Fiche du document numéro 2419

Num
2419
Date
Mercredi 27 mai 1998
Amj
Auteur
Taille
2981503
Sur titre
Génocide rwandais
Titre
Quand l'ambassade française réclamait ses médailles
Sous titre
Attaché d'ambassade, le colonel Cussac adressait ce courrier au gouvernement en place à Kigali. Pour lui demander d'accorder "une distinction officielle" aux militaires français ayant combattu aux côtés des forces de la dictature.
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
D'UN huis clos à l'autre, la mission d'information parlementaire sur les opérations militaires menées par la France au Rwanda entre 1990 et 1994 continue ses auditions dans une discrétion envahissante. Vise-t-elle à occuper le créneau ou à créer les conditions pour que lumière soit faite ? Difficile pour l'instant de répondre à cette interrogation.

Mardi 26 mai, audition du général Raymond Germanos (sous-chef des opérations à l'état-major des armées du 1er mai 1994 au 1er septembre 1995). Suivie par l'audition du lieutenant-colonel Grégoire de Saint-Quentin, ancien assistant militaire technique (11 août 1992 au 12 avril 1994). Ce mercredi, auditions successives du général Jean Rannou (chef du cabinet militaire du ministère de la Défense, d'avril 1991 à mai 1994) et du général Jean-Pierre Huchon (chef de la Mission militaire de coopération, d'avril 1993 à octobre 1995).

Depuis le début des auditions, la plupart des déclarations de personnalités françaises (civiles ou militaires) visent à nier l'engagement de la France en faveur de la dictature "ethniste" alors en place à Kigali. Entamée en 1990, la guerre conduite contre les combattants du FPR (Front patriotique rwandais) s'est achevée au courant de l'été 1994 par la victoire de ces derniers. Hélas ! précédée par un génocide méthodiquement planifié par la dictature jusqu'alors en place, qui, entre avril et juillet 1994, fit près d'un million de martyrs.

Le document reproduit ci-dessus est accablant. Il émane de la mission d'assistance militaire à l'ambassade de France au Rwanda. En date du 1er octobre 1991. Signé par le colonel Cussac, attaché de défense et chef de la Mission d'assistance militaire, et adressé à "M. le Ministre de la Défense nationale, à Kigali". On y annonce que "le 5 novembre 1991, le détachement Noroît, actuellement fourni par les 3e et 6e régiments parachutistes d'infanterie de marine, sera relevé et quittera le Rwanda après quatre mois de présence. Certains d'entre eux, qui ont été plus particulièrement chargés de la sécurité de l'aéroport ou qui étaient déjà présents lors d'un premier séjour au mois d'octobre 1990, pourraient, dans le cas où ils vous en paraîtraient dignes, faire l'objet d'une distinction officielle de votre gouvernement".

Suivait cette suggestion insistante : "Ce pourrait être l'occasion également de marquer au 8e régiment parachutiste d'infanterie de marine, qui fut présent d'octobre 1990 à février 1991, et qui a en particulier réalisé l'intervention de Ruhengeri les 23 et 24 janvier 1991, les mêmes marques de fraternité."

Outre le fait que le colonel Cussac réclamait ouvertement des
décorations rwandaises pour des militaires français, cette dernière
phrase est à garder en mémoire. Ruhengeri, ville située au nord du
Rwanda, recelait un complexe pénitentiaire (remontant à la période
coloniale) où croupissaient des dizaines de prisonniers politiques. A
la fin de 1990 et au début de 1991, une offensive FPR permettait leur
libération. Par la suite, les combattants du Front durent faire marche
arrière. Ce que confirme la lettre du colonel Cussac, c'est que cette
retraite fut la conséquence d'une présence militaire française aux
côtés des FAR (Forces armées rwandaises). Si les soldats français en
question n'ont pas combattu directement avec l'armée de la dictature
Habyarimana, au nom de quoi l'attaché d'ambassade demanderait-il des
décorations en leur nom ? Poser la question est, en l'occurrence, y
répondre...

JEAN CHATAIN.

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