Fiche du document numéro 2400

Num
2400
Date
Mercredi 10 janvier 1996
Amj
Auteur
Taille
130332
Titre
Rwanda : les médias du génocide
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
UN million de morts en un peu moins de quatre mois, le septième de la
population du pays, tel est le bilan approximatif des tueries voulues,
préparées et planifiées qui ensanglantèrent le Rwanda entre avril et
juillet 1994. La réalité de ce génocide est encore aujourd'hui soit
niée par certains, soit dépeinte par d'autres comme la conséquence
inévitable (fatale?) d'un « affrontement inter-ethnique » héritage d'une
barbarie ancestrale.

Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme de l'ONU
pour le Rwanda et doyen de la faculté de droit d'Abidjan, René
Degni-Ségui relève que, de façon générale, « le génocide a jusqu'ici
sollicité beaucoup plus l'émotion que la réflexion
 ». Préfacier de
l'ouvrage collectif publié sous la direction de Jean-Pierre Chrétien
(1), il souligne que celui-ci « contribue de façon décisive à faire
mieux comprendre cette tragédie qui n'était nullement
inévitable. (...) Le choix des médias pour analyser le génocide est
sans conteste judicieux, car ceux-ci constituent le vecteur
transducteur par lequel est inoculé le terrible de l'idéologie
raciste
 ». Le génocide rwandais, poursuit-il, « répond hélas à un projet
d'extermination bien moderne, une forme d'intégrisme racial, à
laquelle les opinions publiques ont été sensibles dans de très
nombreux pays
 ».

L'antagonisme Hutu-Tutsi ne relève pas d'une « tradition » rwandaise: il
est apparu au début de la période coloniale comme stratégie de
division mise en oeuvre par l'occupant européen, allemand d'abord,
puis (et surtout) belge. Après la «Révolution social«  » hutu de 1959,
il fut « récupéré » par les gouvernements successifs de la Ire et la IIe
République rwandaise. La dictature Habyarimana l'a codifié (le système
des « quotas ») et encore intensifié au point d'en faire le socle même
de sa toute-puissance. Soulignant l'ancienneté de la crise économique,
sociale, politique, mais aussi culturelle déstructurant la société
rwandaise, Jean-Pierre Chrétien écrit: « L'antidote des difficultés,
c'était la chasse au bouc émissaire tutsi, la prise en otage de la
minorité par un régime au nom du peuple majoritaire. Trente ans
plus tôt en janvier 1964, vingt ans plus tôt déjà, en 1973, la recette
avait fonctionné.
 »

Le décryptage des émissions de Radio-Mille-Collines, l'analyse des
articles publiés par « Kangura » et une pléthore d'autres titres
gouvernementaux, tout atteste d'un génocide programmé. Le travail qui
a abouti à cet ouvrage est le fruit d'une collaboration de
spécialistes français (l'historien Jean-Pierre Chrétien et le
journaliste Jean-François Dupaquier) et d'intellectuels rwandais
(Marcel Kabanda, historien; Joseph Ngarambe, économiste; Jean-de-Dieu
Karangwa, linguiste et Charles Rubagumya, bibliothécaire). Essentielle
pour l'analyse de la tragédie rwandaise, la portée de ce livre excède
largement le cadre de ce seul pays, affirme René Degni-Ségui: les
causes immédiates du génocide « sont en germe dans la plupart des Etats
africains. Ce sont: le refus de l'alternance politique, l'incitation à
la haine ethnique, l'impunité, l'ineffectivité constitutionnelle
 ». Le
drame du Burundi voisin est hélas! là pour confirmer le réalisme de ce
diagnostic.

(1) « Rwanda. Les médias du génocide ». Karthala éditeur, 22-24, bd
Arago, 75013 Paris. 400 pages. Prix: 180 francs.

JEAN CHATAIN.

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