Fiche du document numéro 2349

Num
2349
Date
Samedi 11 juin 1994
Amj
Auteur
Taille
99249
Surtitre
Rwanda
Titre
Hypocrisie à Washington
Page
11
Cote
no 15497
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
N'employez pas le terme « génocide » à propos du Rwanda… Consigne donnée par l'administration Clinton à ses porte-parole, révélait vendredi le « New York Times ». Comme il n'est pas possible de feindre d'ignorer les centaines de milliers de victimes faites par les milices gouvernementales, depuis le 7 avril dernier, utilisez le conditionnel : « Des actes de génocide ont peut-être été commis…  » Cette hypocrisie viserait à éviter une comparaison entre ces « exactions » et d'autres exterminations massives, comme celle perpétrée par les Khmers rouges au Cambodge. Sans doute aussi à éviter des frictions avec certains partenaires du Conseil de sécurité qui, à la fin avril, avaient déjà refusé de reconnaître le génocide en cours. Le gouvernement français en particulier, soucieux d'esquiver ses responsabilités en tant que soutien inconditionnel à la dictature, avait alors opposé son veto.

Les charniers abondent au Rwanda et leur nombre ne cesse d'augmenter. La photo ci-dessus a été prise à Rukara, une commune de la préfecture de Kibungo. Entre sept cents et huit cents cadavres pourrissent sur la place centrale ou fermentent dans les bâtiments avoisinants. Partout ailleurs, on bute sur les cadavres des fuyards rattrapés et assassinés par les tueurs commandés par le bourgmestre et encadrés par la gendarmerie. La municipalité d'à côté, Kiziguro, contient un puits devenu la fosse commune pour sept cents autres victimes. Deux catégories parmi elles : les opposants hutus à la dictature et les familles tutsies, cette communauté ayant été promue au rôle de victime expiatoire par un clan présidentiel soucieux de raffermir un pouvoir absolu menacé par la signature des accords d'Arusha.

Une « tactique » qui n'est pas sans évoquer d'autres massacres en d'autres lieux et en d'autres temps : l'extermination au début du siècle des Arméniens, à l'initiative du gouvernement turc lui-même. Là aussi, le signal des pogroms était venu du plus haut niveau de l'Etat et leur finalité était politique. Et là aussi, il s'agissait d'un génocide, donc d'un crime contre l'humanité, au sens où cette notion fut définie lors des procès de Nuremberg.

Jean Chatain

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