Fiche du document numéro 2333

Num
2333
Date
Lundi 16 mai 1994
Amj
Taille
119876
Titre
Le premier ministre rwandais : les massacreurs doivent être jugés
Soustitre
Le chef du gouvernement désigné, Faustin Twagiramungu, se prononce pour la mise en application des accords d'Arusha. Les massacres ont été programmés par la garde et le parti présidentiels, souligne-t-il.
Cote
no 15474
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
FAUSTIN TWAGIRAMUNGU, premier ministre désigné du gouvernement
rwandais de transition à base élargie, voulu par les accords d'Arusha,
a réuni les journalistes à Bruxelles. M. Twagiramungu parlait au nom
du Comité de coordination des forces démocratiques du changement,
alliant le Mouvement démocratique républicain (MDR), le Parti
social-démocrate (PSD) et le Parti libéral (PL). Il a fait salle
comble au centre international de presse. A l'issue de cette
conférence de presse, il a répondu aux questions de « l'Humanité ».

Rappelons que les accords d'Arusha précisaient le processus de
transition démocratique. Au terme de celui-ci, un gouvernement
réunissant toutes les forces politiques devait être mis en place. Les
partenaires s'étaient entendus sur le nom de Faustin Twagiramungu pour
le présider. Dans la vacance du pouvoir qui résulte des événements,
M. Twagiramungu peut donc se revendiquer de la « légitimité »
d'Arusha.

Vous êtes hutu. Avez-vous, malgré cela, été menacé ?

Je l'ai été. J'ai réussi à me cacher, puis les Belges de la MINUAR
(force des Nations unies) m'ont conduit à l'aéroport. Mais j'ai appris
qu'en mon absence les hommes de la garde présidentielle, à bord de
blindés, sont venus chez moi. Le conflit n'est pas interethnique,
comme on le dit trop souvent, ce que l'on voulait éliminer c'était
l'opposition, toutes ethnies confondues.

S'agissait-il d'un plan programmé à l'avance ?

C'était un coup d'Etat. Il était prémédité. Nous avions assisté aux
préparatifs. Ils étaient visibles. Les milices s'entraînaient. Les
auteurs de ce coup de force, je les désigne : l'armée et la
gendarmerie. Des officiers supérieurs lançaient des appels aux cadres
de réserve ou à la retraite : « Vous allez pouvoir reprendre à la fois
du service et votre rang ! » L'assassinat du président faisait partie
de leur stratégie. Il permettait d'exciter les populations et
d'éliminer physiquement l'opposition.

On a prétendu que les Belges étaient à l'origine de cet assassinat...

Je suis habitué à ce genre de mensonge. Quel intérêt la Belgique
aurait-elle eu à tuer le président ? Reconquérir le Rwanda ? Soyons
sérieux ! Il s'agit d'un coup d'Etat militaire appuyé par des
politiques. Voilà la vérité ! Ces politiciens-là, nous demandons à la
France de ne plus les encourager...

Quelle est l'attitude de la France ?

Elle est ambivalente. J'apprécie qu'elle s'en tienne aux accords
d'Arusha. Mais, d'autre part, il semblerait qu'elle continue à envoyer
des armes à l'armée rwandaise par le canal du Zaïre. Très liée à
l'ancien régime, la France craint l'arrivée du Front patriotique
rwandais (FPR) et sa domination totale. Aussi, à ses yeux, les armes
envoyées à l'armée rwandaise devraient servir de dissuasion pour
freiner une prise de pouvoir du FPR et revenir aux accords d'Arusha.

On fait état ici et là de nouveaux massacres commis, eux, par le
FPR. Qu'en est-il ?


S'il en est ainsi, je les condamne. Il n'y a pas de bons et de mauvais
massacreurs mais, jusqu'ici, les journalistes présents sur le terrain
n'en ont pas fait état.

En reprenant les armes, le FPR, à vos yeux, s'est-il disqualifié ?

Cela ne suffit pas à le mettre hors jeu comme interlocuteur. Il
constitue un fait politique incontournable. C'est parce que les
militaires refusaient, en vertu même des accords d'Arusha, d'inclure
40\% d'hommes du FPR dans l'armée que le coup d'Etat a eu lieu. Il
faut, avec l'appui international, mettre les adversaires à raison
et les ramener à la table de négociations.

Renégocier Arusha ?

Non pas ! Aboutir au cessez-le-feu et exécuter les accords, voilà
l'objectif. Mais pour cela il est nécessaire d'obtenir une volonté
commune de l'armée et du FPR. Je n'entends pas non plus que des
massacreurs, sous le couvert d'Arusha, participent au gouvernement. Il
faut qu'ils soient jugés par un tribunal international.

Quel peut être le rôle des Nations unies ?

Elles ne doivent pas revenir, comme elles le furent, en
spectateurs. Pas de force d'interposition non plus qui d'ailleurs
serait sans effet sur des massacreurs à l'arme blanche et sans
uniforme. L'ONU doit intervenir dans des zones sélectionnées pour y
assumer un rôle de protection. Les seuls à pouvoir imposer la paix, ce
sont les Rwandais eux-mêmes. A condition de le vouloir. Sinon, il
n'est d'autre solution que militaire. Les massacres continueraient. Il
n'y aurait plus de Rwanda.

Votre conclusion ?

Elle tient en un principe simple : il y aura un avenir s'il y a
partage du pouvoir. Je refuse un « Tutsiland ». Je refuse un «
Hutuland ». Il n'est qu'un Rwanda, et un seul peuple rwandais !

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024