette ``colline''. Autour de
nous, un millier de cadavres en voie de décomposition, dont ceux des
membres de la famille de mon interlocuteur. Découpés vivants à la
machette ou massacrés à la grenade par les milices de la dictature.

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