Fiche du document numéro 2361

Num
2361
Date
Samedi 18 juin 1994
Amj
Auteur
Taille
136021
Titre
Rwanda : l'avion présidentiel abattu par deux Français ?
Page
2-3
Nom cité
Nom cité
Cote
no 15503
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
L'AVION dans lequel ont trouvé la mort, le 6 avril, les présidents
Juvénal Habyarimana (Rwanda) et Cyprien Ntaryamira (Burundi) a-t-il
été abattu par deux militaires français agissant pour le compte de la
Coalition pour la défense de la République (CDR), l'aile la plus
ouvertement extrémiste des partisans de la dictature ? Cette
accusation était portée hier par le quotidien belge « le Soir ».
Ce journal évoque « des informations qui nous sont parvenues » pour
estimer qu'elles confortent « un témoignage venant de Kigali, qui
rejoint, sur certains points, l'état actuel de l'enquête menée en
Belgique par l'auditorat militaire ». Témoignage assurant « que
l'avion aurait été abattu par deux militaires français du DAMI
(Détachement d'assistance militaire à l'instruction) au service des
CDR (...). Ce sont des militaires français membres du DAMI qui, jusqu'en
décembre dernier, étaient restés à Kigali avant de céder la place aux
casques bleus de la MINUAR, dont 450 paras-commandos belges. Certains
membres du DAMI ont cependant été vus à nouveau à Kigali dès février ».

Toujours selon la même source, « ces deux militaires français auraient
mis des uniformes belges pour quitter l'endroit et être vus par deux
soldats de la garde nationale. D'où l'accusation formelle, réitérée du
côté rwandais, contre les Belges de la MINUAR, qui étaient
effectivement présents à l'aéroport. Seuls quatre responsables des CDR
auraient été au courant de ce complot contre l'avion du président
Habyarimana ».

Une accusation formelle



L'attentat aurait été perpétré avec un missile portable, et « il est
hors de question que les deux tirs de roquettes aient pu être l'oeuvre
de militaires rwandais : ces derniers n'ont jamais été formés à ce
type d'exercice ».

Autres précisions apportées par Colette Braeckman, journaliste du
« Soir » et auteur de l'article : « Il apparaît aussi - et nous l'avons
constaté sur place - que le tir est parti du lieudit Massaka, qui est
situé à l'arrière du camp militaire de Kanombe, où se trouvait la
garde présidentielle  » ... Enfin, ces deux phrases effroyables, mais que
l'horreur des événements dans ce pays peut rendre plausibles : « Dans
les trois jours qui ont suivi l'attentat, tous les témoins éventuels
ont été liquidés. Plus de 3.000 personnes ont ainsi été éliminées aux
alentours de Massaka par les paras rwandais du camp de Kanombe. »
Ce chiffre peut paraître extravagant, mais il faut se rappeler que,
dès la fin avril, le nombre de victimes des massacres était estimé à
100.000 personnes. On parle désormais de plus de 1 demi-million.
« Cette éventuelle implication de deux militaires français dans
l'attentat contre l'avion du président Habyarimana suscite des
questions essentielles, poursuit Colette Braekman. Dans quel cadre
auraient-ils agi ? Ont-ils opéré en mercenaires ? Quelle aurait été la
motivation d'un tel acte, qui déclencha les tueries, plongeant le
Rwanda dans une tragédie sans précédent ? »

« Dans l'état actuel des informations, il est pratiquement acquis que
le président rwandais, qui était soumis à une forte pression pour
accepter les accords d'Arusha, avait finalement cédé lors de la
réunion organisée à Dar es-Salaam par le ``facilitateur'' tanzanien,
le président Mwinyi, et s'apprêtait, dès son retour à Kigali, à
prononcer à la radio une allocution annonçant la constitution d'un
gouvernement de transition à base élargie, dont cinq ministres du
Front patriotique devaient faire partie. »

Une accusation absurde ?



« Cette application des accords d'Arusha, prévoyant le partage du
pouvoir, mécontentait les ``durs'' du régime, qui avaient depuis
longtemps préparé l'élimination du président Habyarimana en cas de
faiblesse de sa part. »

Le Quai d'Orsay a réagi aussitôt aux accusations répercutées par le
quotidien belge : « Cette allégation est absurde »... « Totalement
erronée », juge Michel Roussin, ministre de la Coopération ... Elle
constitue une « affabulation », surenchérit le ministre des Affaires
étrangères, Alain Juppé.

Nous nous garderons, pour notre part, d'émettre un jugement qui, à
l'heure où ces lignes sont écrites, ne pourrait qu'être prématuré.
« Le Soir » a-t-il un dossier sous le coude ? A lui d'en faire la
preuve. Mais les anathèmes lancés par les ministres français n'ont pas
valeur de réfutation. L'histoire récente nous a appris que les
barbouzes spécialisées dans les mauvais coups africains pouvaient se
reconvertir au service de telle ou telle dictature.

JEAN CHATAIN

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024