Fiche du document numéro 2211

Num
2211
Date
Jeudi 31 janvier 2008
Amj
Taille
131192
Titre
La réconciliation avec le Rwanda fait des vagues à Paris
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Bernard Kouchner avec Paul Kagame, président du Rwanda. Le ministre a déclaré que la France avait «certainement commisune faute politique» pendant le génocide de 1994.
Bernard Kouchner avec Paul Kagame, président du Rwanda. Le ministre a déclaré que la France avait «certainement commisune faute politique» pendant le génocide de 1994. Crédits photo : AP
Les propos tenus par Bernard Kouchner lors de sa visite à Kigali, qui allaient dans le sens d'une repentance, suscitent des réactions indignées en France.
Le drame du Rwanda est un passé qui ne passe pas. Les réactions
déclenchées par les propos de Bernard Kouchner, samedi dernier à
Kigali, suffiraient largement à s'en convaincre. Venu ouvrir la
voie à une reprise des relations diplomatiques avec le Rwanda,
rompues depuis plus d'un an, le ministre des Affaires étrangères
a déclaré que la France avait «certainement commis une faute
politique» dans ce pays pendant le génocide de 1994.
En privé, le terme a fait bondir plusieurs responsables
politiques de l'époque, même si, publiquement, personne ne
souhaite jeter de l'huile sur le feu concernant une affaire
aussi tragique. Tout de même, Alain Juppé n'a pas hésité à
envoyer une bonne volée de bois vert à son successeur au Quai
d'Orsay en déclarant que «la diplomatie française ne devrait pas
s'écarter de la voie de la vérité et de la dignité». Preuve de
son indignation, l'ex-premier ministre a estimé nécessaire de
reprendre le blog qu'il délaissait quelque peu ces derniers
temps. «Je comprends bien que la France veuille se réconcilier
avec le Rwanda, écrit Juppé, qui dirigeait la diplomatie
française au moment du génocide. Mais de là à tomber dans les
amalgames de la repentance ou les compromissions de la
u201crealpolitiku201d, il y a un fossé.» Et de poursuivre :
«On nous dit qu'au Rwanda la France aurait commis une
u201cfaute politiqueu201d. C'est trop ou trop peu. De quelle
faute s'agit-il ? Il faut l'expliquer !», s'emporte Alain
Juppé. Il qualifie de «contre-vérités» les accusations selon
lesquelles Paris aurait «pris systématiquement le parti d'un
camp contre l'autre, des Hutus contre les Tutsis», «omis de
dénoncer le génocide», ou encore «fait preuve de passivité».
Premier ministre à l'époque, Édouard Balladur n'a, pour le
moins, guère apprécié les propos de Bernard Kouchner. «Il n'y a
pas eu de faute politique de mon gouvernement», déclare au
Figaro l'ancien chef du gouvernement, en soulignant avoir
«interrompu les livraisons d'armes et retiré les soldats
français présents au Rwanda dès (son) arrivée aux affaires».
Hubert Védrine, secrétaire général de l'Élysée en 1994, se dit
«complètement d'accord» lui aussi avec Alain Juppé. «Au Rwanda,
il n'y a pas eu de faute politique, il y a eu une faute
d'évaluation technique. On a tenté d'éviter le retour des
massacres grâce aux accords d'Arusha (signés en août 1993 entre
l'État rwandais et le Front patriotique de Paul Kagame, NDLR),
mais on a sous-estimé les tentations des extrémistes des deux
bords, contre lesquels il nous aurait fallu davantage de moyens
de pression», explique Védrine.
Kouchner cadré par l'Élysée
«Je répondais à une question : est-ce une faute militaire ? J'ai
dit : non, c'est politique», s'est justifié Bernard Kouchner,
lundi soir, sur France Info. Il a également précisé qu'il ne
visait «ni Alain Juppé, ni Édouard Balladur». Qui donc alors ?
«L'affaire a au moins le mérite de braquer le projecteur sur des
événements dans lesquels toutes les responsabilités ont loin
d'avoir été établies, notamment celles de François Mitterrand»,
relève-t-on dans l'entourage de Kouchner, en évoquant le soutien
apporté au régime de Juvénal Habyarimana face à ce que le
président de la République de l'époque considérait comme un
complot ougandais.
Avant de s'envoler pour Kigali, Bernard Kouchner avait été
dûment «cadré» par l'Élysée. Pour Nicolas Sarkozy, la
réconciliation avec trois pays africains, Côte d'Ivoire, Angola
et Rwanda, figure au rang de priorité. La ligne a été formulée
au sommet Europe-Afrique de Lisbonne, début décembre. «Certes,
nous n'avons pas toujours su prévenir ou arrêter des drames
innommables», déclarait alors le chef de l'État. «Je pense au
Rwanda et à son génocide qui nous oblige à réfléchir, France
comprise, à nos faiblesses ou nos erreurs», ajoutait-il dans son
discours dont chaque mot était pesé.
Réfléchir aux responsabilités de chacun, mais pas de repentance
ni de demande de pardon : une ligne que Bernard Kouchner affirme
ne pas avoir outrepassée. L'émoi suscité par ses déclarations a
toutefois contraint Nicolas Sarkozy à intervenir. Le président
de la République a appelé Édouard Balladur et Alain Juppé pour
les assurer qu'ils n'étaient nullement mis en cause par les
paroles du bouillant docteur Kouchner.

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