Fiche du document numéro 21234

Num
21234
Date
Mardi 31 mai 2011
Amj
Taille
163048
Titre
Sa bataille de Kigali
Sous titre
Didier Tauzin. Ce général à la retraite défend l’action de l’armée française mise en cause lors du génocide rwandais en 1994.
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Ras-le-bol. C’est le premier mot qui lui vient à la bouche. Didier Tauzin, général à la retraite, en a ras-le-bol. Marre des attaques contre l’armée française accusée à Kigali, mais aussi par certains à Paris, de complicité de génocide au Rwanda. Marre du silence des autorités politiques face à ces accusations. Alors, cet officier qui a servi à la tête des « paras » du 1er RPIMa (Régiment d’infanterie de marine) au « pays des mille collines » juste avant le génocide de 1994 et à sa toute fin, dans le cadre de l’opération militaro-humanitaire Turquoise, a décidé de se défendre lui-même. Dix-sept ans après le grand massacre : 800 000 morts, au bas mot, pour l’essentiel des Tutsis mais aussi des Hutus modérés, assassinés en cent jours sur injonction du régime de Kigali, soutenu à l’époque par la France de Mitterrand.

On sent bien que cela lui a coûté à ce fils de militaire, soldat « par tempérament ». Ecrire, c’était transgresser le sacro-saint devoir de réserve en vigueur au sein de l’armée. Entré dans la carrière après le bac et Saint-Cyr, au début des années 70, il est à la retraite depuis cinq ans. Mais, explique cet homme installé en Charentes, le rétablissement de son honneur « sali » a fini par l’emporter sur le respect de cette règle d’or.

Le livre qu’il a récemment publié s’ouvre sur le choc d’un père. En 1998, sa fille l’interpelle en ces termes : « Papa, c’est dégueulasse ce que tu as fait. Tu as massacré des Tutsis au Rwanda ! » Elle venait de lire dans le Figaro une série d’articles publiés par Patrick de Saint-Exupéry, accusant Paris de s’être compromis aux côtés des tueurs hutus. Un journaliste qui, au fil des ans, est devenu sa bête noire, notamment après deux livres à charge contre les politiques et les militaires impliqués dans l’affaire rwandaise (1). Tauzin l’a attaqué en diffamation, et il a perdu.

Alors, le général a pris la plume. Pour parler de lui, mais surtout de son action au Rwanda. Cet homme chaleureux, aux épaules aussi carrées que ses idées, ne comprend toujours pas ce qu’on lui reproche. Qu’on puisse soupçonner ses soldats d’être impliqués dans le génocide, le révolte :« Autant le dire carrément : nous sommes donc des nazis ! » Tauzin assume tout, au point de clamer son admiration pour des officiers hutus qu’il croise à la fin du génocide et qu’il regrette, la mort dans l’âme, de ne pouvoir aider. Se rend-il compte de l’énormité qu’il vient d’énoncer ? « Mais ces officiers n’étaient en rien impliqués dans le génocide ! C’étaient des soldats qui résistaient héroïquement aux rebelles tutsis de Paul Kagamé. » Tous les spécialistes du génocide s’accordent pourtant sur le fait que l’armée et les forces de sécurité ont solidement encadré les tueurs, quand elles n’ont pas participé directement aux massacres. Le général Tauzin se défend pourtant d’être révisionniste, emploie le terme de « génocide », mais c’est pour mieux ajouter que les chiffres concernant les victimes tutsies ont été gonflés et que la majorité des victimes, si l’on englobe les massacres commis au Congo voisin par la suite, sont hutues.

« C’est troublant de voir à quel point chacun juge cette tragédie selon son vécu, observe le journaliste Nicolas Poincaré, qui a connu Tauzin durant l’opération Turquoise. Sa première mission au Rwanda a été d’arrêter les rebelles tutsis en 1993. Même s’il a rempli sa mission en protégeant des survivants du génocide, pour lui, tout est de la faute du Front patriotique rwandais de Kagamé. Il n’a pas saisi la portée du génocide où il était plus important de tuer une femme enceinte qu’un combattant. »

« Comme beaucoup de militaires, il est de bonne foi ». L’ancien patron du 1er RPIMa raconte avec fierté comment, en février 1993, il a été envoyé au Rwanda pour stopper une offensive des hommes de Kagamé. Objectif atteint avec 70 paras seulement sans avoir besoin de tirer un seul coup de feu, l’armée du régime de Kigali s’étant mise sous ses ordres et appliquant à la lettre les consignes. Depuis, sa religion est faite, et Tauzin s’en tient à sa grille de lecture, dominante chez les militaires, mais aussi au sein d’une partie des élites politiques françaises (de gauche comme de droite) : les rebelles tutsis ont été armés indirectement par les Anglo-Saxons pour chasser les Français de cette partie de l’Afrique des grands lacs riche en minerais. Le complexe de Fachoda, encore et toujours.« A son corps défendant, il donne des arguments à ceux qui accusent la coloniale d’avoir été au cœur du dispositif du président hutu Habyarimana ».

Tauzin, lui, ne voit pas où est le mal. Il faisait son devoir, point barre. Et s’il concède des « erreurs et des fautes » de la France, elles sont uniquement imputables aux politiques qui, selon lui, ont pris « l’affaire rwandaise à la légère ». « Ce n’était pas un banal feu de brousse, comme la France en avait l’habitude en Afrique, dit-il. Au Rwanda, j’ai vécu la haine ethnique ».

Tauzin dédie son livre à son père, décédé en 1995, un an après le génocide au Rwanda. « Il était tellement fier de moi que c’en était gênant parfois », dit-il. L’ombre paternelle aurait pu l’écraser, il n’en a rien été. « Je l’ai connu quand j’avais 30 ans.Il était toujours en opération. On peut même dire qu’il a fait la guerre de manière ininterrompue de 1939, quand il s’est engagé, jusqu’à l’Algérie en 1962. » Prisonnier des Allemands, évadé au bout de la septième tentative, combattant de la France libre intégré dans les forces spéciales britanniques, sautant sur Diên Biên Phu, blessé et torturé par les « Viets », combattant en Algérie, missions secrètes en Afrique : un héros aux yeux de son fils. Pourtant, Tauzin assure être entré dans la carrière uniquement par envie personnelle. « J’aimais bien la bagarre, la confrontation. » Marié à 23 ans, deux enfants, il choisit après Saint-Cyr les forces spéciales de l’infanterie de marine. Sur les traces de son père. Divorcé après un quart de siècle de vie bien peu commune (« J’étais toujours en mission », reconnaît-il), il s’est remarié avec une amie d’enfance. Sa fille est aujourd’hui DRH près de Versailles et son fils intermittent du spectacle. Pas d’héritier pour chausser ses bottes, et il trouve ça très bien.

Depuis sa retraite charentaise, Didier Tauzin a créé une association destinée à financer la création d’écoles en Afrique. La première, espère-t-il, verra bientôt le jour au Sénégal. Un dérivatif ? Malgré la réconciliation officielle entre Paris et Kigali, actée l’an dernier par Nicolas Sarkozy, il attend toujours des excuses de Kagamé qui a accusé les soldats français d’avoir participé au génocide. Un regret, un seul peut-être, le tourmentera pour le restant de ses jours : « On aurait pu arrêter le génocide dès le début. » En retenant la main des tueurs hutus ? Pas du tout, répond-il, en déployant les paras pour stopper à nouveau Kagamé.

(1) « L’Inavouable » (2004), puis « Complices de l’inavouable », tous deux aux éditions les Arènes.

Photo Jérôme Brézillon

En 8 dates

24 septembre 1950 Naissance à Dakar.

1971-1973 Saint-Cyr.

1988-1990 Coopérant militaire au Burundi.

1992 Prend la tête du 1er RPIMa.

Février 1993 Opération Birunga au Rwanda.

Juin 1994 Opération Turquoise.

Octobre 2006 Part à la retraite.

Mai 2011 Rwanda, je demande justice pour la France et ses soldats, (Jacob Duvernet).

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024