Fiche du document numéro 2318

Num
2318
Date
Samedi 30 avril 1994
Amj
Auteur
Taille
136575
Titre
Mgr Rubwejango : 800 réfugiés exécutés dans mon évêché
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Cote
no 15461
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
MONSEIGNEUR FRÉDÉRIC RUBWEJANGO, évêque de Kibungo, parle des jours
ayant précédé la venue des forces FPR dans cette ville (elle a été
libérée de la dictature voici à peine une semaine). Les traces des
massacres sont ici moins visibles mais ils n'en ont pas moins été bien
réels. « Quand ils tuaient 700, 800 ou 1.000 personnes, il faisaient
venir des camions. Direction, sans doute, les fosses communes. »

« A l'évêché, nous avions 800 réfugiés. Le 15 avril, ils ont été
massacrés devant mes yeux. Au fusil, au gourdin ! Deux jours après, les
camions sont arrivés pour emmener les corps. »

« Pendant qu'ils dégageaient les cadavres, ils trouvaient des
survivants. Parfois ceux-ci étaient achevés. Parfois non : il y a eu
75 cas dans ce sens. Certains des assassins ont dit alors : ``C'est le
Bon Dieu qui les a sauvés, qu'ils survivent !'' Plus tard, un des chefs
est revenu les chercher, parmi eux il y avait un prêtre. Ils ont tous
été exécutés en route. »

« Il y a parmi nous un homme qui a réussi à s'échapper en faisant le
mort parmi les morts. Il a survécu de plus au massacre des
75. J'espère qu'il va leur échapper encore longtemps », sourit
l'évêque en me présentant Donatien Hategekimana, qui s'occupait dans
un jardin voisin.

En fait, Donatien a échappé trois fois aux tueurs. Lors du premier
massacre, couvert de sang, il s'est donc couché parmi les cadavres.
« Un assassin passe avec une hache. Il le dépouille entièrement et
repart. Croyez-le : il a réussi à se conduire, comment dire ? - comme
un cadavre », raconte l'évêque.

Donatien reste alors avec l'évêque et les prêtres. Mgr Rubwejanga :
« Nous étions huit prêtres. Ils en ont tué un. Puis on nous a dit de
nous enfermer dans un appartement. Et ils ont pillé toutes les
dépendances. » Arrive le sanglant épisode des 75. Donatien devait
partir avec eux. « Quelqu'un de sa connaissance était parmi les
bourreaux. Il l'a prévenu et lui a conseillé de se cacher. »

« La troisième fois, il était caché dans un buisson avec un jeune
homme blessé. C'était la chasse à l'homme, aux militants FPR. Donatien
est sorti de sa cachette pour entrer dans les rangs des ``chasseurs''. Ceux-ci l'ont tout bonnement pris pour un passant. »

Je m'informe : le jeune homme blessé est lui aussi survivant. Sa
cachette n'a pas été découverte.

« Les massacres ont duré du 14 au 22 avril au matin. Ce jour-là, le
FPR est arrivé, reprend l'évêque. Il n'y a pas eu de massacres qu'à
Kibungo : à Zaza, un millier de personnes tuées en deux jours ; à
Rwamagana, 700 réfugiés assassinés dans une école ; à Dabarondo,Il s'agit de la paroisse de Kabarondo.
environ 1.200 ! »

« Les chantages à l'argent étaient très fréquents : ``Donne-moi de
l'argent, vite, vite, avant que les autres arrivent !'' Vous voyez à
mes côtés un prêtre que nous avons du ``racheter'' ».

L'abbé Papias Mugobokancuro : « A Kabarondo, nous avons commencé à
recevoir des réfugiés le 8 avril. Vers le 12, il y en avait 1.200 à la
paroisse. Le 13, les gendarmes viennent et tuent. Je tombe entre leurs
mains. Ils me battent et me forcent à ouvrir les portes du
presbytère. Ils volent, ils pillent, ils cassent. Le 14, je réussis à
me réfugier chez le bourgmestre (administrateur de la commune, nommé
par le ministère de l'Intérieur et non élu - NDLR). Je passe cinq
jours chez lui, caché sous le lit. Lundi 18, les militaires viennent
et transfèrent 50 personnes à Kibungo. Un lieutenant me dit : ``Tu
sauves ta peau pour 100.000 francs (380 francs français). Je te donne
deux jours.'' Je devais donner l'argent au bourgmestre qui le versait
au lieutenant. Mardi, le lieutenant arrive à l'évêché : ``Tu montes
dans la voiture pour l'exécution, ou bien tu donnes l'argent !'' Notre
économe avait réuni 60.000 francs. Jeudi, il a trouvé les 40.000
francs qui manquaient. »

La seule question que se pose encore l'abbé Papias : comment s'est
effectué le partage entre le bourgmestre et le lieutenant ? Quelle
commission a prélevé le premier ?

Mgr Rubwejanga reprend le fil de son récit. « Dans deux paroisses, les
plus proches de la frontière tanzanienne, je ne connais pas encore la
situation. Dans l'une d'elles, je pense qu'il y a eu un massacre ; sur
les onze autres paroisses du diocèse, huit furent le théâtre de
carnages. » Dans un cas, douze personnes ont été tuées à l'intérieur
de l'église. Dans les autres, le nombre est supérieur à 700.

« L'épidémie, explique encore l'évêque, est devenue pour nous une
appréhension. En une semaine, à l'évêché, nous avons fait beaucoup
d'efforts de propreté, de désinfection. Nous n'avons pas encore de cas
de maladies. Peut-être la saison des pluies nous a-t-elle aidés. »

J. C.

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