Fiche du document numéro 23292

Num
23292
Date
Dimanche 10 mars 2019
Amj
Taille
486240
Titre
Les documents passés sous silence par la Mission d'information parlementaire sur le Rwanda
Type
Note
Langue
FR
Citation
Les documents passés sous silence par la Mission
d’information parlementaire sur le Rwanda
Jacques Morel
10 mars 2019, v1.4
Résumé
La Mission d’information parlementaire sur le Rwanda a omis d’analyser dans son rapport et de publier des documents mis à sa disposition.
Certains exonèrent le Front patriotique rwandais (FPR) de la responsabilité de l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président rwandais. La
Mission a eu le mérite de montrer que les photos d’un lanceur de missiles
relevaient d’une manipulation. Mais des documents montrent en plus qu’il
n’est pas établi que les missiles utilisés dans l’attentat soient des SAM-16
et l’identification qui en a été publiée paraît fausse. Des militaires français
présents sur place se sont rendus sur les lieux du crash et ont examiné des
débris de missiles. Une lettre non publiée prouve que l’avion était bien
muni d’une « boîte noire ». Celle-ci semble avoir été retrouvée par ces
militaires dans la carcasse de l’avion et envoyée à Paris. Il semble que la
Mission d’information a couvert ces militaires qui ont soustrait des pièces
à conviction à la justice. Elle aurait ainsi contribué à accréditer l’accusation contre le FPR d’avoir par cet attentat déclenché le génocide des Tutsi
alors que c’est ce FPR qui a mis en déroute les auteurs du génocide.

Une mission d’information de la commission de la Défense nationale et des
Forces armées et de la commission des Affaires étrangères, sur les opérations
militaires menées par la France, d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990
et 1994, a été formée le 3 mars 1998 à l’initiative de Paul Quilès, ancien ministre
de la Défense, qui l’a présidée. Elle a rendu un rapport en quatre volumes le 15
décembre 1998.
Certains documents d’importance majeure que la Mission a pu consulter ont
été gardés sous le boisseau.

1

La note DGSE du 11 avril 1994 exclut la responsabilité du FPR

Une fiche de juillet 1998 rédigée par le ministère français de la Défense en
réponse à différentes questions de la Mission d’information parlementaire indique
à propos d’une éventuelle responsabilité du FPR dans l’attentat contre l’avion
du président Habyarimana :
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1

LA NOTE DGSE DU 11 AVRIL 1994

2

« 7. Infiltration d’éléments du bataillon FPR de Kigali hors du
CND (Parlement)
En l’état actuel du dossier, il n’est pas possible de confirmer ou
d’infirmer l’infiltration de petits éléments FPR le 6 avril 1994 dans
la zone présumée de l’attentat.
Selon la Mission d’assistance militaire, l’opération d’infiltration
était tactiquement possible à la tombée de la nuit pour de petits
éléments du FPR [...] » 1
Mais, dans la lettre d’accompagnement de cette fiche, le général Mourgeon
remarque :
« Il est à noter que l’analyse de l’EMA concernant les possibilités
d’infiltration d’éléments du FPR dans la zone de l’aéroport (point
no 7) est en contradiction avec l’appréciation figurant dans la note
de la DGSE No 18502/N du 11 avril 1994, qui vous a été transmise
sous BE No 22/DEF/CAB/CLRWD du 02 juin 1998 ». 2
Cette lettre du général Mourgeon établit donc que la note DGSE No 18502/N
du 11 avril 1994 a été transmise à la Mission d’information parlementaire. Celleci ne l’a pas publiée. Que disait cette note ? En voici un extrait :
« Sans anticiper sur les conclusions de l’enquête chargée de déterminer les responsabilités de l’attentat qui a coûté la vie aux présidents Habyarimana et Ntaryamira, il est possible d’avancer les éléments suivants :
I) Hypothèse
Le Falcon 50 revenant de Dar-es-Salam a été touché par deux
roquettes (1), tirées d’une distance d’environ 300 mètres et provenant de la bordure du camp militaire de Kanombe. Il n’y a aucun
survivant (Cf. Annexe I).
L’hypothèse selon laquelle ces roquettes pourraient avoir été tirées par des éléments armés du Front patriotique rwandais (F.P.R.)
n’est pas satisfaisante. Pour pouvoir approcher de l’aéroport, il est
nécessaire de franchir plusieurs barrages militaires et la zone est
strictement interdite aux civils. Par ailleurs, des patrouilles de gendarmes et de soldats de la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR) quadrillent le terrain.
Les roquettes semblent donc avoir été tirées par des personnels
bien entraînés et se trouvant déjà dans le périmètre de sécurité de
l’aéroport. [...]
1. Fiche du ministère de la Défense, 7 juillet 1998, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [3, Tome II, Annexes, p. 269]. http://www.francegenocidetutsi.org/
FicheMinDef7juillet1998.pdf
2. Lettre du Général Mourgeon à M. Bernard Cazeneuve, 8 juillet 1998, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [3, Tome II, Annexes, p. 266]. http://www.francegenocidetutsi.
org/Mourgeon8juillet1998.pdf

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LA NOTE DGSE DU 11 AVRIL 1994

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(1) L’hypothèse, non vérifiée, d’un ou plusieurs missiles sol-air,
est également avancée ». 3
Trois éléments peuvent être retenus de cette note :
1- Le tir de « roquettes » est parti de la bordure du camp militaire de
Kanombe.
2- Des éléments du Front patriotique rwandais ne pouvaient pénétrer et
opérer dans la zone de sécurité de l’aéroport.
3- Les auteurs du tir étaient des personnes bien entraînées opérant de l’intérieur de cette zone.
Bien que l’auteur de la note qualifie ces informations d’hypothèse, elles auraient dû être citées dans le rapport de la Mission. Cela n’a pas été le cas. Le
rapport de la Mission laisse entendre que la DGSE n’a recueilli aucune information sur l’attentat :
Le Général Jean Heinrich et M. Jacques Dewatre ont confirmé
que leurs services respectifs, DRM 4 et DGSE 5 , n’avaient pu effectuer d’enquêtes immédiates sur l’attentat les 6 et 7 avril, puisqu’ils
ne disposaient de personne sur place. M. Jacques Dewatre a souligné
que, dès le 8 avril, tel n’était plus le cas, mais que, malgré tout, la
DGSE n’avait pas été en mesure d’obtenir des preuves. 6
Ignorant la contradiction relevée par le général Mourgeon, le rapport des
députés passe sous silence cette note DGSE et s’en tient aux accusations de
l’armée française : « C’est l’analyse de l’état-major des armées françaises qui
estime possible l’infiltration du FPR dans la zone de l’aéroport ». 7
Mais prudemment, il ne conclut pas : « En l’état actuel du dossier, il n’est
pas possible de confirmer ou d’infirmer l’infiltration d’éléments du FPR le 6
avril 1994 dans la zone présumée de l’attentat. L’opération était tactiquement
possible à la tombée de la nuit pour des éléments FPR [...] ». 8
Nous relevons qu’il y a là dissimulation d’un élément de preuve. Celui-ci
émane d’un service de renseignement français dont l’autorité ne devrait pas être
mise en doute par les députés. D’ailleurs, ce que cette note du 11 avril qualifiait
d’hypothèse, va être confirmé par d’autres notes de la DGSE que la Mission d’information parlementaire a pu probablement consulter. L’une d’elles commence
ainsi : « Le 12 juillet 1994, le Service avait déjà émis une hypothèse qui, deux
mois plus tard, lui semble toujours plausible. Cette hypothèse, appuyée sur les
témoignages d’une personnalité politique hutue modérée, tendrait à désigner les
colonels Bagosora, ancien directeur de cabinet du ministre de la Défense, et Serubuga, ancien chef d’état-major des Forces armées rwandaises (FAR), comme
3. Fiche Particulière Rwanda : Précisions Sur La Mort Des Présidents Rwandais Et Burundais, DGSE, No 18502/N, 11 avril 1994.
4. DRM : Direction du renseignement militaire.
5. DGSE : Direction générale de la sûreté extérieure.
6. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [3, Rapport, p. 235].
7. Ibidem, p. 239.
8. Ibidem, p. 243.

2

LE FALCON ÉTAIT MUNI D’UNE « BOÎTE NOIRE »

4

les principaux commanditaires de l’attentat du 6 avril 1994 ». 9
La personnalité politique hutue modérée est l’ancien procureur de Kigali,
Alphonse-Marie Nkubito, devenu ministre de la Justice. Ajoutons que son témoignage converge avec celui de Jean Birara. 10

2

Le Falcon était muni d’une « boîte noire »

L’avion Falcon 50 fabriqué par Dassault était équipé d’une « boîte noire »,
c’est-à-dire les deux enregistreurs, Cockpit Voice Recorder (CVR) et Flight Data
Recorder (FDR). Cette question de la boîte noire a fait l’objet de nombreuses
fausses informations diffusées dans les médias. Tout d’abord, le 28 juin 1994,
l’ex-capitaine Barril a exhibé devant la presse une prétendue boîte noire 11 qui
s’est avérée n’être qu’un instrument électronique de navigation dit « coupleur
d’antennes ». 12 Puis la firme Dassault a affirmé que l’avion n’en était pas équipé
lors de la dernière maintenance. 13 Elle reconnaîtra plus tard, le 19 juin 2001,
que l’avion était équipé d’un Cockpit Voice Recorder (CVR). 14 Il fut rapporté
que cette « boîte noire » était cachée à l’ONU. 15 En effet, un enregistreur a été
trouvé dans la base logistique à l’aéroport. 16 Celui-ci s’avérera après analyse
être celui d’un Concorde. 17 Que faisait donc cette boîte noire de Concorde à
Kigali ?
La seule allusion du rapport de la Mission relative à la « boîte noire » est faite
à propos du commandant Grégoire de Saint-Quentin : « Il était retourné sur
place une deuxième fois le lendemain matin à 8 heures, dans le but de retrouver
la boîte noire dans les débris, mais sans succès ». De plus, lors de son audition,
le général Quesnot, chef d’état-major particulier du président de la République
en 1994, déclare : « J’avais demandé à la société Dassault si cet avion était
9. Fiche particulière Rwanda - Hypothèse du service sur les responsabilités de l’attentat
contre l’avion du président Habyarimana, No 19404/N, DGSE, 22 septembre 1994.
10. Guy Artiges, Audition de Jean Birara, Auditorat militaire belge, PV no 134, 26 mai
1994. http://www.francegenocidetutsi.org/Birara26mai1994.pdf
11. Hervé Gattegno, Corine Lesnes, Rwanda : l’énigme de la « boîte noire »,
Le Monde, mardi 28 juin 1994, pp. 1, 6. http://www.francegenocidetutsi.org/
GattegnoBoiteNoire28juin1994.pdf ; Daniel Bilalian, Interview de Paul Barril, France 2,
28 juin 1994.
12. Hervé Gattegno, La « boîte noire », le Falcon et le capitaine, Le Monde, 8 juillet 1994,
p. 3. http://www.francegenocidetutsi.org/GattegnoBarril8juillet1994.pdf
13. Hervé Gattegno, ibidem.
14. Stephen Smith, La « boîte noire » du Falcon aurait été transférée, il y a dix ans, au
siège de l’ONU, à New York, Le Monde, 10 mars 2004. http://www.francegenocidetutsi.
org/SmithBoiteNoire10mars2004.pdf
15. Stephen Smith, ibidem.
16. Jacques-Roger Booh-Booh, Morning Sitrep, UNAMIR, May 28, 1994, p. 3. http://www.
francegenocidetutsi.org/NSAEBB466-19940528m.pdf
17. United Nations, Office of Internal Oversight Services, Investigation Division, Report of
Investigation Id Case NO. 0072/04. Author : Dileep Nair. http://www.francegenocidetutsi.
org/BlackBoxReport.pdf ; Patrick de Saint-Exupéry, Le prétendu mystère de la boîte noire
du génocide rwandais, Le Monde, 8 avril 2009. http://www.francegenocidetutsi.org/
SaintExuperyPretenduMystereBoiteNoireLeMonde8avril2009.pdf

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LA BOÎTE NOIRE RAMENÉE EN FRANCE

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équipé d’une boîte noire ; il n’en était pas équipé ». 18
Cependant, le général Rannou, chef du cabinet militaire du ministre de la
Défense d’avril 1991 à mai 1994, a reconnu la présence à bord du Falcon 50 des
deux « boîtes noires » habituelles, dans une lettre en date du 15 juin 1998, adressée à la Mission d’information parlementaire qui ne l’a pas rendue publique. 19
Le député Lefort, vice-président de la Mission d’information, relève que dans
cette lettre, le général Rannou estime que l’analyse des deux enregistreurs « n’aurait pas été de nature à éclaircir les circonstances exactes » de l’attentat et
constate que « quelqu’un a pensé qu’il était préférable de les faire disparaître ». 20

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La boîte noire ramenée en France

La Mission d’information savait donc que l’avion était bien équipé des deux
enregistreurs. L’analyse de ces enregistreurs est le point de départ de toute
enquête sur un accident aérien.
Rappelons par exemple, qu’après le crash de l’avion Airbus A 320 de la
compagnie German Wings survenu le 24 mars 2015 dans les montagnes de
Haute-Provence, la télévision a montré, le vendredi 3 avril suivant, Bernard
Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur, félicitant Alice Coldefy, gendarme au
PGHM de Chamonix qui a découvert le deuxième enregistreur de l’appareil, le
FDR (Flight Data Recorder). Son analyse a confirmé la cause de la catastrophe
que l’autre enregistreur, le Cockpit Voice Recorder (CVR) avait laissé pressentir.
Ces enregistreurs ont été capables de parler alors qu’aucun humain n’a survécu
à cette catastrophe.
En dépit de son importance, la question de la « boîte noire » n’a pas fait l’objet d’un examen approfondi de la part de la Mission. Cependant la confrontation
du rapport, des auditions et des documents publiés en annexe révèle plusieurs
contradictions à ce sujet. François Léotard, ministre de la Défense en 1994, a
déclaré à la Mission « qu’aucun élément d’information n’avait pu être recueilli
sur place du fait du bouclage immédiat des lieux, rendant impossible l’accès aux
débris de l’avion ». 21 Il est contredit par le commandant de Saint-Quentin qui
déclare qu’il a pu y accéder vers 22 heures. 22 Grégoire de Saint-Quentin est
lui-même contredit par une fiche du ministère de la Défense, publiée dans les
annexes du rapport, qui rappelle qu’avec deux sous-officiers français ils « étaient
18. Audition du 19 mai 1998, Mission d’information parlementaire, Enquête sur la
tragédie rwandaise 1990-1994, Tome III, Auditions, Vol. 1, pp. 343-344. http://www.
assemblee-nationale.fr/dossiers/rwanda/auditi02.asp#QUESNOT
19. Jean-Claude Lefort, Note no 19 à Bernard Cazeneuve, 20 octobre 1998.
Cf. La Nuit rwandaise, No 2, pp. 242-243. http://www.francegenocidetutsi.org/
Lefort20oct1998Note19.pdf
20. Jean-Claude Lefort, ibidem.
21. Audition du 21 avril 1998, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [3, Tome III,
Auditions, Vol. 1, p. 98].
22. Mission d’information parlementaire, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [3,
Rapport, p. 235]. http://www.assemblee-nationale.fr/dossiers/rwanda/r1271.asp#P3849_
545827

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LA BOÎTE NOIRE RAMENÉE EN FRANCE

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sur les lieux à 20 h 45 » soit 15 minutes après la chute de l’avion. 23
Grégoire de Saint-Quentin a ajouté qu’il y était retourné le lendemain. Une
photo aux mains de la justice belge le montre devant un moteur de l’avion
abattu, le 7 avril 1994. 24 Son subordonné, l’adjudant José de Pinho, qui entraînait le peloton CRAP 25 du bataillon paras-commando à Kanombe, écrit dans
un livre, qu’il est allé plusieurs fois sur les lieux du crash qui étaient gardés par
des membres de ce peloton CRAP, qu’ils ont cherché la boîte noire mais ne l’ont
pas trouvée. 26
Ces dénégations et contradictions font pressentir que les faits et gestes des
militaires français autour des débris de l’avion constituent une question centrale.
La mission évite de la poser.
Un faisceau d’indices concordants tend à prouver que les militaires français
ont trouvé cette « boîte noire » de l’avion :
- Le 15 avril 1994, dans sa lettre aux représentations diplomatiques à l’étranger, le ministre des Affaires étrangères du gouvernement intérimaire rwandais
écrit que des membres de la MINUAR ont tenté de s’emparer de la « boîte
noire », que celle-ci a été retrouvée et est en cours d’analyse :
25. Les résultats de l’analyse de cette boîte noire seront versés
dans l’enquête, mais en attendant cette expertise, il serait hasardeux
de tirer une conclusion définitive sur les auteurs de l’attentat qui a
coûté la vie au président Habyarimana. 27
Cette note a été reçue par la mission d’information. 28 Elle ne l’a pas publiée.
- Interviewés le 21 avril 1994 à Paris, madame Agathe Habyarimana, veuve
du président Juvénal Habyarimana, et ses enfants, affirment que la « boîte
noire » a été trouvée par les militaires français : « Les trois derniers corps,
ceux des pilotes français, ne seront découverts qu’au lever du jour, hors du jardin de la résidence. Des militaires français avaient participé aux recherches et
découvert la boîte noire ». 29
23. Fiche du ministère de la Défense, 7 juillet 1998, No 543/DEF/EMA/ESG. Cf. Mission
d’information parlementaire, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994, Tome II, Annexes,
pp. 268-269. http://www.francegenocidetutsi.org/FicheMinDef7juillet1998.pdf
24. Guy Artiges, Willem Hamelinck, Auditorat militaire, Bruxelles, 23 juin 1994, PV
no 1014.
http://www.francegenocidetutsi.org/DeSaintQuentinDevantMoteurFalcon7avril1994.
pdf
25. CRAP : Commando de recherche et d’action en profondeur.
26. José De Pinho, Comprendre le génocide rwandais, Témoignages, révélations, analyses,
Éditions Velours, 2014, pp. 80-87, 89, 93.
27. Consignes du ministre des Affaires étrangères du gouvernement intérimaire aux représentations diplomatiques rwandaises en date du 15 avril 1994. À l’attention des missions diplomatiques et consulaires du Rwanda (toutes). Objet : Mise au point au sujet de la tragédie
rwandaise. Cf. André Guichaoua, Les crises politiques au Burundi et au Rwanda, pp. 678681. Il existe une version anglaise de ce texte. Cf. A Definition of The Rwandese Tragedy,
Ministry of Foreign Affairs, Kigali, April 15, 1994. http://www.francegenocidetutsi.org/
CommuniqueMinAffEtRwd15avril1994.pdf
28. Jean-Claude Lefort, Note no 6 à Bernard Cazeneuve, Dossier 12, Ivry, 25 août 1998.
http://www.francegenocidetutsi.org/Lefort25aout1998Note6.pdf
29. Philippe Gaillard et Hamid Barrada, « Rwanda : l’attentat contre l’avion présidentiel :
Le récit en direct de la famille Habyarimana », Jeune Afrique, 28 avril 1994, p. 17.

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LA BOÎTE NOIRE RAMENÉE EN FRANCE

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- Le 27 avril 1994, lors d’une conférence de presse tenue avec Mathieu Ngirumpatse, président du MRND, Justin Mugenzi, ministre du Commerce du
Gouvernement intérimaire rwandais, déclare : « la “boîte noire” de l’avion a
été récupérée par le gouvernement qui n’a encore eu ni le temps ni les moyens
de mener une enquête ». 30
- Le 4 mai 1994, le conseiller à l’ambassade du Rwanda à Dar-es-Salaam déclare : « La visite à Paris du MINAFET rwandais avait pour but de demander
à la France de décrypter la boîte noire de l’avion abattu ». 31 Jérôme Bicamumpaka, ministre des Affaires étrangères du Gouvernement intérimaire rwandais,
était venu à Paris et avait été reçu le 27 avril à l’Élysée et à Matignon.
- Le 9 mai 1994, le docteur Pasuch, médecin militaire belge résidant à Kanombe, déclare à l’Auditorat militaire belge à propos du commandant Grégoire
de Saint-Quentin : « Le Cdt Français me déclara ensuite qu’ils étaient probablement les seuls à être autorisés à approcher l’avion mais qu’il fallait attendre le
jour pour récupérer la boîte noire ». 32
- Le 18 mai 1994, une note du Département d’Etat américain estime que la
boîte noire de l’avion a été probablement récupérée par les autorités rwandaises
qui contrôlaient l’aéroport quand l’avion a été abattu ou, selon des sources non
recoupées, par les militaires français qui sont venus chercher les cadavres des pilotes : « The blackbox from the airplane has probably been recovered by Rwandan
government officials who controlled the airport when the plane was shot down,
or, according to unconfirmed reports, by French military officials who later secured the airport and removed the body of the french pilot of Habyarimana’s plane
after the crash ». 33
- Le 21 juin 1994, dans une lettre protestant contre l’opération « Turquoise »,
des personnalités rwandaises opposées au gouvernement intérimaire, dont l’ancien ministre des Affaires étrangères Anastase Gasana, déclarent que le gouvernement français « détient la “boîte noire” depuis l’attentat sans jamais en avoir
révélé le contenu ». 34
- Le 4 juillet 1994, une note DGSE indique : « En ce qui concerne la boîte
noire de l’avion, le correspondant déclare avoir vu quelque chose qui y ressemble
dans l’avion qui a évacué la famille Habyarimana vers la France. Pour le corhttp://www.francegenocidetutsi.org/ja19940428Habyarimana.pdf
30. Agathe Uwilingiyimana voulait « organiser un coup d’Etat », selon le parti
du président Habyarimana, AFP, 27 avril 1994. http://www.francegenocidetutsi.org/
NgirumpatseMugenziNairobiAFP27avril1994.pdf
31. Haesendonck, Rwanda - Conférence de presse, Addis-Abeba, 5 mai 1994. http://www.
francegenocidetutsi.org/Haesendonck5mai1994.pdf
32. Guy Artiges, Déposition de Massimo Pasuch, Auditorat militaire belge, 9 mai 1994.
http://www.francegenocidetutsi.org/Pasuch9mai1994.pdf
33. Memorandum from Assistant Secretary for Intelligence and Research Toby T. Gati to
Assistant Secretary of State for African Affairs George Moose and Department of State Legal
Adviser Conrad Harper, “Rwanda – Geneva Convention Violations”, circa May 18, 1994.
Secret/ORCON (originator controlled). William Ferroggiaro, The U.S. and the Genocide in
Rwanda 1994, Document 15. http://www.francegenocidetutsi.org/NSAEBB53rw051894.pdf
34. Contestation par des partis politiques rwandais de l’opération « Turquoise », Ambassade de Belgique, Dar Es Salaam, 21 juin 1994. http://www.francegenocidetutsi.org/
OppositionDarEsSalaamContreTurquoise21juin1994.pdf

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LA BOÎTE NOIRE RAMENÉE EN FRANCE

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respondant, la boîte noire se trouve donc visiblement en France ». 35
- Le 29 juillet 1994, le journaliste Stephen Smith affirme que le commando
militaire qui s’est rendu sur les lieux n’a trouvé ni boîte noire ni tête d’autoguidage infrarouge du missile mais il ajoute : « Toutefois, devant témoin à Kigali,
l’attaché militaire de l’ambassade de France, le colonel Bernard Cuissac [Cussac], également gendarme et de la même promotion que l’ex-capitaine Barril, a
affirmé qu’on avait “trouvé la boîte noire” ». 36
- Le 5 décembre 1994, le comité de contrôle des services de renseignements
belges (comité R) précise dans un rapport : « Certains éléments de l’avion présidentiel ont été transportés en France pour analyse. Le comité n’a pas connaissance du résultat des analyses. » 37
De toutes ces informations, nous retenons qu’il est certain que l’avion du président Habyarimana était muni d’une « boîte noire ». Il est pratiquement certain
que celle-ci a été récupérée. Il est très probable que cette « boîte noire » ait été
envoyée à Paris, soit par les militaires français, soit encore par des autorités
rwandaises qui sont allées à Paris en avril et mai 1994.
L’analyse des enregistreurs est le point de départ de toute enquête sur les
causes de la chute d’un avion. En plus d’entendre les conversations des pilotes,
elle permet de connaître les caractéristiques du vol et de reconstituer la trajectoire de l’appareil en trois dimensions. Si, comme l’indiqueraient des témoignages, le premier missile n’a pas touché l’avion mais a provoqué une réaction
du pilote, il est possible de le vérifier et de connaître la direction d’où provenait
l’engin ainsi que les paroles des pilotes. La position de l’avion lors de l’impact,
sa vitesse, son accélération, peuvent être précisément déterminées ainsi que le
moment de l’impact, les organes touchés et les réactions des pilotes. Le processus de la chute peut être reconstitué. Tous ces éléments permettent d’obtenir
des caractéristiques de l’arme en cause et de sa trajectoire. En dehors des débris de l’avion restant sur le site, les experts se sont fondés sur l’analyse de la
bande magnétique de la tour de contrôle ayant enregistré les échanges avec les
pilotes. Cette bande est restée longtemps aux mains de l’ex-capitaine Barril qui
aurait pu en faire modifier le contenu. En effet, le 20 juin 2000, Barril dit au
juge Bruguière qu’il lui communiquera ultérieurement ces enregistrements audio
magnétiques. 38 Le 9 septembre 2003 il lui confirme qu’il lui a tout donné. 39
35. Fiche particulière Rwanda - Responsabilités dans l’attentat, DGSE, 4 juillet 1994,
No 18942/N.
36. Stephen Smith, Habyarimana, retour sur un attentat non élucidé, Libération, 29 juillet
1994, pp. 14-15. http://www.francegenocidetutsi.org/SmithLiberation29juillet1994.pdf
37. V. Paulus de Chatelet, Rapport de l’enquête de contrôle sur l’efficacité et la collaboration
des services de renseignements à propos des événements au Ruanda, 5 décembre 1994, p. 6.
http://www.francegenocidetutsi.org/RapportServicesRenseignement5decembre1994.pdf
38. Extrait de l’audition de Paul Barril par le juge Bruguière, 20 juin 2000. http://www.
francegenocidetutsi.org/BarrilAudition20juin2000.pdf
39. Extrait de l’audition de Paul Barril par le juge Bruguière, 9 septembre 2003. Cf.
Texte publié par Benoît Collombat de France Inter le 16 septembre 2009. http://www.
francegenocidetutsi.org/BarrilAudition29sept1999.pdf

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L’IDENTIFICATION DES MISSILES

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L’identification des missiles

Le 1er juillet 1994, Paul Barril déclare : « Mais j’ai aussi les lanceurs SAM
7, avec des numéros de série correspondant à des lots. Si on fait une enquête
internationale, on remontera jusqu’à celui qui les a vendus ». 40 On sait qu’il ne
montrera jamais ces lanceurs de missiles. D’ailleurs, ces missiles vont devenir
selon lui des SAM-16. 41 La Mission ne le relève pas. Il dira plus tard au juge
Bruguière : « En ce qui concerne les deux tubes lance-missiles, je précise ne les
avoir jamais eu entre les mains ». 42
La Mission d’information publie en annexes de son rapport une fiche du
ministère français de la Défense accusant le FPR d’avoir commis l’attentat
contre l’avion du président rwandais avec des missiles SAM-16 : « Les auteurs
de l’attentat ont utilisé des SA 16 de fabrication soviétique (d’après les débris de
missiles retrouvés sur les lieux de l’attentat). Cette arme est en dotation dans
l’armée ougandaise et au FPR ». 43 Cette affirmation prouve que des militaires
français ont trouvé des débris des missiles ayant causé la chute de l’appareil.
Qu’ont-ils fait de ces débris ? Pourquoi ne les ont-ils pas remis à la justice ? Ces
questions ne sont pas posées dans le rapport de la Mission.
Ce rapport retient les informations sur l’identification des missiles SAM-16
fournies par Filip Reyntjens, sans préciser que celui-ci détient ces informations
du colonel Bagosora, comme il le dit dans une lettre publiée en annexe. 44 La
source de Reyntjens est une lettre de l’avocat de Bagosora, Me Luc de Temmerman. 45
La Mission publie dans les annexes le relevé qu’aurait fait le lieutenant Augustin Munyaneza sur ces lanceurs retrouvés le 25 avril 1994. 46 C’est un extrait
de cette lettre de Me Luc de Temmerman. Ce document communiqué par Bagosora donne les types et numéros de série des lance-missiles. Le sigle 9M 313-1
est caractéristique du missile SAM-16. L’authenticité de cette identification est
40. Jean-Michel Maire, Barril en dit plus, France Soir, 1er juillet 1994. http://www.
francegenocidetutsi.org/BarrilFranceSoir-1juil1994.pdf
41. Paul Barril [1, p. 176].
42. Extrait de l’audition de Paul Barril par le juge Bruguière, 9 septembre 2003.
Texte publié par Benoît Collombat de France Inter le 16 septembre 2009. http://www.
francegenocidetutsi.org/BarrilAudition29sept1999.pdf
43. Fiche en possession du ministère de la Défense tendant à montrer que le FPR avec la
complicité de l’Ouganda est responsable de l’attentat. Objet : Éléments tendant à montrer que
le FPR avec la complicité du président ougandais MUSEWENI est responsable de l’attentat
contre l’avion des présidents rwandais HABYARIMANA et burundais NTARYAMIRA le 6
avril 1994 à KIGALI. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994, Tome II, Annexes,
p. 281. http://www.francegenocidetutsi.org/FicheMinDefFPRresponsableAttentat.pdf
44. Filip Reyntjens à Bernard Cazeneuve, Anvers, le 10 décembre 1998. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [3, Tome II, Annexes, p. 251]. http://www.
francegenocidetutsi.org/ReyntjensCazeneuve10decembre1998.pdf
45. Luc De Temmerman à Mr. Van Der Meersch, 10 juillet 1995. Cf. TPIR, Affaire No ICTR98-41-T, Procès Militaires I (Bagosora), Pièce à conviction BAGOTHE-19, exhibit no P372A.
http://www.francegenocidetutsi.org/Bagothe19-10July1995P372A.pdf
46. Augustin Munyaneza, Identification de l’arme (Lance-missiles type russe, utilisation dans l’assassinat du chef de l’Etat le 6/4/1994), 25/04. Cf. Enquête sur la
tragédie rwandaise 1990-1994, Annexes, p. 265. http://www.francegenocidetutsi.org/
MunyanezaIdentificationDelArme25avril1994.pdf

4

L’IDENTIFICATION DES MISSILES

10

douteuse. Elle provient du colonel Bagosora qui apparaît toujours comme le
principal organisateur du génocide. Mais il y a encore deux autres raisons de
douter qu’il s’agit de SAM-16.

4.1

Les FAR en exil invoquent un SAM-7

La lettre du général Mourgeon à Bernard Cazeneuve du 8 juillet 1998 citée
plus haut montre qu’il lui a transmis un document intitulé « Contribution des
FAR en exil à la recherche de la vérité sur le drame rwandais ». La Mission ne
l’a pas publié et n’en fait pas état. Ce document, daté de décembre 1995, a été
déposé comme pièce à conviction au procès Militaires I au TPIR. 47 On y lit page
35 : « À la fin du mois d’avril 1994, deux lance-missiles SAM 7 de fabrication
soviétique ont été découverts par la population dans des buissons où ils étaient
cachés à l’endroit où les coups de départ avaient été entendus (rapport du lieutenant Ir [Ingénieur] Munyaneza et déclaration de Mr Ntamumaro Gabriel) ».
Donc les ex-FAR affirment en décembre 1995 que, selon le lieutenant Munyaneza,
les missiles étaient des SAM-7, en contradiction avec le relevé d’identification de
missiles SAM-16, publié dans les annexes par la Mission, qu’aurait fait le même
lieutenant Munyaneza le 25 avril 1994. 48 Pourquoi ce rapport des FAR daté
de décembre 1995 ne tient-il pas compte de l’identification de missiles SAM-16
communiquée par Me de Temmerman le 10 juillet 1995 ?
Une version remaniée de ce document des ex-FAR portant la même date
a été versée par la défense du général Kabiligi au TPIR. 49 La phrase sur la
découverte de missiles SAM-7 y figure page 39. Mais plus loin, l’identification
des deux lance-missiles SAM-16 par le lieutenant Munyaneza y est ajoutée. Cette
identification est conforme à celle donnée dans le livre de Filip Reyntjens. Suit
la phrase : « Selon certains connaisseurs, le professeur Reyntjens notamment,
il s’agirait plutôt de missile SAM-16 “GIMLET” ». Le juriste Filip Reyntjens
serait-il devenu expert en missiles pour les ex-FAR ? Si les FAR avait réellement
retrouvé les lanceurs de missiles le 25 avril 1994, aucune confusion entre SAM-7
et SAM-16 n’aurait été possible. Rien de tout cela ne paraît sérieux et tout
porte à croire que cette identification de lanceurs de missiles SAM-16 faite par
le lieutenant Munyaneza est une fabrication postérieure à 1994.
47. Commandement des FAR en exil, Contribution des FAR à la recherche de la vérité sur
le drame rwandais - La guerre d’octobre 1990 et la catastrophe d’avril 1994, décembre 1995.
TPIR, Case No : ICTR-98-41-T Exhibit No : DK 81 A Date admitted : 23-9-2004 Tendered
by : Defence. http://www.francegenocidetutsi.org/FarRechercheVeriteDecembre1995.pdf
48. Augustin Munyaneza, op. cit.
49. Commandement des FAR en exil, Contribution des FAR à la recherche de la vérité sur
le drame rwandais - La guerre d’octobre 1990 et la catastrophe d’avril 1994, décembre 1995.
TPIR, Case No : ICTR-98-41-T Exhibit No : DK 81 C Date admitted : 23-9-2004 Tendered by :
Defence. http://www.francegenocidetutsi.org/FarRechercheVeriteDecembre1995VGK.pdf

4

L’IDENTIFICATION DES MISSILES

4.2

11

Les lanceurs de missiles auraient été trouvés le 7 avril
1994

Une autre preuve est apportée par une fiche de renseignements du 23 octobre
1996. Cette fiche a pour objet « Rwanda - Missiles Sol-Air pouvant avoir abattu
l’avion du président Habyarimana ». La source est déclarée « secrète ». En
l’absence d’indications, nous supposons qu’elle provient de la DRM. Elle indique
ceci :
« Le 7 avril 1994, deux conteneurs de missiles sol-air portables ont
été trouvés par les militaires des ex-Forces armées rwandaises (FAR),
dans la zone supposée d’où aurait été tirés les missiles qui ont abattu
l’avion du président Habyarimana. Le marquage des conteneurs était
le suivant [...] »
Suit une identification semblable à celle du lieutenant Munyaneza. La note
ajoute :
« Le marquage permet de déterminer qu’il s’agit de missiles portables de fabrication russe IGLA (SA 16) fabriquée en avril 1987.
Les conteneurs ont disparu lors des opérations qui ont conduit à
la chute de Kigali au printemps 1994 ».
La page 2 de la fiche provient du livre de Filip Reyntjens. 50
Cette information est reprise dans un « projet » de note à la Mission d’information parlementaire du 27 mai 1998. Il y est dit :
« Le 7 avril 1994, deux conteneurs de missiles sol-air portables
ont été trouvés par les FAR dans la zone supposée d’où auraient été
tirés les missiles qui ont abattu l’avion du Président Habyarimana.
Le marquage permet de déterminer qu’il s’agit de missiles portables
de fabrication russe IGLA (SA-16) fabriqués en avril 1987. Les conteneurs ont disparus [sic] lors des opérations qui ont conduits [sic] à
la chute de Kigali au printemps 1904. Les deux conteneurs portaient
les numéros 04814 et 04835 ». 51
Cette note indique par ailleurs que « les éléments factuels dont dispose le
ministère de la défense ne permettent pas d’incriminer avec certitude le FPR
ou les FAR comme étant les auteurs de l’attentat ».
Les deux lanceurs auraient donc été trouvés par les FAR le 7 avril 1994 et
non le 25. La Mission d’information n’a pas publié cette fiche de renseignements
du 23 octobre 1996 et cette note du 27 mai, mais cette dernière étant un projet,
il n’est pas certain qu’elle lui soit parvenue.
Relevons cependant que la Mission a analysé des photos de lanceur de missiles qui lui ont été remises par le ministère français de la Défense. Elles proviendraient de la Direction du renseignement militaire (DRM) qui les auraient
50. Filip Reyntjens, Rwanda, trois jours qui ont fait basculer l’histoire [4, pp. 46-47].
51. Projet - Note à l’intention de la mission d’information parlementaire - Objet : Eléments
d’information sur l’attentat du 6 avril 1994, Min. Défense Paris, 27 mai 1998. http://www.
francegenocidetutsi.org/NoteMipAttentat27mai1998.pdf

5

SILENCE SUR L’ENQUÊTE DES MILITAIRES FRANÇAIS

12

reçues de la Mission militaire de coopération. Elle rapporte que ces photos sont
celles d’un lanceur SAM-16 dont le numéro (invisible) est l’un de ceux fournis
par le professeur Reyntjens. 52 Mais il est probable que « les lanceurs contenant les missiles n’aient pas été tirés ». 53 La Mission relève aussi que le cahier
d’enregistrement de la DRM porte la mention « photos d’identification prises
au Rwanda les 6 et 7 avril et transmises par la Mission militaire », 54 mais elle
ne commente pas. Cette date est compatible avec l’information que les lanceurs
auraient été retrouvés le 7 avril donnée par ces notes du 23 octobre 1996 et du
27 mai 1998. Mais comme les photos montrent un missile qui n’a pas été utilisé,
ce ne serait pas les missiles qui ont servi à l’attentat.
Si cependant les lanceurs de missiles ont été retrouvés le 7 avril, les militaires
français présents sur place détiennent des informations à ce sujet.
L’identification des missiles SAM-16 transmise à Filip Reyntjens, à la Mission
d’information et au juge Bruguière, provient du colonel Bagosora. Elle a été
accompagnée d’une manipulation tendant à faire croire que les photos d’un
lance-missile sont celles de celui qui a abattu l’avion. Cette identification est
probablement fausse et rien ne prouve que les missiles utilisés soient des SAM-16.
Pourquoi la Mission estime-t-elle que « selon toute vraisemblance, les missiles
utilisés pour perpétrer l’attentat sont des SAM-16 “Gimlet” » (Gimlet est la
désignation OTAN du missile russe Igla). 55

5

Silence sur l’enquête des militaires français

La Mission se satisfait de la déclaration du Colonel Cussac qui affirme qu’il
a été chargé d’une enquête sur l’attentat par le général Quesnot et son adjoint
le général Bentejac avant son retour à Kigali le 9 avril 1994, mais qu’il « n’avait
pas été en mesure de donner une suite satisfaisant à ces instructions », les
circonstances l’en ayant empêché. 56
Elle n’ignorait pourtant pas qu’une enquête a été faite par les militaires français car elle note « pour ce qui concerne la France, les visites du LieutenantColonel Grégoire de Saint-Quentin sur les lieux du crash n’ont pas permis d’obtenir une version rendue publique du déroulement de l’attentat, pas plus que les
éléments que prétend détenir M. Paul Barril ». 57 En clair, il y a bien eu une
enquête sur l’attentat faite par des militaires français dont le lieutenant-colonel
Grégoire de Saint-Quentin ainsi que par l’ex-capitaine Barril.
52. L’identification du lance-missile n’est pas visible sur les photos publiées par la Mission.
Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [3, Tome II, Annexes, pp. 262-265].
53. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [3, Rapport, p. 231].
54. Audition du général Jean Heinrich, directeur du renseignement militaire (1992-1995), 19
mai 1998. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [3, Tome III, Vol. 2, p. 174], [3,
Rapport, p. 229].
55. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [3, Rapport, p. 218].
56. Ibidem, p. 236.
57. Ibidem, p. 234.

6

6

CONCLUSION

13

Conclusion

Les omissions de publication et les contradictions relevées plus haut apparaissent à la lecture des quatre tomes du rapport de la Mission d’information
parlementaire à qui il faut reconnaître le mérite d’avoir mis à jour tant d’informations.
L’omission de la note DGSE du 11 avril 1994 est mise en évidence par un
courrier de la cellule Rwanda du cabinet du ministre de la Défense que la Mission
a elle-même publié.
François Léotard, alors ministre de la Défense, affirme que les militaires
français n’ont pu accéder sur les lieux du crash, alors que la Mission publie un
courrier provenant de la même cellule qui prouve que des militaires français
étaient sur les lieux du crash 15 minutes après la chute de l’avion.
L’existence de la « boîte noire » de l’avion Falcon est révélée par une lettre du
général Rannou que Jean-Claude Lefort, vice-président de la Mission, mentionne
dans une note à Bernard Cazeneuve. Cette lettre ne figure pas dans les annexes
du rapport. La découverte de ces enregistreurs et leur transfert à Paris est
rapportée par des sources convergentes, dont une note DGSE non publiée, mais
la Mission n’y a peut-être pas eu accès.
Les affirmations de l’ex-capitaine Barril quant à la « boîte noire » et aux
missiles auraient pu être éclaircies, mais la Mission ne l’a pas auditionné.
Le ministère français de la Défense affirme dans une fiche publiée par la
Mission que le FPR a abattu l’avion avec des missiles SAM-16, « d’après les
débris retrouvés ». Il reconnaît implicitement qu’il recèle des pièces à conviction
dont les enregistreurs de l’avion et ces débris de missiles qu’il n’a pas remis à la
justice.
La Mission d’information parlementaire établit que l’analyse des photos d’un
lance-missiles transmises par la Mission militaire de coopération à la DRM
montre que celui-ci n’a pas été tiré. Des documents montrent que les tubes
lance-missiles auraient été retrouvés le 7 avril 1994 et non le 25. Pourtant, la
Mission ne met pas formellement en doute l’identification éminemment suspecte
des missiles SAM-16.
Cette Mission militaire de coopération se serait donc prêtée à une manipulation des FAR. Mais son chef, le général Huchon, est épargné. Son audition n’est
pas publiée, ni le rapport de ses entretiens avec le colonel Rwabalinda demandé
par Bernard Cazeneuve à madame Alison Des Forges qui lui a remis. 58 Afin de
poursuivre la coopération militaire avec une armée qui commet un génocide, le
général Huchon paraît dans ce rapport plus préoccupé de rétablir l’image dans
les médias du gouvernement rwandais et de son armée que de leur demander
d’arrêter les massacres. 59
En dehors de témoignages qui se sont avérés faux, la seule preuve sur laquelle
58. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [3, Tome III, Auditions, Vol. 2, p. 83].
59. Lettre du lieutenant-colonel Ephrem Rwabalinda au ministre de la Défense, au chef
d’état-major de l’armée rwandaise, Gitarama, le 16 mai 1994. Objet : Rapport de visite fait
auprès de la Maison militaire de Coopération à Paris.
http://www.francegenocidetutsi.org/RapportRwabalinda16mai1994.pdf

RÉFÉRENCES

14

le juge Bruguière a construit sa mise en cause du FPR est cette identification
de missiles SAM-16 fournie par le colonel Bagosora. 60 Il est montré plus haut
qu’elle est probablement fausse.
L’expertise faite à la demande des juges Trévidic et Poux à Kigali a montré
que les missiles étaient partis du camp militaire de Kanombe ou de son voisinage immédiat ce qui exclut que des membres du FPR soient les auteurs du
tir. 61 Mais les motifs pour lesquels les experts ont écarté l’hypothèse de missiles
Mistral, qui n’auraient pas été exportés avant 1994, sont faux.
Tous ces oublis de la part de la Mission d’information parlementaire conduisent
à penser que l’armée française dissimule depuis 1994 des preuves permettant de
déterminer la nature des missiles et les auteurs de l’attentat qui a déclenché le
génocide des Tutsi. Elles ne les a pas transmises à la justice et les juges Bruguière, Trévidic, Poux et Herbaut ne les ont pas réclamées au ministère de la
Défense. 62

Références
[1] Capitaine Paul Barril : Guerres secrètes à l’Élysée (1981-1995). Albin
Michel, septembre 1996.
[2] Jean-Louis Bruguière : Délivrance de mandats d’arrêts internationaux Ordonnance de soit-communiqué. 17 novembre 2006.
[3] Paul Quilès : Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994. Assemblée nationale, rapport no 1271, http://www.assemblee-nationale.fr/
dossiers/rwanda.asp, 15 décembre 1998. Mission d’information de la commission de la Défense nationale et des Forces armées et de la commission
des Affaires étrangères, sur les opérations militaires menées par la France,
d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994.
[4] Filip Reyntjens : Rwanda, trois jours qui ont fait basculer l’histoire. Cahiers africains - L’Harmattan, Vol. 16, 1995. Dépôt légal : février 1996.

60. J.-L. Bruguière, Ordonnance, [2, pp. 35-37]. http://www.francegenocidetutsi.org/
OrdonnanceBruguiere.pdf
61. Claudine Oosterlinck, Daniel Van Schendel, Jean Huon, Jean Sompayrac, Rapport d’expertise. Destruction en vol du Falcon 50 Kigali (Rwanda), Tribunal de
Grande Instance de Paris, 5 janvier 2012. http://www.francegenocidetutsi.org/
rapport-balstique-attentat-contre-habyarimana-6-4-1994.pdf
62. Nicolas Renucci, Réquisitoire définitif aux fins de non-lieu, TGI Paris, 10 octobre 2018.
http://www.francegenocidetutsi.org/RequisitoireNonLieu10octobre2018.pdf

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