Fiche du document numéro 23318

Num
23318
Date
Jeudi 11 novembre 1993
Amj
Taille
113799
Sur titre
 
Titre
La tribu des assassins
Sous titre
Depuis bientôt trente ans, le puissant clan tutsi préside avec férocité aux destinées du petit pays africain. Pour son malheur, un président hutu a été élu. Les Tutsis l'ont tué, relançant la guerre tribale.
Tres
 
Page
 
Lieu cité
Cote
 
Résumé
 
Source
Extrait de
 
Commentaire
 
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Elu dans un fauteuil le 1er juin dernier, Melchior Ndadaye avait fait serment de « guérir le Burundi de son mal ethnique ». Premier président issu de la majorité hutue dans un pays jusqu'alors « confisqué » par l'élite tutsie, il emportera son voeu dans la tombe: le 21 octobre, dans la confusion d'un putsch avorté, une poignée de mutins l'ont assassiné. Déclenchant ainsi, de vengeances en représailles, un carnage. Au bas mot, plusieurs dizaines de milliers de tués, achevés à la machette ou d'une rafale. Et 600 000 réfugiés - soit un bon dixième des Burundais - massés dans les pays voisins, Rwanda, Zaïre et Tanzanie. Friand de « fatalités africaines », l'Occident voit là, après les massacres de 1965, de 1972 (100 000 morts) ou de 1988, l'ultime avatar d'une inexpiable et féroce guerre tribale. Au risque de prendre l'effet pour la cause. Car, soulignent les africanistes Jean-François Bayart et Jean-Pierre Chrétien, la croisade ethnique masque la volonté d'une faction au pouvoir de perpétuer son emprise et ses prébendes. Au besoin, le régime souffle sur les braises de rivalités foncières, aggravées par la vigueur démographique hutue. Depuis près de trente ans, le clan tutsi de la province de Bururi (sud-ouest) tient le Burundi, fragment sud du « Ruanda-Urundi », colonie allemande placée en 1918 sous mandat belge. Comme si le pouvoir lui revenait de droit. Et à jamais.

Candeur? Melchior Ndadaye eut l'audace de vouloir diversifier le recrutement dans l'armée, chasse gardée tutsie. Les caïds galonnés, formés par des instructeurs français, ont aussitôt agité le spectre d'une offensive revancharde des Hutus. Déjà, le 3 juillet, une semaine avant la prestation de serment du président élu, une unité d'élite avait tenté un coup de force. Avec l'aval du lieutenant-colonel Sylvestre Ningaba, chef d'orchestre supposé du putsch d'octobre et directeur de cabinet du président sortant, Pierre Buyoya. Ce dernier, auteur d'un coup d'Etat en septembre 1987, serait-il mauvais perdant? Procès hâtif. Il a accepté le verdict des urnes. Et c'est sous sa présidence que furent adoptés une Charte d'unité nationale, la nouvelle Constitution ou le multipartisme. Mieux, lui, le Tutsi, désigna un Premier ministre hutu. Ndadaye, à son tour, nommera la Tutsie Sylvie Kinigi, venue des rangs de l'opposition. Mais suffit-il qu'un roturier appelle à ses côtés une aristocrate pour effacer sa « basse extraction »?

Depuis le 7 novembre, les ministres siègent dans un hôtel de Bujumbura, sous la protection d'une vingtaine de supergendarmes envoyés de Paris. Il était grand temps de quitter l'ambassade de France, où se terraient la plupart d'entre eux. La rue daubait leur « couardise ». Et la vacance du pouvoir risquait de ranimer les artisans d'un putsch inachevé.

La mue démocratique du continent noir s'avère incertaine et chaotique. Partout, les cliques régnantes attisent les rancoeurs ethniques pour mieux l'entraver. C'est notamment vrai au Togo, au Cameroun, au Kenya, au Zaïre, au Rwanda et en Guinée équatoriale. Faut-il s'étonner que la tribu des pompiers pyromanes joue avec le feu?

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024