Fiche du document numéro 22472

Num
22472
Date
Mardi 8 avril 2014
Amj
Auteur
Taille
5419015
Titre
Couvrir un génocide
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Source
AFP
Type
Dépêche d'agence
Langue
FR
Citation
Des combattants du Front patriotique rwandais passent devant une femme tuée par les milices pro-gouvernementales à Kayove, au Rwanda, le 16 juin 1994 (AFP / Abdelhak Senna)

Kigali, 11 avril 1994. Je vois des soldats rwandais achever des blessés à l'hôpital. A la baïonnette. Deux jeunes gens, tués sur un tas de cadavres déjà empilés pèle-mêle dans la cour. La morgue déborde.

J'assiste à cette scène inouïe de violence et d'horreur. Je suis autorisée à être là, à observer, pour raconter et décrire, mais sans carnet de notes et sans poser de questions.

Je l'écris. Très mal, parce que les mots ne me viennent pas, c'est certain, mais mon papier est diffusé, dans je pense à peu près toutes les langues de travail de l'AFP. Je raconte.

Je décris deux jours plus tard comment des miliciens hutu, grenade ou machette à la main, chassent dans le centre de Kigali les jeunes Tutsi, des infiltrés disent-ils. Ils scrutent l'intérieur de notre voiture, parce que sait-on jamais, on pourrait en cacher, en exfiltrer. Près d'un check-point, plusieurs morts alignés, qui n'ont rien de combattants, mais sans doute juste une carte d'identité avec la mention « tutsi ».

Pillages après les massacres à Kigali le 11 avril 1994 (AFP / Pascal Guyot)

Je parle aussi des obus qui tombent, des enfants mutilés, des médicaments qui manquent, de l'hôpital de la Croix-Rouge bondé et bombardé. Décris comme je peux la terreur permanente de milliers de gens réfugiés à l'hôtel des Mille Collines, au stade Amahoro ou dans l'église de la Sainte-Famille, avec ce drôle de curé qui porte un pistolet à la ceinture.

A quoi cela a-t-il servi? A rien, sinon à me sentir aujourd'hui encore coupable de ne pas être allée vers les militaires assassins de l'hôpital pour leur crier d'arrêter, de ne pas avoir pris dans notre voiture des jeunes qui tentaient d'échapper aux miliciens, d'avoir été accueillie à bras ouverts par des tueurs aux machettes dégoulinantes de sang parce que j'étais française, de ne pas avoir su écrire dès le début qu'on avait affaire à un génocide, parlant plutôt dans ces premiers jours de massacres interethniques récurrents dans cette région troublée d'Afrique.



Vers le 20 avril, l'ONU, qui a quelque 2.500 hommes déployés dans le pays pour superviser la mise en oeuvre d'accords de paix signés en 1993, divise leur nombre par dix. 270 Casques bleus, sans armes, dont le mandat ne leur permet que d'assister aux massacres en essayant eux-mêmes de ne pas se faire tuer, restent, impuissants. Pendant ce temps, dès lors que leurs ressortissants ont été sortis de cet enfer, les pays étrangers regardent ailleurs, vers la Bosnie en guerre, mais surtout, note inhabituellement optimiste sur un continent plus souvent désespérant que joyeux, vers l'Afrique du Sud, qui organise ses premières élections multiraciales.

En cent jours, environ 800.000 personnes, hommes, femmes et enfants, seront massacrées de façon abominable, troisième génocide du 20e siècle.

De ces cent jours, j'en ai passé je pense la moitié au Rwanda. Peut-être un peu plus, peut-être un peu moins, je ne sais pas trop. En trois séjours de deux ou trois semaines chacun.

Déplacés tutsi près de la ville de Gikongoro, au Rwanda, le 8 juillet 1994 (AFP / Pascal Guyot)

Personne ne m'a lue? Est-ce parce que les chaînes en continu n’existaient pas ? Pas plus que Twitter? Une autre époque? Mais il semble qu'aujourd'hui encore les cris d'alarme tombent à plat s'ils dérangent. Alors, disons : plus jamais ça, et il en restera peut-être quelque chose.

A l'époque, je suis basée au bureau de Nairobi, adjointe francophone.

Avec Jean Hélène, mon meilleur ami



A peine arrivée, en octobre 1993, je pars au Burundi pour couvrir les suites du coup d'Etat du 21 octobre, lorsque le premier président hutu élu quelques mois plus tôt, Melchior Ndadaye, a été assassiné par des militaires tutsi. Des Tutsi sont tués en représailles, dont de nombreux enfants. J'ai 32 ans et aucune expérience de ce genre de conflit. C'est là que je fais la connaissance de Jean Hélène, basé lui aussi à Nairobi, qui travaille pour RFI et Le Monde, déjà un vieux routier de l'Afrique, qui sera tué exactement dix ans plus tard, à Abidjan, le 21 octobre 2003. Après m'avoir énormément appris et être devenu mon meilleur ami.

Un enfant dans une voiture du Front patriotique rwandais à Kigali, le 9 juin 1994 (AFP / Abdelhak Senna)

Après le Burundi, je découvre la Somalie. Les Américains, qui viennent de voir 18 de leurs militaires tués, leurs corps traînés dans la poussière comme des trophées, préparent leur départ. Je suis à Mogadiscio en mars 94 quand les derniers d'entre eux s'en vont, tétanisés par leur catastrophique opération « Restore Hope ». Un traumatisme qui sera invoqué pour expliquer l'inaction américaine au Rwanda.

Quelques jours plus tard, au soir du 6 avril, l'avion du président rwandais Juvénal Habyarimana est abattu par un missile à l'approche de l'aéroport de Kigali alors qu'il rentre de discussions de paix tenues en Tanzanie. Le nouveau président burundais et plusieurs autres dignitaires sont dans le Falcon, piloté par un équipage français. Il n'y a aucun survivant. Immédiatement, tout le monde sait que cette affaire est une catastrophe pour toute la région, mais nous sommes loin d'imaginer l'ampleur de ce qui va suivre.

Je reprends le chemin des Grands Lacs. Six mois plus tôt, pour cause d'aéroport fermé, j'atterrissais à Kigali pour rallier Bujumbura. Cette fois, c'est l'inverse.

Les corps de centaines de réfugiés écrasés par un mouvement de foule gisent à Goma, au Zaïre, le 18 juillet 1994 (AFP / Pascal Guyot)


Dans la capitale burundaise, je retrouve un photographe de l'AFP, Pascal Guyot, venu de Paris, et nous prenons la route. A partir de Butaré, dans le sud du Rwanda, nous devons trouver une voiture sans chauffeur: la région est encore tranquille - ça ne va pas durer - mais les expatriés et habitants fuyant Kigali décrivent de telles tueries et scènes de violence que personne ne veut se risquer plus avant sur la route.

L'arrivée à Kigali, le dimanche 10 avril, est surréaliste.

Le son du canon, des cadavres dans les rues, des barrages, parfois marqués par de simples caisses de bière Primus, tenus par des miliciens et militaires qui nous demandent nos passeports « Français? C'est bon, passez ». Si nous étions belges? Ah, là, nous n'irions pas plus loin. Les Belges sont considérés comme favorables aux rebelles. Dès le 7 avril, dix de leurs Casques bleus chargés de la protection d'Agathe Uwilingiyimana, Premier ministre hutu « modérée » assassinée aux premières heures du génocide, ont été tués. Les Français, eux, sont les amis du défunt président Habyarimana, qu'ils ont aidé à contenir la rébellion déclenchée en 1990 par le Front patriotique rwandais (FPR), mouvement créé par des enfants d'anciens exilés tutsi, venus d'Ouganda.

Des parachutistes belges évacuent des résidents étrangers à Kigali, le 13 avril 1994 (AFP / Pascal Guyot)

Il y a aussi en ville des militaires français, chargés d'évacuer les ressortissants européens. Il leur sera reproché d'avoir également exfiltré des « génocidaires » et leurs familles, tout en abandonnant à son sort le personnel rwandais du centre culturel français. Des militaires belges, pouvant circuler en zone rebelle, évacueront également des étrangers, et partiront vite eux aussi.

A l'hôtel des Mille Collines, c'est le chaos. Situé en zone gouvernementale, il est rempli de réfugiés tutsi terrorisés. La plupart des journalistes étrangers qui sont arrivés avant nous se préparent déjà à repartir, leurs rédactions leur demandant de couvrir l'évacuation des expatriés, mais de partir en même temps qu'eux. L'AFP me laisse juge. Nous sommes une petite poignée à rester.

S'ils décrochent, je décroche



Je suis seule devant l'hôtel quand un officier belge vient se présenter comme la dernière opportunité pour nous de franchir les lignes et de rallier l'aéroport. Pascal Guyot n'est plus là. Il a dû embarquer dans un avion après s'être vu interdire par les militaires de revenir.

Je reste. Jean Hélène est quelque part en ville, en reportage. Je le connais, je sais que lui restera aussi. Des occupants de l'hôtel semblent penser que notre présence bien dérisoire peut dissuader les miliciens de franchir la grille. Et il y a dans l'hôtel deux Casques bleus, un colonel malien et un capitaine sénégalais, Mbaye Diagne. Tant qu'ils sont là, je m'installe près de leurs chambres, au rez-de-chaussée, à l'abri des balles, je laisse ma porte ouverte, s'ils décrochent je décroche. S'ils pensent qu'il faut bouger, je bouge, mais là, tout de suite, je reste.

Le capitaine sénégalais Mbaye Diagne, qui sauva des dizaines de personnes (AFP)


Armé seulement de son courage et de son bagout, Mbaye Diagne a sauvé des dizaines de personnes, dont les enfants du Premier ministre assassiné. Il sera tué par un éclat d'obus le 31 mai, au désespoir des réfugiés de l'hôtel dont il était le héros. Et du mien.

Dans ces jours d'avril, nous circulons Jean et moi à bord d'une 205 rouge marquée d'une croix blanche de la coopération suisse - que la Suisse nous pardonne! - une des dizaines de voitures laissées sur le parking de l'école française par les expatriés appelés à se regrouper là avant de partir en convoi sécurisé vers l'aéroport. De fait, nous n'avions plus rien pour nous déplacer, le 4X4 loué à Butaré s'étant retrouvé bloqué à l'aéroport. Son propriétaire l'a vu un jour à la télévision, à moitié désossé, et s'est rappelé au bon souvenir de l'AFP, qui lui a payé sans rechigner les 10.000 dollars que je m'étais engagée à verser si nous perdions la voiture. L'AFP m'aura depuis pardonnée!

Une équipe de Médecins sans frontières soigne des enfants blessés par du schrapnel à Kigali, en mai 1994 (AFP / Gérard Julien)

C'est à cette période que nous voyons l'équipe du CICR dirigée par Philippe Gaillard se démener avec un courage insensé pour faire tourner un hôpital de campagne où ne pénètrent pas les miliciens. Quelques membres de MSF sont là aussi, fondus sous un emblème de la Croix rouge qu'ils estiment plus protecteur. Parmi eux, Jean-Hervé Bradol qui, vingt ans après, a témoigné de son expérience, auprès de l'AFP notamment, parlant d'un « électrochoc » qui a montré les limites de l'humanitaire.

Le général des impossibles trêves



C'est dans ces jours-là aussi que nous voyons les membres de l'état-major des Forces armées rwandaises (Far) et du gouvernement intérimaire, des extrémistes hutus parmi les plus durs, qui s'est formé après la mort de Juvénal Habyarimana. Théoneste Bagosora, Jean Kambanda et quelques autres, qui seront condamnés par la suite par la justice internationale.

Là aussi que je côtoie le général canadien Roméo Dallaire, commandant de la Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda (la Minuar), qui tente d'obtenir d'impossibles trêves, dans les tueries et les bombardements.

Le général canadien Romeo Dallaire témoigne devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda à Arusha, le 25 février 1998 (AFP / Alexander )

Après quelques jours, nous profitons d'un convoi escorté par l'ONU pour quitter la zone gouvernementale, franchir la ligne de front et nous rendre en zone rebelle. Tout près, en fait, en ville, à deux collines de là. En effet, en vertu des accords de 1993 qui ont aussi initié un gouvernement d'union nationale, après trois ans de rébellion, le Front patriotique rwandais (FPR) a depuis l'année précédente un bataillon stationné à Kigali, dans le bâtiment du Conseil national de développement (CND). Après l'assassinat de Juvénal Habyarimana et le début des massacres, des troupes du FPR ont quitté leur QG du nord, près de la frontière ougandaise, pour contrôler peu à peu le pays et faire la jonction avec ce bataillon. Le 4 juillet, le FPR prendra Kigali, entièrement.

Nous retrouvons de ce côté d'autres journalistes, venus eux via l'Ouganda, découvrons l'hôtel Méridien, rempli de réfugiés hutu et situé tout près de la ligne de front, rencontrons des responsables du FPR.

Réfugiés tutsi dans le camp de Kabgayi, au Rwanda, le 28 mai 1994 (AFP / Alexander Joe)

C'est là que je vois pour la première fois Seth Sendashonga, le « Hutu de service » du mouvement rebelle, comme il dira lui-même plus tard. Après le 4 juillet, il deviendra ministre de l'Intérieur dans le gouvernement post-génocide. Trop critique aux yeux de Paul Kagamé et de son mouvement, il sera évincé en 1995, victime en 1996 à Nairobi d'une tentative d'assassinat et finalement tué deux ans plus tard, en mai 1998, dans la capitale kényane. Encore un « modéré », encore un ami, qui n'a pas eu sa place sur l'échiquier politique rwandais.

Jamais on ne saura tout, il faut vivre avec



J'ai croisé Paul Kagamé plus tard, lors de mon deuxième séjour au Rwanda, je pense, fin avril. Je l'ai revu plusieurs fois, pendant et après le génocide. Il n'a jamais refusé de me parler, mais n'a jamais manqué non plus de me rappeler que la France avait armé le bras des génocidaires. Vingt ans après, il accuse même l'armée française d'avoir pris part directement aux massacres. Jamais cette affaire ne finira. Jamais on ne saura qui a abattu l'avion. Jamais on ne saura tout, il faut vivre avec.

Paul Kagame, alors vice-président du Rwanda, en juillet 1994 (AFP / Alexander Joe)

Quand l'opération militaire française Turquoise est lancée dans l'ouest du Rwanda, le 22 juin 1994, le FPR nous expulse de Kigali, le photographe de l'AFP, Adelhak Senna, et moi, les deux seuls journalistes d’un média français présent à ce moment-là dans ce secteur du CND et de l'hôtel Méridien.

Le général Dallaire demande, et obtient, que nous soyons escortés par des Casques bleus jusqu'à la frontière ougandaise. En cours de route, nous avons un entretien avec un major du FPR, qui deviendra par la suite ministre de l'Information. « Vous pouvez rester au Rwanda », nous dit-il, « mais vous comprenez que vu l'attitude de la France dans toute cette affaire, nous ne pouvons pas garantir votre sécurité »… Nous continuons notre chemin. D'ailleurs, après trois semaines à Kigali, on n'en peut plus.

 Un Hutu se met à couvert pendant des échanges de tirs entre le Front patriotique rwandais et les troupes gouvernementales à Mushubuti, le 12 juin 1994 (AFP / Alexander Joe)

Jusqu’à mon départ de Nairobi, en février 1998, je suis retournée plusieurs fois au Rwanda, et aussi souvent en République démocratique du Congo, qui s'appelait encore Zaïre la première fois que j'y ai traîné mon laptop et mon Immarsat. Le plus souvent je partais avec Alexander Joe, photographe de l’AFP à Nairobi à l’époque.

Je suis par exemple en avril 1995 à Kibého, dans le sud du Rwanda. On ne sait pas très bien combien de déplacés hutus ont été tués par l'armée sur cette colline réputée pour ses supposées apparitions de la Vierge Marie. Entre 300 et 10.000, selon les sources. Quand j'arrive, sous un ciel bas, pataugeant dans la boue, les cadavres ont été enterrés, sauf ceux qui pourrissent parmi les quelques centaines de personnes encore agglutinées au sommet de la colline. Ou celui d'un tout petit bébé sur lequel je manque de marcher.

Réfugiés au camp de Kibeho, au sud-ouest du Rwanda, le 24 avril 1995 (AFP / Alexander Joe)

Je suis aussi en 1997 dans la région de Kisangani, au Congo, où des milliers de réfugiés hutus ont été tués - 150.000, selon le Chilien Roberto Garreton, qui a fait en avril 1997 pour le compte de l'ONU un rapport sur la question. Il y a parmi eux des assassins, il y a aussi des enfants.

Après tout ça, je n'arrive à croire que les enfants, et encore, les petits. J'ai le sentiment que tout le monde ment, tout le temps.

Je me rappelle des petites mains rêches qui se glissent dans la mienne, des têtes trop lourdes qui se reposent sur mon bras.

Ces petits qui ne comprennent pas pourquoi ils sont tout seuls, pouilleux, galeux et affamés.

Une fillette rwandaise et sa petite soeur fuient Kigali avec leur père, le 27 mai 1994 (AFP / Alexander Joe)

Comment ai-je tenu ? Je n’en ai aucune idée. Sur place, dans le feu de l’action, il n’était pas question de flancher. Et quand je rentrais à Nairobi, entre deux séjours au Rwanda, je restais plongée dans l’histoire, à distance. Dans la capitale kényane, nous étions plusieurs journalistes à couvrir le Rwanda. On se connaissait tous, on se comprenait. Cela aurait été différent, sans doute, si j’avais été basée à Paris, si j’étais passée directement d’un génocide en Afrique à une société occidentale vivant dans l’indifférence. Je n’avais qu’une hâte : retourner au Rwanda, retrouver tous ceux que j’avais laissés là-bas. Quand cela arrivait, c’étaient des moments extrêmement forts. Je ne me suis jamais effondrée, ni eu envie de laisser tomber ce métier, même si des scènes comme le massacre de l’hôpital, je les ai revécues mille fois. Même si pendant deux ans j’ai fait le même rêve horrible, où j’étouffais sous un tas de cadavres.

Journalistes mis en cause



Journalistes français, nous avons été mis en cause. Moi un peu, Jean Hélène beaucoup, du fait de l'audience des médias pour lesquels il travaillait. Ce dont il a beaucoup souffert. Les mots, les expressions, les tournures de phrase de nos papiers ont été analysés, décortiqués. Forcément, nous n'étions pas objectifs, forcément nous avions de la sympathie pour le petit peuple hutu francophone aux prises avec les rebelles tutsi anglophones. Forcément aussi, nos sources ne pouvaient être que françaises et nous étions associés à la propagande génocidaire.

Une réfugiée dans le camp de Murama, en Tanzanie, le 23 janvier 1996 (AFP / Alexander Joe)

J'ai lu un jour sur une pancarte lors d'une manifestation à Kigali: « AFP Interahamwe », en référence à la milice hutu responsable de la plupart des massacres. De la part de gens qui ont dépassé toutes les limites imaginables de la souffrance, perdu toute leur famille, je peux tout comprendre. Mais nous avons aussi été mis en cause par des observateurs plus ou moins au fait du dossier, qui pour certains n'avaient jamais mis les pieds dans les Grands Lacs.

Aurais-je dû quitter Kigali quand l'officier belge me l'a ordonné, et n'y plus retourner? Evidemment non. Ma présence n'a servi à rien et mes erreurs et maladresses me hanteront toujours. Mais évidemment non.

Je n'ai jamais témoigné nulle part sur cette époque. Sauf très brièvement, en 2004, quand ma collègue Anne Chaon, elle-même sollicitée pour contribuer à une étude pour l’Institut de journalisme de l’université d’Ottawa sur les médias durant le génocide, m’a appelée (j’étais alors en poste à Dakar). Elle explique, entre autres et en détails, à partir de quel moment et de quelle manière le terme « génocide » est employé par les médias, AFP comprise.

Mark Doyle, journaliste de la BBC, apporte également dans cette étude un témoignage au plus près du terrain, objectif et sans concession sur notre travail à cette époque. Lui était là, un des rares à avoir bien connu le capitaine Diagne.

Paris, 8 avril 2014

La journaliste de l'AFP Annie Thomas à Kabale, en Ouganda, près de la frontière rwandaise, en juillet 1994 (AFP)

Annie Thomas est actuellement chef du service des informations générales de l'AFP à Paris.

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