Fiche du document numéro 23211

Num
23211
Date
Lundi 25 juillet 1994
Amj
Auteur
Taille
85240
Sur titre
Kigali
Titre
Les orphelins de la Sainte-Famille
Cote
no 15534
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
De notre envoyé spécial

KIGALI, non loin de l'église de la Sainte-Famille, qui a acquis une lugubre notoriété par les massacres qui y furent perpétrés par les milices de la dictature. Des bâtiments scolaires de brique rouge. Dévastés. Dans la cour jonchées de cageots brisés et de paperasses chiffonnées, une vingtaine d'enfants fument des cigarettes, discutent, mangent des grains de maïs grillés ou des patates douces.

J'entame une discussion malaisée. Seuls deux parlent français ou acceptent de reconnaître parler français. « Tout le monde, il est mort », disent-ils, quand je les interroge sur leurs familles respectives. Que des orphelins donc, et les deux qui me répondent précisent qu'ils appartiennent à la communauté hutue. Les « Interahamwe », s'exclament-ils aussitôt, pour me faire comprendre qui a tué leurs familles. Et, afin qu'il n'y ait pas d'ambguïté, deux mimiques suffisent à leurs yeux pour rappeler les milices de la dictature : crisper le doigt comme sur une gâchette, abattre le bras de haut en bas comme pour un coup mortel...

Le groupe qui « réside » ici compte dix-neuf enfants. De dix à dix-huit ans. Le chef est le plus âgé. Il me montre un cahier où sont recensés, avec indication de leur âge, les membres de cette communauté improvisée. Presque chaque soir, un ou plusieurs autres adolescents les rejoignent. « Nous leur donnons de quoi manger ; nous les laissons dormir la nuit ; le lendemain il faut qu'ils partent. »

Dans le groupe, un gosse aveugle. Il me paraît avoir dans les douze-treize ans. Le « chef » explique : trois avaient trouvé de l'alcool (sans doute dénaturé) et l'ont bu ; deux sont morts, le troisième est devant moi.

Les enfants ne sortent guère de leur réserve improvisée. Sauf pour forcer les portes de maisons proches et y chercher de la nourriture. Le terme « pillage » ne convient pas : Kigali était devenue ville morte ; depuis sa libération, elle se remplit à nouveau, mais les maisons habitées le sont souvent par des anciens réfugiés dont le domicile a été détruit ou qui viennent d'ailleurs. Que se passera-t-il si les propriétaires légitimes sont vivants et reviennent un jour ? Ces gosses, eux, ont cherché refuge dans des locaux scolaires, ceux de l'école de la Sainte-Famille. Celle de leur quartier natal.

J.C.

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