Fiche du document numéro 23490

Num
23490
Date
Mercredi 10 juin 1998
Amj
Auteur
Taille
81128
Titre
Audition de M. James Gasana, ministre rwandais de la Défense (avril 1992-juillet 1993)
Nom cité
Source
MIP
Extrait de
MIP, Tome III, Auditions, Vol. 2, p. 40
Type
Audition
Langue
FR
Citation
Audition de M. James GASANA
Ministre rwandais de la Défense (avril 1992-juillet 1993)
(séance du 10 juin 1998)
Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Président Paul Quilès a accueilli M. James Gasana, Ministre de
la Défense du Rwanda du deuxième gouvernement pluripartite du 16 avril
1992 et du troisième gouvernement pluripartite du 18 juillet 1993 où il n’a
pu exercer ses fonctions puisqu’il s’est exilé en Suisse dès le 19 juillet après
avoir été menacé de mort. Membre de la tendance modérée du MNRD,
M. James Gasana a participé aux négociations des accords d’Arusha en
tentant de faire prévaloir une solution politique pacifique.
M. James Gasana s’est déclaré convaincu que les résultats des
travaux de la mission permettront de jeter la lumière, non seulement sur les
causes du silence et de l’indifférence de la communauté internationale qui ont
été responsables de la tragédie rwandaise de 1994, mais aussi sur son
ampleur et sur les acteurs rwandais et internationaux responsables de celle-ci.
Il a rappelé que ce drame avait eu lieu alors que la région hébergeait des
troupes étrangères bien équipées à qui rien ne manquait pour neutraliser les
criminels qui l’ont perpétré ; la MINUAR comptait 2 500 Casques bleus, les
Etats-Unis avaient un contingent de 300 marines basé à Bujumbura, l’Italie
disposait d’un contingent de même ampleur en Ouganda, la France et la
Belgique avaient quant à elles dépêché des unités pour évacuer les
ressortissants étrangers.
C’est entre avril et juin 1994 que près de 600 000 personnes
d’ethnie tutsie furent massacrées atrocement dans un génocide qui ne sera
jamais assez condamné, perpétré par des organisations politiques de
jeunesses extrémistes hutues. L’atrocité et le caractère systématique de
l’extermination des Tutsis ont été décrits par M. René Degni-Segui,
Rapporteur spécial de la Commission des Droits de l’Homme : « Les
atrocités se révèlent davantage dans la manière de donner la mort aux
Tutsis. Ceux-ci sont le plus souvent exécutés à l’arme blanche, frappés à
coups de machettes, de haches, de gourdins, de barres de fer jusqu’à ce que
mort s’en suive. »
Cependant, l’ampleur des tueries qui ont eu lieu depuis avril 1994
est plus importante que ce qui a été rapporté à la communauté internationale.
Le nouveau régime et ses alliés se sont efforcés d’étouffer la vérité sur la

gravité de la tragédie rwandaise. C’est ainsi, par exemple, que le rapport
Gersony, accepté par le Haut Commissaire pour les réfugiés qui l’avait
commandé, a été mis sous embargo par le Secrétaire Général des Nations
Unies pour des raisons politiques. En travaillant sur un échantillon de trois
communes, sur les cent quarante-trois que comptait le pays, M. Gersony
avait établi qu’entre juin et septembre 1994, le Front patriotique rwandais
avait déjà tué 30 000 personnes d’ethnie hutue.
Par un exercice d’extrapolation sur d’autres communes de la même
région, on peut imaginer le niveau des dégâts causés par le régime du Front
patriotique à l’ensemble du pays.
Sur la base des données qui lui ont été communiquées par ses
informateurs au Rwanda et dans les anciens camps de réfugiés au Zaïre et en
Tanzanie, M. James Gasana a estimé qu’en une année le Rwanda avait perdu
environ 40 % de sa population de 1994, le chiffre généralement avancé de
800 000 à un million de victimes étant bien en deçà de la réalité.
En septembre 1994, déjà, le ministère de l’Intérieur rwandais du
nouveau régime donnait un chiffre, plus proche de la réalité d’alors,
d’environ 2 100 000 victimes. En mai 1997, le recoupement de tous les
témoignages reçus permettait d’estimer le nombre des victimes du conflit à
l’intérieur du pays et de l’ex-Zaïre à près de 3 150 000, chiffre qu’il a publié
au mois de mars de l’an passé. La répartition régionale des victimes à
l’intérieur du pays montre que la moitié de la population des seules
préfectures de Byumba et Kibungo a été décimée.
Il a souhaité faire part à la mission des questions importantes qui se
posaient encore à lui pour comprendre comment le Rwanda avait sombré
dans ces abîmes, dès le lendemain du 6 avril 1994. Il s’est ainsi demandé ce
qu’étaient venues faire dans la région les unités militaires américaines et
italiennes avant le 6 avril, date à laquelle on avait déclenché le génocide en
perpétrant l’attentat contre le Président Habyarimana et son homologue
burundais, Cyprien Ntaryamira, pourquoi la MINUAR avait été retirée au
moment où, plus que jamais, la population avait besoin de sa protection et
enfin pourquoi le Front patriotique rwandais avait sommé les forces
étrangères présentes dans le pays de ne pas intervenir sous peine d’être
traitées comme ennemies.
M. James Gasana a tout d’abord précisé les attributions du Ministre
de la Défense du Gouvernement de transition démocratique du Rwanda, mis
en place le 16 avril 1992. Ce Gouvernement devait mettre en oeuvre un
programme de transition précis, convenu entre les cinq partis qui le
composaient : le MRND, le MDR, le PSD, le PL et le PDC. Il était très

précisément prévu que les décisions du Gouvernement devaient être prises
par le Conseil des ministres et selon les règles du consensus. Les décisions
relatives à la défense et à la sécurité ne faisaient pas exception. Les questions
afférentes à la sécurité extérieure du pays étaient débattues en pleine
transparence. En matière de sécurité, les attributions du Ministre de la
Défense se limitaient à la sécurité contre les menaces extérieures. Il suivait la
politique gouvernementale dans ce domaine. Il a indiqué que l’idée selon
laquelle les compétences du Ministre de la Défense étaient plus vastes venait
de la multiplication des rôles joués par la gendarmerie.
La législation prévoyait la possibilité pour le ministre de l’intérieur,
le ministre de la justice, les préfets de préfecture et les officiers du ministère
public de recourir à la gendarmerie nationale. Toutefois la sécurité intérieure
et la tranquillité publique relevaient des attributions du Ministre de
l’Intérieur.
M. James Gasana a ensuite défini quels étaient selon lui les enjeux
de la guerre d’octobre 1990. Le 1er octobre 1990, l’armée ougandaise et les
rebelles du Front patriotique rwandais ont perpétré une agression armée
contre le Rwanda dans le but de renverser ses institutions légales et de
donner le pouvoir à l’armée des réfugiés rwandais tutsis. Il s’agissait d’une
agression d’Etat par une section de l’armée d’un Etat voisin, le Président
Museveni d’Ouganda disait lui-même des agresseurs du Rwanda qu’ils
étaient ses « boys qui ont déserté et qui devront être punis ». Sur le plan
juridique, il s’agissait d’un conflit véritablement international correspondant à
la définition de la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies du
14 décembre 1974 : « emploi de la force armée par un Etat contre la
souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un Etat ou
de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies. »
L’agression ougandaise mobilisait une large section de l’armée, qui
comptait dans ses rangs des réfugiés rwandais tutsis, contre un pays voisin
avec lequel l’Ouganda n’avait pas de litiges. Il ne s’agissait donc nullement
d’une guerre civile, même si les agresseurs voulaient provoquer des
affrontements ethniques pour mieux s’emparer du pouvoir.
Les règles du droit international permettaient donc au Rwanda de
demander l’assistance militaire de pays amis, que ce soit par la présence de
troupes, ou la vente d’armes. Pendant la première semaine de la guerre, la
France et la Belgique ont envoyé des troupes pour mener une opération
humanitaire de protection et d’assistance à leurs ressortissants et aux autres
étrangers qui quittaient le pays dans la panique. Des accusations outrancières
émanant de certains milieux ont été portées contre cette opération, mais il

n’y pas eu autant de voix qui se sont élevées pour condamner une agression
contre un pays qui vivait en paix avec ses voisins.
Il a alors rappelé l’évolution sociopolitique du Rwanda. L’Etat
s’efforçait d’améliorer les conditions économiques et sociales du pays. La
plus grande partie de ses ressources était consacrée à l’amélioration de
l’infrastructure sociale et éducative par la construction d’écoles, de centres
de santé et d’hôpitaux. L’investissement militaire par habitant était l’un des
plus bas d’Afrique. Toutes les composantes ethniques vivaient dans une
harmonie que l’on n’avait pas connue durant plus de deux siècles. Les
démons ethniques s’étaient profondément endormis depuis les années 1970.
La liberté d’expression et une diversification rapide de la presse indépendante
enregistraient de réels progrès.
Avant même le discours du Président Mitterrand à La Baule, une
énorme pression interne s’exerçait en faveur de changements démocratiques
au Rwanda. Ces changements devenus irrépressibles devaient permettre,
d’une part, de mettre en place un véritable Etat de droit, et d’autre part de
résoudre de façon digne le problème des réfugiés que les gouvernements qui
s’étaient succédé après l’indépendance, n’étaient pas parvenus à régler. Il a
donc déploré que l’Ouganda et le Front patriotique rwandais aient envahi le
Rwanda dans une conjoncture favorable aux forces de changement
démocratique.
Il a déclaré que ce qui s’est passé au Rwanda n’a pas été l’effet
d’une haine séculaire entre Hutus et Tutsis mais plutôt celui d’une guerre
insensée imposée par l’Ouganda et le Front patriotique rwandais, sans
laquelle le génocide des Tutsis n’aurait pas été possible. Un certaine presse
internationale a souvent déformé la réalité en cherchant à valider les thèses
reposant sur les prétendus héritages de l’administration coloniale belge ou de
l’Eglise catholique.
La guerre d’octobre avait manifestement pour objectif la prise du
pouvoir au Rwanda par la fraction rwandaise tutsie de l’armée ougandaise. Il
conviendrait donc de s’interroger sur l’origine des moyens que l’Ouganda et
le Front patriotique rwandais ont utilisés pour mener le Rwanda au pire
désastre de son histoire.
Les récents événements et le changement intervenu au Congo
confirment que la tragédie rwandaise a été le résultat des choix arrêtés par les
puissances anglo-saxonnes et l’Ouganda d’accorder un appui injustifiable à la
rébellion du Front patriotique rwandais qui voulait instaurer un pouvoir
ethnofasciste. Cet appui a été le facteur le plus puissant de la bipolarisation

ethnique. Une très forte ingérence externe s’est développée et a fait sombrer
le pays dans un marasme sociopolitique sans précédent dans son histoire.
L’ingérence des Etats-Unis et de l’Ouganda a été décrite par
M. Crawford : « Depuis la prise du pouvoir de la NRA » donc l’armée
nationale ougandaise « en Ouganda en 1986, le Front patriotique rwandais
a commencé à opérer ouvertement. La présence de Rwandais dans cette
armée suscitait le ressentiment des Ougandais qui les considéraient comme
des étrangers indûment privilégiés. En plus, des critiques concernant la
taille de l’armée étaient formulées, dans le pays et en Occident, surtout
après l’accroissement de l’insécurité dû aux mouvements de dissidents au
nord. C’est lors du processus de démobilisation, financé par l’Occident, que
les bataillons du Front patriotique rwandais furent créés.
« Les militaires rwandais avec leurs collègues ougandais étaient
formés par les Britanniques sur la base militaire ougandaise de Jinja. Les
Américains ont lancé la formation des leaders du Front patriotique qui
occupaient également les postes de haute responsabilité dans l’armée
ougandaise. Paul Kagamé fut formé à l’école militaire de l’armée
américaine à Leavenworth au Kansas.
« Depuis 1989, les Etats-Unis ont soutenu les attaques perpétrées
conjointement par le Front patriotique rwandais et l’Ouganda contre le
Rwanda. Des télégrammes reçus par le département d’Etat font référence
aux observations formulées par des experts militaires sur l’appui de
l’Ouganda au Front patriotique rwandais. Le dossier relatif au département
d’Etat, ne comportait pas moins de 61 rapports, en 1991. Entre 1989 et
1992, les Etats-Unis ont accordé à l’Ouganda un montant de 183 millions
de dollars d’aide financière, soit le double de l’aide accordée au Rwanda.
Parallèlement au renforcement des relations américano-ougandaises et
anglo-ougandaise, on assistait à une escalade des hostilités entre
l’Ouganda et le Rwanda. Entre 1990 et 1993, l’Ouganda a fermé ses
frontières au passage des marchandises destinées au Rwanda en provenance
du Kenya.
« En août 1990, le Front patriotique rwandais préparait déjà
l’invasion en pleine connaissance de cause et avec le feu vert des services
secrets britanniques. »
Cette aide financière apportée par les Etats-Unis ne pouvait servir
qu’à financer l’effort de guerre de l’Ouganda en appui au Front patriotique
rwandais. Une analyse faite au Washington Post par M. Harrad Marwitz qui
montre que l’aide financière américaine à l’Ouganda sur la période en
question est égale à toute l’aide qui lui avait été accordée au cours des

vingt-sept années précédentes l’a confirmé. On y apprend, par ailleurs, qu’en
1989 lorsqu’il était clair que l’Ouganda et le Front patriotique rwandais
menaient des attaques contre le Rwanda, un mémorandum interne à l’USAID
déconseillait l’augmentation de l’aide militaire et de l’assistance économique
à un pays qui finançait le renversement d’un pouvoir légal par des réfugiés.
Les crédits alloués à l’Ouganda par le Fonds monétaire international
et la Banque mondiale dans le cadre du programme d’ajustement structurel
ont aussi constitué une voie de financement de la guerre. Les fonds des
institutions de Bretton Woods lui ont fourni la possibilité d’importer du
matériel de guerre au profit du FPR. L’octroi de ces fonds était subordonné à
la réduction des dépenses militaires. Le Président Museveni s’en est donc
fort habilement servi pour démobiliser ses sureffectifs qui étaient une source
de problèmes politiques intérieurs. Il a détourné ces crédits pour financer
indirectement l’effort de guerre du FPR.
Tout laisse à penser que, vis-à-vis des Français, certaines grandes
puissances alliées au FPR trouvaient par ce biais une voie non
compromettante pour l’aider efficacement à prendre le pouvoir. La politique
d’ajustement structurel s’est révélée favorable à l’Ouganda et défavorable au
Rwanda ; l’Ouganda devait réduire la taille de son armée alors que le
Rwanda ne pouvait pas augmenter à son gré la taille de la sienne. Le Front
patriotique rwandais se renforçait donc à peu de frais : le trop plein des
éléments rwandais de la NRA passait au Front patriotique. Bien que le
Rwanda ait lui aussi perçu des crédits internationaux, le montant de ceux-ci
étaient de loin inférieurs à ceux perçus par l’Ouganda, ce que ne pouvaient
pas ignorer les amis du FPR et de l’Ouganda.
Une analyse objective des facteurs qui ont conduit au génocide des
Tutsis et au massacre massif des Hutus de 1994 ne peut pas passer sous
silence le rôle particulièrement néfaste de l’aide financière indirecte des
puissances anglo-saxonnes et des institutions de Bretton Woods apportée par
l’intermédiaire de l’Ouganda à la rébellion du Front patriotique rwandais. Les
administrations de ces pays et ces organisations n’ont pas mesuré les
conséquences du fait d’imposer par les armes la domination d’une minorité
armée là où existaient des demandes d’ouverture démocratique. Sans leur
appui, le Front patriotique rwandais n’aurait pas pu financer la déstabilisation
d’un pouvoir légal, reconnu comme tel par la communauté internationale,
quelle que soit l’appréciation portée sur la manière de gouverner le pays.
L’analyse américaine a placé la crise rwandaise dans le contexte
géopolitique de l’Afrique orientale et centrale caractérisé notamment par la
menace de développement de l’intégrisme islamiste dont la tête de pont était
le Sud-Soudan. Pour les Américains, il fallait soutenir l’Ouganda qui

constituait la prochaine cible de cet intégrisme. Plus la crise durait, plus elle
devenait complexe. A la dimension internationale de cette guerre est venue
s’ajouter l’opposition interne au régime du Président Habyarimana qui
cristallisait l’antagonisme régional entre le nord et le sud.
M. James Gasana a ensuite considéré que deux domaines devaient
être distingués dans la nature des opérations militaires menées par la France
au Rwanda : la coopération militaire et l’opération Noroît.
La coopération militaire française comprenait un volet gendarmerie,
institué en 1975. La gendarmerie rwandaise a bénéficié de l’assistance
française pour la formation de ses cadres. Elle était destinée aux jeunes
officiers à l’issue de leur formation militaire. Ceux-ci apprenaient les
techniques de maintien et de rétablissement de l’ordre, la police judiciaire, la
recherche du renseignement judiciaire, la police technique, et le droit pénal.
La France envoyait également des instructeurs à l’école de gendarmerie
nationale de Ruhengeri pour la formation des sous-officiers aux fonctions
d’officiers et d’agents de police judiciaire. La formation couvrait les
domaines de la police judiciaire, le droit pénal, le maintien et le
rétablissement de l’ordre public, la recherche du renseignement, la police
routière etc.
En mai 1992, le Gouvernement rwandais a demandé à la
coopération française de l’aider à rendre la gendarmerie encore plus
performante en matière de maintien de l’ordre public, de lutte contre le
terrorisme et de protection du processus de démocratisation, suite à
l’intensification des attentats en février. Des experts français ont aidé à
former aux techniques d’enquête les agents du centre de recherche criminelle
et de documentation. Au cours de la même année, avec la multiplication des
manifestations et des émeutes organisées par les partis politiques et des
affrontements entre les organisations politiques de jeunesse, il a été demandé
à la coopération française une aide pour former un bataillon mobile spécialisé
dans le maintien et le rétablissement de l’ordre public.
La coopération française a permis à la gendarmerie d’améliorer ses
performances pendant la période de grande tension politique et de guerre de
1991 à 1993. La gendarmerie s’est bien comportée au cours des
manifestations et des émeutes grâce aux techniques apprises dans les
programmes de formation, il ne lui a été fait aucun reproche pour ses actions.
Elle a respecté les règles du droit dans les opérations de maintien de l’ordre
public ainsi que les procédures formelles dans l’exécution des mandats
délivrés par le ministère public.

Il a tenu à souligner que l’apport de la France à la gendarmerie avait
beaucoup aidé le Rwanda dans le processus de démocratisation. Le Rwanda
a ainsi pu disposer d’un corps professionnel de qualité qui a constitué un
pilier important dans la gestion de la transition démocratique. Lors des
émeutes de 1992 et 1993, il n’y a pas eu de répressions arbitraires ou
violentes grâce à l’action de la France qui a également fourni les moyens
appropriés pour gérer ces situations évitant ainsi des réactions maladroites
dans des conditions de grande tension.
La France a été au premier rang de la coopération militaire avec le
Rwanda. Toutefois, celles de la Belgique et de l’Allemagne n’étaient pas
négligeables. Les Etats-Unis, dans une faible mesure, entretenaient aussi une
coopération militaire.
La Belgique est restée aux côtés des Forces armées rwandaises
pendant la guerre. En réalité les unités d’élite étaient formées par la Belgique
au centre commando de Bigowe, jusqu’à la crise d’avril 1994. Les officiers
suivaient des formations avancées en Belgique. L’hôpital militaire de
Kanombe, un des meilleurs qu’ait compté le Rwanda, bénéficiait d’un appui
technique et financier belge. Dans la défense du pays contre le Front
patriotique, l’aide belge à cet hôpital a sans doute été aussi déterminante que
l’aide française à l’artillerie. C’est en reconnaissance du rôle joué par la
Belgique dans la défense du Rwanda que le Président Habyarimana a voulu
qu’elle fournisse un contingent important de casques bleus au sein de la
MINUAR.
Le Gouvernement a veillé à ce que la coopération avec la France ne
soit pas un sujet de discorde entre les partis qui le composaient. L’opposition
n’était pas unanimement favorable à une victoire militaire des forces armées
rwandaises. Cela nécessitait de recenser des domaines de coopération
militaire qui ne soient pas sujets à controverse. L’accent a été mis sur le
perfectionnement des unités spécialisées de l’armée rwandaise, notamment
des bataillons d’artillerie et de parachutistes pour renforcer les capacités de
défense. La France s’est efforcée d’éviter que ses actions de coopération ne
perturbent le processus de paix et elle a poussé le Président Habyarimana à
négocier avec le Front patriotique.
Un officier français a été placé auprès de l’état-major de l’armée
rwandaise en qualité de conseiller du Chef d’Etat-major. Il n’y a jamais eu de
conseillers militaires, ni auprès du Ministre de la Défense, ni auprès du
Président de la République, ni auprès du Premier Ministre.
Un détachement de coopérants militaires pour l’assistance à
l’instruction, qui n’était pas une unité combattante, comprenait des

instructeurs ayant pour mission de dispenser une formation destinée aux
personnels des unités d’artillerie de campagne, aux pilotes de l’escadrille
d’aviation -5 pilotes ont ainsi été formés, dont quatre brevetés- et à certains
membres du bataillon de reconnaissance. Bien que les instructeurs aient la
possibilité de suivre leurs élèves pour évaluer la formation et même leur
prodiguer des conseils, il n’y a jamais eu d’ordre d’opération pour
l’articulation des Forces armées rwandaises avec le DAMI.
Depuis l’entrée de l’opposition au Gouvernement, certains analystes
de l’administration française sentaient qu’il ne serait pas facile de maintenir la
relation antérieure et qu’une solution militaire du conflit n’avait pas de
chance d’aboutir. Le conflit armé ayant divisé la classe politique rwandaise,
la France s’enfonçait de plus en plus dans un guêpier. Elle déploya de vains
efforts auprès de la Grande-Bretagne pour obtenir son concours auprès de
Museveni qui estimait, comme les Etats-Unis, que le rôle de cordon de
protection contre la poussée islamiste au Soudan de l’Ouganda était plus
stratégique que la paix au Rwanda. La France a donc appuyé la voie
négociée tout en sauvegardant une force gouvernementale politique et
militaire. Néanmoins, elle sentait que le Gouvernement rwandais ne verrait
pas le bien-fondé des négociations si le Front patriotique n’occupait pas une
partie de territoire. Ce raisonnement avait déjà permis au Front patriotique,
en mai 1992, de prendre une partie de la commune de Muvumba, les
commandes d’armements passées à la France n’ayant pas été honorées à
temps. En juin 1992, alors que les forces rwandaises venaient d’acquérir des
obusiers français de 105 mm, la France leur en a refusé l’utilisation alors que
les FAR étaient en mesure de reprendre le contrôle des hauteurs des
communes de Kiyombe et Kivuye. La perte de ces hauteurs dont le FPR
conservera le contrôle sera un des facteurs déterminants de la suite de la
guerre. L’autorisation d’agir ne sera donnée que lorsque, après avoir décidé
d’acheter des obusiers de 125 mm à l’Egypte, les instructeurs égyptiens
arriveront à Kigali.
M. James Gasana a précisé que vers le milieu de l’année 1992, la
NRA avait accru son ingérence dans la guerre et que le nombre des déplacés
avait atteint 350 000. Un des objectifs de la coopération avec la France sera
alors de contribuer à protéger les déplacés contre les bombardements du FPR
et d’éviter que l’extension de la zone des combats n’augmente leur nombre.
A la demande des autorités rwandaises, la France avait mis à la disposition de
l’armée rwandaise des instructeurs pour améliorer la qualité de quelques
bataillons. L’intervention française s’est limitée à cela et il n’a jamais été
question de demander une intervention des troupes françaises dans la guerre,
car d’une part les forces armées rwandaises étaient politiquement plurielles
même si elles étaient supposées être non partisanes et une présence française

au front aurait pu être dénoncée par l’opposition et aggraver la polarisation
du Gouvernement, et d’autre part, une intervention étrangère directe n’était
plus envisageable après l’ouverture des négociations de paix à Arusha.
Depuis 1992, les conditions de l’appui que la France apportait au
Rwanda s’étaient fortement modifiées, rien ne pouvait être fait sans un
consensus entre le Président et le Gouvernement de transition démocratique.
Il a déclaré qu’en ce qui concerne les matériels, la France n’avait
jamais pris en charge financièrement les achats d’armes par le Rwanda, que
ce soit en France ou auprès d’autres pays. Si dans les opérations d’achat
effectuées en Egypte, le Crédit Lyonnais avait été impliqué dans les
transactions, ce fut un choix du fournisseur égyptien qui voulait couvrir ses
risques par une banque agréée par les deux parties et la Banque nationale du
Rwanda. Cette couverture du risque aurait pu être le fait de toute autre
banque dans laquelle la Banque nationale du Rwanda avait un compte. Ces
garanties étaient exigées par tous les fournisseurs. Toutes les opérations
financières relatives à l’acquisition d’armes étrangères transitaient par les
organismes bancaires, depuis les cautions préalables aux livraisons jusqu’au
règlement des soldes après livraisons. Il a précisé qu’à l’exception de la
fourniture de certaines armes lourdes d’artillerie et d’aviation, de la vente de
certaines munitions et de certains équipements spécialisés, comme le matériel
de transmission, commandés auprès d’entreprises privées, la France n’avait
pas figuré parmi les plus gros fournisseurs. Pour les armes légères, les prix
français étaient supérieurs à ceux de la concurrence. De surcroît, les FAR
n’utilisaient pas d’armes légères françaises. En outre, depuis avril 1992, le
Gouvernement respectait la législation rwandaise en vigueur sur les marchés
publics qui exigeait d’avoir au moins trois offres par lot de commandes.
Abordant l’opération Noroît, il a précisé qu’en octobre 1990, la
France, comme la Belgique, avait envoyé au Rwanda deux compagnies de
militaires pour assurer la protection des ressortissants français et étrangers et
les intérêts de la France. Les Français occupaient l’aéroport pour mieux
contrôler l’espace aérien rwandais, les Belges assurant le contrôle du
transport routier entre l’aéroport et la ville de Kigali. Frustré par l’espace
occupé par les Français dans les relations militaires avec le Rwanda et
attaqué par son opposition, le Gouvernement belge a très vite retiré ses
troupes, imposé au Rwanda un embargo sur les armes et même suspendu la
livraison du matériel déjà commandé et payé.
En octobre 1990, les troupes françaises basées dans la capitale, ont
effectué des missions à l’intérieur du pays pour regrouper à Kigali les
étrangers qui quittaient le pays ou la zone des combats. A chaque reprise des
hostilités, les troupes françaises effectuaient les mêmes opérations

d’évacuation d’étrangers des zones situées au voisinage du front et de
protection des infrastructures aéroportuaires.
Il a indiqué que, lors de chacune de ces opérations, la France avait
toujours tenu informé le commandement du Front patriotique rwandais de la
conduite des évacuations et de leur durée. Il était clair que ces opérations
étaient couvertes par des déploiements de reconnaissance pour éviter le pire
mais que, si ces reconnaissances s’en étaient parfois rapprochées, elles
n’avaient jamais atteint la ligne de front.
Il a estimé que la présence des troupes belges et françaises au
Rwanda, en 1990, dans le cadre d’une mission humanitaire, avait permis au
pays de ne pas sombrer dans les affrontements interethniques. Abandonner le
Rwanda à lui-même et à l’action combinée de l’armée ougandaise et du Front
patriotique, n’aurait fait que contribuer à attiser la panique au sein de la
population.
Il a estimé que les militaires français n’avaient jamais dépassé le
cadre de leur mission de coopération avec un pays souverain. Le
Gouvernement ne leur avait jamais demandé de participer aux combats ce qui
ne veut pas dire qu’il n’y ait pas eu de situations où les risques
d’affrontements avec le Front patriotique rwandais étaient grands, ni de
circonstances dans lesquelles certaines gesticulations pouvaient donner une
impression de belligérance à un observateur non avisé comme ce fut, par
exemple, le cas lors des opérations d’évacuation des expatriés à Byumba et à
Ruhengeri quand des militaires français, à la suite d’attaques des rebelles, ont
failli se trouver encerclés. Pour éviter ce risque, les troupes de
reconnaissance pouvaient s’approcher du front en cas de besoin et d’autres
couvraient les convois. Il n’y a jamais eu, ni provocations, ni affrontements.
Le risque d’affrontement était si élevé, en février 1993, que les
militaires français ont failli entrer dans les combats pour protéger Kigali. Le
Front patriotique rwandais venait de violer le cessez-le-feu, tuant
40 000 personnes dans les préfectures de Byumba et de Ruhengeri, jetant
ainsi sur la voie du déplacement intérieur près d’un million d’autres
Rwandais. Le FPR menaçait d’assaillir Kigali et était parvenu à quelques
kilomètres seulement de la capitale.
En conclusion, M. James Gasana a évoqué le rôle de la France dans
les négociations de paix et dans le processus politique. Le rôle joué par la
France au Rwanda après 1990 n’a pas toujours été à la hauteur de la
complexité de la situation. Le soutien à la démocratisation n’a pas répondu
aux attentes suscitées par le discours du Président Mitterrand à La Baule. Il
n’y a pas eu de signes d’accompagnement du processus de changement

politique tels que le renforcement de la société civile et l’appui aux partis
politiques dans l’apprentissage de la démocratie. Après le départ de
l’ambassadeur Martre, il n’y pas eu d’efforts visant à amener le Président
Habyarimana à composer avec les partis d’opposition au sein du
gouvernement multipartite ce qui a été interprété comme une caution
politique de la France au Président Habyarimana et au parti MRND.
Alors que d’autres pays comme les Etats-Unis, la Belgique, la
Tanzanie, formulaient des propositions pour faire progresser les négociations
d’Arusha, la France semblait mener une politique de réaction et non
d’initiative. C’est ainsi que d’aucuns ont eu, à tort, l’impression qu’elle
mettait en avant les solutions militaires.
Enfin, il a souligné que la coopération militaire franco-rwandaise a
été efficace, particulièrement pour la gendarmerie. Il a estimé que le rôle
politique de la France n’avait pas été à la hauteur des attentes des acteurs
politiques internes d’où les critiques parfois outrancières et dénuées de
fondement dirigées contre sa présence militaire.
Evoquant des déclarations antérieures de M. James Gasana sur les
accords d’Arusha, le Président Paul Quilès a souligné que l’analyse qu’il en
faisait imputait leur échec au fait qu’ils consacraient la bipolarisation de
l’armée et, par là même, accentuaient celle du pays. Il a souhaité savoir si une
démilitarisation totale et définitive du pays sous l’égide de l’ONU aurait pu
conduire à une paix durable.
M. James Gasana a estimé que la bipolarisation de l’armée prévue
par les accords d’Arusha était l’un des facteurs d’échec de la mise en oeuvre
de cet accord. La focalisation sur le rôle des forces armées, n’a pas permis
d’approfondir les réflexions sur la réconciliation nationale ; les questions
touchant à la réconciliation sociale n’ont pratiquement jamais été abordées,
or celle-ci était impérative pour permettre la mise en oeuvre de l’accord.
La bipolarisation n’était que l’effet de la peur mutuelle entretenue
par les deux communautés. Le rôle des armées a toujours été -au Rwanda
comme au Burundi d’ailleurs- de protéger le groupe au pouvoir. La seule
possibilité de rompre ce cercle vicieux de peur mutuelle et de recherches de
solutions dans l’armée, aurait été de démilitariser le pays pour reconstruire la
confiance mutuelle. Certes ce processus aurait pris beaucoup de temps mais
il s’agissait de la seule solution pour les deux pays dans la mesure où l’armée
y était considérée comme un instrument d’exercice du pouvoir.
M. Pierre Brana a demandé quels étaient les principaux pays
fournisseurs d’armes au Rwanda, quelle place occupait la France parmi eux

et si la France avait refusé de livrer des armes. Il s’est interrogé sur le regard
porté par le Président Habyarimana sur le processus de démocratisation au
Burundi depuis 1988 ; s’agissait-il d’un exemple et d’un encouragement pour
le processus de démocratisation au Rwanda ou, au contraire, cette situation
suscitait-elle un sentiment de refus ? Enfin il s’est inquiété d’une éventuelle
utilisation par le Président rwandais de la solidarité francophone par rapport
au monde anglo-saxon symbolisé par l’Ouganda et le FPR.
M. James Gasana a précisé que les principales sources
d’approvisionnement en armes étaient l’Afrique du Sud, l’Egypte, la Chine et
ultérieurement la Pologne, voire dans certains cas la Grèce, Israël et, bien
sûr, pour des équipements spécialisés, la France. La France occupait certes
une place assez importante parmi les fournisseurs, mais pour ce qui est de la
valeur de l’armement, elle ne figurait ni en première, ni en seconde position,
car la plupart des dépenses d’armement concernaient les armes légères qui
n’étaient pas d’origine française. Les FAR disposaient de kalachnikovs, de
R4 sud-africaines, d’armes belges. En revanche, la France a été le plus grand
fournisseur pour l’équipement plus lourd d’artillerie, les FAR étant équipées
dans ce domaine de matériels français. Par ailleurs, la France a fourni
gratuitement des armes au Rwanda dans des situations particulières. Ce fut le
cas lors d’attaques surprises du FPR, pour parer au plus pressé, en attendant
que le Gouvernement rwandais mobilise ses procédures pour effectuer les
commandes. En situation normale, la France n’a pas procuré d’armes
gratuitement. Dans certains cas, elle a même freiné les commandes, y
compris pour les armes dont elle était le seul fournisseur. Ainsi, au mois de
mai 1992, alors que le FPR avançait et menaçait d’attaquer, le Rwanda a
passé des commandes de bombes rendues indispensables par le contexte
tactique que la France n’a pas honorées. Elle a laissé à dessein le FPR
avancer et n’a fourni le matériel commandé que lorsque que le FPR occupait
déjà une partie du territoire. En juin 1992, alors que le Front patriotique
menaçait la préfecture de Byumba dans le nord du pays, la France n’a pas
non plus livré les matériels commandés, permettant ainsi l’occupation de près
de 5 % du territoire rwandais, ce qui a conduit à négocier avec les
représentants français le passage de la ligne de stabilisation du front. La
France utilisait les livraisons d’armement pour contraindre les parties
concernées par le conflit à négocier.
Il a fait observer que le Président Habyarimana, comme tous les
autres acteurs politiques au Rwanda, avait été encouragé par l’expérience de
démocratisation conduite au Burundi. Il a confirmé, pour l’avoir lui-même
entendu, y compris en présence de certaines délégations françaises, que le
Président Habyarimana citait le processus burundais comme un exemple à
suivre dans les négociations d’Arusha. Il jugeait que ces négociations

devaient permettre de remettre la souveraineté au peuple en élaborant des
modalités d’organisation d’élections afin que les représentants du peuple
soient des élus et non des personnes convenues dans une formule arbitraire
comme cela a d’ailleurs été le cas. Il a affirmé que le Burundi constituait aux
yeux du Président Habyarimana, un bon exemple d’exercice de la démocratie
et qu’il s’agissait de la meilleure solution pour le pays. Il en allait de même
pour l’opposition à qui cette expérience burundaise avait prouvé que des
élections justes permettaient de participer à l’exercice du pouvoir.
Sur le fait de savoir si le Président Habyarimana avait joué de la
solidarité francophone, il a répondu que, dans la révolution que traversait le
Rwanda et le contexte historique du moment, cela apparaissait parfaitement.
De grandes solidarités s’étaient en effet alors tissées dans la communauté
francophone. En revanche, il a estimé que le Président Habyarimana n’avait
pas compris les intentions, ni les moyens du monde anglo-saxon, en dépit des
efforts que certains groupes avaient consentis pour l’amener à s’allier à son
homologue ougandais. Il a cité les contacts établis notamment par le groupe
Prayer Breakfast pour l’inciter à entrer dans cette alliance anti-islamiste
contre le Soudan à laquelle on avait pensé l’intégrer. S’il avait perçu
l’importance qu’attachaient les Américains à cette action, la suite des
événements aurait été différente. En effet, c’est lorsque les Américains ont
jugé que le Président Habyarimana tardait à concrétiser cette alliance avec
Museveni qu’ils ont dû arrêter leur choix et décider de renforcer la position
du Président ougandais. Ayant lui-même appartenu au groupe international
Prayer Breakfast et ayant suivi la négociation, il a considéré que les
informations qu’il venait de livrer à la mission n’étaient pas contestables.
Deux rencontres ont été organisées entre les Présidents Museveni et
Habyarimana : une première à Arusha, à la fin du mois de janvier 1992 et
une seconde, en décembre de la même année.
Revenant sur les cessions gratuites d’armes par la France,
M. François Lamy s’est enquis des canaux suivis, des interlocuteurs
contactés et des délais d’acheminement.
M. James Gasana a indiqué que ces livraisons concernaient surtout
des armes destinées aux unités d’appui car les FAR s’efforçaient de détenir
des stocks d’urgence pour l’armement léger. Les armes d’appui étaient
utilisées avec l’autorisation de la France, lorsque les circonstances
l’exigeaient. Ce contrôle s’effectuait à travers la gestion des stocks. Il
convenait alors de convaincre les représentants de l’autorité française,
attaché militaire et ambassadeur, que le Rwanda subissait une agression et
que son armée ne pouvait réagir en raison de l’insuffisance de ses stocks. Il
n’a pas pu préciser la provenance des livraisons mais a précisé qu’elles

n’intervenaient pas toujours aussi rapidement que le contexte l’aurait exigé.
Toutefois leur volume permettait à chaque fois de rétablir le niveau des
stocks, ce qui maintenait en permanence un équilibre militaire entre les
parties aux négociations.
Après avoir rappelé que les procédures de livraisons d’armes de la
France au Rwanda faisaient normalement l’objet de dispositifs légaux très
précis, M. Bernard Cazeneuve a souhaité savoir si les livraisons françaises
correspondaient à des commandes antérieures en attente qui étaient
débloquées en raison des situations de crise ou si les armes étaient livrées en
dehors des commandes effectuées selon des procédures normales.
M. James Gasana a précisé que ces livraisons ne correspondaient
pas à des commandes car le Gouvernement rwandais était alors engagé dans
le processus de négociations d’Arusha et qu’il se trouvait de fait dans
l’impossibilité de passer des commandes d’armement. Les demandes visaient
à reconstituer les stocks de munitions pour permettre une fixation du front et
le maintien d’un équilibre des forces.
M. Bernard Cazeneuve a souhaité compléter sa question en
demandant si les armes, destinées à maintenir un stock en cas d’agression,
étaient cédées à titre gratuit.
M. James Gasana a indiqué que les apports d’urgence aux unités
d’appui n’étaient pas payés mais que les commandes concernant les
équipements radio ou les munitions pour les mitrailleuses l’étaient
puisqu’elles étaient passées aux fabricants, les procédures étant alors
différentes.
M. Bernard Cazeneuve a précisé que dans ce dernier cas, les
commandes de l’Etat rwandais faisaient l’objet d’autorisations dans le cadre
de la procédure d’examen par la CIEEMG. Il a également indiqué que,
notamment en 1992, alors que M. James Gasana était Ministre de la Défense,
onze cessions gratuites étaient intervenues, à hauteur de 15 millions de
francs, ce qui avait vraisemblablement permis de reconstituer les stocks sous
contrôle conjoint.
M. James Gasana a répondu par l’affirmative en précisant que ces
fournitures étaient consécutives à l’ouverture d’hostilités par le FPR, souvent
d’ailleurs en violation de l’accord de cessez-le-feu.
M. Bernard Cazeneuve a souhaité avoir confirmation du fait que
l’utilisation des armes fournies était soumise à un contrôle.

M. James Gasana a confirmé que leur utilisation était
rigoureusement contrôlée et même souvent à outrance. Il arrivait que les
autorités rwandaises ne comprennent pas pourquoi ce contrôle était imposé
alors que les rebelles avançaient. Pour illustrer ces propos, il a rappelé que le
5 juin 1992, les FAR disposaient déjà d’une batterie de mortier 105 mm dont
les utilisateurs n’étaient pas encore formés. A la même date, lors de
négociations à Paris, le Gouvernement rwandais avait demandé à la France
une aide à la formation des hommes et s’était vu opposer un refus. Alors que
le FPR attaquait et que les combats se poursuivaient, la France avait
maintenu sa position, conduisant le Rwanda à passer commande d’une
batterie de mortier à l’Egypte. Ce n’est que lorsque la batterie égyptienne et
ses instructeurs sont arrivés que la France a accepté de former l’unité
rwandaise, y compris pour l’utilisation du matériel égyptien.
Revenant à la première question posée par le Président Paul Quilès,
M. Bernard Cazeneuve s’est interrogé sur la cohérence du raisonnement de
M. James Gasana qui face à la thèse de l’invasion étrangère appuyée, depuis
l’Ouganda, par les Américains parvenait à la conclusion un peu singulière
pour un Ministre de la Défense qu’il fallait démilitariser le pays, ce qui
l’exposait à des risques considérables.
M. James Gasana a tout d’abord expliqué sa position en
s’appuyant sur le fait que le Rwanda était un petit pays confronté à de
difficiles problèmes internes et qu’il ne pouvait pas maintenir une armée pour
se protéger de ses quatre voisins. Si l’on excepte la situation actuelle où le
Zaïre a été attaqué par d’autres puissances, à travers le Rwanda, il a souligné
qu’il ne lui apparaissait pas possible, sans mobiliser d’alliances
exceptionnelles, que le Rwanda puisse sortir vainqueur d’un conflit avec ses
voisins et a ajouté que, pour gérer une menace interne ou parer aux
conséquences d’une menace externe, le Rwanda n’avait pas besoin d’une
armée supérieure à quelques milliers d’hommes.
Il a par ailleurs indiqué que, jusqu’à l’agression d’un pays voisin en
1990, pendant les trente années qui ont suivi l’indépendance, le Rwanda
n’avait jamais connu de problèmes extérieurs. Les difficultés auxquelles il
s’était trouvé confronté jusque là étaient d’ordre interne et c’est pour y faire
face que l’armée avait été formée. Il a estimé que pour régler les problèmes
internes qui sont plutôt d’ordre social et politique, l’armée ne se justifiait pas
mais qu’il suffisait de forces de police ou de gendarmerie.
Soulignant que M. James Gasana était Ministre de la Défense lors
de la négociation des accords de coopération, M. Michel Voisin a souhaité

connaître qui avait pris l’initiative du réexamen des accords et sur quoi
portaient les modifications.
M. James Gasana a indiqué qu’il pensait que les accords antérieurs
étant arrivés à échéance, il fallait absolument prévoir un avenant, d’autant
plus que le contexte intérieur du pays avait beaucoup évolué. La situation
imposait d’adapter la gendarmerie à un contexte de pluripartisme, alors
qu’elle avait été bien formée grâce à l’appui français sous un système de parti
unique dans lequel le pays ne connaissait pas d’émeutes, ni de manifestations
politiques. Face à ce genre de situations, les moyens d’intervention, soit
n’existaient pas, soit étaient inopérants faute de personnels formés pour les
gérer. La gendarmerie devait donc travailler autrement, ce qui explique que
l’accent a été mis sur une meilleure formation à la manipulation des outils
juridiques, comme sur la collaboration avec une société pluripartite. Le
terrorisme et les attentats à la bombe constituaient des éléments totalement
nouveaux pour le pays. Or ce terrorisme s’est intensifié en 1992 et le
Gouvernement n’était pas préparé à faire face à ce genre de situations et il a
fallu solliciter l’aide de la France. Enfin, le Rwanda comptait déjà en mai et
juin 1992, environ 350 000 habitants déplacés qu’il fallait protéger en
renforçant les moyens de défense contre un envahisseur qui ne cessait
d’avancer, d’où la nécessité de professionnaliser l’armée dans un contexte où
il convenait de faire en sorte qu’elle ne soit pas présentée comme l’armée
d’une seule faction politique. Le Gouvernement devait donc disposer d’une
force armée bien formée et disciplinée et non plus augmenter à nouveau ses
effectifs comme cela avait été fait en 1990 quand l’armée était passée de
5 000 hommes à plus de 25 000, au risque d’être confrontée à un manque
d’encadrement des troupes. Il a donc été décidé de mettre un frein au
recrutement, à l’augmentation des effectifs pour privilégier la formation, la
professionnalisation de l’armée et également son adaptation au paysage
politique. C’est dans se sens qu’ont été modifiés les accords tout en tenant
compte des impératifs des négociations de l’accord de paix.
M. René Galy-Dejean a souhaité savoir si, pendant la durée des
responsabilités ministérielles de M. James Gasana, les milices existaient déjà,
s’il avait été conduit à quitter le Rwanda sous la pression de menaces et s’il
se sentait encore menacé.
M. James Gasana a précisé qu’il avait préparé à l’intention de la
mission d’information un document intitulé « La violence politique au
Rwanda, 1991-1993 » qui constitue un témoignage sur le rôle des
organisations des jeunesses des partis politiques. Il a estimé qu’il s’agissait
du document qui offre l’analyse la plus approfondie de la situation des
jeunesses politiques des partis et indiqué qu’il avait été élaboré en réponse

aux accusations portées contre la France s’agissant de son éventuelle
implication dans la formation des milices. Il a souligné qu’il ressortait, à la
lecture de ce document, que la France n’était nulle part mentionnée dans le
développement de ces organisations de jeunesse car elle n’avait jamais rien
eu à voir avec elles. Il a déclaré que eux qui prétendaient le contraire étaient,
soit mal informés, soit de mauvaise foi.
Il a estimé que parler de « milices » avant la fin de l’année 1993
constituait un abus de langage. Le terme de « milices » a été utilisé
prématurément parce que les partis rivaux qui s’affrontaient à travers les
organisations politiques de la jeunesse désignaient sous ce nom, pour se
discréditer les uns les autres, l’organisation politique de la jeunesse adverse.
Ces organisations ne répondaient nullement à la définition d’une milice qui
suppose d’avoir un minimum de formation, d’équipement et d’organisation
militaires ce qui n’était, selon lui, pas le cas des organisations politiques de
jeunesse avant la fin de 1993. Des organisations politiques de grands partis
-le MRND, le MDR, le PSD et également, au début, le parti libéral s’affrontaient. Elles étaient utilisées pour des activités d’animation politique
dans les meetings populaires mais aussi dans les manifestations et, par
conséquent, lors des affrontements politiques entre partis, lors des émeutes.
Il arrivait que certains de leurs membres formés au maniement des armes
commettent des actes de banditisme armés mais à titre individuel et pas au
nom d’une organisation politique. La gendarmerie a joué un rôle important
pour empêcher les débordements de ces organisations de jeunesse puisqu’elle
était parvenue à les contrôler dans les émeutes et les manifestations, surtout à
partir du moment où un bataillon d’intervention spécialisé a été formé dans le
cadre de la coopération avec la France pour ce genre de situations.
S’agissant de son départ du Rwanda, il a précisé que sa présence
était considérée comme un problème pour l’une des milices les plus
importantes, les Interahamwe, qui s’était vu, au début de l’année 1993,
obligée comme les autres à se conformer aux règles de bonne conduite. A
cette époque, plus d’une centaine de ses membres étaient en détention,
attendant que la justice se prononce sur leur cas. Alors que des pressions
s’exerçaient pour obtenir leur libération, il avait catégoriquement refusé que
la gendarmerie consente à les relâcher avant que la justice ne statue sur leur
sort . Il a estimé que cette milice était à l’origine des menaces dont il a été
l’objet.
Il a ensuite considéré que le terme de milice pouvait être employé à
partir de la fin de l’année 1993, car, avec l’assassinat du Président burundais,
en octobre 1993, il s’est produit un retournement dans le paysage politique.
Jusque là les organisations de jeunesse émanant des deux grands partis hutus

en présence -MRND et MDR- s’affrontaient sur des lignes politiques et non
ethniques. Elles ont alors conclu des alliances sur d’autres bases que des
bases politiques, pensant qu’il y avait une menace régionale des groupes
armés de l’ethnie tutsie. Il en est résulté une bipolarisation « ethnique » qui a
fait disparaître les moyens d’autocontrôle interne et ces groupes ont pu
s’armer devenant ainsi des milices à proprement parler.
M. Bernard Cazeneuve a souhaité connaître le sentiment de
M. James Gasana sur l’éventuelle responsabilité d’une fraction des FAR,
proche de la CDR dans l’attentat contre l’avion présidentiel. Il s’est demandé
si cet attentat pouvait résulter des conflits très durs opposant les extrémistes
hutus dans les toutes dernières semaines précédant l’attentat. Il a également
souhaité obtenir quelques éléments d’information sur les relations entre
MM. Sagatwa et Bagosora.
M. James Gasana a rappelé que l’attentat s’était produit après son
départ du Rwanda, mais que, compte tenu de son importance, il avait
effectué de nombreuses recherches sur le sujet. Il a déclaré que ses analyses
et ses connaissances antérieures de la vie politique rwandaises le conduisaient
à considérer que la thèse de la responsabilité des factions des FAR pro CDR,
de la garde présidentielle, ou des extrémistes hutus, n’était pas crédible. Tout
d’abord, les membres des FAR n’étaient pas formés à l’utilisation de missiles
sol-air du type de celui qui a détruit l’avion et ensuite le Gouvernement
rwandais n’avait jamais envisagé d’acquérir des armements antiaériens
puisque le FPR ne possédait pas d’aviation.
M. Bernard Cazeneuve a fait remarquer que ce type de missile
était en dotation dans l’armée ougandaise et que, compte tenu du fait que
l’Ouganda fournissait des armes au FPR, celles-ci auraient pu être récupérées
par les FAR à l’occasion d’une débâcle sur le théâtre d’opération militaire.
M. James Gasana a convenu de la possibilité de cette récupération
mais a souligné qu’il eût fallu, pour utiliser de telles armes, avoir recours à
des personnels formés et qualifiés. Or il s’est déclaré en mesure d’affirmer
qu’aussi longtemps qu’il avait exercé ses fonctions, aucun militaire des FAR
n’avait été formé à la manipulation des missiles antiaériens. Le pays étant
petit un tel entraînement n’aurait pu être pratiqué sans que cela se sache. Par
ailleurs, les FAR ont collecté les restes des missiles utilisés contre l’aviation
rwandaise mais n’ont pas trouvé de missiles non utilisés. En octobre, lorsque
la guerre a éclaté, le Front patriotique a abattu pendant la première semaine
un avion de reconnaissance rwandais et, durant le même mois, un hélicoptère
avec des missiles SAM 7 dont les restes ont été collectés et ont d’ailleurs été
montrés à la presse.

M. Bernard Cazeneuve a précisé qu’il se plaçait dans l’hypothèse
où une partie des FAR, ralliée à l’extrémisme hutu aurait commis l’attentat.
L’attitude du Colonel Bagosora au lendemain de cet attentat conduisait à se
poser la question de savoir si la récupération des missiles et la formation de
miliciens pour les utiliser auraient pu se faire sans que le Ministre de la
Défense en exercice en soit tenu informé. Il a souhaité savoir si, en sa qualité
de Ministre de la Défense, M. James Gasana pouvait avoir la certitude qu’un
certain nombre de membres de l’armée ralliés à l’extrémisme n’auraient pas
pu agir à son insu.
M. James Gasana a assuré qu’aussi longtemps qu’il avait été en
fonction, tout ce qui était contrôlable dans les unités et dans les services était
contrôlé. C’est d’ailleurs ce contrôle qui avait été à l’origine de ses difficultés
puisqu’il était si étroit que même le Colonel Bagosora y était soumis. Il a
affirmé connaître parfaitement les compétences et les moyens dont les FAR
disposaient, dans la mesure où il visitait les unités et que l’armée disposait de
services de renseignements internes permettant de suivre étroitement tout ce
qui s’y passait, y compris des mouvements plus imperceptibles que ce genre
de manipulations d’armes.
Par ailleurs, il lui est apparu peu vraisemblable d’envisager que des
conflits ayant pour source des désaccords stratégiques puissent conduire des
gens à s’éliminer sans avoir construit de perspective pour une action
ultérieure. Il ne peut être question de vouloir assassiner un président sans en
prévoir le remplacement. Si ce remplacement avait été prévu, les
commanditaires de l’attentat, auraient dit le soir même : « Le président a été
assassiné ; on met un tel ou un tel en place ». Or, la succession des
événements a permis de constater que personne n’était prêt à saisir le
pouvoir ; ce qui écarte l’hypothèse selon laquelle une faction aurait agi de
façon criminelle pour s’emparer du pouvoir. En outre, d’autres éléments, que
ce soit avant ou après le 6 avril, montrent que ce sont plutôt d’autres
formations politicomilitaires qui sont à l’origine de l’attentat. Deux jours
avant sa tenue, la conférence au sommet de Dar Es-Salam n’était pas connue
du Colonel Bagosora. Il faudrait creuser un peu pour savoir qui l’a
convoquée. Une délégation américaine a entrepris un périple dans la région
pour inviter les chefs d’Etat à s’y rendre. Ses membres devraient savoir qui a
ou non gardé le secret avec les chefs d’Etat contactés jusqu’à la tenue de la
réunion.
Il a estimé que le groupe hutu extrémiste du Colonel Bagosora ne
devait pas avoir eu le temps matériel de s’organiser, d’autant plus qu’il ne
connaissait ni l’ordre du jour du sommet de Dar Es-Salam, ni le moment du
retour du Président Habyarimana. Tout le monde sait par contre que les

troupes du FPR avaient fait mouvement le lendemain de l’attentat, ce qui
écarte, selon lui, l’hypothèse tendant à accuser les milices ou des groupes
militaires pro CDR.
A M. Jacques Myard qui souhaitait savoir si les allégations selon
lesquelles des listes de personnes à supprimer avaient été préalablement
établies semblaient plausibles, M. James Gasana a indiqué que le fait que les
massacres aient été systématiques et rapides n’avait pas surpris les
populations car, depuis la fin de l’année 1993, la situation de tension était
bien connue, y compris de la communauté internationale. Il s’est rappelé
qu’un document publié par quelques hauts officiers de l’armée rwandaise
avait circulé et avait été envoyé à la MINUAR. Il y était précisé que la
situation était très explosive et que des opérations d’élimination se
préparaient. Il semblerait donc que les représentations diplomatiques, même
si elles ont feint d’être surprises ne l’aient pas été réellement.
Il a souligné qu’à partir de 1991, certaines listes circulaient. Elles
comprenaient une vingtaine de personnes, dont des militaires. Il s’agissait
surtout de listes établies par un parti contre le parti rival dans le cadre de
luttes politiques entre les factions sans qu’elles aient eu de caractère ethnique
systématique. Il lui a d’ailleurs été dit qu’en 1994, le Front patriotique, à
l’instar des autres groupes, disposait ses propres listes de localisation des
personnes. Il semblerait donc que ces listes aient d’abord été établies dans le
cadre de la lutte entre les factions politiques et qu’elles aient visé initialement
de hautes personnalités politiques, indépendamment des ethnies.
M. François Lamy a demandé à M. James Gasana ce qui pouvait
lui donner à penser que la France menait une politique de réaction face aux
accords d’Arusha et donnait l’impression de favoriser le Président
Habyarimana et si celui-ci souhaitait véritablement la réussite des accords
d’Arusha.
M. Bernard Cazeneuve a souhaité savoir si l’armée française avait
conduit des opérations à caractère secret en pénétrant sur le territoire
ougandais depuis le Rwanda et s’il était possible que de telles opérations
aient eu lieu sans que les autorités militaires rwandaises en aient été
informées.
M. James Gasana a précisé qu’il n’avait pas voulu dire que la
France avait appuyé des groupes extrémistes dans le processus d’Arusha,
mais qu’ayant participé aux négociations, il avait pu noter une certaine
inactivité, une certaine absence d’initiative chez le représentant français au
cours des négociations. En comparaison de l’activité déployée par les autres
observateurs sa présence ne se traduisait pas par des apports particuliers dans

les discussions. Il n’y avait aucun rapport entre le niveau de la présence
française au Rwanda -qu’elle soit militaire ou autre- et le niveau de la
présence française à Arusha. Il y avait là un décalage qu’il a jugé inquiétant.
Ayant connu deux ambassadeurs au Rwanda -l’Ambassadeur
Georges Martre et son successeur- il a estimé que, même si des initiatives
spectaculaires n’étaient pas forcément prises, M. Georges Martre était au
moins à l’écoute des différents acteurs politiques rwandais. Quel que soit le
parti auquel ils appartenaient, les personnalités politiques rwandaises
l’abordaient car il discutait, écoutait et réagissait, souvent à la plus grande
satisfaction de tous. Après son départ, ses interlocuteurs n’ont pas retrouvé
la même qualité d’écoute auprès de son successeur.
M. François Lamy a souhaité que soit mieux précisé le rôle de la
France, son ambassadeur n’écoutait-il plus personne ou écoutait-il plutôt une
voix officielle ?
M. James Gasana a indiqué que les autres acteurs politiques avec
qui il s’était entretenu avaient eu l’impression que la France avait choisi
d’écouter davantage la tendance MRND que les autres, impression donnée
par la différence de comportement entre l’attitude de l’ambassadeur Martre
et celle de son successeur.
Il a considéré que le Président Habyarimana voulait la réussite des
accords, puisqu’il ne l’a pas vu freiner leur mise en oeuvre, au contraire. Il a
pu noter son inquiétude devant le fait que sa demande de remettre la
souveraineté au peuple n’ait pas été prise en compte. Le Président déplorait
le partage du gâteau, le partage du pouvoir politique rwandais qui confiait tel
nombre de postes à tel parti et tel nombre de postes à tel autre. Si l’on
considère la suite des événements, il ne peut pas lui être fait grief d’avoir mis
l’accent sur la remise de la souveraineté au peuple et d’avoir privilégié
l’organisation de processus électoraux plutôt que les compromis avec les
partis politiques.
S’agissant d’éventuelles opérations secrètes françaises en Ouganda,
il a estimé que les informations qui en faisaient état émanaient de personnes
de mauvaise foi. L’opinion a probablement confondu ces prétendues
intrusions avec les opérations conduites par une mission française en
Ouganda et convenues entre l’Ouganda, le Rwanda et la France, pour vérifier
si la base des attaques du FPR se situait en Ouganda. Cette mission baptisée
MOF -Mission d’observateurs français- s’est rendue en Ouganda mais il
s’agissait d’une mission connue, qui a remis un rapport non seulement à la
France mais aussi au Rwanda et à l’Ouganda, conformément aux décisions

convenues à Paris entre le Front patriotique, l’Ouganda et le Gouvernement
rwandais.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024